« J’ai passé une partie de mon enfance à vouloir être blanche comme les autres enfants et à me sentir aussi voyante en Écosse qu’un nez rouge au milieu de la figure d’un clown ; et voilà qu’ici, au Nigeria, je voudrais être noire et je me sens aussi voyante qu’un nez rouge au milieu de la figure d’un clown. C’est la première fois de ma vie que je comprends vraiment ce que ça signifie d’être métis. Ce n’est pas un terme qu’il m’arrive d’employer, et je me suis toujours sentie plus noire que blanche, mais voilà subitement qu’ici, au Nigeria, les gens me suivent dans le marché d’Ukpor et me touche en répétant Oyibo et Onye ocha* ! J’ai envie d’être acceptée, je m’en rends compte. J’ai envie que les autres Nigérians voient à mon visage que mon géniteur était igbo. Rien de tel à Lagos, qui est une grande ville. J’avais l’impression de me fondre dans la masse, là-bas. Les femmes des étals d’Ukpor sont ravies de ma présence, grosse femme d’âge mûr que je suis, simplement parce que j’ai la peau claire. Ça commence vraiment à me déplaire. J’ai envie d’aller m’asseoir des heures en plein soleil jusqu’à ce que ma connerie de peau brunisse enfin. »
Jackie Kay, Poussière rouge, Métaillié, 2013
* "individu blanc"