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Le tao du migrant - Le blog de Mustapha Harzoune - Page 10

  • La citation du jour

    « J’ai passé une partie de mon enfance à vouloir être blanche comme les autres enfants et à me sentir aussi voyante en Écosse qu’un nez rouge au milieu de la figure d’un clown ; et voilà qu’ici, au Nigeria, je voudrais être noire et je me sens aussi voyante qu’un nez rouge au milieu de la figure d’un clown. C’est la première fois de ma vie que je comprends vraiment ce que ça signifie d’être métis. Ce n’est pas un terme qu’il m’arrive d’employer, et je me suis toujours sentie plus noire que blanche, mais voilà subitement qu’ici, au Nigeria, les gens me suivent dans le marché d’Ukpor et me touche en répétant Oyibo et Onye ocha* ! J’ai envie d’être acceptée, je m’en rends compte. J’ai envie que les autres Nigérians voient à mon visage que mon géniteur était igbo. Rien de tel à Lagos, qui est une grande ville. J’avais l’impression de me fondre dans la masse, là-bas. Les femmes des étals d’Ukpor sont ravies de ma présence, grosse femme d’âge mûr que je suis, simplement parce que j’ai la peau claire. Ça commence vraiment à me déplaire. J’ai envie d’aller m’asseoir des heures en plein soleil jusqu’à ce que ma connerie de peau brunisse enfin. »

    Jackie Kay, Poussière rouge, Métaillié, 2013

     

    * "individu blanc"

  • La citation du jour

    « Au fil des ans, j’ai vu aussi comment les femmes et les hommes de ces pays, à force de manque de libertés, de répression, de prohibition de l’amour, ont fini par renoncer au bonheur pour faire de la catastrophe une religion et de la religion une catastrophe. L’islam de la transe que j’ai connu enfant est devenu  aujourd’hui un simple propédeutique de la mort.

    Mais ce constat amer n’est pas une abdication. Au contraire, aujourd’hui, et plus que jamais, je me dis qu’écrire c’est pouvoir chatouiller à mort Dieu et les Livres pour rire enfin de la tristesse de ses terres et de ses hommes. »

    Mohamed Kacimi, L’Orient après l’amour, Actes Sud, 2008

  • La citation du jour

    « Quand elle était revenue avec les enfants, la maison était vide. Le soir, Ali n’était toujours pas rentré. Elle avait fini par les coucher. Quelle heure pouvait-il être ? À trois heures, elle avait regardé le réveil. Puis elle avait dû s’assoupir.

    Maintenant il était là, debout au milieu du grenier, chancelant. Il devait être ivre. Il disait qu’il savait que ses enfants ne parleraient jamais sa langue, il pourrait bien encore trimer comme une bête à l’usine, comme il avait trimé dans les mines avec son père, son père mort depuis longtemps, usé avant l’âge par l’exil et la misère…

    Puis il avait marché vers le lit des enfants. Thierry réveillé depuis qu’Ali avait poussé la porte, avait retenu sa respiration. Il avait soulevé Lil endormie. Il l’avait serrée contre lui.  « laisse-la donc dormir », avait dit la mère. Il n’y avait rien eu à faire, il s’était installé sur la chaise et était resté ainsi toute la nuit, la petite dans les bras.

    Au matin, Huguette s’était levée et avait ouvert la lucarne. Malgré le brouillard qui montait des eaux, on pouvait voir le pont de Bezons. Elle lui avait pris Lil des bras et l’avait recouchée. « Oui », avait-il encore dit, et la ligne injectée de ses yeux s’était posée sur le ventre d’Huguette puis s’en était détournée « oui – j’en suis sûr – plus tard, tes enfants ne traverseront même pas la mer. »

    Épuisé, il s’était laissé tomber sur le lit tout habillé. »

     

    Tassadit Imache, Une fille sans histoire, Calmann-Levy 1989

  • La Géopolitique et le géographe. Entretiens avec Pascal Lorot

    Yves Lacoste

    La Géopolitique et le géographe. Entretiens avec Pascal Lorot

     

    la_geographie_des_conflits_yves_lacoste.jpgC’est un long et riche entretien que donnent ici Yves Lacoste, géographe, historien, célèbre figure de proue de la géopolitique française et fondateur en 1976 de la revue Hérodote et Pascal Lorot, président de l’institut Choiseul et directeur des revues Géoéconomie et Sécurité globale. Riche parce que les discussions portent aussi bien sur la vie d’Yves Lacoste depuis l’origine quercynoise de la famille, les amis, ses lectures jusqu’au Maroc natal et les nombreux pays visités, pays d’études ou de résidence, en passant par les domaines de recherche de l’universitaire et les controverses qui ont émaillé plus de cinquante ans de vie intellectuelle hexagonale, de la question coloniale au récent débat sur l’identité et la nation.

