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SAADI Nourredine

  • Nourredine Saadi, La Maison de lumière

    Nourredine Saadi, La Maison de lumière

    ppm_medias__image__2000__9782226109613-x.jpgBrasser en quelque 300 pages l’histoire de l’Algérie depuis la période ottomane jusqu’à nos jours à travers une demeure algéroise, telle est la difficile tâche à laquelle s’est attelé l’universitaire algérien pour son deuxième roman. Des esprits chagrins trouveront certainement que l’auteur enjambe allégrement les siècles et les événements historiques ou que le récit pèche par une intrigue par trop dépouillée, du moins jusqu’à la période contemporaine qui voit des existences prendre corps, des destins se croiser, des vies se mêler. Une telle lecture serait injuste. Primo, Nourredine Saadi aime écrire. Le plaisir certain que l’universitaire prend à conter se communique au lecteur. D’autant plus que par rapport à Dieu-le-fit, son premier roman, le style s’est allégé, épuré. Saadi a laissé de côté un vocabulaire trop riche et trop savant. Libéré de son corset lexical, le récit devient plus fluide. Secundo et sur le fond cette fois, ce qui intéresse Nourredine Saadi, ce n’est pas une recension méticuleuse et exhaustive des faits et personnages qui ont marqué les quelques cinq derniers siècles. À travers l’histoire d’une demeure mauresque, La maison de lumière montre la richesse humaine et le potentiel d’amour – et de haine – que renferme la terre algérienne.

    Pour construire la maison voulue, rêvée par le vizir du dey d’Alger, affluent de leurs douars, de leurs mechtas, de leurs campements ou de leurs montagnes les “Cabayles”, les “Boussaabis”, les “Aghouatis” mais aussi les Calabrais, les Sardes, les Mahonais, les Morisques “qui traînaient de ville en ville depuis Cordoue ou Grenade (...) ”. Ensemble, ces fragments de ce qui n’est pas encore un peuple bâtissent, pour le compte du Turc, la maison que l’on nomme alors « Miroir de la mer » et qui deviendra plus tard « Miramar ».

    Au fil des siècles, une famille kabyle, les Aït Ouakli, restera attachée à cette demeure ; elle l’entretiendra, génération après génération. Ses morts y reposeront à l’ombre d’un palmier. Fondement et incarnation de cette maison, les Aït Ouakli forment aussi la trame de son histoire, c’est à eux que revient le privilège d’en porter et d’en rapporter la mémoire. La symbolique est claire. Elle n’est pas la seule de ce roman généreux, à l’image sans doute de la terre algérienne. Miramar sera transformée en caserne pendant la conquête coloniale avant d’être achetée par un marchand juif puis par un général français. Elle accueillera l’amour caché qui unit Rabah, le dernier descendant des Aït Ouakli, et Blanche, la petite-fille du général revenue chez elle en 1970 car, comme le dit Rabah, “chaque Algérie est le souvenir intime, personnel, unique de celui qui la vit. Ainsi tout pays n’est que plurielle polyphonie”.

    Cette Algérie n’est pas celle qu’entendent bâtir ceux qui, à la fin du siècle dernier, semèrent la terreur et la haine par le meurtre et la barbarie. “Ce sont les tombes qui écrivent l’histoire”, constate amèrement Rabah qui déjà voit Miramar ressembler à “un miroir qui [perdrait] progressivement son tain”. C’est sur une terrible et bouleversante réalité que se referme le roman. Le visage désespéré et effrayant d’une Algérie transformée en un vaste mensonge et dont l’horizon s’obscurcit. C’est écrit il y a quelques dix sept ans, et sur le miroir tendu par Nourredine Saadi se reflètent encore, derrière les brumes du temps, les traits du même visage.

     

    Albin Michel, 2000, 320 p.

