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Le tao du migrant - Le blog de Mustapha Harzoune - Page 6

  • La citation du jour

    « Je ne suis pas un reptile ni une bête de somme, mais un homme, un être humain, comme les sept milliards d’autres qui peuplent la terre ! Et je dois la mériter, mon humanité ! Mériter mon authenticité d’être humain ! »

    Ousmane Diarra, La route des clameurs, Gallimard, Continents noirs, 2014

  • La citation du jour

    « Même les babouins aux fesses enflammées par je ne sais quoi ricanaient à notre passage, comme si eux qui ne portaient ni chemise ni pantalon, ils étaient plus évolués, plus civilisés que nous les hommes. « Bien fait pour vos vilaines gueules d’humanoïdes attardés ! » semblaient-ils dire en nous regardant nous faufiler entre les arbres.

    Mais à chaque fois que je me fâchais et brandissais mon sabre étincelant et mon kalach pour bousiller tous ces misérables, il me disait, mon papa, de rengainer mes armes tout de suite, et me répétait que c’est dans les sociétés arriérées que la moquerie et les méchancetés sont les plus développées, de mêmes que la peur et les superstitions. Et il me citait l’exemple vivant de Maabala où, disait-il, ce grand bandit de Mabu Maba (il ne disait jamais le grand Calife ni la longue liste d’épithètes qui suivait), où donc ce grand bandit de Mabu Maba avait réussi à prendre le pouvoir pour terroriser la population avec des fables tirées du VIIe siècle d’outre-désert !

    C’est vrai que mon papa était d’accord avec peu de gens, surtout depuis l’invasion du pays par le Calife Mabu Maba dit Fieffé Ranson Kattar Ibn Ahmad Almorbidonne et sa horde de barbares Morbidonnes ramassés dans les caniveaux, aux quatre coins du monde ! Et c’était pourquoi beaucoup de gens voulaient sa peau. »

     

    Ousmane Diarra, La route des clameurs, Gallimard, Continents noirs, 2014

  • Kabylie Twist

    Lilian Bathelot

    Kabylie Twist

    220px-Lilian_Bathelot_-_Comédie_du_Livre_2010_-_P1390028.jpgCe n’est pas sans craintes que l’on aborde un roman avec un titre aussi kitsch. Kabylie Twist… Trop souvent, le clinquant n’augure rien de bon. Et pourtant dès les premières pages, l’appréhension tombe. On découvre une histoire ficelée où se croise une dizaine de personnages et, même si cela patine en cours de route, les ressorts du récit, les émotions transmises, la densité des caractères et des situations très diverses emportent l’adhésion. Kabylie Twist c’est la guerre d‘Algérie avec pour toile de fond les années 60-62 en métropole, le twist, les vinyles et autres yéyés. La nuit et le jour, l’enfer et le paradis séparés par une mer, un gouffre pour une génération d’appelés. C’est en « métropole » que s’ouvre le roman : un temps et une société parfaitement rendus par les ambiances (Saint-Tropez, la Madrague, B.B.), les dialogues, le vocabulaire... Sylvie, la jeune femme aux allures de Sagan roule en Aston Martin rouge, les cheveux au vent. Richard, alias Ricky Drums, batteur du groupe les Fury’s, espère enregistrer son premier 45 tours chez Philips. Les deux tourtereaux s’aiment. Mais voilà, feuille de route en poche, Richard doit du jour au lendemain laisser tomber ses illusions et son amour : direction l’Algérie et pas pour y maintenir un peu d’ordre, pas pour de simples « événements » mais pour tomber dans une guerre des plus atroces ; et pas pour quelques semaines, pour vingt-huit mois. Toute une vie pour une génération ! L’essentiel du roman se passe ici, en Algérie, entre les opérations dans le bled et la petite communauté pied noire de Djidjelli (l’actuelle Jijel).

    Kabylie Twist  est un roman choral avec en ligne de front : Richard l’appelé, Sylvie impétueuse et libre, Najib, harki par amour, le jeune et sagace inspecteur Lopez et Mr. Germain l’instituteur communiste (ah ! Camus…). Amour, rencontre, amitié, tragédie, trahison, don de soi et… la beauté du pays : tous les ingrédients sont ici réunis.