    Yves Lacoste se livre à un vaste tour d’horizon de sa discipline qu’il arrime à la géographie et à l’histoire, en présente la genèse (on y croise Friedrich Ratzel, Vidal de La Blache, Élisée Reclus ou Ibn Khaldoun), la méthode (qui emprunte à la théorie des ensembles, au jeu des intersections et à l’étude des représentations, tant individuelles que collectives). La géopolitique étant définie comme  « toute rivalité de pouvoir sur des territoires, y compris ceux de petites dimensions » l’analyse peut aller de l’infiniment petit (les colonies israéliennes en Cisjordanie par exemple) à l’infiniment grand, les luttes et conflits planétaires avec la grande question du moment, selon Yves Lacoste : « l’extension du mouvement révolutionnaire islamiste ».

    Les migrations n’échappent pas à l’auteur de La Question postcoloniale (Fayard 2010) : « L’immigration ne devient un problème géopolitique qu’à partir du  moment où il y a rivalité de pouvoir sur des territoires : c’est ce qui se produit aujourd’hui en France, du fait de la concentration, dans les « grands ensembles » d’habitat collectif construits en banlieue, d’une grande partie des descendants d’immigrés algériens venus paradoxalement en France au lendemain de la guerre d’Algérie (…) » explique t-il.

    Si Yves Lacoste relie les banlieues et les émeutes de 2005 à « la question postcoloniale » - ce n’est qu’une question explique t-il, une question qui n’appelle pas de réponse - ce n’est pas pour faire un parallèle entre des situations si diverses et des temps si lointains qu’ils sont irréductibles les uns aux autres. Non ! S’appuyant entre autres sur les réponses à un questionnaire de l’association ACLFEU, conseillée par le chercheur Jérémie Robine, distribué aux habitants de « 500 à 600 grands ensembles » de France, le lien qu’il établie entre « question postcoloniale » et malaise des banlieues, s’enracine ailleurs, dans l’ignorance d’une histoire et l’absence de transmission. Pour Yves Lacoste : le « mal-être », le « malaise » des jeunes est né d’une interrogation, terrible, profonde, déstabilisante : pourquoi sont-ils nés ici, en France ? Pourquoi ont-ils vu le jour dans le pays des anciens colonialistes ? La réponse que propose ce spécialiste de l’histoire nord africaine et notamment algérienne n’est pas celle, on s’en doute, de certaines associations, « indigènes » autoproclamés et pétroleuses de la république. Ces jeunes des banlieues, et surtout les jeunes issus de l’immigration algérienne ignoreraient l’histoire familiale, et les raisons qui ont conduit leurs parents et/ou grands parents à rester ou à venir en France au lendemain de l’indépendance. L’originalité de l’analyse – qui se limite aux seuls descendants d’Algériens, quid alors des autres migrations ?  – est de faire de l’immigration algérienne, non pas, ou pas seulement, une immigration économique mais aussi (surtout ?) une immigration politique. Il faut alors se plonger dans l’histoire, collective du mouvement national et les histoires individuelles, des pères et des mères. L’explication est alors plurielle : il faut remonter à la guerre fratricide du FLN et du MNA ; au conflit en Algérie qui, au lendemain même de l’indépendance, opposa le maquis kabyle à l’armée de l’extérieur de Boumediene et Ben Bella ; au rôle central de la Kabylie dans le mouvement national et dans la lutte pour l’indépendance et, après 1962, à son excommunication de la vulgate nationaliste. Il faut enfin, toujours selon Yves Lacoste, évoquer les bataillons de migrants algériens qui, dans le silence, ont fuit « un pouvoir totalitaire ».

