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enfance

  • Mon ami Matt et Hena la putain

    Adam Zameenzad
    Mon ami Matt et Hena la putain


    9782267017717.jpgAdam Zameenzad est un auteur anglo-pakistanais qui a grandi entre le Pakistan et le Kenya et enseigne aujourd'hui en Angleterre après avoir traîné ses guêtres sur le vaste continent américain. Meilleur prix du premier roman en Angleterre en 1987 pour La Treizième maison, son univers romanesque est plutôt sombre ou peut-être simplement réaliste : les enfants des rues en Amérique latine en proie à la misère et aux "escadrons de la mort" dans Pepsi et Maria (paru la même année chez le même éditeur),  l'Afrique des tortures et des massacres, de la corruption et de la famine dans Mon ami Matt et Hena la putain.

    Cette chronique terrible est racontée sur un ton léger, drôle souvent, pas larmoyant pour deux sous. Et c'est sans doute le plus original de ce livre où les drames provoqués par les adultes défilent dans une langue et avec des mots d'adolescents.  Ceux de Kimo, le narrateur,  de son pote Matt, le plus "démerdard"  de la bande et de Golam, le moins bavard mais le plus souriant: "nous sommes tous trois les meilleurs amis du monde.  Matt dit que cela doit être comme ça parce que les meilleures choses dans la vie vont toujours par trois. Une tête et deux yeux, un nez et deux narines, un ce-que-jepense et deux couilles, une bouche et un trou du cul, avec, dans chaque cas, deux joues, une de chaque côté. Et cetera, et cetera.  Un Matt et deux copains : Golam et Kimo." Quant à Hena, la quatrième de ce jeune trio de mousquetaires africains, n'allez pas croire qu'elle soit une putain. En exergue, Adam Zameenzad place cette phrase "dans l'espoir qu'à une certaine étape de la vie de notre planète, plus aucun homme ni aucune femme ne connaîtra la honte de devoir écrire un autre livre pareil à celui-ci".

    Christian Bourgois, 2005, 330 p., 23 €

  • Les Sables de Mésopotamie

    Fawaz Hussain
    Les Sables de Mésopotamie


    Fawaz Hussein N&B.jpg« Que Dieu tout puissant soit avec toi, mon fils. Va ! Ne t'en fais pas pour moi. Ma mort sera un soulagement pour ta mère et une libération pour moi. Va ton chemin ! Il est terrible qu'il y ait de l'air partout et que mes poumons en soient privés. » Ce sont là les paroles qu'adresse le père du narrateur à son fils sur le point de quitter sa famille et son village pour des études littéraires à Bordeaux. Double symbole ici : l'asthme paternel et l'encouragement à partir. Il faut dire que nous sommes aux confins de la Syrie, à la frontière avec la Turquie, et que Fawaz Hussein est kurde. À en croire certaines sources médicales, l'asthme traduirait un conflit de territoire. Rien d'étonnant dès lors que cette maladie frappe le vieil homme, témoin d'un autre temps où la région ne connaissait pas de frontières et où les hommes étaient libres de circuler sur de vastes étendues ouvertes aux échanges, au commerce et aux courses sans fin sur des chevaux fougueux et puissants. Le vent de la liberté pouvait adoucir alors les rigueurs de la misère. Aujourd'hui, legs du protectorat français et violence du nationalisme arabe obligent, seule reste la misère. Alors, le narrateur, comme tant d'autres, doit quitter les siens, Amoudé, son village, qui semble avoir perdu son âme, sa joie de vivre et ses communautés bigarrées,  fuir aussi l'arrogance des nouvelles populations venues du désert, la terreur des représentants de l'administration, les barbelés dressés tout le long de la ligne de séparation d'avec la Turquie voisine, le béton et les paraboles, symboles d'une modernité envahissante et destructrice.
    Les Sables de Mésopotamie est un récit d'enfance. Le regard qu'un jeune garçon porte sur les adultes et sur un monde en plein bouleversement. Nous sommes dans la région kurde de la Syrie dans les années soixante. Le gamin évolue dans une famille divisée, un père affectueux mais effacé, presque contraint à l'absence, une mère acariâtre et méchante, une belle mère et des demi-frères plus chaleureux, une grand-mère, gardienne des traditions culturelles, Zbéda la tante aussi bonne et douce que ses pâtisseries gorgées de miel... Avec le récit de la geste familiale, Fawaz Hussain recrée la vie du village, évoque quelques pratiques et croyances kurdes, dit la nostalgie d'un autre temps : celui où les langues, les religions et les communautés semblaient faire bon ménage. Celui où les Kurdes vivaient en paix. Si l'irruption du protectorat français au lendemain du démantèlement de l'Empire ottoman marque les premiers coups de boutoirs d'une modernité liberticide pour les Kurdes de Syrie, l'arrivée de l'idéologie panarabiste, du nationalisme arabe et le règne du parti unique signe définitivement la fin d'un monde. Le récit court sur une vingtaine d'années, depuis l'entrée du gamin en classe coranique et la découverte de la langue arabe - enseignement fort heureusement dispensé par un cheikh qui s'exprimait en kurde - jusqu'au sortir de l'université d'Alep. Tandis que les coups d'État succèdent aux coups d'État, tandis que de nouveaux dirigeants renversent les anciens, tandis qu'une nouvelle doxa nationaliste ou socialiste remplace la précédente, pour les Kurdes rien ne change ! La même politique d'exclusion, de vexations, de soumission ! Une politique violente visant à terroriser une population différente et indésirable. Ce n'est pas seulement le kurde que l'on assassine ici. Comme le montre en de nombreuses pages Fawaz Hussain, c'est au nom d'une prétendue unité et pureté arabe que l'on assassine la diversité et la riche histoire d'une terre où cohabitaient kurdes, arabes, arméniens, chrétiens, musulmans...
    Dans ce champ de bataille où les langues et les hommes tombent, où la possibilité même d'un autre vivre ensemble s'efface jusque dans les consciences, où les imaginaires se rétrécissent et s'assèchent, l'enfant voit, lui, son horizon individuel s'élargir : par l'école d'abord, la langue française, les livres, puis, plus tard, l'université, la BD, le cinéma, l'amour aussi avec une belle et fugace romaine. Le legs culturel, comme le statut de minoritaire, peut aussi éveiller à une conscience de la différence. Une conscience non pas repliée sur soi mais disponible aux autres et à la diversité du monde.
    Fawaz Hussain livre ici ses souvenirs sur un ton enjoué. Aucune dramaturgie dans le récit d'événements parfois douloureux. Les mots, comme l'enfance, se veulent curieux et gourmands, de cette gourmandise pour la vie qui, à l'instar des pâtisseries et autres plats kurdes fait briller les yeux de l'enfant et saliver le lecteur. Au cœur de la barbarie dont les adultes ont partout le secret, Fawaz Hussain parvient à préserver un îlot de candeur et de douceur : le temps de l'enfance. Le temps de toutes les promesses et de tous les espoirs. Il faut souhaiter que parmi les possibles à venir, les enfants, les communautés et tous les peuples de la région, ne s'enlisent pas définitivement « dans les sables mouvants et émouvants de Mésopotamie ».

