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Immigration - Page 3

  • La liberté de vivre

    Ha Jin

    La liberté de vivre

     

    Ha-Jin.jpgC’est une longue et minutieuse chronique que livre Ha Jin. Elle se dessine en minces chapitres qui sont autant d’épisodes de la vie du couple formé par Nan Wu et son épouse Pingping, immigrés aux Etats-Unis, avec leur fils Taotao. La narration, linéaire, colle au quotidien des Wu, au plus près de leur lutte pour « s’enraciner » ; par le travail bien sûr, par la scolarité de leur enfant aussi. C’est là une priorité, et les parents redoublent d’efforts pour qu’il n’intègre pas une classe réservée aux étrangers. Ha Jin décrit la rupture avec le pays d’origine, les distances maintenues avec les représentants de la communauté chinoise, le regard critique, amusé, sceptique, séduit aussi, sur la société américaine. La part des frustrations, les transformations, visibles et intimes.

    En quelques années, Nan accomplira « le parcours qui prenait une vie entière à la plupart des immigrés ». Entre le « struggle for life » et le rêve américain, les Nan feront leur « trou » comme dit Marcel Detienne. Entre Boston, New York et enfin Atlanta, de petits boulots en petits boulots, d’emprunts en sacrifices, de capacités d’adaptation en illusions perdues, ils réussiront à ouvrir un petit restaurant (le Gold Wok) et à acheter une maison en Géorgie. Nan, l’ancien étudiant a du abandonner la science politique et une improbable carrière universitaire pour les fourneaux, ce qui laisse d’heureuses odeurs de cuisine s’exhaler de page en page.

    Sans être un réfugié politique, Nan n’a pas voulu retourner en Chine après ses études. Très vite, il s’est efforcé de « se délester du bagage de la Chine pour voyager plus léger, (…) devenir un homme indépendant ». Nan largue les amarres, refuse de vivre dans le passé, de moisir dans sa communauté d’appartenance : « Il lui fallait trouver sa voie dans ce pays, vivre non pas tant en tant qu’expatrié ou exilé mais en tant qu’immigré ». Autrement dit devenir citoyen de cette société américaine où le racisme se manifeste ici ou là, où l’argent est un « dieu », cette société obsédée par « les deux S » : « le Soi et le Sexe », intraitable pour les faibles, les « losers », une société multiculturelle et multireligieuse où la diversité s’expose aussi sous la forme des conversions et des bricolages identitaires.

    Nan assistera à des rencontres, des colloques sur la Chine, il côtoiera, toujours sur la réserve, quelques cercles communautaires malgré les recommandations de Pingping. Il n’est dupe de rien des comportements des uns et des autres, des intellectuels dissidents, des artistes et autre vulgum pecus chinois. Sans illusions, ilse tient à l’égard des officiels chinois, des associations relais et autres taupes. Intraitable, Nan n’est pas un homme de compromis et encore moins de compromissions. Et surtout, qu’on ne lui serve pas de vieilles lunes patriotiques : « La Chine n’est plus mon pays. Je lui crache dessus, à la Chine ! Elle traite ses citoyens comme des enfants crédules et les empêche constamment de grandir, de devenir des individus à part entière. Elle ne veut qu’une chose la soumission. Pour moi la loyauté ça marche dans les deux sens. La Chine m’a trahi, alors je refuse de rester plus longtemps son sujet. (…) Je me suis arraché la Chine du cœur. »

    Pourtant aux JO d’Atlanta, il se montre attentif aux performances des athlètes chinois, « il comprit qu’il ne parvenait pas à se couper affectivement de tous ces gens ». Nan se situe au point de rencontre des deux pays, aussi, « pour voir clair dans ses émotions », il s’imagine la Chine comme étant  « sa mère » et les USA « sa bien aimée »: si un conflit devait survenir, il devra « les aider à se comprendre, sans pour autant espérer qu’elles partagent un jour les mêmes opinions ». C’est Camus chez les sino-américains.

    Nan aime Pingping, mais sans passion. Bon père et bon mari, son cœur est tout entier à Beina, un amour platonique de jeunesse qui lui en fit voir de toutes les couleurs pourtant. Ainsi va la vie ! L’amour fantasmé est plus difficile à chasser de son esprit qu’un échec sans rappel ni retour. Entre les époux, l’ombre de Beina toujours s’insinue. Il recherche cette passion, convaincu qu’elle serait le moteur de sa force créatrice et poétique. Car gagner de l’argent n’intéresse pas Nan. Sa seule vraie passion est la poésie.

    Tirailler entre ses responsabilités d’époux, de père et sa vocation, il doit apprendre à se débarrasser de ses « peurs » comme dit Faulkner, de ses doutes sur son travail. « Je ne dois pas vivre dans la passé, mais me concentrer sur le présent et sur l’avenir ». Après bien des hésitations, il décide d’écrire en anglais malgré les avis contraires et définitifs d’une rédactrice en chef d’une revue de poésie. Il évoque la xénophobie et oppose le fait que « la vitalité de l’anglais résulte en partie de sa capacité à absorber toutes sortes d’énergies étrangères. » Ces pages sur le cheminement créatif de Nan constituent aussi le sel de ce roman. Le livre  se referme sur quelques uns de ses poèmes.

    Professeur à l’université de Boston, Ha Jin émaille  son texte de références à des poètes américains, à Faulkner et à Pasternak. La Liberté de vivre est son cinquième roman et le quatrième à être traduit en langue française (au Seuil) après La Longue Attente (2002), La Démence du sage (2004) et La Mare, (2004). La Liberté de vivre (paru en 2007 aux USA) est le premier récit de l’auteur à se situer hors de Chine et à plonger au cœur de l’immigration chinoise aux Etats-Unis.

     

    Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Isabelle Perrin, Seuil, 2011, 669 pages, 24€

     

  • Guerre. Et si ça nous arrivait ?

    Janne Teller

    Guerre. Et si ça nous arrivait ?

    Foto-Janne-Teller.jpgAttention : âmes sensibles s’abstenir ! Les plus émotifs et imaginatifs parmi les jeunes lecteurs risquent de se faire des frayeurs en lisant le livre concocté par Janne Teller, danoise d’origine austro-allemande par sa famille. Chez les aînés – car ce livre peut, et doit être lu, par tous – il aidera les uns à réfléchir et les autres à vivre une expérience par procuration. Quand aux blasés, qu’ils continuent à ruminer dans leur coin !

