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Le tao du migrant - Le blog de Mustapha Harzoune - Page 34

  • 2ème Edition du Salon Littéraire Méditerranéen à Marseille

    L'association Ecrimed, «  Écritures Méditerranéennes  », organise  sa  2ème Edition du Salon Littéraire Méditerranéen à Marseille

    «  Écritures Méditerranéennes  », Salon International réunissant des écrivains des pays composant l'Union pour la Méditerranée, deuxième édition se tiendra à Marseille les samedi 27 et dimanche 28 novembre 2010 de 10h à 18h. Entrée gratuite.

    AmineMaalouf.jpgSous le Parrainage de Tahar Ben Jelloun, aux côtés du parrain 2010 , Amin Maalouf, vous aurez l'occasion de rencontrer et d'écouter une quinzaine d’écrivains des pays du bassin méditerranéen.Cette année, le Salon se  tourne vers Camus. Entre le 50ème anniversaire de sa disparition et le centenaire de sa naissance, cette 2ème édition des "Ecritures Méditerranéennes" se penchera sur "l'empreinte laissée par Albert Camus en Méditerranée". Stéphane Freiss, qui en janvier 2009 interpréta l'écrivain pour la télévision, viendra lire un choix de ses textes.camus-cea00.jpg

    Lieu : Atria des Docks de la Joliette, 10, Place de la Joliette, Cedex  - 13567 Marseille

    AU PROGRAMME:

    Les Tables Rondes sont animées par Pierre Assouline, Directeur Littéraire de la manifestation

    Lieu : AGORA DES DOCKS

    - Samedi 27 novembre 2010

     -Table Ronde 1   de 11h00 à 12h30 :

    Double culture, une seule langue : comment s’en sortir ?

    Avec Michel Del Castillo (Espagne), Tahar Ben Jelloun (parrain d’honneur)

    Amin Maalouf (parrain 2010), Hélène Cixous (France) et Robert Solé (Egypte).

     

    -Table Ronde 2   de 15h15 à 16h45 :

    Co-animée par Franz-Olivier Giesbert (Directeur du magazine Le Point)

    Ecrivains de langue française natifs de la Méditerranée : des Français d’origine étrangère  ?

    « Où on s’aperçoit qu’il n’est pas si simple de considérer que la langue est la vraie patrie d’un écrivain »

    Avec Gonçalo M.Tavares (Portugal), Noura Bensaad (Tunisie), Abdellatif Laabi (Maroc), Maria Efstathiadi (Grèce), Boualem Sansal (Algérie), Joumana Haddad (Liban).

     

    - Dimanche 28 novembre 2010

    castillo_0.JPG-Table Ronde 3   de 10h00 à 11h30 :

    Y a-t-il une littérature méditerranéenne ?  L’empreinte d’Albert Camus, Emmanuel Roblès, Jules Roy,  Driss Chraïbi, Kateb Yacine…

    « Où l’écrivain se découvre une identité de riverain de mare nostrum en payant sa dette à ses auteurs de chevet ».

    Avec Michel Del Castillo (Espagne), Abdellatif Laabi (Maroc), Sandro Veronesi (Italie), Jacques Ferrandez (BD), Tahar Ben Jelloun (parrain d’honneur).

     

     -Table Ronde 4   de 15h15 à 16h45 :

    La littérature sert-elle aussi à faire la paix ? 

    « Où la langue de la littérature et de la poésie accomplissent des miracles inaccessibles à la langue de la politique et de la guerre ».

    Avec Amin Maalouf (parrain 2010), Michal Govrin (Israel), Robert Solé (Egypte), Yigit Bener (Turquie), Maria Efstathiadi (Grèce).

     

    Les Cafés littéraires au Café AGORA DES DOCKS, dans l'enceinte des Docks de la Joliette

     

    - Samedi 27 novembre 2010

    - Café Littéraire 1   10h00 à 10h45

    Animé par Michel Fraisset, Avec Jacques Ferrandez et Boualem Sansal (Algérie) ;

     

    - Café Littéraire 2   14h15 à 15h00

    Animé par Elsa Charbit, journaliste. Avec Noura Bensaad (Tunisie), Joumana Haddad (Liban),

     

    - Dimanche 28 novembre 2010

    - Café Littéraire 3   11h45 à 12h30

    Lecture d’extraits de l’œuvre de  Camus par Stéphane Freiss.

    Présentation Pierre Assouline

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    - Café Littéraire 4   14h15 à 15h00

    Animé par Valérie Smadja, journaliste. Avec  Sandro Veronesi (Italie), Yigit Bener (Turquie)

     

     

     

    Deux expositions animeront l'espace des Docks. . Une, consacrée à l'adaptation de la nouvelle de Camus en bande dessinée par Jacques Ferrandez "L'hôte". Grâce à un partenariat avec le Festival du 9ème Art d'Aix en Provence et l'Office du Tourisme de la Ville, des panneaux expliqueront le passage du texte à la bande dessinée.

    L'autre, de photographies d'Olivier Monge qui l'an dernier a immortalisé les écrivains participants à la première édition du Salon. Une galerie appelée à s’enrichir chaque année de nouveaux portraits...

    A cela il faut ajouter un espace réservé aux « lecteurs de demain » animé par Lise Couzinier : Contes en Méditerranée et création artistique (dessin, pâte à modeler, audition de CD…).

