Walter Benn Michaels
La Diversité contre l’égalité
Nicolas Sarkozy, dans son discours sur la réforme du lycée, le 13 octobre 2009, rappelait que la création du lycée signifiait « la fin des privilèges de la naissance ». « Désormais, poursuivait-il, ce qui compte en France pour réussir, ce n’est plus d’être “bien né” : pour réussir, il faut travailler dur, et avoir fait la preuve, par ses études, par son travail, de sa valeur ». Voilà ce que Walter Benn Michaels appellerait sans doute une parfaite illustration de la « méritocratie » : on ne devient pas riche par héritage - richesse et patrimoine - mais grâce à son travail et à ses efforts. L’auteur, professeur à l’université de l’Illinois à Chigago, dit exactement le contraire : « ce n’est pas parce que qu’ils ont fréquenté une grande université qu’ils ont réussi [les étudiants des dites universités], mais parce que leur famille est assez riche pour leur offrir le genre d’environnement et de préparation qui permet d’être admis dans une grande université ». Point ! Voilà qui est affirmé sans circonvolutions ni prêchi-prêcha.
Pour Walter Benn Michaels cette « illusion » de la méritocratie est le pendant de la discrimination positive qui, in fine, justifierait et légitimerait les richesses des riches. Ce que dit ici l’auteur, c’est qu’un Yazid Sabeg par exemple, sous couvert de diversité et de discrimination positive, ne cherche pas à remettre en question un ordre social et économique inégalitaire mais à faire advenir un nouvel âge au capitalisme vieillissant, un « capitalisme black-blanc-beur ». Et s’ « il faut aider les élites à changer », comme le proposait Carla Bruni-Sarkosy, ce n’est pas, précise l’auteur, pour « remettre si peu que ce soit en cause leur statut d’élites, mais pour les rendre plus noires, plus multiculturelles, plus féminines – le rêve américain. »
Car ce petit livre est tout entier consacré à fustiger une idée à la mode, d’autant mieux partagée qu’elle est d’une simplicité biblique : l’injonction du respect de la diversité, le respect des différences et sa conséquence sociale et politique, le saupoudrage ad libitum des cultures, des ethnies, des croyances, des genre et des sexes.
Voilà qui, pour rester dans l’esprit de ce livre frondeur, rappelle le « diviser pour régner ». Car pendant que l’on s’échine et se déchire à défendre son bout de gras différentialiste et mémoriel, on en oublie l’essentiel : « l’idée, elle vraiment radicale, d’une redistribution des richesses devient quasi impensable. » C’est là la thèse unique, martelée et servie sur plusieurs mode de ce livre roboratif : la danse du ventre de la diversité ne sert à rien d’autre qu’à empêcher de remettre en question, de « réduire », de « combler », l’inégalité suprême, celle qui depuis toujours divise nos semblables en humanité : l’inégalité entre les riches et les pauvres ! Et s’il fallait un autre argument contre les statistiques ethniques, on le trouvera également dans ce livre : en « ethnicisant » ou « racialisant » les statistiques on se rassure ! On laisse croire que les discriminations seraient les principales causes de la pauvreté au lieu d’accuser les disparités économiques dans l’accès à la santé, aux formations, aux modes de consommation, aux loisirs…
Ce livre n’est pas une adresse aux élites ou à la droite en général – qui préfèreraient la « guerres des cultures » à la lutte de classes – que l’ébauche d’un programme pour une gauche rénovée. « Le problème ce n’est pas le racisme » mais le « néolibéralisme ». « La diversité n’est pas un moyen d’instaurer l’égalité ; c’est une méthode de gestion de l’inégalité ». Et pour être tout à fait clair : « Si nous aimons la diversité, si nous aimons les programmes de discrimination positive, c’est parce qu’ils nous présentent le racisme comme l’unique problème que nous ayons à résoudre. Or le résoudre ne nous demande rien d’autre que de renoncer à nos préjugés. Résoudre le problème de l’inégalité économique demanderait sans doute un peu plus : peut-être de renoncer à notre argent. »
Edition Raisons d’agir, 2009, 157 pages, 7€