  • Nourredine SAADI Dieu-le-Fit

    Nourredine SAADI

    Dieu-le-Fit

    le bidonville de nos petits loups octobre 046.jpgDieu-le-Fit, le premier roman de Nourredine Saadi, est une fable polysémique regorgeant de métaphores et d'allégories, alourdie, ici ou là, par un trop riche vocabulaire. Par une de ces nombreuses folies de l'histoire humaine, les autorités de Wallachye ont ordonné d'assainir, de purifier la ville de son bidonville. Les habitants de Dieu-le-Fit sont ainsi, à l'aube, (re)conduits en convoi vers leur douar d'origine. Placés sous la surveillance d'El Mawtar, motard de son état, gardien de l'ordre et du temps, les véhicules progressent sans heurts vers leur destination où, propagande oblige, la télévision nationale a été dépêchée pour rendre compte de cet heureux événement présenté comme une œuvre de salubrité publique.

    Mais les autorités, toujours suspicieuses, veillent et ne comprennent pas le manège de Bayda. Cette voisine du ci-devant camp, professeur d'histoire, ne cesse de déambuler en ce lieu aujourd'hui abandonné et déserté sur ordre. Pourquoi hante-t-elle l'ex-bidonville appelé à être «nettoyé» par une mobilisation citoyenne ? A quelle fin emporte t-elle des objets divers, des coupures de presse… autant de traces d'une récente présence humaine ?

    L'existence d'un complot s'impose aux autorités dépourvues d’humour et d’imagination. Mieux, elles subodorent que quelques personnages interlopes de Dieu-le-Fit barbotent aussi dans la conspiration. Il faut, et fissa, arrêter les suspects et recueillir leurs aveux. Outre Bayda, les forces de l'ordre se saisissent d'un certain Mustaphail qui, au sein du convoi, emporte avec lui une étrange porte sculptée.

    Ici, le récit bascule. La bifurcation qui engage les hommes et les événements vers de nouveaux horizons est amorcée. Le convoi est stoppé en pleine campagne et toutes les interprétations - les plus absurdes et les plus paranoïaques - se bousculent chez les responsables de Wallachye pour mettre à jour l'imaginaire complot.

    Avec cette fable, Nourredine Saadi dénonce toutes les entreprises de purification qui conduisent aux pires atrocités. En Algérie ou ailleurs : dans Wallachye il y a, selon l'auteur, cette Walakie des XIIe et XIIIe siècles qui formait grosso modo l'actuelle Bosnie. Il convoque aussi le souvenir de la lointaine Andalousie qui, apostrophant le présent, éclairerait d'une nouvelle lumière les matins de ce pays où plus personne ne comprend vraiment ce qui se passe (Wallachye vient aussi de l'arabe «waallech », « pourquoi ? »). Réflexion sur le temps et sur l'influence du passé, le roman insiste aussi sur ces moments courts, ces périodes décisives où tout bascule, où le destin des hommes prend la tangente, où l'histoire s’empresse d’aller ouvrir un nouveau chapitre.

    C'est d'ailleurs sur les contours d'une nouvelle bifurcation, portée par une idéologie émergente, que le livre se clôt. Mais faut-il faire de ce thème de la bifurcation une nouvelle version du mektoub, de cette destinée qui s'accomplit, comme a pu le dire Nourredine Saadi ? Il y a déjà près de quarante ans, dans le domaine de la physique, Ilya Prigogine et Isabelle Stengers (La Nouvelle alliance, Gallimard, 1979) donnaient de ce concept, par eux élaboré, une définition moins déterministe. Chez ces derniers - et sans doute ici de manière appauvrie - la bifurcation était certes une détermination de l'histoire réelle mais une détermination parmi tous les possibles de l’histoire.

    Ainsi la science restitue-t-elle au romancier - aux hommes et aux sociétés - sa liberté de création et d'imagination. Ce dont Nourredine Saadi ne se prive heureusement pas.

    Albin Michel, 1996, 267 p.