    Si les Algériens sont restés dans ces « grands ensembles », qui n’étaient nullement des ghettos à l’origine précise-t-il, c’est parce qu’à la différence de leurs voisins portugais, rentrés massivement au pays à la chute de Salazar, eux, ne rentrèrent pas… Certes, tout cela n’élude pas les questions économiques, sociales, ou les rapports entre jeunes et police, mais offre à l’analyse un autre espace de compréhension. D’ailleurs, l’auteur kabylophile, comme son épouse Camille, spécialiste de la Kabylie, vante les mérites de l’immigration kabyle, sont rôle d’ « exemples » et d’ « entraineurs » pour d’autres jeunes, issus ou non de l’immigration.

    Banlieues, grands ensembles, islam, migrations… une illustration parfaire de la méthode appliquée par Yves Lacoste : l’« articulation des différents niveaux d’analyse spatiale » pour faire sens, éclairer et surtout agir. On est loin ici des méthodes psychologisantes et des discours idéologiques : tout est concret, presque pratique, dégraissé au possible, prêt pour l’action.

     

    Edition Choiseul, 2010, 270 pages, 20 €

     

     

     

  • La citation du jour

    « Pour tisser du lien social, il ne faut pas se tourner vers le passé, mais vers l’avenir. »

    Jean-Loup Amselle, L’Anthropologue et le politique, Lignes 2012

     

  • La citation du jour

    « Il ne suffit pas d’être métis, si c’est pour en fin de compte l’oublier. L’important est la conscience que l’on a de ses appartenances, qui n’est pas automatique, mais doit être recherchée et cultivée. »  (Edgar Morin)

    Edgar Morin, Patrick Singaïny, La France une et multiculturelle. Lettres aux citoyens de France, Fayard 2012

     

  • La citation du jour

    « (…) La vie m’a appris, l’exil en fait, que ma quête ne pourrait aboutir que si elle s’orientait vers ce qui est devant moi, et non plus derrière. C’est seulement en allant devant soi que l’on maitrise ce que l’on a derrière soi, que le passé, de vestige mortifère, devient soubassement d’avenir.

    C’est grâce à cela que j’ai compris à un moment donné que le non-lieu n’est pas l’exil, mais le mouvement né de l’exil. »

    (Elias Sanbar)

     

    Farouk Mardam Bey, Edwy Plenel, Elias Sanbar, Notre France, Sindbad 2011

     

  • Le 89 arabe. Dialogue avec Edwy Plenel. Réflexions sur les révolutions en cours

    Benjamin Stora

    Le 89 arabe. Dialogue avec Edwy Plenel. Réflexions sur les révolutions en cours

     

    stora_482208556.jpgFace à face l’historien et le journaliste. Le temps long et l’actualité. Ce sont deux regards sur le monde qui se déploient ici. D’un côté l’œil pétillant, perçant, curieux de l’homme d’information, de l’autre, le regard calme, attentif, presque introspectif de l’universitaire. Deux intelligences aussi, l’une plus théorique, 002903499.jpgcomparatiste, horizontale, fulgurante, volontaire presque audacieuse, l’autre, vissée au temps long de l’histoire, aux conditions humaines et sociales à l’œuvre, réaliste, pragmatique, à l’enthousiasme mesurée. Ces deux-là se connaissent. Ils furent des mêmes courants de pensée, ou proches. L’un et l’autre ont à voir avec cette partie du monde. Stora est un natif, qui n’a jamais vraiment quitté sa terre. Plenel, on le sait peut-être moins, a passé quelques années en Algérie. L’un et l’autre savent que rien de ce qui survient de l’autre côté de la Méditerranée ne doit laisser ici indifférent. Ce lien n’est pas intellectuel, il n’est même pas le fait de l’histoire, de la géographie ou de calculs économiques, il est d’abord organique, humain. C’est « le bal des gamètes » comme aurait dit Céline ! Le toubib de Meudon pouvait le déplorer. On peut s’en réjouir.