    De quoi s’agit-il ? Rien moins que d’imaginer devenir un réfugié, un exilé en mal de sécurité, en quête de mieux vivre et de chaleur humaine. Prenez une famille française, oui ! oui ! française. Persécutée dans son propre pays après la prise du pouvoir par quelques factions autoritaires et va-t’en-guerre. Par les temps qui courent la fiction, pour être improbable, n’est pas totalement farfelu… Nos héros, franchouillards de toujours et certains à jamais de leur liberté tricolore, se retrouvent pourtant le bec dans l’eau : obligés de se dépatouiller entre persécutions, mal vie et projets de fuite. Et là, il faut monnayer et subir le diktat des passeurs !

    Janne Teller est impitoyable : non contente de mettre nos gamins sur le gril de la méchanceté humaine, voilà qu’elle oblige ces pauvres Français, parents et enfants, à devoir s’esbigner de l’autre côté de la Méditerranée. Aller trouver refuge chez les Arabes ! Un comble ! Vous imaginez ?! Les héritiers de Voltaire et d’Hugo, donneurs de leçons urbi et orbi aller quémander aux rejetons de Moubarek et autre El-Banna. Et pourquoi pas l’Algérie encore ! Ce monde serait cul par dessus tête. Sans compter qu’il faudra croupir quelques deux ans dans un camp de réfugiés en Egypte et manifester par la suite de claires intentions d’intégration. Brrr ! cela fait froid dans le dos, non ?

    Ce livre est judicieusement proposé sous la forme d’un passeport, sésame hier de tous les voyages et de toutes les aventures humaines. Janne Teller y renverse les perspectives  et raconte l’exil vécu par un gamin de Copenhague (première édition danoise en 2004), de Berlin (40 000 exemplaires vendus en Allemagne) ou de Paris. Comprendre en étant capable de se mettre à la place de l’Autre, voilà le pari pédagogique de cette démarche qui invite à l’imagination et à l’empathie et qui s’ouvre par cette question-suggestion : « Et si, aujourd’hui, il y avait  la guerre en France… où irais-tu ? ». Tout ici est fiction, ou presque, car à l’heure de la crise, il faut bien constater que dans nombre de pays européens, les flux migratoires bougent : les Espagnols, les Italiens, les Portugais et même les Français sont de plus en plus nombreux à aller chercher ailleurs le droit de vivre dignement, au point de voir certains pays comme le Brésil froncer les sourcils.

    Le talent de l’auteure, en distillant ici ou là quelques doses d’inquiétudes, est d’aider à réfléchir à l’état du monde, devenu un « village-planétaire », une « société-monde », où tout et tous sont interconnectés.

     

    Illustrations de Jean-François Martin, traduit du danois par Laurence W.O.Larsen. Edition Les Grandes personnes, 2012, 64 pages, 7,90€. A partir de 12 ans

     

  • Des chiffres et des litres

    Rachid Santaki

    Des chiffres et des litres

    th.jpgRachid Santaki est né en 1973 à Saint-Ouen, a grandi à Saint-Denis, c’est sans doute ce qui lui a donné l’énergie nécessaire pour être à la fois entrepreneur, journaliste, scénariste et romancier. Il a signé La petite cité dans la prairie (Bords de l'eau, 2008), Les anges s'habillent en caillera (Moisson rouge, 2011) et  Flic Ou Caillera, chez Masque  en 2013. En 2014, il signe pas moins de quatre parutions : Putain D'amour (un recueil de textes au Livre De Poche), Business Dans La Cité  (Seuil), deux recueils de nouvelles : Gueule De Bois (Gallimard) et Triple XL (Folie d'encre).

    Dans Des chiffres et des litres, la France est tout entière rivée à son téléviseur et aux prouesses de l’équipe de France de football, équipe black-blanc-beur qui en 1998 emportera le trophée mondial et l’adhésion nationale. Au même moment, celui qui aurait pu être le petit frère d’un des héros de la France footballistique (et au delà), Hachim, un jeune de Saint-Denis, intelligent et sensible, doué pour les études, apprenti journaliste, va se fourvoyer dans le commerce de drogue. Alors que le Stade de France brille de mille feux et d’autant de cocoricos, les cités alentours restent plongées dans le noir, le noir de l’indifférence et de l’abandon, le noir des trafics en tout genre, des bandes et d’un quotidien dominé par le rapport de force, la peur, l’agression ou l’évitement, des codes dures, inhumains qui obligent à plier ou à se casser.

    Rachid Santaki ouvre son roman avec un cadavre au corps torturé, retrouvé dans un terrain vague. Il décortique alors l’organigramme du bitume et le cursus de la « bigrave » ou deal de shit, il montre les impasses de la violence et de la prison, les dérapages de la politique du chiffre-roi, les flic ripoux mais aussi l’histoire de l’immigration algérienne, marquée ici par le souvenir du 17 octobre 1961, qui plombe le quotidien des anciennes générations à commencer par celui de l’inspecteur Perrin dit « Papy » et de son pote Omar, le bistrotier.

    Le roman est sombre comme peut l’être le quotidien de trop de jeunes parqués loin de la ville, sans perspective autre que celle des barres et des tours. Une ombre gagne et menace les cités, une ombre qui court entre des bâtiments fatigués, intimide dans les halls d’immeubles et souille les intérieurs, celui des familles, comme celle de Hachim, laissant une mère éplorée, un père déshonoré et une sœur révoltée. Il n’y a rien à attendre de cette chienlit! Qu’on se le dise.

    Pourtant, Santaki pointe aussi, presque en creux, la vitalité de ceux qui refusent de s’apitoyer sur leur sort ou de se perdre à cause du désamour national. La résilience n’est pas qu’un concept pour auditeur de France Culture ! Elle s’expérimente quotidiennement dans cette ville, Saint Denis qui « baille une mauvaise haleine, s’étire et se lève. Je l’aime pas pour ses cités, mais pour son âme, ce qu’elle fait de nous, des débrouillards » dit Hachim. Sans tralalas ni trémolos, Santaki montre qu’on sait aussi se battre et que les « quartiers », comme autant de ruches, bourdonnent d’un dynamisme polymorphe nourri de sport (ici la boxe thaï), de réussite scolaire, de valeurs d’entraide, de créations et de subversions artistiques à la sauce poétique, langagière, rap, tags et autres. La langue utilisée par l’auteur en témoigne : mélange de classicisme et de vocabulaires de « téci », de métissages linguistiques aussi, qui emprunte aux parlers de l’immigration où domine l’arabe. Certes le lecteur risque de s’égarer entre les « achipe-achopé », « sclague » « teum-teum », « heb’s » et autres « gueush » (un lexique en fin de volume n’aurait pas été de trop), mais l’auteur maîtrise son affaire, son intrigue et ses personnages.

