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Littérature irlandaise

  • Sang impur

    Hugo Hamilton
    Sang impur


    16569.jpg« Ça sent différemment dans chaque maison : avec certaines odeurs, on se sent tout seul ; avec d’autres on se sent chez soi. (…) Je ne sais pas ce qui rend l’odeur de chaque maison si différente mais chez nous, ça sent comme être heureux et comme avoir peur ».
    Le bonheur chez les Hamilton est d’abord incarné par Irmgard, la mère, allemande exilée en Irlande qui a épousé le très gaélique Jack.  Ensemble ils auront cinq enfants dont le petit Hugo qui raconte l’histoire de la famille et évoque dans ce récit autobiographique sa propre enfance dans le Dublin des années 50 et 60. Dans ce modeste foyer où l’exil assombrit parfois le regard maternel et où le père n’en finit pas de ruminer son hostilité à l’anglais, Irmgard rayonne. C’est elle qui avec amour prodigue mille et un conseils, rassure ses enfants, se montre une pédagogue efficace et originale, elle qui leur apprend comment être au monde et aux autres et qu’il est préférable d’appartenir « aux gens de la parole » plutôt qu’« aux gens du poing ». Et puis il y a les douceurs, les attentions et les gâteaux d’Irmgard, ces gâteaux allemands, les meilleures de toute l’Irlande, ces merveilleuses pâtisseries qui exhalent leur parfum et leur chaleur dans toute la maison et jusqu’aux pages (et à l’écriture) de ce livre tendre et doux comme un câlin d’un fils pour sa mère.  Jack n’est pas un mauvais bougre, mais une violence accumulée et rentrée, comme ces souvenirs de famille, enfermés dans une boîte cachée au fond d’une armoire, font que son nationalisme étriqué prend le pas sur ses qualités de père.
    La peur est souvent un héritage. Celui de l’Allemagne nazie et d’une lourde culpabilité que porte, secrètement depuis l’âge de dix-neuf ans, Irmgard. Celui aussi de la famine et de l’exil irlandais dans des bateaux cercueils, comme cette obsession paternelle de voir disparaître la langue et la culture gaéliques  dévorées par l’ogre anglais.
    La question linguistique est au cœur de ce récit, comme celle de l’appartenance culturelle ou nationale. Dans Sang Impur, Hugo Hamilton apporte sa pierre, et quelle belle et grosse  pierre, à la construction de cet imaginaire  identitaire nouveau que d’autres avec lui - écrivains de l’exil, écrivains créoles, écrivains de la migration, écrivains des ci-devant colonies… -  donnent à penser et peut-être à rêver: « nous sommes les gens bigarrés, nous n’avons pas qu’un seul porte-documents. Nous n’avons pas qu’une seule langue, qu’une seule histoire. Nous dormons en allemand et nous rêvons en irlandais. Nous rions en irlandais et nous pleurons en allemand. Nous nous taisons en allemand et nous parlons en anglais. Nous sommes les gens tachetés ».
    Peu chaut à certains voisins comme à la bande de gosses du quartier que par leur mère les petits Hamilton appartiennent à une famille hostile aux nazis. Pour les uns et les autres ce ne sont que des « Eichmann » qui méritent l’opprobre et l’agression. Catalogués, fichés, persécutés, seul le « non intérieur » permet encore de résister à la barbarie.

    9782757803257-1.gifSang impur, prix Femina 2004, est écrit dans une langue légère, fluide, à l’oralité enfantine, parfaitement maîtrisée par son auteur qui jamais ne donne dans la fausse naïveté ou la mièvrerie. Ce livre est une réussite qui dit des choses graves et essentielles. De belles choses aussi, de très belles choses.

    Traduit de l’anglais (Irlande) par Katia Holmes, Préface de Joseph O’Connor. Edition Phébus 2004, 280 pages, 19,50 euros. Une version poche vient de paraître au Seuil (collection Point, n°1592).