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CHEN Ying

  • Quatre mille marches. Un rêve chinois

    Ying Chen
    Quatre mille marches. Un rêve chinois


    Chen_Ying.jpgYing Chen est née en 1961 à Shanghai. En 1989, elle décide de partir, de s’envoler vers d’autres horizons, de larguer ses racines comme on largue les amarres. Elle s’installe au Canada, à Montréal d’abord puis à Vancouver, où elle a publié en français, depuis 1992, six romans (1). Ce livre rassemble des textes parus dans différentes revues et des discours prononcés à diverses occasions entre 1997 et 2003. Ils permettent de mieux connaître l’écrivain, son travail, sa conception de la littérature, de l’écriture, sa relation à la langue française comme au chinois… Ils donnent surtout à approcher l’infiniment petit, l’intime de son expérience individuelle, pour déboucher sur l’infiniment grand de cette expérience collective que sont les migrations et les transplantations. De ce point de vue, ce petit livre est précieux. Car, sans tomber dans le banal éloge d’une banale universalité, Ying Chen aide à mieux appréhender les millions de transplantés, ou enfants de la migration, héritiers malhabiles d’une histoire qui n’est plus vraiment la leur et fragiles porteurs d’un futur incertain. Cette « autre espèce » en gestation qui pourrait bien, un jour, contribuer à bouleverser les représentations culturelles, identitaires et nationales.
    Ying Chen parle avec bonheur et d’une manière lumineuse d’un sujet difficile aux contours encore flous : de quelle universalité les modernes migrations sont-elles porteuses et quelles autres représentations, autres paradigmes pourraient en émerger et finalement être partagés par le plus grand nombre. Elle en parle en usant de notions encore peu communes et même déstabilisatrices dans des univers cartésiens où règnent ligne droite et frontière, gestions en termes de stocks et non de flux, appartenances déclinées collectivement et même exclusives condamnant toute complexité et plus encore tout paradoxe… Les critiques émises ici par un lecteur chinois, s’appuyant notamment sur l’héritage de Kongzi (Confucius) en offre une belle illustration.
    Ying Chen dit, de manière non théorique, en écrivain doué de sensibilité, l’importance du mouvement, du détachement et de l’impermanence (de la mémoire notamment), sa « répugnance » des racines, l’illusion des origines, les mythes de la pureté et de l’autochtonie. Elle démontre comment la plongée dans le soi le plus intime peut retrouver le grand tout de l’humanité. Elle évoque la relativité des valeurs et la multiplicité des vérités. Faisant l’éloge du cheminement sans but, elle retrouve le mythe de Sisyphe. Elle rappelle que « la mondialisation » n’est pas un « événement » mais « depuis l’aurore de l’humanité, une loi naturelle, le processus inévitable dans l’évolution du monde ». Et pour les frileux, les partisans de la fermeture des frontières, elle distille une dose de réalisme : « si on bloquait les courants – les frontières sont faites pour cela -, le monde serait trempé et pourri dans des eaux mortes ».
    Au centre de la réflexion et du travail de l’auteur qui « rêve de ne plus être une personnalité exotique », il y a l’individu. La prise en compte de ce qu’elle nomme la « désindividualisation » des temps modernes exige de la littérature qu’elle « cultive une vision du monde microscopique, [et] transforme si possible le dialogue des cultures en des dialogues entre des individus (…) ». « Je pense que le monde sera peut-être sauvé le jour où on distinguera moins entre les groupes qu’entre les individus ».
    Elle sait que le nationalisme, le patriotisme, le besoin de s’enraciner sont aussi consubstantiels à l’espèce humaine que son « besoin de s’envoler », aussi est-ce sans naïveté qu’elle écrit : « la notion de pays n’avait plus de signification réelle pour moi ». Et dans un autre de ces textes, elle poursuit : « mon véritable foyer est là où je deviens ce que je veux être. Plus encore : mon vrai nid se trouve dans les mots, entre les lignes, dans ce presque-rien qu’on ne peut même pas désigner comme « une place ». Des propos qui rappellent ceux de l’écrivain franco-maroco-algérien et professeur d’anglais, Kebir Ammi (2).
    La poésie est au cœur de l’écriture de Ying Chen qui dans un de ses textes évoque et suscite le désir de découvrir l’œuvre de Saint-Denys Garneau, poète de l’exil, de la simplicité et du mouvement. C’est aux vers d’un autres poète que les mots et les pensées de Ying Cheng font aussi penser. À ce petit poème de Pessoa : « Plutôt le vol de l’oiseau qui passe sans laisser de traces / Que le passage de l’animal dont le sol garde le souvenir. / L’oiseau passe et disparaît, ainsi doit-il en être. /Là où il n’est plus, et donc ne sert à rien, l’animal / Montre qu’il a été, ce qui ne sert à rien. / Le souvenir est une trahison envers la Nature / Parce que la Nature d’hier n’est pas la Nature. / Ce qui fut n’est plus rien, / et se souvenir est ne pas voir. /Passe oiseau, passe, et enseigne-moi à passer ! ». Le premier texte de ce recueil s’ouvre d’ailleurs sur une « nuée d’oiseaux ». Ces oiseaux qui inspirent à Ying Chen « l’envie de les imiter ». Et son lecteur avec.

    1. Tous réédités chez Acte-Sud et au Seuil
    2. Voir notamment le texte de Kebir M.Ammi, « Écrivain maghrébin, dites-vous ? » paru dans Expressions maghrébines, Vol. 1, N°1, été 2002.


    Edition du Seuil, 2004, 108 pages, 14 €