    Et bien sûr des dédicaces,  Samedi 27 novembre et Dimanche 28 novembre de 12h30 à 13h00 et de 16h45 à 17h45

     

    Pour en savoir plus : www.salonecrimed.fr

     

  • Laisse les hommes pleurer

    Eugène Durif

    Laisse les hommes pleurer

     

    9782742776900.jpgIl s’agit là d’une migration bien particulière. Il est question de rapt d’enfants, de gamins volés à des parents trompés, abusés et, au bout du compte, de vie brisées, d’hommes et de femmes parfois anéantis. Cela se passe en France. Entre 1963 et 1982 où plus de 1 600 enfants réunionnais ont été allègrement arrachés à leur île et à leur proche. Ils seront placés dans des familles d’accueil ou des institutions qui en Creuse, qui en Lozère ou dans le Gers. Puisque l’île connaît une croissance démographique importante et que dans le même temps les campagnes de la métropole souffrent d’un manque de bras et/ou de jeunes… L’idée lumineuse ne peut venir que d’un grand esprit et d’un grand cœur. En l’occurrence, Michel Debré soi-même, ci-devant fidèle Premier ministre du Général de Gaulle et alors préfet de l’île de la Réunion. La DDASS se charge du travail ; la peur gagne : « cache-toi bien sous les draps, la voiture de la DDASS, la voilà qui passe, ceux qu’elle emmène on ne les revoit jamais plus, cache-toi elle va nous prendre, pour la reconnaître certains jours elle est rouge, d’autres bleue pour mieux tromper. »

    Comme le disait en 1969 un paysan de Guéret dans la Creuse : « Je veux un petit Noir. Ça bosse, ça prend un repas par jour, ça couche dans la paille et ça se chausse de sabots » (1). C’est justement dans une de ces fermes, « chez les Landry », que se retrouve le petit Sammy en compagnie d’un autre gamin, Léonard. Sammy fait partie de ses Réunionnais expédiés en métropole. Léonard, lui, est un orphelin.

    Eugène Durif est un dramaturge et un romancier. Il ne tombe pas dans le piège dans lequel tombent des auteurs de romans ou de BD. Il n’écrit pas un reportage, il ne décrit pas un événement. Ils racontent avec sensibilité et retenu, sans pathos, l’histoire de deux gamins. Les liens qui se tissent et la complicité née dans l’épreuve qui, même après des années de séparation, ne fera pas défaut.

    Pourtant tout y est : le racisme de la campagne française, l’exploitation des enfants, les dures conditions de vie, la bêtise de ces paysans qui « ne voient pas plus loin que le bout de leur nez, le monde est immense, et eux, parce qu’ils sont d’un endroit, c’est comme si rien d’autre n’existait. »

    Bien sûr, tous ces gamins n’ont pas connu de telles conditions. Certains ont sans doute eu la chance de tomber dans des foyers autrement chaleureux et prévenants. Mais tous semblent avoir connu la nostalgie de leur île, les souffrances de l’exil, des existences amputées des êtres qui leur étaient indispensables, des difficultés psychologiques quand ce ne fut pas des séjours en hôpital psychiatrique (2). En une centaine de pages Durif dit tout et triture l’univers des âmes brisées. « Un humain qui va mal, c’est pas un malade, c’est quelqu’un qui n’en peut plus de la saloperie dans laquelle on l’a plongé au départ. »

    Le récit se déroule bien des années plus tard. Sammy et Léonard ont fait, tant bien que mal, leur vie. Ils ont chacun à leur manière tu leur passé, caché leurs blessures, déguisé leur vulnérabilité. Fait avec ! « j’avais bien compris que la vie ne me devait rien » dit Léonard.

    Léonard décide de retrouver Sammy. « Si la vie s’était chargée de nous séparer, il demeurait comme un appel de l’autre, quelque  chose qui ne pourrait jamais nous séparer complètement. » C’est cette quête et ces retrouvailles que raconte Eugène Durif. Des retrouvailles où les souvenirs et les pleurs auront leur part. Et les lendemains marqués par les mêmes fragilités et incertitudes.

     

    1. Respect magazine cité par Afrik.com : http://www.afrik.com/article7901.html

    2. Voir par exemple Ivan Jablonka, Enfants en exil, transfert de pupilles réunionnais en métropole (1963-1982), Seuil 2007.

     

    Edition Actes Sud, 2008, 140 pages, 16 €

     

  • Algérie, la guerre des mémoires

    Éric Savarese

    Algérie, la guerre des mémoires

     

    langue_babel.jpgPour évoquer cette guerre des mémoires algériennes, Éric Savarèse part de la construction de la mémoire pied-noire. Il montre en quoi les mémoires deviennent un matériau, un objet d’étude pour l’historien dans le cadre d’une historiographie renouvelée et comment les mémoires, constitutive de l’identité de groupes, sont construites, lissées, pour, dans un premier temps, permettre d’agglomérer le plus d’individus possibles pour, ensuite, faire valoir dans l’espace public la reconnaissance et les revendications du groupe ainsi constitué. Ce mécano mémoriel, savamment construit, masque alors la diversité des expériences individuelles  - « la carte bigarrée des Français d’Algérie, puis des pieds-noirs, incite à la vigilance » écrit l’auteur - et entend concurrencer, délégitimer voire contrecarrer tout autre représentation.

