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Nourredine SAADI Dieu-le-Fit

Nourredine SAADI

Dieu-le-Fit

le bidonville de nos petits loups octobre 046.jpgDieu-le-Fit, le premier roman de Nourredine Saadi, est une fable polysémique regorgeant de métaphores et d'allégories, alourdie, ici ou là, par un trop riche vocabulaire. Par une de ces nombreuses folies de l'histoire humaine, les autorités de Wallachye ont ordonné d'assainir, de purifier la ville de son bidonville. Les habitants de Dieu-le-Fit sont ainsi, à l'aube, (re)conduits en convoi vers leur douar d'origine. Placés sous la surveillance d'El Mawtar, motard de son état, gardien de l'ordre et du temps, les véhicules progressent sans heurts vers leur destination où, propagande oblige, la télévision nationale a été dépêchée pour rendre compte de cet heureux événement présenté comme une œuvre de salubrité publique.

Mais les autorités, toujours suspicieuses, veillent et ne comprennent pas le manège de Bayda. Cette voisine du ci-devant camp, professeur d'histoire, ne cesse de déambuler en ce lieu aujourd'hui abandonné et déserté sur ordre. Pourquoi hante-t-elle l'ex-bidonville appelé à être «nettoyé» par une mobilisation citoyenne ? A quelle fin emporte t-elle des objets divers, des coupures de presse… autant de traces d'une récente présence humaine ?

L'existence d'un complot s'impose aux autorités dépourvues d’humour et d’imagination. Mieux, elles subodorent que quelques personnages interlopes de Dieu-le-Fit barbotent aussi dans la conspiration. Il faut, et fissa, arrêter les suspects et recueillir leurs aveux. Outre Bayda, les forces de l'ordre se saisissent d'un certain Mustaphail qui, au sein du convoi, emporte avec lui une étrange porte sculptée.

Ici, le récit bascule. La bifurcation qui engage les hommes et les événements vers de nouveaux horizons est amorcée. Le convoi est stoppé en pleine campagne et toutes les interprétations - les plus absurdes et les plus paranoïaques - se bousculent chez les responsables de Wallachye pour mettre à jour l'imaginaire complot.

Avec cette fable, Nourredine Saadi dénonce toutes les entreprises de purification qui conduisent aux pires atrocités. En Algérie ou ailleurs : dans Wallachye il y a, selon l'auteur, cette Walakie des XIIe et XIIIe siècles qui formait grosso modo l'actuelle Bosnie. Il convoque aussi le souvenir de la lointaine Andalousie qui, apostrophant le présent, éclairerait d'une nouvelle lumière les matins de ce pays où plus personne ne comprend vraiment ce qui se passe (Wallachye vient aussi de l'arabe «waallech », « pourquoi ? »). Réflexion sur le temps et sur l'influence du passé, le roman insiste aussi sur ces moments courts, ces périodes décisives où tout bascule, où le destin des hommes prend la tangente, où l'histoire s’empresse d’aller ouvrir un nouveau chapitre.

C'est d'ailleurs sur les contours d'une nouvelle bifurcation, portée par une idéologie émergente, que le livre se clôt. Mais faut-il faire de ce thème de la bifurcation une nouvelle version du mektoub, de cette destinée qui s'accomplit, comme a pu le dire Nourredine Saadi ? Il y a déjà près de quarante ans, dans le domaine de la physique, Ilya Prigogine et Isabelle Stengers (La Nouvelle alliance, Gallimard, 1979) donnaient de ce concept, par eux élaboré, une définition moins déterministe. Chez ces derniers - et sans doute ici de manière appauvrie - la bifurcation était certes une détermination de l'histoire réelle mais une détermination parmi tous les possibles de l’histoire.

Ainsi la science restitue-t-elle au romancier - aux hommes et aux sociétés - sa liberté de création et d'imagination. Ce dont Nourredine Saadi ne se prive heureusement pas.

Albin Michel, 1996, 267 p.

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