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RACHEDI Mabrouck

  • La Petite Malika

    Mabrouck Rachedi, Habiba Mahany

    La Petite Malika

     

    habiba-mahany-et-mabrouck-rachedi.jpgCelles et ceux qui apprécièrent Le Petit Malik de Mabrouck Rachedi, ne seront pas déçus de ce livre dont l’héroïne est cette fois une « petite Malika ». Même propos ici : suivre les pérégrinations existentielles d’une enfant puis d’une adolescente et enfin d’une jeune fille, française, issue de l’immigration - comme il faut, encore et toujours, ajouter -, et des « quartiers » dits « sensibles » ou autres « cités » de « banlieue » - comme il faut, encore et toujours, le signaler… Pour écrire ce nouveau roman, Mabrouck Rachedi, auteur du remarqué Le Poids d’une âme, s’est adjoint les services (ou alors est-ce l’inverse ?) de sa sœur, elle-même auteure de Kiffer sa race. Le frère et la sœur sont publiés par le même éditeur.

    On y retrouve la même touche pour évoquer ce qui, dans la société française continue d’échauffer le vulgum pecus et le politique soucieux de flatter ce qu’il croit être l’opinion de ses ouailles électorales : la banlieue, ces jeunes français un peu trop à part, les assignations à résidence identitaire et autres préjugés qui font mal et plombent le quotidien des intéressés aussi certainement que le dynamisme d’un pays. Mais voilà, nos deux auteurs, n’écrivent pas pour faire pleurer dans les chaumières, ou dans les HLM. Ils ne se la jouent pas « victimes », « indigènes », « seuls contre tous » et tout le toutim. Cela n’empêche nullement ce roman de dire (et de dénoncer) les discriminations et autres travers de la banlieue (et au-delà). A l’heure où les caquetages nourrissent les opinions les plus contraires, Mabrouck Rachedi et Habiba Mahany aide à réfléchir en racontant l’histoire de cette jeune française sur un mode amusant, un brin persifleur. Malika incarne un parcours de « réussite », du moins dans son acception sociologique - pour ce qui est de la philosophie de l’existence… libre à chacun de faire sa popote.

    Malika est une surdouée. Elle lit Omar Khayyam à l’âge de sept ans – excusez du peu. A treize ans, elle s’abreuve de philosophie sur un lit d’hôpital pour surmonter une obscure maladie qui devait la condamner et termine son parcours scolaire (du moins le premier, car il y aura un second) à l’ENA. Et oui ! semblent dire nos chers auteurs : il n’y a pas que des cancres là où vous savez et chez les enfants issus de ce dont vous vous doutez… C’en est presque une évidence. Pire ! un lieu commun. Et pourtant, il n’est pas certain qu’il ne faille encore et toujours le dire, le répéter pour le faire entrer dans certaines têtes…

    Le texte est enlevé, file entre dialogues et descriptions, marie les registres du langage. Tout cela est léger et plutôt plaisant. Mais derrière ce parcours – qui n’a rien d’exceptionnel – La Petite Malika rappelle, opportunément, que l’école est peut-être le seul ticket gagnant aujourd’hui et que le mépris affiché - par certains jeunes notamment – pour l’institution et le savoir est le meilleur moyen de rester sur le quai. Les premiers en langage SMS seront les derniers au cours de français…

    Nos deux acolytes s’amusent à étriller quelques uns de leurs contemporains et quelques unes de leurs (mauvaises) manières : ainsi le tintamarre sur la diversité devient un fond de commerce lucratif et l’intégration reste un mystère pour ces jeunes nés en France. Le machisme, l’homophobie, les fermetures communautaires ou encore les guéguerres entre bandes de quartiers différents, comme les assignations à résidence « culturelle », identitaire » ou « géographique » sont pointés du doigt au détour de nombreux épisodes qui constituent le quotidien de la jeune Malika.

    Les chibanis, depuis quelques années, retrouvent des couleurs chez les plus jeunes. Ici, le lecteur croise la figure d’un grand-père ou celle d’un vieil immigré rencontré dans un bureau de Poste. Que retenir de leur expérience ? Qu’il faut « rester soi-même » et être digne… La Petite Malika est une française et le revendique. Crânement ! Contre les imbéciles qui ne l’ont pas compris, contre ceux aussi qui, autour d’elle cette fois, la regardent comme si elle était « une gogole » et l’excommunient à coup de : « honte sur ta famille sur sept générations ».

     

    Edition Jean-Claude Lattès, 2010, 237 pages, 16,50€

     

    Photo : Habiba Mahany et Mabrouck Rachedi au festival Rue des livres à Rennes, édition 2012

     

  • Le Petit Malik

    Mabrouck Rachedi

    Le Petit Malik

     

    petit-malik-mabrouck-rachedi-L-2.jpeg« Nous arrivons tout nouveaux aux divers âges de la vie, et nous y manquons souvent d'expérience malgré le nombre des années ». Cette réflexion de La Rochefoucauld pourrait servir d’illustration au nouveau roman de Mabrouck Rachedi qui avait publié Le Poids d’une âme en 2006 chez le même éditeur.

