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LAROUI Fouad

  • Le Drame linguistique marocain

    Fouad Laroui

    Le Drame linguistique marocain

    fouad-laroui1.pngMarocain et batave d’adoption, Fouad Laroui est ingénieur de formation, docteur en sciences économiques, installé à Amsterdam où après y avoir enseigné l'économétrie puis les sciences de l'environnement, il professe aujourd’hui la littérature. Son premier roman, Les Dents du topographe (Julliard, 1996) lui valut le Prix Découverte Albert Camus, deux ans plus tard il reçoit le prix Méditerranée des Lycées et le prix Beur FM pour De quel amour blessé (Julliard). Auteur prolixe, son sixième roman Une année chez les Français (Julliard 2010) est retenu parmi la première sélection du Prix Goncourt.Il est aussi l’auteur de nombreux recueils de nouvelles et de chroniques dont Des Bédouins dans le polder. Histoires tragi-comiques de l’émigration (Zellige, 2010) ou Le Jour où j’ai déjeuné avec le Diable (Zellige, 2011).

    Dans Le Drame linguistique marocain paru au Maroc chez Le Fennec en 2010, Fouad Laroui livre une longue réflexion, nourrie de données linguistiques, syntaxiques, sociologiques et littéraires pour interroger le statut des langues au Maroc. L’analyse est transposable à nombre de pays de cette vaste sphère dite arabe mais qui recouvre une diversité culturelle et linguistique par trop négligée voir ignorée - à commencer par le voisin algérien. Le « drame linguistique », au cœur des interrogations identitaires, a pour nom la diglossie entre langue savante et langue(s) populaire(s). La première est formée de l’arabe classique, celui du coran et l’arabe moderne, celui des médias, des discours politiques et autres feuilletons télévisés. Quant à la seconde, l’arabe parlé ou darija, elle est le lot commun de tout un chacun : paysan du cru ou citadin, tchitchi des beaux quartiers ou lumpen des bas fonds, papicha romantique ou intellectuelle féministe, voilée ou laïcarde convaincue, recalé du système scolaire ou diplômé du supérieur… L’arabe classique ou moderne, celui des écoles, n’est la langue maternelle de personne. Quant à la langue parlée par les peuples, nulle part elle est enseignée ! Si, comme le dit l’auteur, l’arabe classique est une langue étrangère au Maroc, qu’en est-il alors de son statut de langue « nationale » quand, dans le même mouvement, la langue (ou les langues) parlée par la nation est niée ? Ne serait-ce pas une autre forme de colonialisme ? Car les deux langues sont différentes : la darija marocaine serait, du moins dans sa syntaxe, davantage influencée par le berbère que par l’arabe classique. L’égyptien Chérif Choubachy parle même d’un « abîme » entre langue classique et langue parlée. Pour ce qui est du berbère, les choses sont claires : « je suis berbère. L’arabe est pour moi une langue aussi étrangère que le français » dixit l’écrivain Moha Souag.

    Dans cet embrouillamini linguistique, écrire en langue française n’est pas un choix mais une échappatoire, une façon de sortir du conflit en utilisant la seule langue à disposition : l’arabe classique étant réservée à quelques rares lettrés et la darija étant la grande absente des livres et cahiers d’écolier. Fouad Laroui invoque une fois de plus la notion de « malédiction », appliquée cette fois à l’écrivain quant à sa relation à la langue d’écriture. Comment traduire ses émotions, sa personnalité, sa sensibilité, sa chair, ce qu’il a emmagasiné dans son enfance à travers les mots et ici les mots de sa mère ? Qu’en est-il de l’identité, si la langue qui en constitue le substrat essentiel, n’est pas enseignée, ne permet pas de s’exprimer et de dire son imaginaire ? Pour l’auteur, la naissance de la littérature d’expression française est la conséquence de cette diglossie, une réponse à la schizophrénie.

    Pour sortir de cette situation aux conséquences culturelles, éducatives, individuelles et collectives, alarmantes, il faudrait rendre toute sa place, tout son « prestige », à la darija, non seulement en l’enseignant mais aussi en abandonnant (par souci notamment de classification et de nomenclature) la graphie arabe pour l’écriture latine, à la façon d’un Atatürk. Scandale ? Provocation ? Sacrilège même (car il ne faut pas oublier que la langue arabe est la langue du coran…) ? Pourtant, là aussi, la société semble innover et notamment… les publicitaires qui y vont de leurs slogans en darija écrits en lettres latines. Sont-ils plus au fait des ressorts souterrains des sociétés ? Des dynamiques culturelles à l’œuvre ? Des attentes du citoyen à tout le moins du consommateur ?

    En tout cas, dans La vieille dame du Riad (Julliard 2011) réédité en poche (Pocket 2012), où un couple de Français découvre qu’une vieille femme, sortie du fond des âges, se cache dans le riad qu’ils viennent d’acquérir à Marrakech, Fouad Laroui applique sa recette linguistique. Il fait, avec élégance et humour, flirter la langue française et le dialectal marocain, offrant au lecteur la possibilité d’entrer un peu plus en « connivence » (François Jullien) avec l’univers culturel et linguistique marocain.