    Ce que montre Santaki c’est que ces banlieues ne sont pas sur une autre planète, une étrangeté, un barnum extérieur au genre humain comme hier certains zoos. Elles sont au cœur du pays et du devenir collectif. Des beurs, des blacks et autres relégués de l’urbain dealent et se fourvoient, mais le système vit de ses consommateurs et usagers paisiblement installés de l’autre côté du périphérique où dans quelques propriétés bourgeoises. La nuit, les rêves de la plupart de ces mômes sont agités des mêmes images et des mêmes désirs que les autres jeunes. Rachid Santaki tend un miroir, celui de la France d’aujourd’hui. Pas sûr que son reflet soit reconnu. Regardez où étaient reléguées il y a peu les illusions de 1998 et d’une France Black-blanc-beur : dans un pain au chocolat !

     

    Moissons rouges, 2012, 256 pages, 16,50€

     

     

  • Allée 7, rangée 38

    Sophie Schulze

    Allée 7, rangée 38

     

    portrait-Sophie-Schulze-2011-034.jpgDans ce premier roman que l’on pourrait qualifier d’hybride, Sophie Schulze raconte l’histoire de Walter, jeune allemand immigré en France au lendemain de la Première Guerre mondiale, en émaillant le récit de références et de citations d’Hannah Arendt, Husserl ou Robert Schumann, mêlant petite et grande histoire. Allée 7, rangée 38 tangue entre roman, reportage journalistique et essai (nombreuses et parfois longues citations pour un récit dégraissé).

    L’Histoire, la grande, n’est pas tendre pour les existences et les histoires individuelles. Quand la machine à broyer entre en action, elle ne fait pas de détails ni de sentiments : Walter, jeune immigré allemand, arrive donc à Strasbourg en 1919. Il s’engage dans la Légion étrangère, histoire d’obtenir à la clef une naturalisation bien méritée. Il rencontre Alice, une Alsacienne du cru qui bravera l’autorité parentale pour s’en aller couler le parfait amour avec son étranger de mari. Mais voilà, occupation oblige, les tourtereaux ne sont pas bien vus dans un voisinage suintant le mépris cocardier et l’éternelle suspicion (on en sait encore quelque chose aujourd’hui). Dans les années 40, il ne faisait pas bon s’accoquiner avec un immigré allemand fût-il devenu Français mais toujours… d’origine allemande ; comme il ne fera pas bon, une décennie plus tard, pour une Française de partager l’amour d’un Algérien. On ne cesse de renvoyer l’Autre dans ses cordes, réelles ou fantasmées. Walter a beau être devenu français, être passé par la Légion où « personne » n’a cherché «  à connaître son passé » et où « son destin a fini par être commun »  avec celui de tous, pour ses nouveaux concitoyens, il reste un Français de papiers et un Allemand pur jus, un « boche »  comme d’autres sont renvoyés à leurs fatmas et à leur couscous.

    L’Histoire convoque ses suspects, les enfermant dans les cordes, réelles ou fantasmées, d’une origine rédhibitoire et inconciliable. L’Histoire est en marche, et le couple puis la petite famille, s’épuise à en éviter les ornières et les chocs. La vie passe ; Walter et Alice progressent sur les chemins tortueux de l’exil, de l’intégration, des constructions identitaires, de l’amour ou de la haine des autres. Fragilité des existences et insignifiance des êtres bousculés par le froid engrenage des déraisons de l’Histoire. Après les errements d’Heidegger et le combat d’Hannah Arendt pour la vérité, les nations européennes vont apprendre à reconsidérer leurs frontières intérieures et renouer avec leur « parenté d’esprit ». En trois phrases on passe de Robert Schuman à Alice et d’Alice à l’auteur de Etre et Temps…On passe allègrement de ces pauvres hères aux considérations continentales, de la nuit de la guerre aux lumières de la construction européenne.

    Un texte composite, brillant mais parfois déstabilisant, oscillant entre le roman, le reportage journalistique et l’essai. L’écriture, expurgée du superflu, est la grande originalité de ce premier roman où la littérature semble parfois à l’étroit entre le vertige des grandes idées et le prosaïque de la chronique.

     

    Léo Scheer 2011, 93 pages, 15€

  • Parle-moi un peu de Cuba

    Jesus Diaz

    Parle-moi un peu de Cuba

    jesus 1 (Small).jpgIl y aurait deux façons pour un Cubain de débarquer aux USA. Il y a la voie royale, celle où les Gringos vous déroulent le tapis rouge avec permis de séjour et autorisation de travail à la clef, et l’autre, où l’accueil se fait plus suspicieux, du bout des lèvres, comme à regret. Le même pays fera alors attendre le même exilé cubain une bonne année pour daigner le gratifier d’un permis et d’autorisations diverses. Il faut faire ses preuves. Dans le premier cas, le Cubain, perché ou vautré sur une méchante embarcation ou un radeau de fortune a réussi à s’esbigner de son île, éviter les humeurs des requins et échapper aux caprices des vents et des courants du détroit de Floride, pour s’en aller poser un pied salvateur du côté de Key West. Dans l’autre cas, le bougre est passé par le Mexique, comme le vulgum pecus des migrants de sorte qu’il sera soumis au commun législatif.

    Le dénommé Staline Martinez, le personnage central du roman de Jesus Diaz, peut se vanter, lui, d’avoir tâter des deux méthodes. Mais dans le mauvais ordre. Il raconte son histoire enfermé sur une terrasse de Miami, exposant sa peau aux brûlures du soleil et son corps aux rigueurs du jeun et de la déshydratation, histoire de faire croire aux autorités américaines qu’il est bien un balsero, un cubain sauvé des eaux, un Staline anadyomène qui entend bénéficier illico du statut de réfugié. Pourtant, quelques semaines plus tôt, avant son come back via la frontière mexicaine, il était bien arrivé aux Etats-Unis par la mer. Et les Yankies lui ouvraient alors grand les bras, il lui suffisait de le demander, de faire le show au micro du reporter dépêché par un des nombreux réseaux d’informations, de vanter à la caméra la liberté retrouvée et de médire du socialisme à la sauce castriste. Il n’en fit rien. Mieux - ou pire - il demanda à reprendre le premier vol pour la Havane. Incompréhensible pour un esprit cartésien, qui a biberonné à l’économie néolibérale et à l’anti communisme.

    Staline Martinez, modeste dentiste de son état, anti héros par excellence, travaillé par la culpabilité, la crainte et l’indécision, déconsidéré par son entourage, demande pourtant à rentrer sur son île, pour y retrouver son quotidien terne, pauvre, fait de pénuries, retrouver Fredesvinda, sa bicyclette antédiluvienne, Pepe son ventilateur moribond et surtout Idalys, son épouse callipyge. L’enamouré croit qu’elle l’attend comme Pénélope son Ulysse - mais sur un mode mas caliente - quand Idalys a déjà délaissé Staline pour Jésus...