    Il montre, après d’autres, que les mémoires de la guerre d’Algérie, celle des pieds-noirs, des harkis, des appelés du contingent, des enfants de l’immigration algérienne etc. poursuivent la lutte armée sous un autre mode dans un contexte marqué, depuis les années 90, par un retentissant (et parfois abrutissant) devoir de mémoire et la multiplication de cérémonies mémorielles. Menées à tout va, ces cérémonies ne prémunissent en rien, les jeunes générations notamment, de reproduire les erreurs des aînés. Ainsi, à propos d’une autre page sombre de l’histoire nationale, Éric Savarèse écrit « aucune commémoration ne saurait remplacer le travail d’analyse et participer, à elle seule, à la construction de barrières morales contre l’antisémitisme, c’est-à-dire à la socialisation d’un humanisme à vocation universelle. »

    Plutôt que cette « socialisation d’un humanisme à vocation universelle », le danger serait que les groupes de pression, ces gardiens, représentatifs ou autoproclamés de la mémoire estampillée politiquement correcte,  mémoire souvent idéalisée et souffreteuse, s’érigent non seulement en gardiens de la vérité historique – délégitimant l’œuvre et le travail de l’historien - mais aussi en juges, habilité à condamner tel ou tel historien, telle ou telle publication, telle ou telle contre-mémoire, en s’appuyant notamment sur la multiplication des « lois sur l’histoire » (1990, 1999, 2001, 2005).

    Propriétaires des laboratoires de recherche historique et partant du droit au doute et de la liberté de recherche ; propriétaires des cours de justice et donc de la vérité ; propriétaires du passé (pour parler comme Philippe Sollers) , les gardiens de la mémoire pourraient bien emprisonner la société tout entière dans les rets de représentations qui asservissent le présent au passé sacrifiant les véritables enjeux sociaux sur l’autel des figures d’un autre âge et des particularismes : « le passé a donc changé de statut puisque, pratiquement réduit à n’exister que dans le cadre d’enjeux de mémoires, il n’appartient presque plus aux variables supposées explicatives du présent. Évoqué à travers le filtre de souvenirs collectifs, il est devenu à la fois objet de vénération collective, une ressource mobilisable dans le cadre de stratégies identitaires et un enjeu politique. »

    Plus grave, cette guerre des mémoires algériennes pourrait obstruer l’un des défis majeurs du temps et de la société : la gestion des différences, la compréhension de phénomènes historiques importants (comme l’usage de la violence) dont certains (la colonisation notamment) sont consubstantiels non seulement à la République mais à l’État-Nation français enfin, last but not least, l’interrogation de ce qui fonde la communauté politique et le pacte social. Des questions qui concernent l’ensemble des citoyens, qu’ils soient ou non liés à l’Algérie.

     

    Edition Non lieu, 2007, 176 pages, 18 euros

     

  • Histoire coloniale et immigration. Une invention de l’étranger

    Éric Savarèse

    Histoire coloniale et immigration. Une invention de l’étranger

     

    210Ericsolo2-Site.jpgÉric Savarèse, docteur en science politique, remonte aux sources de l’invention de l’étranger pour décrypter comment la peur de l’étranger se projette aujourd’hui sur l’immigré et, tout particulièrement, sur le Maghrébin. En somme et après d’autres études, il rappelle que nombre de stéréotypes dont l’immigré est affublé trouvent leur origine dans ceux qui hier stigmatisaient l’indigène, le colonisé. Il puise dans la littérature et la presse coloniales et surtout dans le cinéma hexagonal et ses réalisations récentes marquées par l’émergence de cinéastes maghrébins et Français d’origine immigrée pour y débusquer ces représentations de l’Autre mais aussi leur dénonciation.

     « Faute de s’associer à l’histoire, la sociologie serait condamnée à l’illusion de la connaissance immédiate des faits sociaux et des représentations ». Voilà pourquoi Eric Savarèse convie l’historien à sa table de travail. Il y réserve aussi une large place à la psychanalyse étant entendu que « l’opération consistant à faire table rase du passé [n’est] possible que par le truchement d’un retour réflexif sur le passé. Faute de quoi il se trouve toujours des amnésiques pour s’étonner que, dans des situations historiques variées, les mêmes causes puissent produire - avec des manifestations partiellement différenciées - les mêmes effets ».

    Ainsi, pour espérer combattre efficacement les idées reçues, les craintes voir l’hostilité à l’égard des immigrés, il faut en passer par l’étude de leur genèse et des conditions qui en expliquent, à travers les temps et les sociétés, leur naissance, leur développement et leur transformation.

    L’immigré est l’enfant du colonisé. Aussi, le terrain des représentations s’avère plus fertile que les « pratiques sociales » ou les « formes d’organisation des communautés politiques » pour montrer ce rapport de symétrie qui existe entre la France coloniale et la France « terre d’accueil ».

    Avec précision, Eric Savarèse décrit les conditions d’émergence de ces opinions et croyances, leur évolution et leur « réinvention » dans une France devenue « terre d’immigration ». Il montre comment, au XIXe siècle, la croyance en la supériorité occidentale confortée par la théorie évolutionniste et l’analyse des sociétés indigènes qui en découle viennent renforcer l’influence de la logique coloniale dans l’invention de l’Autre. L’ensemble de ces savoirs convergent pour toujours dévaloriser cet Autre.

