Fouad Laroui
Une année chez les Français
Depuis Mouloud Feraoun et Le Fils du pauvre jusqu’à son compatriote Djilali Bencheikh en passant par le marocain Driss Chraïbi ou des auteurs français comme Azouz Begag, Tassadit Imache, Saïd Mohamed et autre Mehdi Charef, l’école a su dresser ses façades, plus ou moins hautes, mais toutes parées de l’imposant triptyque républicain, dans les romans et les témoignages des auteurs maghrébins ou français issus de l’immigration. Les classes et les dortoirs de l’honorable institution, les soldats noirs de la République, la découverte de mondes insoupçonnés, l’altérité en bleu blanc rouge confrontent l’enfant, mal dégrossi de sa montagne berbère, de son bidonville parisien ou lyonnais aux premières expériences de la dissonance culturelle et existentielle. Le gamin, indigène ou « immigré », dans un trouble mano à mano, y fait l’apprentissage de l’autre et bifurque, sans le savoir parfois, sur les sentes escarpées de la relativité, de l’émancipation et de la réinvention identitaire.
Une année chez les Français s’inscrit dans cette tradition littéraire. Il raconte la première année scolaire de Mehdi au lycée français de Casablanca, le lycée Lyautey. Enfant chétif, silencieux, observateur, gourmand de lectures, de mots et de connaissances, Mehdi, natif de Béni-Mellal, débarque en 1969 « chez les nasrani», affublé de deux dindons malséants. Le gamin est bon élève. Ses résultats et l’insistance de M. Bernard directeur de son école (comment ne pas penser à Camus et à Louis Germain, son instituteur ?) lui ont valu une bourse et cette belle échappée dans l’univers du livre et du savoir. Il est tellement bon, tellement au dessus des autres, qu’à l’instar d’un Jean Amrouche, et comme l’aurait dit le fidèle Jules Roy, c’est lui qui pourrait faire la leçon à ses petits camarades, socialement favorisés et culturellement « enracinés »…
La « sarabande des profs » et des pions, les moult épisodes rapportés (le trousseau, le monument aux morts du lycée, le pyjama rose, les week-end chez les Berger, le mariage du cousin, l’atelier théâtre, Les Godillots de Van Gogh…) permettent à Fouad Laroui de montrer comment le petit Mehdi découvre, s’acclimate, apprivoise (à la manière du renard de Saint-Exupéry), son nouvel et « cryptique » environnement.
Ces épisodes baguenaudent de chapitre en chapitre, laissant parfois traîner le sentiment de tourner à vide, l’impression de manquer de densité. Ce sont des saynètes plaisantes, légères, suggestives mais qui, mises bout à bout, ne parviennent pas à faire un tableau d’ensemble vigoureux et tranchant. On retrouve pourtant ce qui fait le sel de cet auteur : une écriture distancée plus proche du rire, du clin d’œil malicieux que de la dramatisation. La langue française emprunte du vocabulaire au dialectal marocain et le récit des aventures scolastico-culturelles de Mehdi est rythmé par quelques paragraphes où le gamin laisse aller son imagination romanesque et par des citations tirées des livres lus : La Comtesse de Ségur, Racine, Corneille ou Verlaine.
Cette « année chez les Français » offre un jeu subtil sur la question identitaire. Le récit passe tour à tour de la découverte de l’altérité (« un autre monde s’ouvrait et Mehdi y pénétrait de toute son âme ») à l’intuition que « les gens ne pouvaient savoir qui il était vraiment (…). C’est alors que Mehdi, se découvre « Maure », « imposteur » « double, triple voire quadruple » « petit imposteur », pour finir « paria », « abandonné », « seul »… « L’imposteur » et le « paria » se réfugie alors, le week-end venu, sous un toit providentiel et avunculaire. Mais le gamin du bled, plus francophone qu’arabophone, n’entend pas grand chose à la langue des siens… Mehdi insensiblement devient un petit « roumi » : pas tout à fait français plus tout à fait marocain…
Julliard 2010, 304 Pages, 19€