  • Hommage à Nourredine Saadi

    « Ah ! le bonheur, le bonheur, tu sais, c'est comme la fortune, la richesse… Certains le vivent dans la certitude des patrimoines accumulés par les siècles, d'autres comme un jeu de hasard, le gain d'une nuit qu'ils peuvent reperdre le lendemain. »

    Nourredine Saadi, La Nuit des origines

     

    DSCF7838.jpgSans être un familier de Nourredine Saadi, Nono pour ses proches,  j’ai eu le privilège de le croiser plusieurs fois dans les années 90, à son arrivée en France. C’était dans le cadre des activités de l’Association de culture berbère où, avec l’ami André Videau, nous l’avions accueilli une ou deux fois pour présenter ses premiers romans. Nourredine Saadi s’est très tôt intéressé à l’association, au point d’en devenir, depuis 2000, un de ses membres actifs et d’en éclairer, par son œuvre, son engagement et sa pensée, la marche.

    En avril 1997, il participa à un colloque sur la laïcité organisé à la mairie du XXe arrondissement. Déjà, il était clair que cet homme, cet intellectuel, universitaire spécialiste du droit, épris de mots et de littérature au point de lui-même devenir romancier, ce citoyen engagé, éblouissait l’auditoire par la clarté, la force et l’élégance de sa pensée. Il faut ici rappeler ce qu’il disait : « ce qui porte la laïcité, c’est le mouvement des hommes vers la démocratie ». Et de pointer les trois enjeux au cœur de ce « mouvement » vers la démocratie qui, comme valeur, n’en déplaisent à quelques contemporains, est une « valeur universaliste » : l’émancipation des individus et la liberté de conscience ; l’égalité femme-homme ; le refus de fantasmer et d’ostraciser l’Autre[1]. Ce discours, prononcé il y a 20 ans, n’a rien perdu de sa pertinence. Bien au contraire…

    Par son intelligence et l’acuité de ses réflexions, Nourredine Saadi en imposait. Simplement, en toute humilité. Car ce que l’on peut retenir de cet homme au visage rond, aux yeux bleus, au regard emprunt d’une étonnante douceur, c’est sa disponibilité, son altruisme. Nourredine Saadi ne pérorait pas. Il appartenait à cette race d’Algériens, d’hommes tout simplement, dont la verticalité se construit de discrétion, de générosité et de fraternité.

    L’écrivain fut sans doute moins médiatisé que certains de ses confrères algériens. Pourtant son œuvre participe, avec force et originalité, de ce qu’il nomme dans La Maison de lumière, cette « plurielle polyphonie » au fondement et au cœur de tout pays : l’Algérie bien sûr, la France également et plus encore cet espace qui, hors et parfois contre les logiques étatiques et nationales, grossit des rencontres et des amours transméditerranéennes.

    Il vient de rejoindre le cercle des Iassassen. Ce n’est offenser personne que de croire que Nourredine Saadi apportera un peu plus de bienveillance et d’indulgence au sein de ce cercle des gardiens qui veillent sur la marche chaotique des hommes et des femmes devenus une fois de plus orphelins ; et surveillent leurs éventuels errements.

     © Slimane Simohamed pour la photo prise à l'ACB le 8 novembre 2017

    Romans :
    Dieu-le-fit, Albin Michel, 1996
    La Maison de lumière, Albin Michel, 2000

    La Nuit des origines, L’Aube, 2005
    Boulevard de l’abîme, Alger, Barzakh, 2017
    Ouvrages collectifs : 
    Journal intime et politique, Algérie 40 ans après, L’Aube & Littera 05, 2003
    Il n’y a pas d’os dans la langue (nouvelles), L’Aube & Barzakh, 2008

    Alloula vingt ans déjà ! Textes réunis et présentés par Nourredine Saadi, Alger, Apic, 2014
    Biographies et portraits :
    Koraïchi, portrait de l’artiste à deux voix (avec Jean-Louis Pradel), Actes Sud, 1999

    Matoub Lounès, mon frère (en collaboration avec Malika Matoub), Albin Michel, 1999
    Denis Martinez, peintre algérien, Le Bec en l’air, 2003 & Barzakh, 2003
    Houria Aïchi, Dame de l’Aurès, Alger, Chihab, 2013
    Essais 
    Femmes et lois en Algérie, Préface de Fatima Mernissi, Casablanca, Le Fennec, 1991
    Norme sexualité reproduction, dir. Nadir Marouf, Nourredine Saadi, L’Harmattan, 1996

     

    [1] Actualités et cultures berbère, n°24-25.