    L’extraordinaire est « l’inscription de cette histoire dans la durée, son enracinement dans la mémoire (...). Car il s’agit bien d’une histoire qui traverse trois républiques, qui reste enseignée quels que soient les nombreux changements de majorités politiques, et qui résiste, même partiellement, aux convulsions créées par les guerres coloniales ». Le travail de l’école républicaine explique cet « enracinement dans la mémoire » de chaque Français. L’idéologie de Jules Ferry a servi à justifier moralement le colonialisme : en échange de son expansion économique la nation française se devait d’apporter la civilisation aux peuples colonisés. Sur le plan éducatif, la politique coloniale était censée prolonger, au-delà de la métropole, l’idéal républicain d’égalité des chances. Cet enracinement des représentations de l’Autre en France trouvera son ferment le plus sûr dans l’attachement sans faille des instituteurs à cet idéal républicain dont ils furent les premiers bénéficiaires.

    Pourtant, ce rôle de l’histoire enseignée demeure insuffisant pour expliquer l’« acceptation tacite » et quasi générale de la colonisation. Il reste alors à interroger les silences, à tripatouiller les mémoires pour en débusquer les oublis, à écouter les non-dits qui participent aussi des constructions historiques. Ce faisant, l’auteur montre que l’histoire coloniale reste muette sur les colonisés et sur la question du pouvoir et de la domination coloniale. Dès lors, quels que soient les idéaux défendus - de droite avec l’association ou de gauche avec l’assimilation - jamais le fait colonial n’est remis en question.

    Cette « dynamique de l’oubli » influencera le regard porté en France sur le Maghrébin immigré. Oublié lui aussi dans les années 60, il sera « réinventé » - au sens où certains courants de la société française, l’extrême droite en l’occurrence, redonneront corps à des représentations héritées de l’histoire coloniale - dans les années 80. De même que les indépendances ont sonné l’affirmation de l’Altérité par elle-même, il faudra, en France attendre la fin des années 80 et l’irruption d’une nouvelle génération, enfants de l’immigration, pour là aussi entendre cette altérité. C’est ce que montre l’auteur par un détour rapide sur la production cinématographique.

    Entre l’exclusion de l’Autre, renvoyé à sa différence rédhibitoire et son acceptation qui nie sa différence, émerge alors une représentation qui opère une distinction entre la sphère politique – tous égaux – et la sphère culturelle – reconnaissance des différences.

    Eric Savarèse montre avec pertinence, sans aucun jugement de valeur anachronique, comment et pourquoi ont émergé et se sont inscrites, dans la mémoire nationale, des représentations de l’Autre avec lesquelles, aujourd’hui encore, il faut compter. Seul un travail pédagogique de fonds - une pédagogie des représentations - où l’histoire et la psychanalyse semblent avoir leur place, permettrait d’en comprendre la genèse et surtout d’éviter de dangereux retours du refoulé. De ce point de vue, Eric Savarèse est non seulement convaincant mais bien utile.

     

    Edition Séguier, 2000, 267 pages

     

     

  • Sous l’œil de Krishna

    Sunny Singh

    Sous l’œil de Krishna

     

    g31893_43.jpgSunny Singh est née en Inde à Varanasi. Après des études littéraires aux USA et de langue espagnole à New Delhi et Barcelone, elle s’est installée à Londres où elle animait un atelier d’écriture à la London Metropolitan University. Elle a publié trois livres et, d’après son éditeur, écrit aussi des pièces de théâtre. Sous l’œil de Krishna aborde un sujet passionnant en ces temps de mondialisation et de brassages culturels et humains. Celui des différences culturelles vues ici à travers le regard de Krisna, jeune fille partie à New York pour des études cinématographiques, de retour dans son village natal. En son temps, Yahya Haqqi, l’un des pionniers de la littérature moderne égyptienne, écrivit une nouvelle similaire (1) dans laquelle un médecin s’en retourne dans son village après des années d’étude en Europe. Chez Sunny Singh, les mêmes thèmes virevoltent de pages en pages : confrontation entre modernité et tradition, entre un Occident individualiste et un Orient (ici indien) ancré dans ses mythes, l’histoire familiale, le clan. Sous l’œil de la divinité Krishna, l’humanité mijote dans le grand bouillon du collectif épicé de coutumes, légendes, fresques historiques, rites et pratiques d’un autre âge, solidarité mais aussi devoir et fidélité à l’égard du clan. C’est sous l’œil de Krishna, la jeune fille cette fois, que cette Inde de traditions est racontée.

    Une interrogation structure le récit : pourquoi, contre l’avis de la justice, contre l’avis des cercles féministes et modernistes qu’elle fréquente, Damayanti, célèbre avocate, décide-t-elle, à la mort de son mari, de s’immoler ? Krishna a reçu de Dadiji, sa grand-mère qui l’a élevée, une mission, un devoir auquel, semble-t-il, elle ne peut se soustraire. Filmer les derniers jours de Damayanti, filmer les préparatifs de celle qui s’apprête à devenir « sati », filmer le sacrifice lui-même. Elle ne comprend pas la décision de Damayanti qui, au cours des jours qui précèdent sa mort, deviendra son amie. Elle ne comprend pas pourquoi elle même accepte de tenir le rôle que la famille et le clan lui font jouer. Elle est surprise de se voir tenir des propos, assumer des responsabilités, devenir une femme à mille lieues de celle qu’elle pouvait être à New York. Elle s’interroge tout au long du récit sur ses propres motivations. Si elle n’a pas de réponse, au moins sait-elle ce qu’elle se refuse à reproduire.