    Chacun parle et les routes de tous se croiseront autour de plusieurs intrigues : une détonante enquête sur des attaques et des atrocités commises dans des fermes de colons isolées, l’engagement des harkis et leur abandon - le déshonneur de l’armée française - le mystère des origines de Najib, enfant trouvé sur les marches de l’hôpital et  adopté par toute la ville, l’amour impossible entre Najib et Claveline, une « impasse » dans cette Algérie coloniale, la dénonciation de la torture, les transformations de Richard après deux ans de guerre à crapahuter dans le djebel avec les hommes de sa harka chargée de « nettoyer » puis de dynamiter les villages et hameaux susceptibles de soutenir les « fellouzes ». Ces Algériens sont les grands absents de ce récit et quand ils apparaissent c’est au titre de terroristes ou de chefs de l’ALN froids et sans pitié. L’ambivalence, le jeu des paradoxes, les ambiguïtés de l’âme et les doutes des consciences qui caractérisent l’esprit de ce roman et des personnages, n’est plus de mise. Mais il est vrai que l’histoire est ici portée par des Français de métropole, des pieds-noirs et un gamin du cru à l’obscure généalogie.

    En annexe, Lilian Bathelot fournit quelques repères sur l’histoire du pays - avec ici ou là quelques imprécisions (faire des Berbères des « immigrés » comme les Arabes, les Turcs et autres Français ou écrire que « c’est la conquête française qui [a] fabriqué ce pays » est pour le moins troublant). Il y évoque notamment les quelques 200 000 Pieds noirs restés en Algérie à l’indépendance. Comme Monsieur Germain. Une dernière partie de pétanque avec celui qui s’apprête à partir. Une dernière anisette. Une nouvelle histoire commence.

    Gulf Stream 2012, 355 pages, 14,50€

     

  • La citation du jour

    « Tarik a vingt-cinq ans, cela fait cinquante ans que Tarik a vingt-cinq ans, peut-être des siècles et des silences. Tarik a vingt-cinq ans, il a connu la dislocation des corps. La combustion des chairs. La fracture des os. Mais à la mort Tarik a toujours opposé le rire. Car c’est bien la seule protection, le seul chemin contre et vers l’inévitable désastre. Tarik a raison, rien n’est plus drôle que ce monde bien délimité, bien découpé, bien organisé et pourtant sans dessus dessous.»

    Yannick Torlini, Nous avons marché, Al Dante 2014

  • La citation du jour

    « Il s’était amusé à reconstituer un planisphère avec Tahiti pour centre. Un environnement qui n’avait rien à voir avec celui des documents officiels où la métropole occupait cette place-là. Tout autour, pas de pays en dur mais un monde d’eau parsemé d’îles. Aux horizons des océans, les continents ou terres les plus proches étaient représentés par le Chili, à huit mille kilomètres, ou la côte californienne, au nord-est, à six mille quatre cents kilomètres. De quoi façonner un imaginaire différent de celui des farani*. »

    Jean-Luc Marty, La mer à courir, Julliard 2014

     

    * Nom donné à Tahiti aux Français de la métropole

  • L’Etranger

    Albert Camus, José Muñoz

    L’Etranger

     

    EtrangerPla.gifSi 2013 annonçait le centenaire de la naissance d’Albert Camus, 2012 marquait le cinquantenaire de sa disparition et le soixante-dixième anniversaire de la parution du roman l’Etranger. Les éditions Gallimard et Futuropolis se sont associées à cette occasion pour en offrir une édition originale, un beau livre selon la formule consacrée,  qui présente deux originalités : le grand format d’abord et un nouveau découpage du célèbre roman et surtout les dessins de l’Argentin José Muñoz qui accompagnent le texte de l’enfant de Belcourt.