    Edition du Rocher, 2007, 303 pages, 17,50 €

  • Moi, Dieu merci qui vis ici

    Thierry Lenain et Olivier Balez

    Moi, Dieu merci qui vis ici

    arton1158.jpgAprès Wahid paru en 2003 chez le même éditeur, Thierry Lenain et Olivier Balez publiaient Moi, Dieu merci qui vis ici, un texte et des illustrations trempés dans le même bain, celui de l'humanisme et du refus de l'indifférence. Tous deux vont à l'essentiel, droit au cœur et à l'intelligence.
    Dieu merci est un gamin angolais pris dans la tourmente de la violence. Orphelin, blessé, il sera séquestré par des militaires. Riche d'un seul viatique, une formidable énergie vitale héritée de son grand-père, il fuit pour survivre. Il parvient à gagner la France où, quelles que soient les vicissitudes de son quotidien, il est au moins vivant. Sans papiers, il se retrouve sans toit et sans rien à manger. Mais Dieu merci n'appartient pas à cette « foule de têtes baissées trop habituées à se presser ». Aussi saura-t-il entendre l'appel d'une vieille femme dans le besoin.
    L'illustration, aux allures d'affiches illustrées, naïve en apparence, est constituée d'aplats de couleurs qui occupent toute la page voir la double page. Les dessins sont colorés, les contours marqués. Les couleurs sont simples mais précises et choisies : l'Afrique chatoyante de la princesse Nzingha s'efface sous les ocres, le rouge feu, les tons sombres, mordorés ou noirs, de la guerre, de la peur, du danger, de la solitude ; le blanc est celui de la vie, celui de l'infirmerie, celui de la vieille dame sauvée par Dieu merci, celui de la survie aussi ; le bleu de la traversée précède le retour de ce même ton brun qui dit la solitude de Dieu merci, allongé sur un banc public dans une France colorée, paisible mais indifférente.
    Il n'y a pas - heureusement a-t-on envie d'écrire - de « happy end » qui fermerait la porte à la réflexion et à l'imaginaire. Bien au contraire. Si le destin de Dieu merci n'est pas tragique, il n'est pas pour autant sans ambiguïtés. C'est dans les non-dits du texte, les subtilités du dessin que se nichent les failles de l'existence et du monde.

