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MAMMERI Mouloud

  • Cheikh Mohand a dit

    Mouloud Mammeri
    Cheikh Mohand a dit

    18254.jpgMardi 8 octobre 1901, « le soleil sur les monts s’est couché », Ccix amaâzuz s’est éteint. Né vers 1830 au hameau Aït Ahmed rattaché à Taqqa, village près d’Aïn el Hammam, Muhend el Hocine voit le jour dans une société qui aurait été revêche à toute innovation depuis le XIVe siècle et qui, depuis la victoire française, connaît le doute et même un certain désarroi quant aux valeurs traditionnelles. D’où, cette constatation : « il est certainement plus facile de s’engager dans les voies d’une pensée libérée au cours de la deuxième moitié du XIXe siècle que cinquante ans auparavant ».
    D’autant plus facile en pays kabyle où le pouvoir des clercs – les marabouts – est relativisé par l’action conjugué de la distance linguistique (kabyle/arabe) et de l’oralité de la culture berbère qui véhicule tout un lot de valeurs spécifiques, imperméables à toute idéologie étrangère venue se greffer, ou tenter de se greffer, au tuf ancestral.
    Poète, mystique, illettré mais doté (et réputé) d'une grande culture, marabout, membre de la confrérie Rahmania, il est vénéré comme un saint en Kabylie et ce de son vivant même. On le consulte, on recherche ses conseils, son réconfort, son aide. Aujourd’hui encore, on le cite pour convaincre et se référer à sa sagesse. A la différence de son contemporain, le poète Si Muhend Ou M’Hend, il ne quitta jamais son patelin kabyle, ce qui n’empêche pas ses propos de renfermer une portée universelle.
    A travers trois prises de position de Muhend el Hocine, Mouloud Mammeri donne ce qu’il nomme : « trois formes complémentaires de libération de la pensée ». Il s’agit en fait d’une triple rupture avec l’ordre établi qui se manifeste d’une part par l’annonce provocatrice de sa vocation, c’est-à-dire par l’annonce d’une façon nouvelle de voir et d’interpréter le monde, l’Homme et son destin. Muhend el Hocine s’oppose alors à l’un des dogmes de l’islam selon lequel la porte de la prophétie a été définitivement fermée par Mohamed.
    D’autre part, Muhend el Hocine affirme son opposition à la prêtrise, aux règles, rites et rituels mécaniques, dénués de signification véritable. « Les scrupules inutiles, la rigueur vaine, la stricte observance de rites de pure convention, le respect paresseux des vérités admises sont une forme de mort ». En ces temps de cucuterie religieuse généralisée et obscène, l’enseignement est un baume. Il faut selon le cheikh en revenir à l’esprit même, d’où cet effort personnel et constant, tourné vers la recherche de la vérité. Un effort qui s’apparente au concept d’ijtihad que le cheikh devait, selon Mouloud Mammeri, ignorer. Enfin, ultime rupture, Cheikh Muhend refuse l’utilisation de la thaumaturgie.
    Cette rupture avec ces trois méthodes (prophétie, clerc et thaumarturgie) différentes et complémentaires de gestion du sacré ne sera pourtant pas totale : le cheikh s’en servira « corrigeant les limites ou les contrariétés de chacune par les valeurs différentes des autres, puis les transcendants toutes pour créer le mode de vivre et de penser qui portera sa marque ».
    Parmi les nombreuses citations du sage kabyle retenons celle-ci : «Qui veut visiter les lieux saints, commence par ceux de la maison », à  bon entendeur…

    CERAM et Centre national des Lettres, 1989
    Laphomic (Alger) 1989

     

  • La Traversée

    Mouloud Mammeri

    La Traversée

     

    mouloud-mameri-1.jpgMourad journaliste à Alger révolution vient d’écrire un article qui n’est pas du goût des autorités. Quelle importance ? Chez lui l’amertume devance la censure. Désillusionné, trompé sur ce qu’il croyait être depuis sa participation à la lutte pour l’indépendance, la liberté, il refuse de venir remplir son écuelle à l’auge des maîtres. Plutôt l’exil à l’asservissement. Avant l’expatriation, il part pour un dernier reportage dans le Sahara en compagnie de trois autres journalistes d’Alger révolution : Boualem « le chevalier d’Allah », Souad, toute aussi soumise à Dieu, Serge l’ « apparatchik » communiste et Amalia qui travaille pour un journal français.

    Pendant un mois, ils côtoient les Touaregs, apprennent les difficultés de l’administration à imposer l’école ou la pratique de certains métiers jugés déshonorants par une population berbérophones passionnément éprise de liberté. Pour autant, l’action de la machine administrative n’est pas sans effets : la société touarègue se désintègre, des rapports sociaux plurimillénaires volent en éclats.

    Cette « traversée » ne fera qu’accroître l’amertume de Mourad. Elle réveillera en lui quelques vérités ataviques. Les illusions finissent de s’écrouler, l’asservissement est général : asservissement de la rédaction au pouvoir politique ; asservissement de Kamel, l’ex-directeur du journal nommé PDG d’une entreprise nationale (!), à ses nouvelles obligations sociales. Il se travestit en musulman BCBG avec gandoura, babouches, prières, mosquée et chapelet. Il répudie sa femme, Christine, pour son origine étrangère… Asservissement aux idéologies en « carton pâte » ou « carcérales » tels l’islamisme ou le marxisme. Asservissement aussi à ces nouvelles divinités, ces signes extérieurs de richesse que sont les appartements luxueux, les femmes grosses de leurs quincailleries en or, les Mercedes, les cabanons à Alger… Seul le mendiant, affalé au pied de son immeuble, rappelle, dans sa misérable condition, qu’ « un dénuement total fait sa totale liberté ».

    Plutôt que de s'esbigner vers la France, Mourad décide de rejoindre son village natal en Kabylie. Drapé de l’ancestral burnous, il foule à nouveau la terre maternelle où, lassé de toute cette comédie, il tentera d’ « inventer » la paix, la justice et l’amour.

    A travers cette quête de liberté, Mouloud Mammeri dresse, au tout début de la décennie 80, un tableau de la société algérienne où pêle-mêle s’entrechoquent les tentacules d’un islamisme totalitaire, le machisme, les "servitudes volontaires", la désintégration de sociétés et de valeurs ancestrales comme les sociétés kabyles et touarègue, le désenchantement aussi. Le récit est grave, le regard de Mourad est désabusé, parfois sarcastique. Mouloud Mammeri y ajoute quelques touches d’humour.

     

    Edition Plon, 1982