    Les dessins sont en noir et blanc, jouant des contrastes, des vides et des pleins, du délié et de l’épais, de l’ombre et de la lumière où le blanc, dominant, traduit cette « saturation solaire » selon la formule de Michel Onfray. Les portraits sont taillés à la serpe et les paysages, ceux de la campagne, de la plage ou de la ville, se déploient plus amples et délicats. Chez Muñoz, Meursault a les traits de Camus.

    Avec un coup de crayon économe, minimaliste, José Muñoz parvient à une formidable expressivité. Il faut admirer ses compositions d’un Meursault préparant son frichti ou se baignant avec Marie, l’ombre d’un arbre et le vent que l’on imagine caresser un feuillage à proximité d’un marabout gorgé de soleil.

    On a souvent reproché à Camus l’absence de l’ « Arabe » dans ses romans. De l’autre côté de la Méditerranée notamment, le blâme persiste. Ici l’Arabe, l’indigène, l’Algérien est omniprésent : on le croise, dans les rues, sur le pas des portes, à travers la vitre d’un autocar et bien sûr cette plage où retentiront ces « quatre coups brefs » frappés « sur la porte du malheur ». Et oui, si l’Algérie de papa pouvait s’adonner avec plus ou moins de subtilité à l’art de la ségrégation voir de l’apartheid, au point de pouvoir faire disparaître l’Arabe des romans, il était impossible de le gommer des champs de vision. Comme Alexis Jenni fait dire à un de ses personnages : « Camus, qui s’y connaissait, donne l’image parfaite de l’Arabe : il est toujours là dans le décor, sans rien dire.  Quoi que l’on fasse on tombe dessus, il est là et finira pas gêner ; il obsède comme une nuée de phosphènes dont on ne se débarrasse pas, il trouble la vision ; on finit par tirer. On est finalement condamner parce qu’on ne se repent pas, on chassait les phosphènes d’un geste de la main, mais l’opprobre général est un soulagement. On a fait ce que chacun désirait, et il faut payer maintenant, mais cela a été fait. La violence de la situation est telle qu’il faut des sacrifices humains réguliers pour apaiser la tension qui sinon nous détruirait tous. » (L’Art français de la guerre, Gallimard, 2011).

    José Muñoz a choisi de donner une illustration sobre, jamais envahissante. La performance tient au fait que, se coulant, presque respectueusement, dans l’œuvre de Camus, elle est, dans le même mouvement, (re)création.

     

    Gallimard et Futoropolis 2012, 144 pages, 22€

     

  • La citation du jour

    « Ossiri lui révéla combien il était riche du simple fait d’avoir voyagé. « Kassoum, jusque parce que tu es là, tu es un homme meilleur. Meilleur que les gens du Colosse parce qu’ils ne connaîtront jamais Paris. Meilleur que les gens de Paris parce qu’ils ne connaîtront jamais le Colosse ».

     

    Gauz, Debout-payé, Le Nouvel Attila, 2014

  • La citation du jour

    « Mais chez la plupart des humains, le ghetto, riche ou pauvre, rétrécit l’horizon, il fabrique des barreaux dans la tête. Tout se passait comme si en prenant l’habitude de sortir de la MECI, ils avaient peur de s’habituer à de trop bonnes choses normales, des choses simples comme un hall d’immeuble propre, des toilettes nettoyées, une chasse d’au qui marches, des escaliers réguliers, des murs immaculés, des souris et des cafards absents, des poubelles vidées… « Le pire dans la misère, c’est de s’accoutumer au manque. »* Kassoum connaissait bien ce syndrome du ghetto. Il l’avait largement expérimenté au Colosse. Il n’allait pas recommencer à Paris. Il voyait Ossiri sortir tous les matins pour ne rentrer que tard le soir. Il décida de le suivre. »

    • Michel Alex Kipré, Sang pansé, L’Harmattant-FratMat.

     

    Gauz, Debout-payé, Le Nouvel Attila, 2014

  • La citation du jour

    « DIALOGUE

    -       Avec votre costume noir, vous ressemblez à Samuel L. Jackson dans  Jackie Brown. (Un homme s’adressant au vigile dans un grand sourire satisfait de lui.)

    -       Vous voulez plutôt parler de Pulp fiction. (Le vigile.)