    Zellige 2011, 188 pages, 19,50 € 

     

     

    RENDEZ-VOUS :

    Café littéraire avec Gauz et Fouad Laroui

    Samedi 7 Février 2015, 16:30

    Le Café littéraire animé par Elisabeth Lesne invite les écrivains en lice pour le Prix littéraire de la Porte Dorée, qui récompense un roman ou un recueil de nouvelles ayant pour thème l'exil.

    Pour ce troisième café littéraire de la saison, deux écrivains sont invités :

    • Gauz, pour Debout-Payé (Le Nouvel attila)
    • Fouad Laroui, pour Les Tribulations du dernier Sijilmassi (Julliard)

    L’un est né en Côte d’ivoire, l’autre au Maroc. Leur point commun : l’humour, pour nous dévoiler le petit monde des vigiles africains ou la crise existentielle d’un ingénieur marocain.
    Fouad Laroui nous parlera aussi de son Essai sur la littérature de l’exil (Zellige)

     

    Musée de l’histoire de l’immigration - Palais de la Porte Dorée
    293, avenue Daumesnil
    75012 Paris

    En métro : station Porte Dorée (ligne 8)
    En tramway : ligne T3
    En bus : 46

     

  • Une année chez les Français

     

    Fouad Laroui

    Une année chez les Français

     

     

    F-Laroui-HANNAH.jpgDepuis Mouloud Feraoun et Le Fils du pauvre jusqu’à son compatriote Djilali Bencheikh en passant par le marocain Driss Chraïbi ou des auteurs français comme Azouz Begag, Tassadit Imache, Saïd Mohamed et autre Mehdi Charef, l’école a su dresser ses façades, plus ou moins hautes, mais toutes parées de l’imposant triptyque républicain, dans les romans et les témoignages des auteurs maghrébins ou français issus de l’immigration. Les classes et les dortoirs de l’honorable institution, les soldats noirs de la République, la découverte de mondes insoupçonnés, l’altérité en bleu blanc rouge confrontent l’enfant, mal dégrossi de sa montagne berbère, de son bidonville parisien ou lyonnais aux premières expériences de la dissonance culturelle et existentielle. Le gamin, indigène ou « immigré », dans un trouble mano à mano, y fait l’apprentissage de l’autre et bifurque, sans le savoir parfois, sur les sentes escarpées de la relativité, de l’émancipation et de la réinvention identitaire.

     

    Une année chez les Français s’inscrit dans cette tradition littéraire. Il raconte la première année scolaire de Mehdi au lycée français de Casablanca, le lycée Lyautey. Enfant chétif, silencieux, observateur, gourmand de lectures, de mots et de connaissances, Mehdi, natif de Béni-Mellal, débarque en 1969 « chez les nasrani», affublé de deux dindons malséants. Le gamin est bon élève. Ses résultats et l’insistance de M. Bernard directeur de son école (comment ne pas penser à Camus et à Louis Germain, son instituteur ?) lui ont valu une bourse et cette belle échappée dans l’univers du livre et du savoir. Il est tellement bon, tellement au dessus des autres, qu’à l’instar d’un Jean Amrouche, et comme l’aurait dit le fidèle Jules Roy, c’est lui qui pourrait faire la leçon à ses petits camarades, socialement favorisés et culturellement « enracinés »…

    La « sarabande des profs » et des pions, les moult épisodes rapportés (le trousseau, le monument aux morts du lycée, le pyjama rose, les week-end chez les Berger, le mariage du cousin, l’atelier théâtre, Les Godillots de Van Gogh…) permettent à Fouad Laroui de montrer comment le petit Mehdi découvre, s’acclimate, apprivoise (à la manière du renard de Saint-Exupéry), son nouvel et « cryptique » environnement.

    Ces épisodes baguenaudent de chapitre en chapitre, laissant parfois traîner le sentiment de tourner à vide, l’impression de manquer de densité. Ce sont des saynètes plaisantes, légères, suggestives mais qui, mises bout à bout, ne parviennent pas à faire un tableau d’ensemble vigoureux  et tranchant. On retrouve pourtant ce qui fait le sel de cet auteur : une écriture distancée plus proche du rire, du clin d’œil malicieux que de la dramatisation. La langue française emprunte du vocabulaire au dialectal marocain et le récit des aventures scolastico-culturelles de Mehdi est rythmé par quelques paragraphes où le gamin laisse aller son imagination romanesque et par des citations tirées des livres lus : La Comtesse de Ségur, Racine, Corneille ou Verlaine.

