Fawaz Hussain
En direction du vent
Après 25 ans d’exil en France, un kurde devenu français par la grâce de l’hospitalité gauloise et de l’universalisme républicain, apprend la mort de son père au pays, la lointaine Syrie de son enfance. Il ne peut se rendre aux funérailles. Commence alors une période d’agitations, d’hallucinations, de fragilité extrême pour ce professeur au chômage, pauvre et solitaire, travaillé par la culpabilité, le doute et le sentiment de l’échec. Des maux de tête l’assaillent inopinément, l’anxiété devient maladive et le moindre rendez-vous administratif provoque chez le malheureux des suées froides et abondantes.
L’immigration n’est pas une sinécure même dans la plus belle ville du monde. Seule la petite fenêtre du modeste appartement englué dans un dégât des eaux donne sur le ciel miséricordieux. L’ouverture permet au rêveur de compter les nuages.
En plusieurs petits chapitres qui sont autant d’histoires, l’auteur raconte la vie d’un immigré dans les quartiers de l’Est parisien, son quotidien fait de débrouilles, ses rendez-vous à l’ANPE ou dans un centre de soins, les contrôles d’identité dans le métro, les réfugiés de Sangatte, le désir des femmes et la soif de leur corps fut-il celui d’une policière suspicieuse.
De belles et grosses grenades achetées dans les couloirs de la station de métro « République » le ramènent à son père mais aussi … au 11-Septembre. Une mauvaise blague d’un ami lui causera une frousse carabinée et la perte de sa provision mensuelle de riz chinois. L’injustice faite aux Kurdes, des « jouets » entre les mains des puissances, rappelle la diversité culturelle d’aires géographiques réduites aujourd’hui au fantasme de l’UN (unicité arabe ou turque), quant à l’islam paternel, plus tribal qu’orthodoxe, il évoque davantage la douceur des principes que la rigueur des formes vides.
Le narrateur (il s’agit sans doute d’un récit largement autobiographique) s’en retournera chez les siens, en Syrie, embrasser la pierre tombale de son père. Mais celui qui revient n’est plus celui qui est parti… Comme l’écrivait Vladimir Jankélévitch : « le retour au lieu familier ou au pays natal est toujours possible, mais non le revenir du devenir ». Il repartira fort d’une nouvelle bénédiction qui le portera « en direction du vent ».
Les thématiques de l’exil, de l’échec, de la culpabilité, de la dépossession de soi, des bifurcations de l’existence qui rendent impossible tout retour en arrière, etc., ne sont pas nouvelles. Mais ici, elles sont abordées sur un mode original, plaisant et léger. Le récit de Fawaz Hussain brille par le ton, distant, et le choix de l’humour : quelques pages sont à se tordre et les plus perspicaces pourront s’amuser à extrapoler à partir de certains épisodes, celui notamment de la visite au centre de santé.La construction mêle perceptions extérieures et troubles intérieurs, réalisme et imaginaire dont Salah Stétié dit dans une très belle préface qu’il est « de plus en plus et de mieux en mieux (…) l'autre mode du vécu ».
Non-Lieu, 2010, 113 pages, 13 €