    -       Hein ?

    -       Pulp fiction

    -       Non, Jackie Brown, le film où il y a la jolie nana black là.

    -       Samuel L. Jackson ne portait pas de costume noir dans ce film-là, monsieur. Il avait une veste ringarde vert fluo et portait toujours une casquette Kangol à l’envers. Mais par contre dans  Pulp fiction…

    -       Ah bon ? Vous connaissez le cinéma, vous ?

    L’homme, dubitatif, continue son chemin dans une allée. »

     

    Gauz, Debout-payé, Le Nouvel Attila, 2014

  • Guerre. Et si ça nous arrivait ?

    Janne Teller

    Guerre. Et si ça nous arrivait ?

    Foto-Janne-Teller.jpgAttention : âmes sensibles s’abstenir ! Les plus émotifs et imaginatifs parmi les jeunes lecteurs risquent de se faire des frayeurs en lisant le livre concocté par Janne Teller, danoise d’origine austro-allemande par sa famille. Chez les aînés – car ce livre peut, et doit être lu, par tous – il aidera les uns à réfléchir et les autres à vivre une expérience par procuration. Quand aux blasés, qu’ils continuent à ruminer dans leur coin !

    De quoi s’agit-il ? Rien moins que d’imaginer devenir un réfugié, un exilé en mal de sécurité, en quête de mieux vivre et de chaleur humaine. Prenez une famille française, oui ! oui ! française. Persécutée dans son propre pays après la prise du pouvoir par quelques factions autoritaires et va-t’en-guerre. Par les temps qui courent la fiction, pour être improbable, n’est pas totalement farfelu… Nos héros, franchouillards de toujours et certains à jamais de leur liberté tricolore, se retrouvent pourtant le bec dans l’eau : obligés de se dépatouiller entre persécutions, mal vie et projets de fuite. Et là, il faut monnayer et subir le diktat des passeurs !

    Janne Teller est impitoyable : non contente de mettre nos gamins sur le gril de la méchanceté humaine, voilà qu’elle oblige ces pauvres Français, parents et enfants, à devoir s’esbigner de l’autre côté de la Méditerranée. Aller trouver refuge chez les Arabes ! Un comble ! Vous imaginez ?! Les héritiers de Voltaire et d’Hugo, donneurs de leçons urbi et orbi aller quémander aux rejetons de Moubarek et autre El-Banna. Et pourquoi pas l’Algérie encore ! Ce monde serait cul par dessus tête. Sans compter qu’il faudra croupir quelques deux ans dans un camp de réfugiés en Egypte et manifester par la suite de claires intentions d’intégration. Brrr ! cela fait froid dans le dos, non ?

    Ce livre est judicieusement proposé sous la forme d’un passeport, sésame hier de tous les voyages et de toutes les aventures humaines. Janne Teller y renverse les perspectives  et raconte l’exil vécu par un gamin de Copenhague (première édition danoise en 2004), de Berlin (40 000 exemplaires vendus en Allemagne) ou de Paris. Comprendre en étant capable de se mettre à la place de l’Autre, voilà le pari pédagogique de cette démarche qui invite à l’imagination et à l’empathie et qui s’ouvre par cette question-suggestion : « Et si, aujourd’hui, il y avait  la guerre en France… où irais-tu ? ». Tout ici est fiction, ou presque, car à l’heure de la crise, il faut bien constater que dans nombre de pays européens, les flux migratoires bougent : les Espagnols, les Italiens, les Portugais et même les Français sont de plus en plus nombreux à aller chercher ailleurs le droit de vivre dignement, au point de voir certains pays comme le Brésil froncer les sourcils.

    Le talent de l’auteure, en distillant ici ou là quelques doses d’inquiétudes, est d’aider à réfléchir à l’état du monde, devenu un « village-planétaire », une « société-monde », où tout et tous sont interconnectés.

     

    Illustrations de Jean-François Martin, traduit du danois par Laurence W.O.Larsen. Edition Les Grandes personnes, 2012, 64 pages, 7,90€. A partir de 12 ans