Mabrouck Rachedi
Le Petit Malik
« Nous arrivons tout nouveaux aux divers âges de la vie, et nous y manquons souvent d'expérience malgré le nombre des années ». Cette réflexion de La Rochefoucauld pourrait servir d’illustration au nouveau roman de Mabrouck Rachedi qui avait publié Le Poids d’une âme en 2006 chez le même éditeur.
Mabrouck Rachedi livre ici la vie de Malik en séquences, en tranches de vie, déclinées depuis le premier âge (cinq ans) jusqu’au bel âge (26 ans) en passant par l’âge ingrat d’une adolescence particulièrement imbécile.
Comme pour son premier roman, Mabrouck Rachedi offre l’originalité d’une langue alerte, d’un ton plaisant et fluide, mélange d’humour et de distance. Son personnage n’est pas à désespérer de l’humanité et sa banlieue, sans être solaire, ne présente pas pour seul visage une triste et grise mine. Chez Mabrouck Rachedi le roman n’est pas un pamphlet et quant à désespérer le lecteur de l’humanité, les rubriques de nos gazettes s’en chargent fort bien.
Pour autant la jeunesse du petit Malik n’a rien de folichon. Ces petits épisodes livrés en trois ou quatre pages allègres décrivent d’abord les copains et autres figures de la cité. Il y les deux amis Salomon, le « Feuj » et Abou, le « re-noi ». Avec un ballon rond, ces trois-là étaient imbattables. « Notre diversité forgeait notre complémentarité sur le terrain » dit Malik. Boualem, lui, fut un temps, le « plus que parfait » celui dont tous dans le quartier étaient « inconditionnels » avant de découvrir qu’il était… « keuf ». Moussa campe la caricature du rappeur instrumentalisé par les maisons de disques et autres journalistes ; Sam, lui, futur footballeur professionnel, est l’autre versant de la « mascarade » médiatico-politique. François est l’alter ego de Moussa, expert en création d’associations en tout genre et tout terrain. Comme dans L’Arbre d’ébène de Fadéla Hebbadj, il est question de dévouement maternel et de Romain Gary, celui de La Promesse de l’aube : « bref la mère de Gary c’était la mienne » dit Malik après avoir lu le bouquin.
À 14 ans arrive l’âge des premiers larcins, puis de l’échec scolaire. Le prosélytisme est… évangélique - cela change des barbus et des voilées. L’antisémitisme est light mais les tournantes, à 17 ans, bien réelles. Mabrouck Rachedi raconte la perte du langage et donc du lien social ou affectif, les ravages de la came, le zèle de la police, le chômage, les boulots d’intérim, les réussites freinées par les discriminations qui font que le « plafond » des uns est le « plancher » des autres, le sentiment de solitude et d’échec !
Malik grandit au milieu de tous et de tout cela. Il pousse dans l’entre-deux. Entre Abdou et Salomon : glisser irrémédiablement vers le fond ou s’accrocher et gravir quelques paliers, même péniblement, même contre la force d’un vent social hostile. Malik n’est pas aveugle : « nous qui nous rêvions beaux gosses, on était que des branleurs ». Il sait même ce qui serait bon pour lui : Areski [l’avocat], il habitait le quartier. C’était le genre de personne qu’on voit jamais à la télé pour représenter une intégration réussie. Y avait aussi Bachir le comptable, Madjid l’informaticien, Abdel le propriétaire de la boulangerie, Ramzy le chercheur au CNRS… Pourtant, moi, à dix piges, des gars comme eux, ça m’aurait servi d’exemples. »
À la fin du livre Malik a 26 ans. Va-t-il enfin démentir La Bruyère ? « La jeunesse à tout pour elle sauf l’expérience » disait aussi Kateb Yacine. Le temps de l’expérience est-il arrivé pour Malik, le temps de s’éloigner de « l’esprit du ghetto » comme lui suggère son vieil ami Salomon ? Tiens, voilà qui rappelle Harlem, d’Eddy L.Harris ! « Je ne suis prisonnier ni de Harlem ni de la couleur de ma peau »…
Edition J.C.Lattès, 2008, 204 pages, 16€