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L’Arbre d’ébène

Fadéla Hebbadj

L’Arbre d’ébène

 

hebbadj.jpgUn squat, rue de la Chaussée d’Antin. Au 5, là où s’élevait dans la seconde moitié du XVIIIe siècle et jusqu’en 1860 la maison de Louise d’Épinay, la protectrice de J.J.Rousseau. Dans son salon, elle recevait toutes les sommités intellectuelles de son temps, nationales et européennes. Mozart y fit un bref séjour. Plus tard et plus longuement, Chopin y résida avec quelques autres émigrés polonais. L’Hôtel d’Epinay n’existe plus. C’est un autre immeuble qui a vu le jour au niveau du 5 de la Chaussé d’Antin. L’esprit du lieu peut-être demeure encore…(1)

D’autres étrangers occupent aujourd’hui l’immeuble. Mama et son fils âgé de 10 ans s’y cachent. Mama a promis à Nasser qu’un jour ils auront un réfrigérateur, un grand lit et un homme, « l’arbre d’ébène » qui les protégera et s’occupera d’eux. Pour le moment, ils n’ont qu’un sac de couchage où ils réchauffent leurs solitudes. Mama s’absente souvent, partant pieds nus dans le froid de l’hiver. Alors ? Promesses ? Mensonges ? « Tu m’as menti, depuis ce voyage. Là-bas on était mieux, maintenant si tu meurs qui va s’occuper de moi ? » s’inquiète Nasser.

Là-bas c’était en Afrique. Fadéla Hebbadj raconte les horreurs de ce périple qui, du Mali à Paris, en passant par Marseille, conduira Mama et Nasser au quotidien des sans-papiers. C’est aussi par sa marge qu’une société se révèle à elle-même, en décentrant son regard. Fadéla Hebbadj à travers ses deux personnages, porte un regard sur la société française : les peurs qui s’y répandent, la méchanceté, le culte de l’argent, l’indifférence, la solitude, les fausses idoles…

« L’humanité [serait-elle] sortie du territoire français » ? Elle a déjà déserté ici certains ministères, certaines administrations et quelques cœurs, - de Blanc ou de Noir (voir l’épisode du « café plein de frères »). « Dans notre pays, on les accueille avec le respect et l’hospitalité, ils viennent avec le sourire et repartent avec de bons souvenirs, ici ils nous accueillent avec des matraques et nous font vivre des cauchemars comme des criminels… » dit Mama.

Pour autant, le livre montre aussi que la France sait rester humaine. A Marseille, Yvonne qui a recueilli les deux clandestins, apprend à lire et à écrire au gamin. Mario, le jeune paumé, « il était blanc, mais il aurait pu être mon grand frère, parce qu’il avait un esprit de Noir », aidera Nasser à retrouver sa mère hospitalisée. Andrée, la bouquiniste, refilera bien plus que des livres et des histoires au gamin.

A l’instar, de La Promesse de l’aube de Romain Gary, Fadéla Hebbadj écrit un livre sur une mère et son fils, le dévouement et même le sacrifice de l’une et l’amour de l’autre. Mais Nasser, malgré lui, s’aventure sur un autre chemin, le sien, celui de l’émancipation.  « Elle [Mama] était un poids pour ma solitude » finit-il pas ressentir. « Avant, j’aurais jamais pu dire une chose pareille. Mama, c’est ma mère, mais n’empêche que je supportais une solitude qui n’était pas la mienne. » L’exil est aussi une lente désagrégation. Facile de comprendre alors pourquoi Nasser voudrait « ne pas avoir franchi les portes de l’océan. Je me rends compte à présent combien leurs porte-monnaie sont sans valeur et combien la brousse est un abri contre les jeux gratuits des Blancs. »

 

1- Jacques Hillairet, Dictionnaire historique des rues de Paris, éd. de Minuit, 1963.

 

Edition Buchet-Chastel, 2008, 172 pages, 14 €

Fadéla Hebbadj vient de faire paraître Les Ensorcelés aux éditions Buchet Chastel. Nous y reviendrons.

 

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