    Fort justement, fort logiquement, ces réflexions et ces échanges sont placées sous le signe du « refus de l’indifférence », pour en finir avec les clichés mais aussi les suffisances et les mépris, les politiques de la peur (« tout plutôt que les islamistes ») et cette ignorance crasse et suspecte de ces sociétés née d’une diplomatie française, plus attentive aux Etats qu’aux peuples, née des accommodements du Nord avec les pires des régimes, née d’un rétrécissement du savoir dans l’espace public, née aussi de la guerre d’Algérie. L’un et l’autre, intellectuels de gauche, ne cachent pas leur étonnement devant la « prudence » de l’opposition de gauche, « la sidération de la gauche  française face au surgissement de cette nouvelle question d’Orient. »

    Il faudrait interroger cet « aveuglement », ce peu d’empathie pour ces peuples pourtant si proches. L’introspection remonterait jusqu'à la nuit coloniale et laisserait affleurer aux consciences les inhibitions des contemporains face à l’évidence : la société française s’est, une fois de plus dans son histoire, diversifiée, transformée. Pour poser un regard « lucide » sur ces sociétés, il conviendrait aussi de changer « le logiciel de nos gouvernants » où « la peur, l’identité, la discrimination » tiennent lieu, en France, de politique.

    Certes, « la faiblesse des relations tissées augurent mal de la suite » et pourtant, comme le répète Benjamin Stora, à travers les expériences familiales, individuelles, quotidiennes, banales etc., « la rencontre et le croisement de populations venant de différents horizons, crée une identité multiple, diverse, plurielle (…) ».

    Pour emprunter une formule appliquée à l’immigration en France, l’histoire du monde arabe est aussi notre histoire. Peut-être en viendra t-on alors à se rendre compte que ces peuples dits « arabes » ne descendent pas d’une lointaine planète. Qu’ils sont constitués d’hommes et de femmes qui partagent, à leur manière et compte tenu de leur propre histoire, les mêmes aspirations. D’ailleurs, précise l’historien, ces sociétés changent : « on commence à entrer dans une autre société, celle des rapports personnels, des rapports individuel », « y compris en matière migratoire » ajoute t-il, où les projets relèvent aussi de l’individuel et non plus du seul collectif.

    Pour Benjamin Stora : « Être sur une frontière imaginaire, au croisement de plusieurs mondes du Sud et du Nord, reste cependant un atout pour la connaissance comme pour l’action. Les bouleversements qui viennent du monde arabe nous obligent à réfléchir sur la coexistence égalitaire entre différentes histoires, à reconnaître des appartenances culturelles diverses dans le cadre d’une culture politique universelle, partagée. Et donc, à reprendre espoir pour l’avenir. » Ces entretiens ouvrent sur un nouvel imaginaire, celui qu’évoquait déjà en 2002 Edwy Plenel dans son indispensable La Découverte du monde (Stock et Gallimard, « Folio actuel », 2004)

    Sur ce « 89 arabe », Plenel s’enthousiasme, Stora tempère. Tous deux s’accordent pour y voir la fin d’un cycle et le commencement d’un autre. L’éducation devra en être une priorité (il y a une vingtaine d’années déjà, l’Algérien Tahar Djaout ne disait pas autre chose), et la prise en compte de la pluralité, une nécessité. Education et diversité un programme urgentissime au sud de la Méditerranée. Un peu aussi au nord… C’est sans doute cela aussi l’« effet miroir » de ces révolutions.

     

    Stock 2011, 173 pages, 16,50

     

     

     

  • La citation du jour

    « La France possède une richesse inestimable, qui est sa diversité justement et qui, si celle-ci est rassemblée dans une ambition commune, peut-être la source de l’invention politique

    qui nous manque. »  (Edwy Plenel)

     

    Farouk Mardam Bey, Edwy Plenel, Elias Sanbar, Notre France, Sindbad 2011

     

  • La citation du jour

    Dans les bras de la lumière
    Et la beauté du monde

    En dépit du plomb durci
    A la barbes des sanguinaires

    Ces flocons de neige
    Pour apaiser la terre

     

    Du feu qui lui brûle les lèvres
    Pourquoi aimez-vous tant les cendres

     

    Quand la braise nourrit mon coeur
    Tendre dans les cours des rivières

    Pourquoi détruisez-vous mon limon
    Réduit en poussière

    Le soleil vous fait-il peur
    De voir votre propre ombre

     

    Tahar Bekri, Salam Gaza,  Elyzad, 2010