    A son retour, les autorités font du bien nommé Staline Martinez un héros national qui se doit cette fois de vanter les mérites du « Lider Maximo » et de médire de « L’Oncle Sam »…« Les gens comme lui étaient condamnés à courir d’un côté à l’autre en se cognant la tête pour voir si par hasard ils arrivaient à sortir du labyrinthe ». Quant aux vertus des systèmes politiques, Stalina (la sœur) a sa petite théorie : « le socialisme (…) était un parc zoologique où les gens vivaient dans des cages, en attendant que les gardiens leur lancent leur pitance ; tandis que le capitalisme était une forêt vierge où il fallait chasser tous les jours ».

    Staline, à demi nu, se retrouve donc perché, durant cinq jours, sur la terrasse du pavillon de son frère Lénine, alias Léo pour les Américains. Pendant que le corps de l’infortuné se détériore, empeste, se couvre de squames, son esprit se dégrade à mesure que les souvenirs se font plus pressants, plus douloureux. Staline revit son histoire : comment et pourquoi par deux fois il a réussi à rejoindre les Etats-Unis, son quotidien à Cuba partagé entre l’hôpital, sa sœur et sa mère, quelques connaissances et Idalys. Comment, pour pallier l’absence de droits, les Cubains s’adonnent à la débrouille et aux magouilles pour trouver le nécessaire ou quelques dollars quand les jinetera, prostituée occasionnelles, tapinent avec les touristes… Staline ranime sa jalousie, ses frustrations, ce mépris de soi qui tire son origine davantage d’un système et d’une organisation sociale que d’une défaillance individuelle. Etre né cubain serait alors comme une malédiction : « Ah, s’il pouvait transmettre un jour à quelqu’un l’exaspérante humiliation que signifiait être cubain à Cuba (…) » dit-il. Les Maghrébins - et les Algériens en particulier - ont un mot pour cela : la hogra ! D’ailleurs, une scène de Parle-moi un peu de Cuba en rappelle une autre tirée du Passé Simple du marocain Driss Chraïbi. Les deux auteurs font, en un acte sacrilège, « pisser » leurs personnages qui sur le royaume marocain qui sur l’île révolutionnaire.

    La solitude et les souvenirs de Staline sont entrecoupés des visites de Miriam, la nièce de Christina, sa belle-sœur. « Parle-moi un peu de Cuba » lui demande Miriam, arrivée aux Etats-Unis âgée de deux ou trois ans et qui ne peut converser qu’en anglais avec Staline. Christina exprimera le même souhait, le même appel. Derrière ces demandes identiques, percent deux attentes différentes. Une quête de repères pour l’une, plongée dans une société où elle ressent l’hostilité des autres communautés à l’endroit des Cubains et demande à Staline « who am I ? ».  Quant à la boulimique Christina, il y entre une part de tristesse et de mal du pays. Christina est malheureuse et sans doute vit-elle son exil comme un déracinement. Parle-moi un peu de Cuba évoque la nostalgie et le sentiment de faute qui accompagne l’exilé, y compris chez Léo, le frère de Staline et l’époux de Christina qui fait tout pour que son fils Jeff « guérisse de Cuba ».

    La dernière nuit approche. Lénine, alias Léo va déposer son frère aux large des côtes américaines sur un radeau. Quelques heures suffiront à Staline pour rejoindre la terre ferme. « Mardi 28 » sera un nouveau jour. Un page encore blanche, une page à noircir. Pour une fois « l’orgueil », fut-il « stupide » de Staline, pourrait bien y tenir la première place.

    Il faut se méfier de ce roman et du style magistral de Jesus Diaz. Cette histoire est racontée avec force, densité, sur un mode plaisant, l’humour s’y baguenaude et même, au détour d’une page, une scène comique surgit. La distance avec les faits est trompeuse, comme un contre-pied. Cette narration, tenue de bout en bout, a sans doute à voir avec le « comique naturel (…) de tant de Cubains » : «  capables de rire du malheur dans lequel ils [vivent] ». 

    Jesus Diaz est né en 1941 à Cuba, en exil à Madrid depuis 1992, il y meurt en 2002. Il est l’auteur de plusieurs romans dont quatre ont été traduits en français chez Métailié et deux autres chez Gallimard.

     

    Traduit de l’espagnol (Cuba) par Jean-Marie Saint-Lu, Métailié 2011, 237 page, 12 €

  • Salam Ouessant

    Azouz Begag

    Salam Ouessant

     

    photo+travaill%C3%A9e+3.jpgPeut-on écrire qu’il y a des romans d’anciens combattants comme, au temps déjà lointain des « cheveux longs et des idées courtes », la jeunesse acnéique de France se montrait imperméable aux antiennes des anciens qui s’en allaient répétant, ad libitum, ce que fut leur 20 ans héroïque dans le bruit et la fureur des hommes ? Cela est sans doute un peu sévère, mais les premières pages du nouveau roman d’Azouz Begag font penser à d’autres, déjà lues et moult fois encore. Car enfin le livre annonce une semaine de vacances d’un père avec ses filles, une semaine pour se rabibocher et se rassurer après un divorce difficile qui a vu les gamines sembler se détacher de leur géniteur, et lui faire payer sa décision de quitter leur mère. Les filles auraient préféré l’Algérie ensoleillée et chaleureuse des origines quand le père décida, au seul et vague souvenir d’un ami d’enfance, natif du cru mais exilé à Lyon, de louer une maison sur l’île froide et pluvieuse d’Ouessant. Et du coup, pendant que la parentèle traverse le bras de mer qui sépare l’ile du continent, pendant que notre trio s’apprête à débarquer sur cette île exotique, le narrateur, évoque sa jeunesse, l’école et le racisme de ses petits camarades, il se souvient d’un autre temps, celui des voyages d’immigrés entre la France et l’Algérie, en bateau, en famille, aux valises surchargées… On embarque aujourd’hui pour Ouessant et on se retrouve dans les années 60 sur le Ville-de-Marseille ou le Ville-d’Alger en partance pour le bled. Ah ! le bled ! L’épée de Damoclès. La question toujours sans réponse. Le vis-à-vis incontournable, l’évocation de l’autre pays, le pendant à qui il faut, d’une manière ou d’une autre, rendre des comptes, comme s’excuser de lui avoir préféré Madame la France, et pire, un « cul-de-sac » à la majesté de Tipasa, le kouign-amann au khobs eddar (la galette kabyle) de la grand-mère. Voilà pour l’aspect « ancien combattant » de ce roman écrit par un auteur qui, pour avoir les pieds bien ancrés dans le réel, conserve cet « esprit d’enfance » qui toujours ramène vers ce big bang des origines où brille l’astre paternel.