    Krishna balance entre l’Inde et New York ; entre des conceptions amoureuses distinctes, inconciliables ; entre la fidélité aux siens et sa propre émancipation ; entre des pratiques surannées et une modernité trop souvent réduite à singer l’Occident ; entre la compréhension - cette « connivence » dont parle François Jullien - des ressorts d’une culture et les bifurcations qui, au sein même de cette culture, peuvent advenir.

    Sujets passionnants, mais il semble que Sunny Singh soit passée à côté. Car si elle sait pointer du doigt les zones de tension, les points où les voies se séparent, le lecteur reste comme abandonné, à la croisée des chemins. In fine, on ne comprend pas pourquoi Damayanti se fait « sati », comme on reste perplexe sur les caricatures qui sont ici proposées pour décrire les cercles modernistes de l’Inde actuelle : journalistes et autres bourgeoises ou même l’amant new-yorkais d’origine indienne. Krishna elle-même abandonne son lecteur, s’en allant vers sa destiné dont on ne mesure pas la part de fidélité et la part de « bâtardises»(2) pour reprendre le mot d’Amin Maalouf. Il aurait fallu creuser davantage, éviter les caricatures, élaguer aussi le récit de quelques répétitions et boursouflures. Pour autant le livre tient. Le rythme ne se relâche pas et Sunny Singh sait poser les situations et emporter le lecteur dans cette grande fresque qui plonge loin dans l’histoire d’une dynastie rebelle du Rajputs.

    Sunny Singh esquisse, plus qu’elle ne montre, une trajectoire, l’évolution d’une jeune femme, sa capacité à s’inscrire dans une longue histoire sans pour autant aliéner sa propre existence.

     

    1-     La Lampe d’Oum Hachem dans le recueil, Choc, traduit en 1991 chez Denoël

    2-     « Si notre présent est le fils du passé, notre passé est le fils du présent. Et l'avenir sera le moissonneur de nos bâtardises » dans Origines, éd. Grasset, 2004.

     

    Traduit de l’anglais (Inde) par Nathalie Bourgeau, éd. Philippe Picquier, 2008, 366 pages, 22€

     

  • L’Arbre d’ébène

    Fadéla Hebbadj

    L’Arbre d’ébène

     

    hebbadj.jpgUn squat, rue de la Chaussée d’Antin. Au 5, là où s’élevait dans la seconde moitié du XVIIIe siècle et jusqu’en 1860 la maison de Louise d’Épinay, la protectrice de J.J.Rousseau. Dans son salon, elle recevait toutes les sommités intellectuelles de son temps, nationales et européennes. Mozart y fit un bref séjour. Plus tard et plus longuement, Chopin y résida avec quelques autres émigrés polonais. L’Hôtel d’Epinay n’existe plus. C’est un autre immeuble qui a vu le jour au niveau du 5 de la Chaussé d’Antin. L’esprit du lieu peut-être demeure encore…(1)

    D’autres étrangers occupent aujourd’hui l’immeuble. Mama et son fils âgé de 10 ans s’y cachent. Mama a promis à Nasser qu’un jour ils auront un réfrigérateur, un grand lit et un homme, « l’arbre d’ébène » qui les protégera et s’occupera d’eux. Pour le moment, ils n’ont qu’un sac de couchage où ils réchauffent leurs solitudes. Mama s’absente souvent, partant pieds nus dans le froid de l’hiver. Alors ? Promesses ? Mensonges ? « Tu m’as menti, depuis ce voyage. Là-bas on était mieux, maintenant si tu meurs qui va s’occuper de moi ? » s’inquiète Nasser.

    Là-bas c’était en Afrique. Fadéla Hebbadj raconte les horreurs de ce périple qui, du Mali à Paris, en passant par Marseille, conduira Mama et Nasser au quotidien des sans-papiers. C’est aussi par sa marge qu’une société se révèle à elle-même, en décentrant son regard. Fadéla Hebbadj à travers ses deux personnages, porte un regard sur la société française : les peurs qui s’y répandent, la méchanceté, le culte de l’argent, l’indifférence, la solitude, les fausses idoles…

    « L’humanité [serait-elle] sortie du territoire français » ? Elle a déjà déserté ici certains ministères, certaines administrations et quelques cœurs, - de Blanc ou de Noir (voir l’épisode du « café plein de frères »). « Dans notre pays, on les accueille avec le respect et l’hospitalité, ils viennent avec le sourire et repartent avec de bons souvenirs, ici ils nous accueillent avec des matraques et nous font vivre des cauchemars comme des criminels… » dit Mama.

    Pour autant, le livre montre aussi que la France sait rester humaine. A Marseille, Yvonne qui a recueilli les deux clandestins, apprend à lire et à écrire au gamin. Mario, le jeune paumé, « il était blanc, mais il aurait pu être mon grand frère, parce qu’il avait un esprit de Noir », aidera Nasser à retrouver sa mère hospitalisée. Andrée, la bouquiniste, refilera bien plus que des livres et des histoires au gamin.

    A l’instar, de La Promesse de l’aube de Romain Gary, Fadéla Hebbadj écrit un livre sur une mère et son fils, le dévouement et même le sacrifice de l’une et l’amour de l’autre. Mais Nasser, malgré lui, s’aventure sur un autre chemin, le sien, celui de l’émancipation.  « Elle [Mama] était un poids pour ma solitude » finit-il pas ressentir. « Avant, j’aurais jamais pu dire une chose pareille. Mama, c’est ma mère, mais n’empêche que je supportais une solitude qui n’était pas la mienne. » L’exil est aussi une lente désagrégation. Facile de comprendre alors pourquoi Nasser voudrait « ne pas avoir franchi les portes de l’océan. Je me rends compte à présent combien leurs porte-monnaie sont sans valeur et combien la brousse est un abri contre les jeux gratuits des Blancs. »

     

    1- Jacques Hillairet, Dictionnaire historique des rues de Paris, éd. de Minuit, 1963.

