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Le tao du migrant - Le blog de Mustapha Harzoune - Page 4

  • Les Forcenés

    Abdel-Hafed Benotman

    Les Forcenés

     

    1280x720-XLw.jpgAbdel-Hafed Benotman s’est éteint vendredi 20 février. Né un 3 septembre 1960 à Paris l’écrivain Abdel-Hafed Benotman n’avait donc que 54 ans. L’ex-taulard, incarcéré pour la première fois à 16 ans,  plusieurs fois en cavale, militant anticarcéral, était auteur de polars et de nouvelles, poète, scénariste et dramaturge. En 1996, il est victime d'un double infarctus en prison et doit être opéré. Depuis Abdel-Hafed Benotman était en insuffisance cardiaque.

    En 1992 paraît Les Forcenés (recueil de nouvelles Éd. Clô, réédité en 2000 chez Rivages/Noir. Éboueur sur échafaud, son roman autobiographique sort en 2003 (Rivages/Noir).  Puis viennent : Le Philotoon's: Correspondance entre l'auteur en prison et des amis de l'intérieur et de l'extérieur, Éd. L'insomniaque, 2006 ;  Les Poteaux de torture, second recueil de nouvelles, Éd. Rivages 2006 ;  Marche de nuit sans lune, roman, Éd. Rivages 2008 (qui serait en cours d'adaptation par Abdellatif Kéchiche) ; Garde à vie : roman jeunesse, Éd. Syros 2011 ;  Gonzo à gogo : de Ange Rebelli et Jack Maisonneuve, roman, Tabou 2012 ; Coco, Éd. Écorce 2012

    A sa sortie, Les Forcenés fut à la fois une révélation et un choc. Révélation car l’auteur, truand, récidiviste, incarcéré depuis 1990 pour vol, y affirme un talent certain et déjà une puissante capacité d’évocation. Sans être un thème central des récits, l’univers de la prison, du détenu ou du délinquant est abordé de manière allusive ou humoristique dans trois des nouvelles (Les Dents blanches, Bénéfice et Les Bras cassés). Un choc parce que l’auteur plonge sa plume dans les entrailles, le tréfonds du tréfonds. Les siennes. Les nôtres. Celles de la société. Là où peu nombreux sont ceux qui osent s’aventurer, lui, y extirpe le plus noir, le plus crasse, le plus dangereux, l’incontrôlable, le démentiel, l’incongru : sexualité, violence, cruauté. Il ne prend pas de gants pour sa descente macabre, il y entraîne le lecteur presque malgré lui. Et ce n’est pas là la moindre de ses prouesses.

    Inclassable et iconoclaste, Abel-Hafed Benotman est sans respect pour les canons de la bienséance et du bien-penser.

    Le livre est dérangeant. La question lancinante hante le lecteur : pourquoi cette violence, ce déchaînement de violence insoutenable, ces phantasmes, ces délires sexuels, ces meurtres ? Pas de ceux proprement et cadotiquement distillés par la télévision à longueur de programme et de série américaine. Non ! des sordides, des bien sales. Des bestiaux. De l’abattoir qui sert à découper de la viande humaine (voir Le Bilboquet, Arc-en ciel ou la terrible nouvelle qui ferme le recueil, L’Amie des ombres).

    Ce livre est d’autant plus désagréable que sa lecture ne laisse pas le lecteur indifférent. Pourquoi ne pas balayer les pensées, arrêter la réflexion par un « laissons tomber, il s’agit là des délires et des phantasmes d’un auteur bien peu fréquentable ». Pourtant on ne s’y résout pas. Mieux, on va jusqu’au bout, tenu en haleine autant par les qualités d’écriture de l’auteur que par l’extraordinaire et le mystère des histoires racontées.  Même si, et loin de là, on ne partage pas toutes les opinions émises, force est de reconnaître qu’il est par ailleurs relativement facile d’attirer le lecteur vers le beau, le bon, le juste, le convenu, le prêt à penser qui assure bonne conscience et réponse à tout. Plus difficile est de prendre la direction opposée, sans faux-semblants médiatiques ou autres et de mettre sous le nez propret de son lecteur les déjections de ses semblables.

    Pourquoi ? Pourrait être la question à poser à cet auteur. Pour déranger ? L’écriture comme dérivative ? Pour pousser ses concitoyens à réfléchir en leur balançant en pleine face l’indicible des hommes et de leur société ? Voilà ce que semble faire Abel-Hafed Benotman et ne cachons pas que cela fait parfois mal.

    Après avoir lu Les Forcenés, le lecteur a envie d’aller se laver, se purifier. À grandes eaux. D’aller se ressourcer. Se réconcilier vite avec l’univers et sa création. Avec soi-même.