    In situ et en compagnie de deux adorables fillettes, le présent et l’avenir en somme,  Azouz Begag parle du divorce – quand on ne s’aime plus, le courage de le dire –, de l’amour d’un père pour ses filles qui boudent celui qui a écroulé leur monde, trahi leurs illusions. Ce père qui est aussi un homme : « un père et un homme, c’est différent » voudrait-il faire comprendre à ses enfants. D’ailleurs une belle rousse le lui rappelle jusque dans cette semaine de villégiature marine du bout du monde. L’homme est travaillé par des désirs, inavouables, indicibles ; ses gendarmettes de filles surveillent leur papa. Elles sont sur le qui-vive, vigies intraitables, boudeuses et exigeantes, tourmentée par « le mal de mère ». Elles ont besoin d’être rassurées. Elles aussi. Papa va tout faire pour amadouer ses petites. Il implorera tous les dieux pour que cesse la pluie. Il se transformera en GO, redoublera les invitations à se régaler de glaces et autres tentations, multipliera les activités. Il louera trois bicyclettes chez les Le Bihan. Drôle de type d’ailleurs que ce Le Bihan ! Il n’a pas plus l’air Breton qu’une pastèque dans un champs d’artichauts et son regard trahi une absence, un trou béant, un ailleurs qui n’a plus sa place ici. Poignants seront les ultimes échanges entre le narrateur et cet homme taciturne qui passe entre les pages comme un étranger sur son île.

    C’est alors que s’affirme l’objet de ce roman : l’exil, le manque, le regard des autres qui vous déshabille et croient vous mettre à nue – le sempiternel « de quel pays êtes-vous ? » - alors qu’il ne font que vous perdre des écrans radar ; la France chevillée à l’Algérie et l’Algérie à la France, formant un vaste espace d’hybridation pour des générations d’hommes et de femmes, pour le meilleur et pour le pire.  Mais il faut rentrer. Les fillettes ne veulent pas rater le bateau. Les enfants n’aiment pas qu’un vent mauvais bouscule leur quotidien. La vie est intransigeante.

    Azouz Begag écrit avec légèreté, avec ici ou là un zeste de poésie ; deux doigts d’humour, une larme de tendresse. Le gone de Lyon distille quelques mots de son pays, il joue et se joue des formules, abuse des métaphores. Enfin ça, ce sont ses filles qui le disent.

     

    Albin Michel 2012, 182 pages, 15,77€

  • Writerly identities. In Beur fiction and Beyond

    Laura Reeck

    Writerly identities. In Beur fiction and Beyond

     

    laura_reeck.jpgLaura Reeck est professeure de français à l’Allegheny College de Meadville (Pennsylvanie). Elle publie ici son premier ouvrage consacré à quelques écrivains français classés - relégués ? - par la doxa dans le rayon des auteurs « beurs » ou « écrivains de banlieue ». A chacun, elle consacre un chapitre. Elle ne se contente pas d’y analyser les œuvres des uns et des autres mais se livre également à des mises en perspectives théoriques, sociales et biographiques. Elle illustre ainsi, avec rigueur et conviction, la fameuse opinion qui veut que la littérature en dise plus sur nos sociétés et sur leur devenir que nombre de doctes traités, lourdement lestés de statistiques. A l’ère du chiffre-roi, les poètes ne seraient pas tout à fait morts…

    L’auteure détrousse les écrits d’Azouz Begag, Farida Belghoul, Leïla Sebbar, Saïd Mohamed, Rachid Djaïdani et Mohamed Razane. Un autre écrivain traverse à plusieurs reprises le livre, sans qu’un chapitre lui soit pour autant dédié : Mounsi. Le choix, personnel, pourrait être discuté, mais l’éventail présenté offre plusieurs intérêts. Il est constitué d’hommes et de femmes appartenant à trois générations. Certaines personnalités ne rechignent pas à occuper le devant de la scène quand d’autres choisissent volontairement de s’en retirer Les acteurs de la politique y côtoient des intellectuels engagés dans le débat public. Certains acceptent de jouer le jeu médiatique pour se faire entendre quand d’autres, refusent, en actes et par écrit, de faire la danse du ventre. Tous ont à voir avec l’Algérie, sauf un esseulé qui laisse s’exhaler quelques fragrances franco-marocaines. Socialement, ils sont issus des bidonvilles, des cités, de la DDASS ou de ces armoires franco-algériennes, riches en secrets et non-dits. Tous mettent en avant la littérature et l’universalité de leurs propos. Le style et la langue avant tout ! Ils écrivent une « littérature engagée », un engagement qualifié d’« extraverti » pour Begag ou d’« introverti » pour Belghoul, une « autofiction extravertie » pour Said Mohammed, une « littérature au miroir » pour Rezane ou une littérature « tout court » pour Djaïdjani. Le premier livre présenté est paru en 1986 et le dernier en 2007 ; ce large spectre littéraire permet de rendre compte des évolutions, des formes et des objets de ces engagements.

    Laura Reeck dissèque « ses » auteurs, convoque tour à tour Fanon, Camus et le concept d’absurde, Ralph Ellison et les notions de visibilité et d’invisibilité, le Tout-Monde d’Edouard Glissant, le philosophe Kwame Anthony Appiah, Michel Serres, Michel De Certeau, Salman Rushdie ou Le Clezio.

    Chez Azouz Begag, ci-devant ministre, toujours chercheur en sociologie et écrivain devant l’éternel, l’identité s’émancipe dans un processus continu, individuel et déterritorialisé. La réussite ou l’échec de l’intégration n’est pas tant le fait d’un défaut de volonté des pauvres bougres aux cheveux noirs et bouclés mais davantage l’expression d’un rejet, d’un refus des hôtes, des « insiders ». Sans la carte de membre du club, gare à l’exclusion, sournoise ou brutale. Au mieux, ces rejetons d’immigrés nord-africains servent de passeurs entre l’ici et le lointain, de « traducteurs » entre l’entre soi propret et la mystérieuse cohorte des immigrés. « Traducteurs » mais non citoyens à part entière. Comme l’ont montré récemment Jean Mattern (Les Bains de Kiraly, Sabine Wespieser 2008) et Stéphane Fière (Double bonheur, Métaillé 2011) les mots des autres forment un masque bien fragile et insatisfaisant à qui aspire à une reconnaissance pleine et entière.

    On peut, comme chez Farida Belghoul dans son unique roman, Georgette, réduire l’orgueilleuse République et ses immigrés nouveaux à une société et des minorités postcoloniales, et recourir aux notions de « fragmentation » et d’ « exclusion réciproque » (Frantz Fanon) ou celle d’ « invisibilité » de Ralph Ellison. Exclu, invisible, l’imaginaire choisit de se cacher (ou de se réfugier) derrière un masque comme le petit Mehdi  d’Une année chez les Français de Fouad Laroui (Julliard 2010). Mais pour affronter l’irrationnel et ici l’irrationnel est postcolonial, il faut en passer par la révolte silencieuse et par l’éducation (à l’image des personnages, de l’engagement - ou des égarements - de Farida Belghoul).

