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Tu deviendras un Français accompli. Oracle

Saber Mansouri

Tu deviendras un Français accompli. Oracle

 

saber-mansouri.jpgSaber Mansouri, est un historien versé dans les études hellénistiques qui, à la sortie de cet « oracle », a déjà publié deux livres consacrés à Athènes (la Démocratie athénienne, une affaire d’oisifs ?, André Versaille, 2010 et Athènes vue pas ses métèques, Tallandier, 2011)  et, comme arabisant, un essai sur L’Islam confisqué. Manifeste pour un sujet libéré (Actes-Sud, 2010). Cela pour dire que ce disciple de Claude Mossé et de Pierre Vidal-Naquet, enseignant à l’Ecole pratique des hautes études n’est pas un dilettante. Ce quadra, appelé sans aucun doute à un brillant avenir au sein de l’intelligentsia universitaire et hexagonale est né en Tunisie. Il y a fait ses classes avant d’atterrir, en 1995, en France « le seul endroit au monde où l’abstrait prend définitivement sa revanche sur le concret » pour parfaire sa formation. Il a du « quitter les siens », les « trahir » dit-il pour tenir la promesse qu’il s’était faite.

Dans cet « oracle » par lui écrit, il se met en scène, lui le migrant, débarqué comme étudiant, un étudiant contraint aux veilles nocturnes dans des hôtels assoupis pour payer études, gîte et couvert. Ce thésard méritant évolue dans le maquis administratif et la bienveillance d’un autre âge de quelques doctes mandarins. L’oracle s’adresse à lui, le migrant « choisi », élu par la grâce du grand manitou qui croit pouvoir vous claquer la porte au nez ou, miséricordieux, vous introduire dans le vestibule de sa grande et belle demeure du Nord industrialisé et développé, démocratique et civilisé et tout le toutim. L’oracle, descendu d’on ne sait quel sommet,  prononcé par on ne sait quelle bouche, éclairé par on ne sait quelle expérience, quelle sagesse, délivre l’alpha et l’oméga pour devenir « un Français accompli », la nouvelle recrue d’une « intégration raffinée » entendre « républicain », « dreyfusard dépolitisé », « laïc » maudissant « Mai 68 », apologiste de la IIIe République mais impérativement muet sur la IVe, préférant Mauriac le « catholique, engagé et bon écrivain » au Sartre « qui a commencé la résistance à la Libération » (dixit Vidal-Naquet) et féministe - mais « entre le féminisme classique et le féminisme postmoderne et genré ». « Consensuel », il rejettera la loi sur « l’œuvre positive de la France outre mer » mais évitera de « culpabiliser » le pays. Lire Césaire ? Oui, Fanon ? Non ! Bien sûr pas de mariage blanc, etc., etc.

Sur plus d’une centaine de pages, Saber Mansouri s’en donne à cœur joie. Il y va de ses conseils, de ses constatations, de ses descriptions, tendres ou satiriques. Il manie, de bout en bout, l’humour et le détachement pour in fine évoquer des sujets sérieux : la présence de l’Autre dans le pré carré national, l’intégration, l’identité, les sempiternelles représentations, les heurs et malheurs, la grandeur et la petitesse de la société française, les temps présents et ceux plus lointains, une terrasse de café, un musée, une résidence universitaire, les mille et un prix des mille et une dépenses quotidiennes. C’est de la haute voltige, un jet continue et puissant qui épuise toute recension tant les sujets sont nombreux, les domaines vastes et la plume prolixe et vive.

Tout y passe, la télé, les one man show des comiques Noirs, la demande de naturalisation, l’UMP, le PS, le FN devenu « fréquentable », Sos racisme, Les Indigènes de la République et le Cran, la littérature (Céline,  Michaux, Hugo, Flaubert, Valéry, Gracq, Bossuet, Lautréamont, Mallarmé, Baudelaire et, dans un autre registre, Katherine Pancol ou Christine Angot). Il y a aussi Barrès, Lavisse ou la noble figure de l’historien Henri-Irénée Marrou. La France c’est aussi les « évidences » de ses éditorialistes, les soldes, l’islam réduit à une religion, amputé de sa part civilisationnelle, ses musulmans qui vont « à la mosquée mais pas au Palais-Bourbon », le voile (sur près de six pages !), le RMI et le RSA, les « bobos » qui aiment tellement les étrangers qu’ils ont « fini par occuper entièrement leurs quartiers ». Le pinard et la littérature qui font leur rentrée presque main dans la main, d’un côté le Beaujolais nouveau et de l’autre le Goncourt… Mansouri débite et débine à vitesse grand V.

Nouveauté : le ci-devant thésard devenu professeur du sérail lève le voile sur l’Université française, ses limites ou ses paresses. Pour paraphraser Marc Lièvremont après une certaine victoire du XV tricolore sur le XV de la Rose, « quel pied ! » de voir ainsi asticoter quelques sommités, plus habituées à donner des leçons qu’à en recevoir. Saber Mansouri se joue de ces professeurs qui ne cessent d’assigner leurs étudiants étrangers à résidence culturelle et nationale. Ainsi, un doctorant malien devra plancher sur « les techniques agricoles ou le développement durable » mais pas question de se pencher sur « la protection de la côte corse ou bretonne ». C’est niet ! Doctement niet ! Et Mansouri d’offrir quelques sujets de thèses ubuesques en guise d’illustration. Petit florilège non exhaustif : « « Maria Callas et Oum Kalthoum : une comparaison vocale », « L’influence du Nouveau roman sur la littérature saoudienne », « la fin de la IVe République en France et le départ de Ben Ali : éléments de comparaison » ou « La guerre d’Algérie dans l’édition française : 1940-2001 ».

Après avoir rappeler deux ou trois citations d’une académicienne, d’un philosophe omniprésent et omniscient, d’un président en exercice, il assène : « l’élite française s’écoute parler avec une satisfaction désarmante. Le racisme ordinaire, celui des sots, ne doit pas vous peiner : méfiez-vous toujours du racisme pudique, intelligent et paternaliste. » Après avoir dessillé les yeux de son lecteur, on peut interroger : quel regard porter sur le rôle assigné par la France à « ses » étudiants venues d’ailleurs ou à « ses » Français aux origines toujours convoquées, sur qui  « on compte » « pour redonner du galon à la politique africaine de la France » ? Ne sont-ils pas (aussi) confinés dans un rôle d’intermédiaire, de passerelle, de traducteur, de pion instrumentalisé, rentable, etc. ?  D’ailleurs, « avec les Arabes et les musulmans on parle volontiers de pétrole, de banlieues, de burqa… » explique l’auteur sur un  bon paragraphe, mais on ne parle pas de « l’aristotélisme, du platonisme, de la démocratie, (...) de gastronomie, de Glenn Gould (...) de la paix… »  égrène, sur deux pages cette fois, le même. Toujours ces maudites représentations d’un autre âge, un soupçon de colonialisme, un nuage de condescendance et peut-être pas mal de désintérêt. Aussi, quand la rue arabe manifeste et meurt pour les mêmes aspirations, les mêmes valeurs, on s’étonne, on snobe, on ragote : la démocratie Athénienne à Paris, Londres ou Madrid oui mais à Tunis, Le Caire ou Alger, vous rigolez !

Conseils aux immigrés « choisis » ? Certes ! Mais cet oracle renferme aussi quelques recommandations bien utiles à tous pour mieux « vivre ensemble ». Urbi et orbi.

 

Edition Tallandier 2011, 121 pages, 9,90€

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