    Rivages/Noir, 180 pages, 2000

  • Une enfant de Poto-Poto

    Henri Lopes

    Une enfant de Poto-Poto

     

    Henri_lopes_bis.jpgVoici donc le Prix littéraire du Musée de l'immigration 2012 : Henri Lopez, auteur de huit romans et d’un recueil de nouvelles, écrivain confirmé et honoré, homme politique et ambassadeur du Congo en France. Il a coiffé sur la ligne d’arrivée quelques confrères, jeunes dans la carrière ou non, dont le prometteur Sabri Louatah mais aussi Ahmed Kalouaz, Chahdortt Djavann, Sophie Schulze, Carole Zalberg ou encore le tout aussi confirmé Boualem Sansal.

    Une enfant de Poto-Poto est un roman sur le métissage et les identités brinquebalées entre héritage colonial et migrations modernes, un roman porté par une langue chatoyante, protéiforme, créolisée à la sauce lingala, frangolaise et française tant il est vrai que « malgré ce qu’en pensaient, pour des raisons différentes, d’un côté nos dirigeants, de l’autre les Français, nous étions un peu françaises, nous aussi, non ? », dixit Kimia la narratrice.  A croire que le « butin de guerre » des ci-devant colonisés ne se limite pas à la seule langue comme le disait l’Algérien Kateb Yacine mais aussi aux identités.

    Pélagie et Kimia sont les deux protagonistes de ce récit. Des sœurs de sang malgré le fait qu’elles ne viennent pas de la même région du Congo. Mais voilà, au temps béni de l’apartheid colonial, les deux jeunes filles se sont retrouvées les deux seules Noires au lycée Savorgnan de Brazza, des « curiosités tenues à distance» par les autres élèves et les professeurs. De quoi forger une complicité et une amitié sororale et mêler, en une cérémonie sacrilège, leur sang de « lari » pour l’une et de « ndjem » pour l’autre.

    Au lycée, Pélagie et Kimia croisent un bien étrange Moundélé (un Blanc). M. Franceschini, professeur de français de son état mais surtout un « débarqué » selon la doxa coloniale entendre un dangereux hurluberlu qui croit devoir respecter les « indigènes » et les placer sur un pied d’égalité avec les Blancs. Il faut dire que si Franceschini était blanc dehors, il était nègre dedans (voilà qui rappelle le livre de Toi Derricote, Noire, la couleur de ma peau blanche. Un voyage intérieur, Perrin 2000). Français par la peau, il était congolais à l’intérieur. Ce Moundélé à l’« âme nègre » était un bâtard, de père inconnu et de mère congolaise.  Un « Blanc manioc  – Moundélé Kwanga, en lingale – une allusion à l’insulte qu’on lançait aux sang-mêlé » qui, à l’heure de la « Dipenda » (l’Indépendance) exigeait l’excellence de ses élèves appelés à diriger le nouvel Etat. Une exigence cultivée jusqu’ à lui donner des cauchemars.

    Pourtant, ce « Moundélé aux origines douteuses » n’aura pas davantage sa place dans le nouvel Etat que sous l’administration coloniale. Suspect, toujours suspect. Hier dangereux subversif indépendantiste, aujourd’hui soupçonné de nostalgies coloniales et de quelques complots impérialistes… Autre temps mais même rejet pour ce métis, « condamné par l’Histoire » comme l’écrivait déjà un autre « hybride culturel », l’Algérien Jean Amrouche.

    L’amour est au centre de l’intrigue. Un amour à trois immergé dans un bain de rivalités, de demi mensonges et de connivences où barbotent les deux élèves et leur professeur : Pélagie deviendra l’épouse légitime, Kimia, le « deuxième bureau ». C’est un vaudeville pétri de jalousie, d’espionnage, de petits secrets, de rendez-vous cachés, de culpabilité, mais un vaudeville à la sauce zaïroise : « ambiancé » aux rythmes des rumbas, boléros, tangos, cha-cha-cha et autres torrides et dangereuses pachangas - au Congo, on danse même pour « exprimer sa tristesse » ! Un amour à trois mais… consenti, partagé, solidaire. Ce n’est pas là la seule différence entre Africaines et Européennes, entre le Congo et la France où, « au nom de Descartes les Mindélés écartent toute explication par le surnaturel. Pourtant… ».

    Bien plus tard, après des études aux Etats-Unis, Kimia, devenue une romancière de renom, retrouve Franceschini. Les rendez-vous amoureux se répètent au gré des salons et des colloques en Amérique, en Europe ou en Afrique. Les retrouvailles, les échanges épistolaires, les méditations de Kimia influencée par Franceschini, son père en littérature, offrent d’instructives variations sur la littérature, le style et les registres de la langue utilisée, la réception des œuvres en Europe et le faible lectorat des pays d’origine, le statut de l’artiste partagé entre universalisme, entre-soi rassurant – ah ! le « cinéma calebasse » - et autre danse du ventre effectuée pour séduire les critiques et l’intelligentsia occidentales qui elles se doivent d’« être politiquement correct et [d’] avoir leur nègre génial ». Lopes jongle avec les références littéraires passant de Clément Marot à Jacques Stephen Alexis via Beaumarchais ou Césaire

    Kimia devient le « pendant féminin » aux USA de Franceschini, son prof, amant et mentor, se permettant d’allègres coups de griffe à l’endroit du concept de « littérature postcoloniale » ou des théories du genre. Mieux : à cause de son français venu d’ailleurs, elle s’entend traitée de « moundélée » par un « taxieur » de Brazza, comme on dit du côté d’Alger.

