Azouz Begag
Le Marteau pique-coeur
Il y a peu, avant sans doute ses accointances politiques, le côté volubile et souriant d’Azouz Begag savait faire naître de la sympathie. Son sens de la provocation et son humour faisaient autant dans cet a priori positif que le fait qu’il soit l’auteur du Gône du Chaâba. Avec ce premier livre, l’écrivain français (et non beur) natif de Lyon aidait le lecteur à mieux comprendre un pan de la réalité hexagonale. Il participait aussi, avec d’autres, à restituer la mémoire silencieuse ou douloureuse de bon nombre de nos concitoyens.
Depuis, l’homme a vieilli. Les siens avec. Le narrateur du Marteau pique-coeur, lui aussi écrivain lyonnais et fils d’immigrés algériens, a l’âge de l’auteur. Il y raconte ce qui est arrivé ou arrivera à tous, la mort du père ; et aussi ce qui, heureusement, ne se produit pas dans toutes les familles, l’adultère de l’épouse. Ce récit, présenté comme un “roman”, balance entre la mort de l’être aimé et la trahison de la femme. Deux émotions, l’amour et la haine, deux chocs sismiques qui bouleversent l’existence jusque-là un brin insouciante et auto-satisfaite de l’écrivain-narrateur (à distinguer donc de l’écrivain-auteur), tout occupé à jouir de sa situation et de sa renommée.
Ces deux secousses telluriques le terrassent. Avec la disparition du père remontent les souvenirs de l’enfance : le train électrique acheté sur le marché aux puces, le café du tiercé, la prononciation du français corrigée par le rejeton… Dans un colloque sur “Le tabou et le sacré” organisé au Maroc, le narrateur dévoile, publiquement, l’adultère de sa femme et précise qu’elle l’a trompé avec Marwan, un soi-disant ami palestinien, reçu au cours d’un séjour aux États-Unis dans toutes les règles de l’hospitalité “arabe”. Comment, s’étrangle le cocu, ce “frère” a-t-il pu violer les règles de l’hospitalité et ainsi “baiser” sa femme ? Tandis que le narrateur s’attache à dégager des explications toutes culturelles à un événement qui mériterait d’autres grilles de lecture (à commencer par ce “coût de la reconnaissance sociale” dont il doit s’acquitter), les participants au colloque réagissent vivement à ce qui constitue l’objet de toutes les attentions sacralisées du nif (honneur) arabo-berbère et, au-delà, méditerranéen : le sexe et d’abord le sexe de la femme.
Abboué, son père, sera enterré à Sétif. Le narrateur est de ce dernier voyage paternel, de ce retour définitif à la terre qui a vu naître et partir un jeune homme plein de force et d’espoir et s’apprête à recevoir un vieillard qui a dû laisser derrière lui bien des illusions. Louisa, la petite-fille du défunt, les accompagne. Ce voyage marque symboliquement un âge dans le temps de la migration : celui de la transmission et du legs aux générations. Sous cet angle, le livre peut décevoir, surtout si on le compare au riche et innovant roman de Jamel Mahjoub, Là d’où je viens, qui lui aussi a pour trame un divorce, la mort de l’aïeul et le voyage d’un père en compagnie de son fils. Pour Begag, tout semble se résumer à une réaction d’humeur après la déconvenue sentimentale et la solitude laissée par la disparition du père.
Reste l’écriture de Begag, légère, débordante d’une ironie et d’un humour souvent érigés en remparts à l’émotion, et ses images qui semblent sorties d’un tableau naïf. Le marteau pique-cœur est un hommage poignant rendu au père. À cette figure du chibani parti à la fleur de l’âge découvrir de nouveaux espaces.
Edition du Seuil, 2004, 251 p., 18 €