Janne Teller
Guerre. Et si ça nous arrivait ?
Attention : âmes sensibles s’abstenir ! Les plus émotifs et imaginatifs parmi les jeunes lecteurs risquent de se faire des frayeurs en lisant le livre concocté par Janne Teller, danoise d’origine austro-allemande par sa famille. Chez les aînés – car ce livre peut, et doit être lu, par tous – il aidera les uns à réfléchir et les autres à vivre une expérience par procuration. Quand aux blasés, qu’ils continuent à ruminer dans leur coin !
De quoi s’agit-il ? Rien moins que d’imaginer devenir un réfugié, un exilé en mal de sécurité, en quête de mieux vivre et de chaleur humaine. Prenez une famille française, oui ! oui ! française. Persécutée dans son propre pays après la prise du pouvoir par quelques factions autoritaires et va-t’en-guerre. Par les temps qui courent la fiction, pour être improbable, n’est pas totalement farfelu… Nos héros, franchouillards de toujours et certains à jamais de leur liberté tricolore, se retrouvent pourtant le bec dans l’eau : obligés de se dépatouiller entre persécutions, mal vie et projets de fuite. Et là, il faut monnayer et subir le diktat des passeurs !
Janne Teller est impitoyable : non contente de mettre nos gamins sur le gril de la méchanceté humaine, voilà qu’elle oblige ces pauvres Français, parents et enfants, à devoir s’esbigner de l’autre côté de la Méditerranée. Aller trouver refuge chez les Arabes ! Un comble ! Vous imaginez ?! Les héritiers de Voltaire et d’Hugo, donneurs de leçons urbi et orbi aller quémander aux rejetons de Moubarek et autre El-Banna. Et pourquoi pas l’Algérie encore ! Ce monde serait cul par dessus tête. Sans compter qu’il faudra croupir quelques deux ans dans un camp de réfugiés en Egypte et manifester par la suite de claires intentions d’intégration. Brrr ! cela fait froid dans le dos, non ?
Ce livre est judicieusement proposé sous la forme d’un passeport, sésame hier de tous les voyages et de toutes les aventures humaines. Janne Teller y renverse les perspectives et raconte l’exil vécu par un gamin de Copenhague (première édition danoise en 2004), de Berlin (40 000 exemplaires vendus en Allemagne) ou de Paris. Comprendre en étant capable de se mettre à la place de l’Autre, voilà le pari pédagogique de cette démarche qui invite à l’imagination et à l’empathie et qui s’ouvre par cette question-suggestion : « Et si, aujourd’hui, il y avait la guerre en France… où irais-tu ? ». Tout ici est fiction, ou presque, car à l’heure de la crise, il faut bien constater que dans nombre de pays européens, les flux migratoires bougent : les Espagnols, les Italiens, les Portugais et même les Français sont de plus en plus nombreux à aller chercher ailleurs le droit de vivre dignement, au point de voir certains pays comme le Brésil froncer les sourcils.
Le talent de l’auteure, en distillant ici ou là quelques doses d’inquiétudes, est d’aider à réfléchir à l’état du monde, devenu un « village-planétaire », une « société-monde », où tout et tous sont interconnectés.
Illustrations de Jean-François Martin, traduit du danois par Laurence W.O.Larsen. Edition Les Grandes personnes, 2012, 64 pages, 7,90€. A partir de 12 ans