    Une enfant de Poto-Poto montre comment « le fleuve » de l’Indépendance a été « détourné » (pour reprendre le titre d’un roman de Rachid Mimouni) ; il dit le rayonnement culturel de la France d’alors -  « partir à la Sorbonne, comme Villon, Césaire et Senghor » - ; laisse entrevoir les pleurs de Kimia, le premier soir de son exil étatsunien, seule dans son lit ; les stéréotypes des Noirs américains sur l’Afrique. Il décrit la « métamorphose » culturelle de Kimia immigrée, l’illusion des racines et des origines : « aucune fonction algébrique, aucun programme d’ordinateur ne rend compte des destins » ; il célèbre le primat des « vivants [à qui] il fallait consacrer ses forces et ses ressources » sur les fausses « authenticités » et le pseudo « patrimoine identitaire ».

    La démonstration est forte et vaut aussi bien pour le Nord que pour le Sud. Le métis, dit Kimia, « nous a appris à devenir des êtres humains. D’ici et d’ailleurs. » Au point que la notion même « dépérira. Dans quelques décennies, peut-être avant un siècle, il n’y aura plus de métis, mais des Français, des Congolais, des Sénégalais,  des Américains, blancs, noirs, bruns… Les « pur-sang » n’oseront plus se vanter de ce qui deviendra une tare ».

    Le « butin de guerre », revisité par les « indigènes » d’hier, désarçonnait déjà les puristes du dico et de la syntaxe, avec Henri Lopes, il pourrait aussi affoler les gardiens de l’ordre identitaire. Ici et ailleurs.

     

    Gallimard, Continents noirs, 2012, 265 pages,  17,50€

  • La citation du jour

    « La haine ! siffla le peintre en apportant à la fois thé et whisky. Nous la suçons avec le lait de nos mères exploitées !... Ils n’ont rien compris : ce n’est pas seulement le colonialisme l’origine de nos problèmes psychologiques, mais le ventre de nos femmes frustrées !... Fœtus, nous sommes déjà condamnés ! »

     

    Assia Djebar, Femmes d’Alger dans leur appartement, Edition des Femmes, 1980

  • La citation du jour

    « Depuis dix ans au moins – par suite sans doute de mon propre silence, par à-coups, de femme arabe -, je ressens combien parler sur ce terrain devient (sauf pour les porte-parole et les « spécialistes ») d’une façon ou d’une autre une transgression.

    Ne pas prétendre « parler pour », ou pire « parler sur », à peine parler près de, et si possible tout contre : première des solidarités à assumer pour les quelques femmes arabes qui obtiennent ou acquièrent la liberté de mouvement, du corps et de l’esprit. Et ne pas oublier que celles qu’on incarcère, de tous âges, de toutes conditions, ont des corps prisonniers, mais des âmes plus que jamais mouvantes. »

     

    Assia Djebar, Femmes d’Alger dans leur appartement, Edition des Femmes, 1980

  • La citation du jour

    « Une fillette surgit : elle a deux ans et demi, peut-être trois. L’enfance serait-elle tunnel de songes, étincelant, là-bas, sur une scène de théâtre où tout se rejoue, mais pour toi seule à l’œil exorbité ? Ton enfance se prolonge pour quelle confidente d’un jour, pour quelle cousine de passage qui aurait vu éclater tes larmes en pleine rue, autrefois, ou des sanglots qui te déchirent encore ? »

    Assia Djebar, Nulle part dans la maison de mon père, Albin Michel 2007

  • La couleur du bistouri

    Rédha Souilamas

    La couleur du bistouri

    docteur-islamophobie.pngDans Tu deviendras un Français accompli. Oracle (Tallandier 2011), l’historien, spécialiste de la Grèce antique, Saber Mansouri leva une partie du voile sur le fonctionnement et les présupposés de l’Université française, sur les faiblesses et les paresses de quelques professeurs qui ne cessent d’assigner leurs étudiants étrangers à résidence culturelle et nationale. Ici, c’est du côté de l’hôpital que le lecteur est convié.