    Mabrouck Rachedi livre ici la vie de Malik en séquences, en tranches de vie, déclinées depuis le premier âge (cinq ans) jusqu’au bel âge (26 ans) en passant par l’âge ingrat d’une adolescence particulièrement imbécile.

    Comme pour son premier roman, Mabrouck Rachedi offre l’originalité d’une langue alerte, d’un ton plaisant et fluide, mélange d’humour et de distance. Son personnage n’est pas à désespérer de l’humanité et sa banlieue, sans être solaire, ne présente pas pour seul visage une triste et grise mine. Chez Mabrouck Rachedi le roman n’est pas un pamphlet et quant à désespérer le lecteur de l’humanité, les rubriques de nos gazettes s’en chargent fort bien.

    Pour autant la jeunesse du petit Malik n’a rien de folichon. Ces petits épisodes livrés en trois ou quatre pages allègres décrivent d’abord les copains et autres figures de la cité. Il y les deux amis Salomon, le « Feuj » et Abou, le « re-noi ». Avec un ballon rond, ces trois-là étaient imbattables. « Notre diversité forgeait notre complémentarité sur le terrain » dit Malik. Boualem, lui, fut un temps, le « plus que parfait » celui dont tous dans le quartier étaient « inconditionnels » avant de découvrir qu’il était… « keuf ». Moussa campe la caricature du rappeur instrumentalisé par les maisons de disques et autres journalistes ; Sam, lui, futur footballeur professionnel, est l’autre versant de la « mascarade » médiatico-politique. François est l’alter ego de Moussa, expert en création d’associations en tout genre et tout terrain. Comme dans L’Arbre d’ébène de Fadéla Hebbadj, il est question de dévouement maternel et de Romain Gary, celui de La Promesse de l’aube : « bref la mère de Gary c’était la mienne » dit Malik après avoir lu le bouquin.

    À 14 ans arrive l’âge des premiers larcins, puis de l’échec scolaire. Le prosélytisme est… évangélique - cela change des barbus et des voilées.  L’antisémitisme est light mais les tournantes, à 17 ans, bien réelles. Mabrouck Rachedi raconte la perte du langage et donc du lien social ou affectif, les ravages de la came, le zèle de la police, le chômage, les boulots d’intérim, les réussites freinées par les discriminations qui font que le « plafond » des uns est le « plancher » des autres, le sentiment de solitude et d’échec !

    Malik grandit au milieu de tous et de tout cela. Il pousse dans l’entre-deux. Entre Abdou et Salomon : glisser irrémédiablement vers le fond ou s’accrocher et gravir quelques paliers, même péniblement, même contre la force d’un vent social hostile. Malik n’est pas aveugle : « nous qui nous rêvions beaux gosses, on était que des branleurs ». Il sait même ce qui serait bon pour lui : Areski [l’avocat], il habitait le quartier. C’était le genre de personne qu’on voit jamais à la télé pour représenter une intégration réussie. Y avait aussi Bachir le comptable, Madjid l’informaticien, Abdel le propriétaire de la boulangerie, Ramzy le chercheur au CNRS… Pourtant, moi, à dix piges, des gars comme eux, ça m’aurait servi d’exemples. »

    À la fin du livre Malik a 26 ans. Va-t-il enfin démentir La Bruyère ? « La jeunesse à tout pour elle sauf l’expérience » disait aussi Kateb Yacine. Le temps de l’expérience est-il arrivé pour Malik, le temps de s’éloigner de « l’esprit du ghetto » comme lui suggère son vieil ami Salomon ? Tiens, voilà qui rappelle Harlem, d’Eddy L.Harris ! « Je ne suis prisonnier ni de Harlem ni de la couleur de ma peau »…

     

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    Edition J.C.Lattès, 2008, 204 pages, 16€

     

     

  • Virée romanesque en 2006

    Virée romanesque en 2006

     