     

    Edition Buchet-Chastel, 2008, 172 pages, 14 €

    Fadéla Hebbadj vient de faire paraître Les Ensorcelés aux éditions Buchet Chastel. Nous y reviendrons.

     

  • L’Orient après l’amour

    Mohamed Kacimi

    L’Orient après l’amour

     

    kacimiweb2.jpgL’Orient après l’amour c’est, après une nuit arrosée de promesses et d’arak, un réveil avec une gueule de bois à vous taper la tête contre les murs ! « Notre utopie est derrière nous. Nous étions tellement convaincus de vivre rive gauche que nous n’avons rien vu venir » écrit Mohamed Kacimi.  Et oui, ce jeune quinquagénaire parle d’un temps où, à un concert de Léo Ferré à Sidi Ferruch, aux « ni Dieu ni Maître » de l’artiste, le public répondait par « la Rabi-ou-la Nabi » « Ni Dieu ni Prophète ». « C’était en 1975. » Un temps que les moins de vingt ans…

    Qu’importe ! il reste à vider quelques verres avec Kacimi. Et le lecteur, même abstème, en redemande. Ne serait-ce que pour la vivacité et l’impertinence de sa langue pétrie d’un humanisme aux accents soufis et de cet humour qui depuis le lointain Mouchoir jusqu’à La Confession d’Abraham traverse l’œuvre du poète et romancier né du côté d’El Hamel en Algérie.

    Sur les rayons de la bibliothèque, Kacimi voisine avec Kateb Yacine, et comme aurait dit « l’Ancien », ce livre « vaut son pesant de poudre ». M.Kacimi manipule de la dynamite. Libertés, religions, femmes…tout y passe et sans faux-semblants. Souvent même avec courage. M. Kacimi raconte sa jeunesse algérienne et ses pérégrinations dans le monde arabe, de Djeddah  à Fès en passant par Sanaa, Beyrouth, Jérusalem, Le Caire ou Alger.  Il ne tergiverse pas : « Ce monde arabo-musulman est un vaste Goulag, sans Zinoviev ni Soljenitsyne, où Dieu qui est grand a pris la place du Petit Père des peuples. » Partout, il décrit un islam oppressant et oppressif, vindicatif et arrogant, négatif et castrateur, amnésique et sans culture. Des sociétés sans liberté et surtout des femmes, affublées de voiles de toutes formes, et soumises au joug du premier foutriquet venu mais que Dieu, dans sa miséricorde, a fait mâle. Ces violences sont racontées avec distance et élégance. En dramaturge, il met en scène cet « orient complexe » via des petits entretiens incisifs et suggestifs et le tableau des situations typiques autant que des événements insolites.

    Le co-auteur d’Arabe vous avez dit arabe est bien placé pour déconstruire la vision que ses concitoyens ont de l’islam et du monde arabe. Pour autant, il privilégie l’image que renvoient aujourd’hui les musulmans. Rien à voir avec l’islam de papa ! Justement,  à propos de son père : « Je l’ai entendu un soir, à une fête à la gare du Nord, dire à une amie parisienne qui lui précisait que, eu égard à sa présence, elle se refusait à servir du vin à ses invités :

    - Mademoiselle, si ma présence restreint votre liberté, je préfère prendre congé.

    Il était alors inspecteur général des affaires religieuses. »

    Pas étonnant alors qu’en France il fasse partie de ceux qui refusent de tomber dans le panneau : qu’il s’agisse de l’affaire des caricatures ou du voile, il ne mâche pas ses mots et ses démonstrations pour ce qui n’est rien d’autre qu’un « signe d’avilissement », un « instrument d’aliénation ».

    Mais, quand en 2005, il voit « ressortir une loi de la guerre d’Algérie pour pacifier la banlieue », il fulmine et pose un méchant regard sur l’intégration. Il sert alors une autre version de la France « moisie » : « ce pays a trop écrit, trop vécu, trop rêvé, trop guerroyé, trop inventé, trop pillé, trop travaillé. C’est le temps du troisième âge et il faudra s’y faire. »

    Cela est peut-être excessif, mais cela vient d’une voix qui jamais n’a crié avec les loups. Kacimi qui a placé en exergue une citation de rabbi Nahman - « Plus les temps seront durs, plus notre rire sera fort » - semble comme impuissant et désarçonné : « que ferons-nous demain, nous, citoyens de culture musulmane ayant fui nos pays d’origine en raison de la dictature du religieux, de l’absence de démocratie, et qui avons choisi la France comme terre d’accueil ou comme patrie, que ferons-nous quand nos filles à l’école publique se feront traiter de putes et traîner dans les caves  parce qu’elles n’auront pas porté de voile, et que nos garçons se feront traiter de mécréants car ils n’auront pas respecté le ramadan dans les cantines ? Ne pas céder sur l’affaire du voile, c’est rendre un immense service à l’islam, lui apprendre qu’il n’est pas la religion unique mais une parmi les autres et que la France ou l’Europe ne sont pas des terres de conquête mais des territoires de partage. » Kacimi n’a pas envie de devoir écrire demain :  La France après l’amour !