    L’hôpital public va mal et, au delà peut être, c’est la santé en France qui donne des signes d’inquiétude. L’une des réponses trouvées par le système, entendre les responsables politiques et les pontes du milieu, est de recourir à une main d’œuvre venue d’ailleurs : infirmier(e)s et médecins étrangers. Aujourd’hui, des pans entiers de la santé publique s’effondreraient sans la présence de médecins (et d’infirmières) étrangers. Ils sont indispensables dans les services d’urgence, en chirurgie, en anesthésie ou obstétrique. Pourtant, fortes de leurs diplômes acquis sous d’autres cieux, mais aussi, pour certaines, de diplômes français, fortes de leur compétences et parfois de leurs états de service, ces blouses blanches qui « ont un air de famille », entendre black et basané, sont maintenues dans un statut de seconde zone.  « En réalité nous sommes des travailleurs immigrés » écrit Rédha Souilamas

    C’est eux qui font tourner la machine, mais… pas aux mêmes conditions que leurs collègues nationaux : sous payés, ils sont gratifiés des plus dures conditions et horaires de travail, des statuts de seconde zone, sans trop d’espoir de promotion sauf à se risquer sur les pentes d’un parcours pour combattant au mental d’acier. Il leur arrive même de devoir essuyer le mépris d’un milieu qui, au nom d’une notabilité d’un autre âge, n’est pas le dernier à abreuver la population entière de doctes et paternalistes conseils. Comme l’écrit Saïd Mohamed « après les vagues d’émigration de la tripe et du muscle, voici venue celle des neurones » (Le Soleil des fous, Paris-Méditerranée, 2001). Le bistouri remplacerait donc le marteau piqueur. C’est ce dont témoigne Rédha Souilamas, à la première personne, sur un ton neutre, dénué d’animosité mais où percent ici où là, quelques déceptions et un brin d’amertume.

    Titulaire d’un doctorat de médecine de la faculté d’Alger, il arrive en France au mitan des années 80, pour se spécialiser en chirurgie. Commence alors le cursus, sinueux et pervers, réservé aux étrangers. Il lui faudra bien de l’abnégation et de la persévérance pour s’accrocher, passer les nombreux obstacles que le milieu médical et législatif (les professionnels de la santé sont nombreux au Parlement) dresse sur le chemin, se dégager des voies de garage et des espaces de relégation, se coltiner les remplacements, les contrats à durée déterminée, « subalternes » et « révocables » « puisque le renouvellement du contrat dépend du bon vouloir du prince. » Il devra aussi pousser des portes pour faire  valoir ses compétences, essuyer rebuffades et mépris de collègues, sûrs d’eux mêmes et dominateurs, jaloux de leur prestige national et de leur place lucrative. Comme dans les années 30, la profession protège -  au nom bien sûr de l’intérêt des malades - ses plates bandes : exit la concurrence ! Les médecins étrangers ou titulaires de diplômes étrangers ne peuvent exercer que dans leur hôpital d’affectation, exercer à l’extérieur s’apparenterait à un exercice illégal de la médecine. Et tant pis pour les déserts médicaux ou les ratés de la médecine ambulatoire. Ce que décrit Rédha Souilamas est une atmosphère où flotterait une « violence sourde, (…) un racisme larvé et visqueux ».

    Comme ses camarades français, l’étudiant étranger doit, in fine et malgré quelques détours imposés, en passer par le même cursus et les mêmes formations, et pourtant : « nous sommes perçus différemment par les collègues, les patrons et, à un moindre degré, par les infirmières. Presque comme des enfants illégitimes ».

    Il mettra bien plus longtemps que ses collègues français pour obtenir son inscription à l’ordre des médecins comme généraliste. Dix ans d’un cursus identique, d’une formation en tous points équivalente mais avec une quantité d’entraves bien spécifiques, d’embrouillaminis administratifs, de courses d’obstacles, de dévalorisations, de rebuffades méprisantes, de couleuvres avalées et d’assignation à résidence au sein d’un deuxième collège : le système vise à protéger les nantis et natif du cru, bien installés dans la place, des miséreux et autres étrangers qui ahanent et se perdent dans le labyrinthe universitaire, hospitalier et administratif. Tout cela est décrit par le menu. Rédha Souilamas, chirurgien généraliste devenu chirurgien spécialiste, se verra refuser, jusqu’au bout, le titre de professeur malgré un dossier idoine.

    Dans ce récit-témoignage, l’auteur livre quelques éléments (et ressorts) psychologiques et émotionnels de cette longue marche d’un « enfant illégitime », ou qui se perçoit comme tel,  dans ce monde (in)hospitalier.

    Il lui aura fallu beaucoup de travail, des aptitudes et prédispositions personnelles indiscutables pour accomplir ce parcours d’exception. Mais pas uniquement. « La chance de pouvoir exercer dans un hôpital parisien », le souci de « plaire » à l’autochtone, la volonté de « refouler le sentiment d’illégitimité » fournirent au postulant l’indispensable tonus, l’énergie de la résilience. « J’ai bien compris maintenant que les compétences professionnelles ne suffisent pas, qu’il faut montrer d’autres signes d’appartenances, qu’il faut « grenouiller » comme on dit »… Doit-il aller jusqu’à apprendre à jouer au golf ? Doit-il satisfaire aux obligations, entretenir ses réseaux et ses relations, céder à la mécanique sans âme et sans cœur de l’urbanité moderne, satisfaire l’exotisme de bon aloi de ses nouveaux concitoyens ? « Je prends conscience rapidement  du réflexe ridicule, propre à beaucoup de Maghrébins et d’Arabes, qui consiste à vouloir inviter des autochtones à manger du couscous et des loukoums en buvant du vin  du pays. Est-ce qu’ils nous invitent si facilement, eux, à partager un cassoulet arrosé d’un bon bordeaux ? » La réponse se devine aisément même s’il faudrait peut-être voir à changer de milieu… Il lui faudra bien perdre ces « premiers réflexes » et réserver sa sociabilité et sa générosité, comme le couscous de « l’illustre »  belle maman, à quelques happy few.