    Cette « année chez les Français » offre un jeu subtil sur la question identitaire. Le récit passe tour à tour  de la découverte de l’altérité (« un autre monde s’ouvrait et Mehdi y pénétrait de toute son âme ») à l’intuition que « les gens ne pouvaient savoir qui il était vraiment (…). C’est alors que Mehdi, se découvre « Maure », « imposteur » « double, triple voire quadruple » « petit imposteur », pour finir « paria », « abandonné », « seul »… « L’imposteur » et le « paria » se réfugie alors, le week-end venu, sous un toit providentiel et avunculaire. Mais le gamin du bled, plus francophone qu’arabophone, n’entend pas grand chose à la langue des siens… Mehdi insensiblement devient un petit « roumi » : pas tout à fait français plus tout à fait marocain…

     

    Julliard 2010, 304 Pages, 19€

     

  • Des Bédouins dans le polder. Histoires tragi-comiques de l’émigration

    Fouad Laroui

    Des Bédouins dans le polder. Histoires tragi-comiques de l’émigration

     

    fouad_laroui-nancy_2011.jpgVoici un livre formidable. Oui ! oui ! formidable. Bien sûr Fouad Laroui est connu comme auteur, celui notamment qui a commis Les Dents du topographe, Méfiez-vous des parachutistes et autre Maboul et qui a publié chez Julliard, Une année chez les Français (nous y reviendrons). Ces Bédouins dans le polder est paru en 2010 et nous conte, à travers 1001 histoires, les heurs et malheurs des enfants du Rif transplantés dans le pays de la Tulipe, ou le pays de Béatrix comme se plait aussi à le désigner le malicieux auteur.

    Livre formidable donc et d’abord par le ton et le style : tout y est charmant, espiègle, le rythme sautillant, le bon mot court de page en page, l’humour élégant, moqueur et même railleur. Pour nous entretenir d’immigration, d’identité, de différence culturelle, de religion, d’hospitalité… et de tant d’autres choses sérieuses et parfois graves, Fouad Laroui a trouvé le ton qui convient pour moucher les vaticinateurs de mauvais augures et les gardiens autoproclamés des temples de la pureté et pour en dire plus et mieux sur ces sujets que de doctes et sourcilleux experts, de prétentieux folliculaires et autres ratiocineurs cacophoniques adeptes du chiffre-roi.

    Ce batave d’adoption manie la légèreté à la française comme pas deux, à moins que ce natif d’Oujda soit aussi maître dans l’humour à la sauce marrakchie. Qu’importe, avec cette écriture, Fouad Laroui embarquerait son lecteur pour n’importe quelle virée, littéraire s’entend.

    Mais voilà, ici, Fouad Laroui se penche sur ses frères en exil : ces « bédouins » marocains qui, tant bien que mal, font leur trou en terre batave. Et ces dizaines d’ « histoires tragi-comiques de l’émigration » sont chacune relatées à la façon d’une fable, qui, à l’instar des histoires de La Fontaine, se referment sur un enseignement, moral ou pratique, toujours empreint de bon sens.

    Fouad Laroui rapporte des scènes tirées du quotidien : l’irruption tapageuse de jeunes dans un compartiment de train ; la difficile et souvent tartuffarde expérience du jeûne au mois de ramadan ; quelques moments choisis de deux ou trois procès ; un étonnant conseil municipal ; quelques expériences footballistiques ; une demande de subvention pour l’ouverture d’un hammam culturel ; des test ADN à la sauce hollandaise, l’arrestation à potron-minet d’un (heureux) sans papiers ; la recherche d’emploi d’un « jéroboam ambulant », entendre une femme voilée de pied en cap ; un étudiant qui sur les banc de l’université entend réintroduire la part des anges dans l’écriture de l’Histoire ; ou encore l’ouverture d’une auto-école pour femmes musulmanes au grand dam de la gent masculine et machiste,  pedzouille du volant et oublieux de  « l’épouse du Prophète ; Khadija, [qui] dirigeait elle-même sa caravane à travers le désert d’Arabie. Et qui peut mener cent chameaux peut bien conduire une quatre-chevaux, non ? »

    Autant d’historiettes, vécues, entendues ou lues, pour évoquer le dialogue entre générations, les chocs, plus ou moins « doux », des cultures, l’ignorance qui gagne sur le souci de se mieux comprendre, la bêtise des uns et la méchanceté des autres (et vice versa), la psychologie des peuples où comment la trop grande modestie des Hollandais a du mal à séduire les fiers enfants de l’Atlas, la liberté de l’individu et la sujétion au groupe, une jeunesse dynamique, en quête de réussite et de reconnaissance, parfois délinquante mais toujours arbitre des élégances. Il est aussi question de l’arabisation à la mode égyptienne, de l’islamisation version wahhabite, de la radicalisation des jeunes d’origine marocaine et du trop-plein de religion dans la vie publique hollandaise où comment les musulmans servent aussi de cheval de Troie aux zélés adeptes de la croix.

    L’écrivain, par ailleurs économiste, ici chroniqueur du quotidien, marocain d’origine, hollandais d’adoption, ravive l’ego du coq gaulois et requinque son cocorico : partisan lucide de la laïcité, Fouad Laroui se montre contempteur du « multiculturalisme » aux côtés de Lilianne Ploumen, « la patronne du parti socialiste PVDA », et peut-être, aujourd’hui d’Angela Merkel.

    « Formidable », oui ! c’est-à-dire selon l’étymologie du mot « qui inspire de la crainte » car ces badinages littéraires pourraient aussi agacer et peut-être inquiéter bien des empêcheurs de vivre ensemble.

     

    Edition Zellige, 2010, 144 pages, 17,50 €