    Leïla Sebbar proposerait des perspectives plus larges en termes d’études et d’engagement. Analysée ici via les travaux de Kwam Anthony Appich et d’Edouard Glissant, la série des Shéhérazade présente un processus par lequel un nouvel imaginaire est en émergence. Un imaginaire qui bouleverserait les rapports entre le centre et les périphéries et où l’horizontalité des relations prendrait le pas sur la verticalité. Dans cette relation nouvelle (incarnée par Shéhérazade et Gilles), le droit à l’opacité se substituerait à la clarté des temps anciens, ceux où la lumière occidentale – et coloniale - écrasait les subtilités d’un monde bariolé, multicolore et où la finitude entravait le cheminement, les processus de découverte, de connaissance, de métissage…

    Michel Serres, Michel De Certeau, Salman Rushdie, Edouard Glissant, Le Clezio ou Mounsi servent à Laura Reeck pour décortiquer l’œuvre de Saïd Mohamed. Ce dernier incarne la figure du « poète maudit », celui que refuse toutes compromissions, qui n’a que faire des thèmes à la mode, du marché et des plans médias des gourous-communiquants de la politique ou de l’édition. Seul le style compte. Son champ est celui de l’autofiction. Pas le nombrilisme des petits bobos à l’âme des chouchous de la République. Ici l’autofiction serait « extravertie ». Le « je » narratif est relié au monde. L’individu parle de lui à travers le monde, et le monde parle à travers l’individu. Les processus d’individuation sont complexes et l’individualité un bricolage qui n’a que faire du cadre étroit de la vérité.

    Les mots chez Saïd Mohamed sont-là pour restituer la parole des sans voix : le père, la mère et la cohorte des sans-grade qui traverse ses récits. Et que constate t-on ? La diversité des voix, la restitution de l’Histoire par ses fantômes pour parler comme Michaël Ferrier, le lauréat 2011 du Prix de la CNHI (Sympathie pour le fantôme, Gallimard, 2010). En retournant au village paternel, il réintroduit le père dans l’Histoire, par ses propres mots - ceux de l’oralité – et son propre récit.

    Avec Rachid Djaïdani et Mohamed Razane, on passe de la « littérature beur » aux écrivains de banlieue, ce qui serait une autre façon de « contenir », « séparer », « marginaliser » « exclure ». Comme chez l’aînée Farida Belghoul, la multiculturalité à la française  revient à « ghettoïser les différences », c’est dire si entre l’aînée et les jeunes auteurs des années 2000 il semble que pas grand chose n’ait changé dans la société française à tout le moins dans la perception que les principaux intéressés en ont.

    Elle replace les œuvres dans le contexte sociohistorique. Elle part des rodéos de Venissieux en 1980 en passant par la Marche de 1983 et Convergences 84 pour arriver aux émeutes de 2005. C’est dire si, en matière d’identité, ce n’est pas seulement celle de quelques « gratte-papier » qui intéresse l’universitaire nord américaine mais bien les identités en devenir des populations issues de l’immigration (« postcoloniales » ou « minorités ethniques » selon son vocabulaire) et les chambardements induits au sein de la société française. Comme l’écrivait récemment Amin Maalouf, « l’intimité d’un peuple c’est sa littérature » (Le Dérèglement du monde, Le Livre de poche, 2010). Avec ces écrivains -  français ! – on barbotte au tréfonds des entrailles et de l’âme française.

    Des revendications politiques de la Marche de 1983 à la violence des années 2005, la même blessure taraude ces Français un peu trop à part : comment faire entendre qu’ils sont partie prenante de l’histoire et du devenir national, qu’ils partagent les valeurs héritées des Lumières et de la Grande Révolution et qu’il constituent une clef du futur de (et pour) leurs concitoyens ? Le titre du Manifeste « Qui fait la France ? » résume à merveille cette double disposition vieille maintenant de plus de trente ans : ils « kiffent » la France et participe de son dynamisme.

    Laura Reeck dissèque justement les processus de métissages - ce qu’en bonne américaine elle nomme le « multiculturalisme » de la société - qui traversent les romans de ces auteurs et, au-delà, les populations dont ils sont issus. La société française se métisse. Et ce n’est pas simple ! Ce processus est difficile et douloureux. Pour les intéressés d’abord qui en subissent les premiers et rudes coups. Mais aussi, ce que montre ce livre en creux et peut-être même involontairement, pour la société dans son ensemble. On peut adopter telle ou telle grille de lecture  - échec et tromperie du modèle d’intégration (A.Begag), reproduction de la société coloniale (F.Belghoul ou L.Sebbar) ghettoïsation en périphérie (R.Djaïdjani ou M.Razane), injustices sociales (S.Mohamed) - la question qui est au centre du propos de Laura Reeck porte sur la capacité de la société française à se réinventer, à se régénérer dans le monde du XXIe siècle devenu le « Tout-Monde ». La France sera-t-elle capable de repenser les liens entre l’ici et l’ailleurs, le local et le monde, ses parties et le tout, l’horizontalité des relations et la verticalité des dominations, l’écoute et donc la disponibilité à l’autre qui est aussi le tout proche, l’échange comme cheminement et non comme volonté de convaincre, la question des langues et des cultures débarquées clandestinement avec ses populations venues d’ailleurs, l’écoute des autres voix du monde dont ils sont (un peu) les ambassadeurs et qui expriment l’essence des jours présents et la lumière des prochaines aubes ? Pourra-t-elle concevoir des identités « déterritorialisées » et l’irruption d’un « Je »  autonome et complexe ?

    Bien sûr, la question sociale est au cœur des évolutions attendues. Ce n’est pas une nouveauté : la priorité (l’urgence) exige une prise de conscience et une volonté politique en faveur notamment des populations reléguées aux périphéries des grandes villes. Du travail, de l’éducation, des conditions de vie décentes... De l’espoir et du rêve aussi ! Si, comme le disent ces auteurs, la violence – celle de la sphère publique mais aussi celle des sphères privées et même intimes -  renferme des causes sociales, il n’en reste pas moins que cette prise de conscience politique (pré)suppose un bouleversement culturel. Que le « centre » se décentre, qu’il change de logiciel et voyage vers d’autres imaginaires pour écouter, autrement plus sérieusement que le spectacle du cirque médiatique, ce que ces écrivains ont à dire d’eux-mêmes ; et de tous. Alors, peut-être que oui, la parole des poètes ne sera pas galvaudée.