    De même qu’il apprendra à se départir de sa naïveté méritocratique : « je croyais que le mérite s’appuie sur les compétences ». Pas besoin d’avoir lu l’éclairant Walter Benn Michaels (La Diversité contre l’égalité, Raisons d’agir, 2009), pas besoin non plus avec Alain Badiou (Le Monde 5 mai 2012) de gloser sur le « racisme » des intellectuels, il lui aurait suffi de lire - ou de relire - le précieux Albert Cossery. Souilamas n’aurait pas été surpris alors de constater que les « suzerains » en place privilégient d’autres critères que le mérite pour « protéger le système qui leur destine les privilèges. Il ne fait plus aucun doute que l’origine des candidats est un facteur déterminant (…) ».Aujourd’hui, écrit Rédha Souilamas, « je me suis libéré de mon désir de reconnaissance. Les signes extérieurs de compétence et de légitimité ne m’intéressent plus. J’ai cessé de vouloir faire partie de cette cour qui prétend ignorer qu’elle sélectionne et hiérarchise ses membres selon l’origine ethnique ».

    Rédha Souilamas est aujourd’hui diplômé du Collège français de chirurgie thoracique, chirurgien des hôpitaux de Paris. Il a participé à la réussite de la greffe pulmonaire, au développement de la première structure de chirurgie thoracique ambulatoire en France. Il coordonne un programme de transplantation pulmonaire pour la mucoviscidose, dirige un protocole de reconditionnement ex vivo de poumons pour pouvoir doubler le nombre de greffes pulmonaires, a contribué à mettre en place des structures multidisciplinaires, des journées scientifiques et des formations, publie articles scientifiques, donne cours et conférences, organise des partenariats internationaux notamment avec la Columbia University de New York. En 2008/2009, il fut le seul représentant français dans le comité scientifique international de la Société internationale de transplantation cardiaque et pulmonaire (ISHLT), « il s’agit-là d’une reconnaissance internationale par mes pairs, et hors Hexagone de surcroît »

    Ce Français d’origine algérienne a donc mis ses compétences et son énergie au service de la santé publique française et contribué au rayonnement national au delà des frontières, notamment en Amérique du Nord ou en Asie. Et pourtant. Outre que tout n’alla pas de soi, la France républicaine et universaliste snoberait encore ce professionnel qui, pour son malheur hexagonal, naquit en dehors du pré carré national et hors du cercle des « héritiers » de la profession.

    Ce n’est sans doute pas le signe du hasard que des propositions lui soient faites en provenance de l’étranger. En France, on riposte, encore et toujours, par de vagues « promesses » de nomination au grade convoité de professeur. Promesses versus propositions ! Souilamas n’utilise pas un trébuchet pour mesurer ses petits intérêts professionnels. Si aimer c’est d’abord aimer sans compter, la loyauté se moque que sur sa vieille et approximative balance, le plateau étranger pèse plus lourd que le plateau français. Il veut juste pouvoir servir au mieux la collectivité, hic et nunc. Il faudrait pour cela que le pays cesse de mégoter et de le prendre, lui et ceux de son espèce, pour un… imbécile. 

    Ce petit livre en dit long sur l’état de la société française : corporatisme, xénophobie, discriminations, inégalités… asphyxient l’atmosphère, obscurcissent l’horizon, enrayent l’indispensable mécanique du collectif. Tant pis pour le tout à l’égo du coq tricolore : la France attire moins les neurones en migration que l’Amérique du Nord ou l’Australie. Quant à ceux qui y barbotent, ils pensent sérieusement à s’esbigner !

    Comme tant de jeunes français fatigués par la reproduction des inégalités, comme tant d’autres talents, frustrés, ignorés ou discriminés, Rédha Souilamas, pourrait se laisser tenter ou consentir à s’envoler pour l’étranger. Alors qu’on assourdit l’électeur sur le poids de l’immigration en France, on en oublie - ou dissimule - que beaucoup dans le pays empruntent à nouveau les chemins de l’émigration et qu’il serait temps de revoir  les trop approximatifs compteurs du solde migratoire.  Il n’y a pas que la santé qui fout le camp.

