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Sympathie pour les "fantômes" du 17 octobre 1961

Didier Daeninckx, Octobre noir  et Kader Attia, Réfléchir la mémoire

 

Didier-Daeninckx.jpgOctobre noir revisite la manifestation des immigrés algériens à Paris le 17 octobre 1961. Le texte est signé Daeninckx et les planches, remarquables, Mako (Lionel Makowski). Le décor est sombre et nocturne (Laurent Houssin est aux couleurs), le dessin est réaliste, vif et expressif, tour à tour menaçant, terrible, poignant. Au réalisme des images, Daeninckx ajoute une dimension fictionnelle, une ouverture par le texte sur une époque.

Nous sommes donc au début des années 60. Blouson noir, banane, gomina and… rock & roll ! Vincent chante dans le groupe des Gold Star. La répétition se termine tard, juste avant le dernier métro et le dernier petit trou pour le débonnaire poinçonneur de la station. Un autre temps.

Vincent s’en retourne chez lui, des rêves plein la tête. Dans deux jours, le 17 octobre 1961, avec ses potes, il doit participer à un tremplin de rock au Golf Drouot, à la clef : l’illustre scène de l’Olympia. La "concurrence" est rude. Imaginez : Les Chaussettes noires d’un certain Eddy Mitchell et Les Chats sauvages de Dick Rivers ! Sur le chemin qui le conduit du côté de Saint-Denis, Vincent tombe sur deux flics en civil qui démolissent un Algérien avant de balancer le corps dans la Seine. Vincent court chez lui. Il habite, avec ses parents et sa sœur, une chambre d’hôtel. Un hôtel d’immigrés algériens. Vincent s’appelle en fait Mohand.

Le 17 octobre 1961, c’est justement le soir où le FLN exige des Algériens de sortir manifester. Tous les Algériens. Sans appel. Contrevenir expose au pire et ferait rejaillir la honte sur les siens. Pourtant, justement ce soir-là, Mohand, alias Vincent, ne peut manquer son rendez-vous au Golf Dourot… Un dilemme. Un dilemme qui sera bientôt suivi par un autre sentiment : la culpabilité.

A cette trame, la BD adapte un fait réel : la disparition d’une manifestante de 15 ans, Fatima Bédar, retrouvée morte quelques jours après la manifestation. Ici la gamine s’appelle Khelloudja, elle est la sœur de Mohand. Désobéissant à ses parents, elle a rejoint le cortège qui défile sous la pluie... Mohand partira à la recherche de sa sœur.
En postface, Didier Daeninckx reproduit une nouvelle (Fatima pour mémoire, publié dans le recueil 17 octobre 17 écrivains, édition Au nom de la mémoire) consacrée justement à Fatima Bédar et à sa disparition. Octobre noir se referme sur la liste des "morts et disparus à Paris et dans la région parisienne" en septembre et octobre 1961. Jean Luc Einaudi, l’auteur de La Bataille de Paris (Seuil), en avait dressé le long et pénible cortège.

 

Kader Attia, Yto Barrada, Ulla von Brandenburg, Barthélémy Toguo sont les quatre finalistes du prix Marcel Duchamp 2016 au Centre Pompidou-Paris qui sera décerné le 18 octobre au Centre Pompidou-Paris.

Avec Réfléchir la mémoire, Kader Attia invite à transposer dans nos sociétés le phénomène du membre fantôme, cette sensation que le membre manquant reste lié au corps après une amputation. « Le monde est fait de fantômes » dit Kader Attia, faisant notamment référence à ces Algériens assassinés le 17 octobre 1961 mais aussi à tous ces fantômes du passé, ces oubliés de l’histoire, toujours présents, que sont les victimes de l’esclavage, du colonialisme ou du génocide. On pense aussi à la figure littéraire (et musicale) utilisée par Michaël Ferrier dans Sympathie pour le fantôme (Gallimard 2010).

Kader Attia est né à Dugny en 1970. Artiste phare de sa génération, ses créations sont inspirées de sa biographie familiale, il y interroge le déracinement, la rencontre, l’identité, la mémoire…

Pour info (utile), l’artiste vient d’ouvrir un « espace de pensée libre et indépendant » du côté de la Gare du Nord baptisé La Colonie au 128 rue Lafayette dans le 10e arrondissement de Paris. Il entend y mêler expressions et réflexions, créations et théorisations, art et politique et ce, autour d’un couscous (restaurant) ou d’un verre (bar).

Après l’inauguration prévue le 17 octobre, il animera aux côtés de Michelangelo Pistoletto une première conférence le 21 octobre à 18h30.

 

Didier Daeninckx et Mako. Préface de Benjamin Stora, Octobre noir. Edition Ad Libris, 2011, 60 pages

 

A écouter : un entretien avec Didier Daeninckx

http://www.histoire-immigration.fr/magazine/2014/6/octobre-noir

 

► A voir Réfléchir la mémoire, 2016 dans le cadre de l’Exposition collective des artistes nommés au prix Marcel Duchamp 2016, au Centre Pompidou-Paris, du 12 octobre 2016 au 29 janvier 2017. Le lauréat sera annoncé le mardi 18 octobre au Centre Pompidou.

 

Commentaires

  • Le pédagogue :

    JETÉS DANS LA SEINE

    Un peu partout, dans Paris et sa région des hommes, des femmes et des enfants marchent.
    Pour soutenir la résistance des Indigènes contre le colonialisme français.
    Des basanés.
    D'habitude, ils passent inaperçus.
    Ils quittent rarement leurs réserves et les lieux où ils triment.
    Et les voilà subitement en masse.
    Comment est-ce possible ?
    Comment osent-ils devenir visibles ?
    Ils marchent.
    Des hommes, des femmes, des enfants.
    Depuis combien de temps ?
    Quelle distance ont-ils parcouru ?
    Pour eux, le temps ne compte pas et ils ne mesurent pas l'espace.
    Un immense souffle est en eux.
    Le but est dans leur coeur et rien de ce qui est éphémère ne les atteint.
    Ce qui doit être sera.
    Ils s'approchent de la Seine au rythme de battements tels ceux du coeur de la mère que tout enfant béni garde en lui.
    Une marche pleine d’espoir.
    On aurait dit l'aurore de la vie.
    Un peu partout, des rangs noirs formés par des forces dites de l'ordre.
    Par moments, de lourds nuages voilent la clarté du jour.
    Mais pour ces êtres qui marchent, le ciel est d'un magnifique éclat et la Seine est radieuse.
    Mohammad sourit à sa mère qui lui caresse les cheveux, et serre fort la main de son père.
    Les rangs noirs explosent, des véhicules ternes vrombissent.
    L'arsenal du maintien de l'ordre se répand en un déversement de haine.
    Les marcheurs sont encerclés.
    Dans Paris et sa région, plus de douze mille arrestations.
    Des camps de détention et de torture.
    Des blessés.
    Des tués.
    Des corps d'hommes, de femmes et d'enfants jetés dans la Seine.
    Des moyens dits d'information ont informé :
    Des semeurs de désordre, terroristes musulmans, ont été mis hors d’état de nuire.
    La liberté.
    Taratata.
    L’égalité.
    Taratata.
    La fraternité.
    Taratata.
    Le ciel infini est bleu.
    Le fleuve coule.
    Je pense à ceux et à celles qui ont été jetés dans la Seine le 17 octobre 1961 (selon le calendrier dit grégorien).

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