     

    Editions Actes Sud, 2008, 205 pages, 19 €

  • Le Petit Malik

    Mabrouck Rachedi

    Le Petit Malik

     

    petit-malik-mabrouck-rachedi-L-2.jpeg« Nous arrivons tout nouveaux aux divers âges de la vie, et nous y manquons souvent d'expérience malgré le nombre des années ». Cette réflexion de La Rochefoucauld pourrait servir d’illustration au nouveau roman de Mabrouck Rachedi qui avait publié Le Poids d’une âme en 2006 chez le même éditeur.

    Mabrouck Rachedi livre ici la vie de Malik en séquences, en tranches de vie, déclinées depuis le premier âge (cinq ans) jusqu’au bel âge (26 ans) en passant par l’âge ingrat d’une adolescence particulièrement imbécile.

    Comme pour son premier roman, Mabrouck Rachedi offre l’originalité d’une langue alerte, d’un ton plaisant et fluide, mélange d’humour et de distance. Son personnage n’est pas à désespérer de l’humanité et sa banlieue, sans être solaire, ne présente pas pour seul visage une triste et grise mine. Chez Mabrouck Rachedi le roman n’est pas un pamphlet et quant à désespérer le lecteur de l’humanité, les rubriques de nos gazettes s’en chargent fort bien.

    Pour autant la jeunesse du petit Malik n’a rien de folichon. Ces petits épisodes livrés en trois ou quatre pages allègres décrivent d’abord les copains et autres figures de la cité. Il y les deux amis Salomon, le « Feuj » et Abou, le « re-noi ». Avec un ballon rond, ces trois-là étaient imbattables. « Notre diversité forgeait notre complémentarité sur le terrain » dit Malik. Boualem, lui, fut un temps, le « plus que parfait » celui dont tous dans le quartier étaient « inconditionnels » avant de découvrir qu’il était… « keuf ». Moussa campe la caricature du rappeur instrumentalisé par les maisons de disques et autres journalistes ; Sam, lui, futur footballeur professionnel, est l’autre versant de la « mascarade » médiatico-politique. François est l’alter ego de Moussa, expert en création d’associations en tout genre et tout terrain. Comme dans L’Arbre d’ébène de Fadéla Hebbadj, il est question de dévouement maternel et de Romain Gary, celui de La Promesse de l’aube : « bref la mère de Gary c’était la mienne » dit Malik après avoir lu le bouquin.

    À 14 ans arrive l’âge des premiers larcins, puis de l’échec scolaire. Le prosélytisme est… évangélique - cela change des barbus et des voilées.  L’antisémitisme est light mais les tournantes, à 17 ans, bien réelles. Mabrouck Rachedi raconte la perte du langage et donc du lien social ou affectif, les ravages de la came, le zèle de la police, le chômage, les boulots d’intérim, les réussites freinées par les discriminations qui font que le « plafond » des uns est le « plancher » des autres, le sentiment de solitude et d’échec !

    Malik grandit au milieu de tous et de tout cela. Il pousse dans l’entre-deux. Entre Abdou et Salomon : glisser irrémédiablement vers le fond ou s’accrocher et gravir quelques paliers, même péniblement, même contre la force d’un vent social hostile. Malik n’est pas aveugle : « nous qui nous rêvions beaux gosses, on était que des branleurs ». Il sait même ce qui serait bon pour lui : Areski [l’avocat], il habitait le quartier. C’était le genre de personne qu’on voit jamais à la télé pour représenter une intégration réussie. Y avait aussi Bachir le comptable, Madjid l’informaticien, Abdel le propriétaire de la boulangerie, Ramzy le chercheur au CNRS… Pourtant, moi, à dix piges, des gars comme eux, ça m’aurait servi d’exemples. »

    À la fin du livre Malik a 26 ans. Va-t-il enfin démentir La Bruyère ? « La jeunesse à tout pour elle sauf l’expérience » disait aussi Kateb Yacine. Le temps de l’expérience est-il arrivé pour Malik, le temps de s’éloigner de « l’esprit du ghetto » comme lui suggère son vieil ami Salomon ? Tiens, voilà qui rappelle Harlem, d’Eddy L.Harris ! « Je ne suis prisonnier ni de Harlem ni de la couleur de ma peau »…

     

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    Edition J.C.Lattès, 2008, 204 pages, 16€

     

     

  • Je ne verrai pas Okinawa

    Aurélie Aurita

    Je ne verrai pas Okinawa

     

    Aurelia_Aurita_20071019_Fnac_1.jpgA l’heure du règne de « l’immigration choisie », de la suspicion généralisée à l’endroit du modeste voyageur simplement épris de culture, de découverte, d’échange et peut-être d’amour, il n’est pas aisé de passer les frontières. D’accord ! Certaines frontières et certains voyageurs… Mais la mésaventure peut aussi arriver à une charmante française désireuse de retrouver son amour installé au Japon. C’est ce que raconte la mangaka française Aurélie Aurita dans Je ne verrai pas Okinawa. L’expérience est autobiographique. L’auteure signait là sa troisième Bd après Fraise et Chocolat, diptyque polisson et même torride paru chez le même éditeur.  