    Edition Naïve, 2012, 120 pages, 15 €

  • Le Drame linguistique marocain

    Fouad Laroui

    Le Drame linguistique marocain

    fouad-laroui1.pngMarocain et batave d’adoption, Fouad Laroui est ingénieur de formation, docteur en sciences économiques, installé à Amsterdam où après y avoir enseigné l'économétrie puis les sciences de l'environnement, il professe aujourd’hui la littérature. Son premier roman, Les Dents du topographe (Julliard, 1996) lui valut le Prix Découverte Albert Camus, deux ans plus tard il reçoit le prix Méditerranée des Lycées et le prix Beur FM pour De quel amour blessé (Julliard). Auteur prolixe, son sixième roman Une année chez les Français (Julliard 2010) est retenu parmi la première sélection du Prix Goncourt.Il est aussi l’auteur de nombreux recueils de nouvelles et de chroniques dont Des Bédouins dans le polder. Histoires tragi-comiques de l’émigration (Zellige, 2010) ou Le Jour où j’ai déjeuné avec le Diable (Zellige, 2011).

    Dans Le Drame linguistique marocain paru au Maroc chez Le Fennec en 2010, Fouad Laroui livre une longue réflexion, nourrie de données linguistiques, syntaxiques, sociologiques et littéraires pour interroger le statut des langues au Maroc. L’analyse est transposable à nombre de pays de cette vaste sphère dite arabe mais qui recouvre une diversité culturelle et linguistique par trop négligée voir ignorée - à commencer par le voisin algérien. Le « drame linguistique », au cœur des interrogations identitaires, a pour nom la diglossie entre langue savante et langue(s) populaire(s). La première est formée de l’arabe classique, celui du coran et l’arabe moderne, celui des médias, des discours politiques et autres feuilletons télévisés. Quant à la seconde, l’arabe parlé ou darija, elle est le lot commun de tout un chacun : paysan du cru ou citadin, tchitchi des beaux quartiers ou lumpen des bas fonds, papicha romantique ou intellectuelle féministe, voilée ou laïcarde convaincue, recalé du système scolaire ou diplômé du supérieur… L’arabe classique ou moderne, celui des écoles, n’est la langue maternelle de personne. Quant à la langue parlée par les peuples, nulle part elle est enseignée ! Si, comme le dit l’auteur, l’arabe classique est une langue étrangère au Maroc, qu’en est-il alors de son statut de langue « nationale » quand, dans le même mouvement, la langue (ou les langues) parlée par la nation est niée ? Ne serait-ce pas une autre forme de colonialisme ? Car les deux langues sont différentes : la darija marocaine serait, du moins dans sa syntaxe, davantage influencée par le berbère que par l’arabe classique. L’égyptien Chérif Choubachy parle même d’un « abîme » entre langue classique et langue parlée. Pour ce qui est du berbère, les choses sont claires : « je suis berbère. L’arabe est pour moi une langue aussi étrangère que le français » dixit l’écrivain Moha Souag.

    Dans cet embrouillamini linguistique, écrire en langue française n’est pas un choix mais une échappatoire, une façon de sortir du conflit en utilisant la seule langue à disposition : l’arabe classique étant réservée à quelques rares lettrés et la darija étant la grande absente des livres et cahiers d’écolier. Fouad Laroui invoque une fois de plus la notion de « malédiction », appliquée cette fois à l’écrivain quant à sa relation à la langue d’écriture. Comment traduire ses émotions, sa personnalité, sa sensibilité, sa chair, ce qu’il a emmagasiné dans son enfance à travers les mots et ici les mots de sa mère ? Qu’en est-il de l’identité, si la langue qui en constitue le substrat essentiel, n’est pas enseignée, ne permet pas de s’exprimer et de dire son imaginaire ? Pour l’auteur, la naissance de la littérature d’expression française est la conséquence de cette diglossie, une réponse à la schizophrénie.

    Pour sortir de cette situation aux conséquences culturelles, éducatives, individuelles et collectives, alarmantes, il faudrait rendre toute sa place, tout son « prestige », à la darija, non seulement en l’enseignant mais aussi en abandonnant (par souci notamment de classification et de nomenclature) la graphie arabe pour l’écriture latine, à la façon d’un Atatürk. Scandale ? Provocation ? Sacrilège même (car il ne faut pas oublier que la langue arabe est la langue du coran…) ? Pourtant, là aussi, la société semble innover et notamment… les publicitaires qui y vont de leurs slogans en darija écrits en lettres latines. Sont-ils plus au fait des ressorts souterrains des sociétés ? Des dynamiques culturelles à l’œuvre ? Des attentes du citoyen à tout le moins du consommateur ?

    En tout cas, dans La vieille dame du Riad (Julliard 2011) réédité en poche (Pocket 2012), où un couple de Français découvre qu’une vieille femme, sortie du fond des âges, se cache dans le riad qu’ils viennent d’acquérir à Marrakech, Fouad Laroui applique sa recette linguistique. Il fait, avec élégance et humour, flirter la langue française et le dialectal marocain, offrant au lecteur la possibilité d’entrer un peu plus en « connivence » (François Jullien) avec l’univers culturel et linguistique marocain.