     

    Lexington Books, USA, 2011, 191 pages

  • 1935-2005, L’hôpital Avicenne : une histoire sans frontière

    1935-2005, L’hôpital Avicenne : une histoire sans frontière

     

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    En 2005, le « Franco » fêtait ses soixante-dix ans. Inauguré le 22 mars 1935, l’hôpital Franco-musulman de Bobigny devenu en 1978 l’hôpital Avicenne ne se targue pas seulement d’un passé. Une exposition et un livre retraçant l’histoire du lieu montrait aussi que cet hôpital longtemps « excentré et excentrique » a un présent et revendique un avenir. « Étroitement lié à l’histoire de la colonisation et de l’immigration », l’actuel Centre hospitalier universitaire d’Avicenne pourrait bien, in situ, servir de laboratoire à un vivre ensemble dans un contexte pluriculturel. L’expérience vaut pour le monde hospitalier, mais aussi pour l’ensemble de la société devenue elle aussi plurielle et en quête d’un équilibre entre unité et diversité, d’une harmonie entre le tout et ses parties.

    Dans cet « îlot cosmopolite » où « plus de quatre-vingts langues ou dialectes sont parlés » la population d’origine étrangère représente, suivant les services, 50 % à 80 % des malades. Ainsi, l’hôpital serait à l’image de cette « extraordinaire diversité culturelle », née des migrations et de la mixité sociale caractéristique de « son bassin de vie ». Des locuteurs des différents crus assurent la traduction entre médecins et patients de pas moins de vingt-trois langues et, pour améliorer les premiers contacts et l’accueil, un lexique multilingue est même en préparation. C’est dire la spécificité du lieu et l’attention que l’on veut y accorder aux patients.

    À lire, Avicenne, une histoire sans frontière, qui mêle témoignages et approches scientifiques, textes et photos, il y aurait bien un « esprit Avicenne » marqué par une cohésion du personnel médical (infirmières et médecins) et une solidarité entre les patients et leurs soignants. Les dernières manifestations publiques de cette cohésion et de cette solidarité remonteraient aux grèves de 1988 et 1998 car, au cœur de cet « esprit d’Avicenne » se nichent le ferment de la révolte et le refus de l’injustice. Révolte d’abord contre les préjugés et l’ignorance à l’égard de l’Autre, l’indigène, le musulman, l’immigré, révolte ensuite contre la mise à l’écart et le mépris qui colle à l’établissement. Car, si aujourd’hui Avicenne peut se vanter d’une histoire - somme toute et compte tenu du bilan présenté - exemplaire, à sa création, l’hôpital Franco-musulman baignait dans les remugles et les ambiguïtés paternalistes de l’idéologie coloniale.

    Quand la France républicaine et civilisatrice veut remercier « ses » soldats de l’Empire venus verser leur sang en 14-18 pour la défense de l’hexagonale patrie, elle n’ouvre pas des établissements scolaires et ne cherche nullement à favoriser des réformes dans les colonies. Non, elle relègue « ses indigènes » au seul espace de la religion, leur fait l’aumône d’une mosquée, LA mosquée de Paris et décide de les soigner… à l’écart dans « un hôpital réservé », « un hôpital d’exclus ». Bien sûr, la France sait mettre la forme. L’architecture néomauresque tranche avec l’ennuyeux et terne style des bâtiments construits au même moment (voir l’hôpital Beaujon). L’heureux métissage de l’architecture marocaine (la porte de l’hôpital est inspirée de la porte al Mansour al’Alj à Meknès) et européennes n’altèrent en rien les exigences de fonctionnalités et de modernités médicales de l’époque.

    Pourtant, malgré la doucereuse phraséologie officielle, l’hôpital Franco-musulman devait bien être un lieu de relégation et de contrôle, rattaché non pas à l’administration de l’Assistance publique mais aux services de … police.

    C’est en 1925 que le SSPINA, le Service de surveillance et de protection des indigènes nord-africains, est créé à l’initiative de Pierre Godin. L’ancien administrateur colonial et élu du Conseil municipal de Paris cherche à encadrer et contrôler les populations nord-africaines de la région parisienne, dans le cadre d’un dispositif où services administratifs, sociaux et sanitaires sont regroupés. Ainsi, au « Franco » on soigne certes, mais avant les soins il y a le flicage…

    Cette assignation à résidence médicale n’est pas du goût de tous. Dès l’inauguration, le maire de Bobigny boude les festivités. Les travailleurs Nord-africains eux-mêmes rechigneront, et certains nationalistes algériens ne se priveront pas de quelques déclarations hostiles. Il faudra tout de même attendre 1945 pour, officiellement, tirer le bilan de l’échec d’« une politique ségrégationniste en matière de santé » et couper le lien entre l’hôpital et la préfecture de Police de Paris. Désormais l’hôpital sera rattaché aux services de l’administration départementale.

    Hôpital réservé aux seuls immigrés musulmans, « le Franco » était aussi un hôpital isolé. Les témoignages rassemblés rappellent « le p’tit car du soir » qui conduisait le personnel aux portes de Pantin ou de la Villette. Pour atteindre cet « hôpital du bout du monde », une seule solution « par tous les temps, s’armer de courage et marcher d’un pas décidé ». Hôpital pas comme les autres, méprisé comme « musulman », issu d’une administration départementale, excentré et isolé dans une lointaine banlieue, rouge qui plus est, le « Franco » est l’« oublié », le « parent pauvre de l’AP-HP », son intégration dans la grande famille de l’AP est difficile, problématique, entachée d’a priori. D’où ce sentiment d’exclusion exprimé par des membres du personnel. En 1962, il est enfin rattaché à l’Assistance publique et en 2003, Avicenne fait partie du Groupement hospitalier universitaire Nord. « La marge s’est réduite, c’est désormais « intégré » qu’Avicenne doit penser son avenir et s’éloigner, dans la réalité comme dans ses états d‘âme, des exclusions des débuts ».

    Comme toujours en histoire, il y a le mouvement des idées, il y a le mécanisme des structures et il y a, pour contrarier tout cela, mettre un peu d’huile dans les rouages, l’action des hommes. Au Franco-Musulman quelques personnalités émergent d’un terreau riche en humanité : en 1942, le docteur Ali Sakka, profitant des ressources de l’hôpital, s’applique à discréditer les préjugés de l’institution. Il montre que les souffrances des tuberculeux musulmans sont dues aux bas salaires et à leurs conditions de logement et non à une supposée prédisposition raciale, comme Godin et d’autres l’affirment. La même année, le docteur Ahmed Hadj Somia facilite l’ouverture de l’hôpital aux Balbyliniens. Il faut aussi dire l’abnégation et le dévouement d’Abdelhafid Ben Mohamed, dit Haffa, le premier gardien de l’hôpital pour faire du couscous du vendredi une institution. Lucien Israël a été cancérologue à Avicenne de 1976 à 1995. Dès son arrivée et subrepticement, il ouvre un service de cancérologie malgré l’hostilité de l’Assistance publique. Résultat en matière de cancérologie, Avicenne grâce au service de L.Israël a, durant ces années décisives, donné « le signal ».