    Edition Albin Michel Jeunesse, 2008, 13,50 €

  • Tes yeux bleus occupent mon esprit

    Djilali Bencheikh
    Tes yeux bleus occupent mon esprit


    DJILALI+BENCHEIKH+AU+MAGHREB+DES+LIVRES+2009.JPGDjilali Bencheikh est journaliste, spécialiste de l’immigration, féru d’actualités sportives, il tient une chronique littéraire quotidienne sur Radio Orient. Éclectique et gourmand, il est aussi nouvelliste et l’auteur d’un premier roman autobiographique, Mon frère ennemi. Il y racontait l’enfance de Salim dans un village de l’Ouest algérien. Le gamin avait alors sept ans et les nuages s’amoncelaient sur l’Algérie de papa.
    Ces yeux bleus qui occupent l’esprit du jeune Salim sont ceux de Françoise. Il a dix ans. Elle est fille d’un capitaine de l’armée française et la guerre de libération commence à embraser le pays. Il ne faut pourtant pas s’attendre à une énième et universelle version de Roméo et Juliette, déclinée cette fois dans une Algérie déchirée. Non, l’amour de Salim est davantage fantasmé, virtuel. Seuls ses questionnements et sa culpabilité sont réels : « ai-je le droit de l’aimer sans trahir les miens ? ». Ce qui importe ici ce sont le regard et les mots - simples – que porte le gamin sur les adultes, la société, la guerre, l’injustice d’un système quasi d’apartheid. « Le village et le douar sont deux univers inconciliables. Comme l’Enfer et le Paradis. Et moi je n’habite pas comme elle, au Paradis ».
    Dans l’actuelle cacophonie des mémoires, cette réalité décrite par Salim semble oubliée. Par une sorte de politiquement correcte, on voudrait mettre sur un même pied d’égalité toutes les blessures, toutes les souffrances, toutes les injustices et réécrire voir gommer l’Histoire. À ce jeu de lego mémoriel (voir le dernier Éric Savarese (1)) ce ne sont pas ceux qui ont le plus souffert de l’Histoire qui occupent le devant de la scène mais les plus véhéments et les plus actifs. Par pudeur ou par pragmatisme, les Algériens, à l’exception de quelques caciques, ont tourné la page et depuis longtemps. Djilali Bencheikh est du lot. Le ton du livre, parfois un peu trop enfantin ou naïf, respecte le regard ingénu, sans acrimonie, curieux de cet enfant de dix ans.
    D’ailleurs, entre ces « deux univers inconciliables » des hommes et des femmes de cœur ne s’efforçaient-ils pas de dresser des passerelles ? Ainsi M.Vermeille, l’instituteur ou Mme Vignoble la patronne de la taverne et sa fille, Anne-Marie, « la mère et la fille ne font pas partie des méchants roumis qui nous écrasent de leur mépris et parfois de leur fouet. » Il y aussi le maire Siegwald dont l’aide et l’intercession auprès du père permettront au jeune Salim d’entrer au collège. Et il y a donc ces yeux bleus ! Le bleu de l’amour, le bleu de la France…, comme le dit ce vers du poète Ahmed Azaggagh offert en exergue : « c’est une terrible chose que la querelle des couleurs ».
    Salim fréquente Nicolas. Il est le seul Arabe à fréquenter un roumi. Plus tard dans la classe de M.Vermeille, il sera pote avec Serge, un juif. Les choses s’aggravent pour notre jeune garçon à qui ses frères en religion cherchent des poux dans la tête. Après les dernières recommandations humanistes de M.Vermeille, invitant ses élèves qui s’apprêtent à quitter l’école pour le collège à refuser d’emprunter le chemin de la haine, Salim occupera les vacances estivales à apprécier les méthodes traditionnelles et un brin sadiques du cheikh pédéraste de l’école coranique du village. Voilà qui rappelle les « éprouvantes » années vécues par le marocain Driss Chraïbi.
    Salim incarne les illusions et l’idéalisme d’une génération flouée. Rêveur impénitent, amoureux au cœur de midinette, assoiffée de savoir, il est épris de justice et désireux de faire siennes les valeurs d’une civilisation triomphante. Salim n’est pas qu’un bon élève. Il est un des meilleurs éléments de l’école républicaine. En cela, en ces temps où le cancre a bonne presse et où ce statut devrait nécessairement coller aux gamins de banlieues, Salim, le petit cousin du Fils du pauvre de Mouloud Feraoun, fait du bien. Non seulement Salim n’est pas un cancre, mais comme son illustre aîné Jean El Mouhoub Amrouche, c’est lui qui en remontre à ses camarades français y compris en matière de Marseillaise !
    Mais voilà, comme dans Le Gone du chaâba d’Azouz Begag, pour ceux qui ne voient pas plus loin que le bout de leur nez d’aliéné « travailler bien en classe, c’est trahir les Arabes et leur sainte religion » , « c’est faire preuve d’allégeance aux roumis ». Vous parlez d’une trahison ! « Mais pourquoi faut-il que la cause de libération nationale soit toujours défendue par des apprentis-voyous ? » interroge le jeune Salim morigéné et même agressé par ses petits camarades algériens… « Des apprentis-voyous » qui, les premiers jours de l’indépendance venue, deviendront des voyous tout court, dixit les dernières pages du roman, attribuées cette fois au tendre et proche « frère-ennemi ». Un grand frère plus lucide que son cadet qui sans doute « refuse / Toujours / Le pain sans rêve / La gloire sans peuple » ; un autre vers du trop méconnu Ahmed Azeggagh…
    Tes yeux bleus occupent mon esprit a reçu le prix Méditerranée-Maghreb décerné par l'ADELF, l’Association des écrivains de langue française.

    1. Algérie, la guerre des mémoires, éd. Non-lieu, 2007

    Editions Elyzad, 352 pages, 16,50 €