    Zellige 2011, 188 pages, 19,50 € 

     

     

    RENDEZ-VOUS :

    Café littéraire avec Gauz et Fouad Laroui

    Samedi 7 Février 2015, 16:30

    Le Café littéraire animé par Elisabeth Lesne invite les écrivains en lice pour le Prix littéraire de la Porte Dorée, qui récompense un roman ou un recueil de nouvelles ayant pour thème l'exil.

    Pour ce troisième café littéraire de la saison, deux écrivains sont invités :

    • Gauz, pour Debout-Payé (Le Nouvel attila)
    • Fouad Laroui, pour Les Tribulations du dernier Sijilmassi (Julliard)

    L’un est né en Côte d’ivoire, l’autre au Maroc. Leur point commun : l’humour, pour nous dévoiler le petit monde des vigiles africains ou la crise existentielle d’un ingénieur marocain.
    Fouad Laroui nous parlera aussi de son Essai sur la littérature de l’exil (Zellige)

     

    Musée de l’histoire de l’immigration - Palais de la Porte Dorée
    293, avenue Daumesnil
    75012 Paris

    En métro : station Porte Dorée (ligne 8)
    En tramway : ligne T3
    En bus : 46

     

  • La citation du jour

    « Il n’y a plus d’industrie à Paris. Mais il y a des services, des boulangers qui mitonnent, des ouvriers qui bâtissent et rénovent, des balayeurs qui nettoient, des vendeurs qui conseillent, des manutentionnaires et des livreurs qui placent, des serveurs qui prennent la commande, des caissières qui encaissent, des conducteurs de métro, de bus, de tramways, de RER, des intérimaires qui font la queue, des nounous qui jouent et qui grondent. Il y a des petites mains qui s’affairent sur les têtes et sur les mains. Moins de bruit, moins de syndicats, mais elles sont là. » 

    Sylvain Pattieu, Beauté Parade, Plein jour 2015.

     

  • La citation du jour

    « Raymond : Avec la CGT, on soutient, on est là. Depuis 2008 il y en a des grèves de sans-papiers. Ce sont des grèves basées sur le travail, sur le salariat. Ça fait ressortir que c’est un système. C’est pas « ces pauvres bougres qui arrivent en France ». Il y a un marché du travail qui n’est pas seulement hexagonal, c’est le fonctionnement du capitalisme aujourd’hui. On a décidé d’arrêter avec la dimension humanitaire du truc, ça veut pas dire qu’on la garde pas dans un coin de la tête, bien sûr, c’est aussi pour ça qu’on fait ça. Mais c’est pas le plus efficace, c’est pas ce qui met en lumière les contradictions du système. »

    Sylvain Pattieu, Beauté Parade, Plein jour 2015.

  • Le collier de la colombe

    Raja Alem

    Le collier de la colombe

    3595069601_d739006317.jpgLes romans saoudiens traduits en langue française ne sont pas si nombreux pour bouder son plaisir quand il est offert au lecteur de lire et d’élargir l’éventail des auteurs du cru disponibles à la lecture. Cela permet de se mieux familiariser avec les thèmes qui traversent cette littérature et de lever un voile sur une société qui, sauf à l’enfermer dans un carcan culturaliste et religieux, doit bien être travaillée par des dynamiques internes, convergentes ou contraires ; comme toute société humaine. Ainsi, est-il loisible de corriger ou d’affiner quelques images qui collent à ce royaume wahhabite sorti du désert, gardien (et marchand) du temple islamique, magnat du pétrole, allié des intérêts américains et dans le même temps pourvoyeurs de subsides à un vaste réseau d’associations et de groupuscules bien peu catholiques et même franchement islamistes. Avec l’inévitable question du statut de la femme, les thaub locales traînent d’autres casseroles : absence de libertés politiques, inégalités sociales, pudibonderie des mœurs, exploitation de la main d’œuvre immigrée ou encore mépris affiché par ces riches descendants du prophète pour le reste du monde arabe… C’est dire si les sujets de prévention sont nombreux, au point peut-être de formater le regard ou même de se détourner de ces gugusses enturbannés tout juste sortis de leur désert. Cela serait une erreur. Il faut lire les romanciers saoudiens pour s’en convaincre et saisir le pouls de cette partie du monde, qui aspire aussi, du moins à travers ses littérateurs, à élargir ses espaces de liberté, à se « ménager une possibilité de s’échapper en douce afin de vivre envers et contre tout » écrit Raja Alem.

    Depuis Abdul Rahman Mounif jusqu’à Rajaa Alsanae en passant par Ahmed Abodehman, Badriayah al-Bishr ou Yousef al-Mohaimeed, ils décrivent (et dénoncent) les effets destructeurs et déstructurant de la modernité version baril de pétrole sur et dans la société saoudienne, mais, dans le même temps, restituent les dimensions poétiques, culturelles, identitaires, humaines aussi de ce pays, bien éloignées des hypocrisies d’une doctrine wahhabite décharnée et exclusive.