    images-1.jpgEn 2006, de nouveaux auteurs nés aux confluents d’histoires plurielles ont fait leur entrée dans le monde de la littérature, tandis que d’autres se rappelaient aux bons souvenirs des uns et se laissaient découvrir par les plus jeunes. Sans prétendre à l’exhaustivité retenons ici sept auteurs dont quatre premiers romans. Trois livres sortent du lot. Celui de Nadia Berquet, celui de Mabrouck Rachedi et celui de Houda Rouane, ces deux derniers étant justement des premiers écrits.
    Si Pieds Blancs est plus dense et sur bien des sujets plus pénétrant que Le Poids d’une âme, ce dernier se distingue par la volonté de l’auteur d’écrire une histoire, d’écrire un roman et non un livre témoignage. M. Rachedi déroule le fil d’une enquête journalistico-policière visant à disculper et à sortir le pauvre Lounès des griffes de la machine judiciaire. Sans doute, l’histoire ne renferme pas un suspens insoutenable, mais l’auteur parvient tout de même à maintenir son lecteur en haleine. Côté écriture, M.Rachedi ne joue pas dans le démago en cherchant à écrire comme on parle (ou parlerait) dans les cités.
    Sur le fond, le livre offre l’avantage de ne pas enfermer les lieux et les personnages dans des démonstrations univoques, respectant à la fois la polysémie de toute création littéraire mais aussi l’exergue taoïste placé en tête du livre. M.Rachedi rompt aussi avec la noirceur ambiante quand il est question de banlieues sans taire pour autant certains aspects négatifs et sombres. Sans se poser en donneur de leçons, il pointe du doigt les dysfonctionnements de la presse, de la police ou de la justice. Pour toutes ces raisons, il est plutôt un message d’espoir et permet de ne pas désespérer de l’humanité et de nos semblables... 
    443_houda2.jpgMême si des longueurs seraient à supprimer, Houda Rouane parvient à capter l’attention du lecteur avec son texte-témoignage rythmé par le seul déroulement des jours qui passent. Norah Rabhan, pionne dans un collège, raconte son quotidien, sa famille, son mariage avec le « Grand Turc », une visite au bled et l’arrivée du premier enfant. Rien de passionnant a priori. Pourtant cela fonctionne, sans doute grâce à la pertinence des propos, souvent intelligents et subtils, à la qualité de l’observation (le collège, les profs, les élèves, l’actualité...) et aussi au style : pas trop « cité » juste ce qu’il faut, nerveux et dynamique avec souvent des formules et des dialogues à la Audiard. Pas mal du tout et l’analyse, souvent pertinente, décoiffe pour une jeune auteure d’à peine trente ans.
    Du rêve pour les oufs, le deuxième titre publié par la célébrissime Faïza Guène (après Kiffe kiffe demain) est, disons le, moins digne d’intérêt. Entre ces copines et ses rêves d’amour, à vingt-quatre ans Alhème porte sur ses épaules ce qui lui reste de famille (un père malade et un jeune frère qui flirte avec la délinquance) et porte son regard sur le monde de oufs qui l’entoure. Pourtant, malgré un côté fabriqué (forme et fond), Faïza Guène donne à lire un texte énergique à l’unisson peut-être des banlieues : jeune, pétillant, fonceur et un brin déboussolé. En ce sens, il peut, à l’image de bien des jeunes des cités, se révéler dynamogène.
    Nadia Berquet a publié  La Guerre des fleurs. Cette Toulousaine en est à son troisième bouquin après deux recueils de nouvelles parus chez le même éditeur. Ce n’est pas une histoire drôle : huit enfants se retrouvent au chevet de leur mère mourante. Pas drôle du tout donc mais écrit avec des mots justes, sur un rythme lent, aux phrases courtes, à la sonorité douce et chaude. La construction, qui rappelle le Tandis que j’agonise de Faulkner, donne à entendre des monologues intérieurs qui rythment les cinq temps du roman. Récits de vies, de blessures et de non-dits. Histoire de famille. Histoire d’une famille française aux origines ensoleillées par la figure maternelle. À noter la scène douloureuse de l’enterrement qui voit les enfants dépossédés de leur mère par le groupe et les religieux. Une dépossession déjà présente chez Jamal Mahjoub (Là d’où je viens) et chez Azouz Begag (Le Marteau Pique-cœur).
    Retour remarqué pour Mehdi Charef, pionnier de la première heure, gratifié du Prix Beur FM pour son nouveau roman. À bras-le-cœur revient sur l’enfance, une enfance algérienne avec à la clef l’exil dans un bidonville... rien de nouveau sous le soleil de l’immigration si ce n’est peut-être davantage de maîtrise dans l’écriture et cette sensibilité de l’auteur et cinéaste. Le grand cœur de Mehdi Charef déborde à chaque ligne.

    Difficile en revanche de suivre Karim Amellal et Ahmed Djouder. Ce dernier signe ici plutôt un pamphlet qu’un roman. Un pamphlet qui n’évite pas de nombreux écueils.  Quant à Cités à comparaître, récit d’ « une merde de vie » d’un paumé qui serait devenu malgré lui un terroriste, on frise la caricature, avec beaucoup de répétitions en prime. S’il s’agit là de littérature ce serait une littérature du désespoir. EN 2006, les romanciers ont souvent voulu faire parler les bourreaux (voir Salim Bachi avec Tuez les tous !, ou Jonathan Littell avec Les Bienveillants), mais n’est pas Goncourt qui veut !

    Karim Amellal, Cités à comparaître, Stock, 2006, 177 pages, 15,50 €
    Nadia Berquet, La Guerre des fleurs, HB Éditions, 2005, 142 pages, 14 €
    Mehdi Charef, À bras-le-cœur, Mercure de France, 2006, 187 pages, 14,80 €
    Ahmed Djouder, Désintégration, Stock, 2006, 157 pages, 15 €
    Faïza Guène, Du rêve pour les oufs, Hachette littérature, 215 pages, 16 €
    Mabrouck Rachedi, Le Poids d'une âme, JC Lattès, 2006, 214 pages, 13 €
    Houda Rouane, Pieds Blancs, Éd. Philippe Rey, 2006, 314 pages, 19 €

     

    Illlustrations: Mabrouck Rachedi, Houda Rouane