    Le coup de crayon est léger, minimaliste, un brin naïf à l’image de cette charmante Chendu qui se voit refuser par les services de l’immigration un séjour de trois mois dans l’Empire du milieu. Trop long ! Cela est suspect. Imaginez que la petite « Frenchie » en profite pour trouver un travail… Aurélie Aurita, raconte avec efficacité et une désarmante franchise - dialogues et dessins - l’humiliation, la déshumanisation, l’indignité qui affligent l’étranger pris dans les filets de fonctionnaires peu amènes, gardiens en chef de l’Etat nation. A contrario, si la loi est dure, le Nippon lui est bon : partout, le couple de Français enfin réuni est accueilli avec bienveillance et gentillesse par les Japonais, dans les rues, au restaurant et dans le voisinage.

    Cela est sans doute un peu forcé et subjectif car, comme le montre dans une postface alerte Michel Temman le correspond local de Libération, « le rapport du Japon avec les étrangers, avec l’étranger, demeure ambigu ». Qu’importe, « tout au fond de moi-même je sais que j’ai le droit de vivre ici » dit Chendu. Voilà qui rappelle les propos d’un grand sédentaire devant l’éternel, Emmanuel Kant qui, dans son Projet de paix perpétuelle, écrivait : « personne n’a originairement le droit de se trouver à un endroit de la terre plutôt qu’à un autre ». Et pourtant, Chenda ne verra pas Okinawa…

     

    Editions Les Impressions nouvelles, 2008, 80 pages, 12€

     

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  • English

    Wang Gang

    English

     

    0023ae5d932f0b3bb4420a.jpgUne fois de plus, dans ce roman chinois, il est question de Révolution culturelle. Mais ici nous sommes à Urumqi, au pied du Tianshan, en pays ouighour, dans la province de Xinjiang à l’extrême ouest de la Chine, bien loin de Pékin.  Si cette période « où le bonheur était rouge du sang versé » imprime sa marque sur les êtres et les événements, ce qui compte ici est la relation qu’un gamin, Liu Aï, entretient avec un dictionnaire de langue anglaise et son propriétaire, Wang Yajun, le professeur d’anglais tout juste débarqué de Shanghai. « Lorsque Wang Yajun était passé pour la première fois près de moi, cette odeur prenante m’avait soudain fait comprendre qu’il pouvait y avoir de belles choses au monde. »

    Car ce Wang Yajun détonne. Parfumé, toujours bien mis, raffiné, pondéré en toute chose, l’homme demeure enthousiaste et souriant. Pourtant dit le père à son fils : « Tu imagines, en se parfumant ainsi dans une période pareille, Wang Yajun ne pouvait que s’attirer des ennuis. » Des ennuis et des ragots.

    Jamais, le distingué professeur ne se départira de son sourire. « Son sourire amène et réservé me rend infiniment triste, encore aujourd’hui, chaque fois que je pense à lui, je m’interroge : pourquoi suis-je triste quand son sourire me revient en mémoire ? »

    Là est la force de ce livre, ces réminiscences humanistes et lumineuses sont évoquées avec distance et raffinement, jamais salie par la boue noire de la terreur et de l’horreur. L’énergie de l’enfance, le regard vif et curieux de Liu Aï sur le monde se mêlent à la mélancolie et à la mansuétude que porte l’adulte sur le gâchis et l’ignorance qui se répandent et broient les hommes et les vies.  « Voler » est « le mot-clé de ce roman. (…) ».  Dans English ce sont les existences, l’intimité des corps, les secrets les mieux gardés, un dictionnaire ou un billet de cinq yuans qui sont volés.

    Si, bien plus tard, le narrateur devenu adulte déclare à propos de Wang Yajun, avoir été « contaminé » par le « parfum de son corps », le lecteur sait qu’il s’agit d’une contamination plus envoûtante encore : « Wang Yajun, toi qui tel un soleil fait tout rayonner sur son passage, / Là où tes pas te mènent, ohé, ohé, là où tu vas, le peuple est libéré. »

    Liu Aï est curieux, écoute aux portes, ouvre les tiroirs de ses parents - eux par ailleurs si jaloux de leur intimité respective - , observe, caché dans les branches d’un arbre, ce qui se passe dans le logement de son professeur d’anglais … « Un garçon qui agit au mépris de tout principe sans en éprouver la moindre indignité, sans le moindre scrupule, n’était-il pas symptomatique de la dégénérescence de l’espèce ? » interroge l’auteur selon une technique souvent répétée : interpeller le lecteur, l’inviter à réfléchir pour faire siens ce qui semble être le sel de ce texte : montrer la complexité des comportements, les paradoxes et les faiblesses des êtres.

    Fils unique d’une famille d’intellectuels (le père et la mère sont architectes), Liu Aï raconte tout, les bassesses et les lâchetés des adultes, les compromis, l’éveil des sens, les premières séances de masturbation pour calmer un corps torturé par le désir, son amour pour la belle et noble Hajitaï, prof de ouighour, une erzhuanzi, c’est-à-dire « de double ascendance » - ouighour et han.

    La prouesse d’English est de n’enfermer aucun des personnages dans un jugement hâtif, asséné avec la force de la certitude. L’ambivalence et le doute sont au cœur des événements ici rapportés, y compris les plus sordides : l’adultère, la dénonciation, la jalousie et même le meurtre… Aux « anomalies » d’« une période de souffrance, où un professeur d’anglais, dans sa solitude, n’avait qu’un enfant en face de qui épancher son cœur », se mêlent les contradictions et les fragilités d’une humanité malmenée.

     

    Traduit du chinois par Pascale Wei-Guinot et Emmanuelle Péchenart, édition Philippe Picquier, 2008, 463 pages, 22€