    Raja Alem, qui inaugurait cette nouvelle collection des éditions Stock, est née en 1970 à La Mekke et est l’auteure d’une douzaine de romans, recueils de nouvelles et pièces de théâtre. Son premier roman, Khâtem, a été traduit en français par Luc Barbulesco (Actes Sud 2011).

    Le Collier de la colombe (prix international du roman arabe, Arabic Booker Prize, 2011), traduit ici par Khaled Osman, est un livre protéiforme, fiévreux, jusqu’à l’incandescence parfois, tour à tour satirique, blasphématoire, drôle, tragique, énigmatique, érudit… Un livre qui multiplie les registres de la littérature et de la langue. Un livre-réceptacle où s’entrechoquent toutes les thématiques de la nouvelle littérature saoudienne. Le livre s’ouvre sur une impasse populaire et populeuse de La Mekke, sur le corps d’une femme qui « exhibait comme dans un tableau sa formidable nudité ». Morte, la mystérieuse femme gît au milieu d’Abourrous, l’autre personnage de ce roman, une ruelle où « des portes d’entrée entrouvertes sur le chagrin et des fenêtres barrées pour empêcher l’émergence de l’amour » n’en finissent pas de se suivre.

    Levons d’entrée une ambiguïté : Le Collier de la colombe, titre qui renvoie au traité de l’amour et des amants du grand Ibn Hazm (994-1064), n’est pas un énième et racoleur roman sur la pauvre mais voluptueuse femme arabe. Raja Alem ne sert pas de cette soupe. Très vite elle embarque son lecteur, qui doit s’armer d’attention et de patience parfois,  dans un récit au long cours, labyrinthique, turgescent, gros de multiples références (littéraires, religieuses, urbanistiques…) ; de deux à trois dizaines de personnages ; jouant avec les codes narratifs, les temporalités et les lieux, l’auteure jongle avec les genres (policier, historique, épistolaire, sociologique, romantique…), décampe de La Mekke pour l’Andalousie, inscrit les mystères des temps présents dans d’énigmatiques aventures médiévales, passe de Skype à l’antique parchemin. Ce volumineux roman brasse aussi, avec brio, une ribambelle de thèmes : le patriarcat, la relégation des femmes, la négation des corps, les frustrations affectives et les fantasmes sexuels (épisode des mannequins ou de la signification du mariage dans un tel contexte), l’honneur – ce « carcan de fer qui paralyse les mentalités » -, les tribus qui sont autant de castes, la misère des uns qui buttent sur le luxe des autres… Mais la prouesse de Raja Alem réside dans la description d’une Mekke - sa ville - inconnue ici en Occident, une ville défigurée, transformée « dans son corps mais aussi dans son âme ». Elle réussit à ressusciter les lieux, la spiritualité, le passé, les légendes et les croyances, les fantômes et les mythes d’une ville qui, il y a peu, brillait pas sa diversité et son cosmopolitisme.  

    Loin de ce tableau, les immigrés du moment (et leur progéniture), clandestins ou main d’œuvre corvéable à merci, sont omniprésents : « vendeurs précaires », commerçants, serveurs, larbins, surexploités. Ils multiplient les combines et les pots de vin pour espérer obtenir la nationalité saoudienne d’une Brigade de promotion de la vertu et de prévention du vice indifférente. Ces exilés sont parqués dans des centres de rétention en plein désert ou font des décharges leur royaume.

    Les littératures arabes contemporaines (comme les « printemps »…) n’échappent pas à l’influence du net, de Skype, de la webcam et autres mails, non seulement comme outil littéraire mais aussi comme connexion et surtout présence nouvelle au monde. « L’univers est plein de lettres échangées dans le monde virtuel ; avec l’éclatement des frontières, des gens vivant aux quatre coins de la Terre peuvent s’engager désormais dans une quête d’amour éperdue, afin de mêler leurs rires et de se tenir compagnie… Mes mots font partie de ces essaims de voix désespérées à la recherche d’une issue » écrit Aïcha à son ami allemand, qui fut, le temps d’un séjour dans son pays, son amant. Cette inscription nouvelle dans un monde interconnecté, relié, l’auteure en explore aussi les difficultés, les différences et les « écarts » : « (…) Je ne sais pas si je trouverai les mots pour te l’expliquer, mais celle qui est venue jusqu’à toi n’était en aucun cas un individu, c’était une feuille vierge, rédigée à l’encre invisible par Abourrous. Et toi tu étais un éléphant piétinant cette feuille… ». C’est là, une autre dimension de ce roman puissant et troublant.

     

    Traduit de l’arabe (Arabie Saoudite) par Khaled Osman, en collaboration avec Ola Mehanna, Stock 2012, collection La Cosmopolite noire, 764 pages, 24€