    Par leurs actions, contrariant les plans échafaudés par d’autres, ces hommes et ces femmes d’Avicenne ont fait reculer l’ignorance, soigner les malades et former des générations de médecins.

    Aujourd’hui le travail et les innovations se poursuivent : ouverture d’une consultation en ethnopsychiatrie (passons ici sur les débats soulevés par cette discipline), présence de femmes médiatrices, de femmes « nourricières », qui, en préparant pour les malades des plats « du pays », aident à ce que la nourriture retrouve ses « dimensions thérapeutiques, culturelles et psychologiques », participation au projet européen « Migrant Friendly Hospital » pour « la prise en compte des spécificités socioculturelles des patients migrants dans les pratiques des soins » etc.

    Mais l’indispensable lutte contre la méconnaissance de l’Autre n’élude pas une question malheureusement absente de cette évocation : comment encourager un vivre ensemble harmonieux sans tomber dans un exotisme différentialiste aussi réducteur et méprisant que le paternalisme des origines ? Olivier Bouchaud, animateur du groupe de réflexion sur la prise en charge des migrants rassure en indiquant qu’à Avicenne la philosophie générale est de ne « pas figer les soignants sur les différences ou les spécificités culturelles mais à l’inverse, en développant la réflexion sur l’altérité, de mieux faire prendre conscience que les différences ne sont qu’apparentes et que l’Homme est fondamentalement universel »

     

    Assistance publique-Hôpitaux de Paris, 2005, 160 pages, 18 euros

     

     

  • Ayélé, fille de l’ombre

    Véronique Ahyi-Hoesle

    Ayélé, fille de l’ombre

    1-DSCF0548.JPG« Je marche seule dans la vie, sans savoir où je vais. Ma vie ne m’appartient pas. Mais à qui appartient-elle ? Je me sens comme une feuille qui vole au gré du vent (…) ». Qu’il est donc dur d’être métis ! Du moins tant que l’on reste aimanté par l’un des deux pôles du métissage, tant que l’on n’a pas inventé une autre façon d’être au monde, libérée des chimères de l’attachement et autres illusions identitaires.  Ce n’est pas Ayélé, la « fille de l’ombre » qui le démentira. Ce roman raconte l’histoire dramatique et tragique d’une jeune fille née des amours d’une Française et d’un Togolais. Tout va pour le mieux, mais pourtant pas question pour Marie-Eleonor de présenter Pierre Epiphane Akwune à ses parents ! Pas question de franchir la ligne jaune : un « nègre » n’a rien à faire dans la famille et Adèle, la mère, impitoyable, veille à la pureté, sociale et raciale, des siens !

    Aussi, quand Claudine Ayélé voit le jour, on fera ce qu’il faut pour se « débarrasser » de l’enfant aux deux prénoms. Placée en pension dans une famille ouvrière de la banlieue lyonnaise, puis chez une bobo hystérique et hostile, « la fille de l’ombre » sera, durant toute son enfance et au delà, rejetée, salement repoussée, niée, dépréciée. Elle est la « noiraude », la « négresse », objet de « curiosité », de « haine » et des fantasmes salaces et pervers des hommes.

    A l’adolescence, le vent portera Claudine du côté de ses origines africaines. Alors qu’en France certains cercles militants et associatifs lui « lobotomisent le cerveau », elle s’aperçoit, dès son premier séjour chez son père, que si « la France me rejette, le Togo me garde à distance ». Plus tard, elle épousera pourtant un camarade sénégalais et s’installera à Dakar. « La curiosité que j’ai suscitée dans la famille de Sébastien et l’hostilité à peine voilé de sa mère m’ont fait prendre conscience que je suis et resterai une étrangère ».

    L’Afrique fit rêver la jeune française aux origines mêlées. Elle déchante vite quand elle découvre la réalité africaine, qui, comme toute réalité humaine, ne supporte ni généralisation, ni essentialisation. Et, pour peu que la misanthropie gagne, le commerce des hommes est davantage source de déceptions que d’heureuses surprises. Enfin…! Véronique Ahyi-Hoesle ne manie pas la langue de bois. Après avoir décrit l’enfance difficile de son héroïne, le rejet, abject, de sa mère, témoignant du racisme ambiant, elle ne verse pas pour autant dans une sorte d’angélisme tiermondiste : l‘expérience africaine de Claudine-Ayélé est livrée crûment, ne cachant rien de la complexité des situations, des travers et des manigances des uns, l’hostilité des autres et la découverte de réelles différences culturelles. Claudine-Ayélé devra souffrir pour se débarrasser de ses fausses attaches, s’émanciper et pacifier ce qui en elle s’inscrit dans deux univers culturels mais qui ne suffisent pas pour autant à la définir.

    Les passages sur l’enfance paraissent parfois maladroits, empruntés, sans souffle. La phrase de Véronique Ahyi-Hoesle s’anime lorsqu’il est question de l’Afrique ou de la malveillance de tel ou tel personnage. Le style peut alors devenir vachard, caustique. Quelques plages d’humour traversent aussi ce récit, notamment les face à face entre Claudine et son grand père maternel, vieux bougon distingué, plus nostalgique des colonies que fieffé raciste.

     

    Éditions Bénévent, 2010, 195 pages, 16,50€

     

  • La Géopolitique et le géographe. Entretiens avec Pascal Lorot

    Yves Lacoste

    La Géopolitique et le géographe. Entretiens avec Pascal Lorot

     

    la_geographie_des_conflits_yves_lacoste.jpgC’est un long et riche entretien que donnent ici Yves Lacoste, géographe, historien, célèbre figure de proue de la géopolitique française et fondateur en 1976 de la revue Hérodote et Pascal Lorot, président de l’institut Choiseul et directeur des revues Géoéconomie et Sécurité globale. Riche parce que les discussions portent aussi bien sur la vie d’Yves Lacoste depuis l’origine quercynoise de la famille, les amis, ses lectures jusqu’au Maroc natal et les nombreux pays visités, pays d’études ou de résidence, en passant par les domaines de recherche de l’universitaire et les controverses qui ont émaillé plus de cinquante ans de vie intellectuelle hexagonale, de la question coloniale au récent débat sur l’identité et la nation.

    Yves Lacoste se livre à un vaste tour d’horizon de sa discipline qu’il arrime à la géographie et à l’histoire, en présente la genèse (on y croise Friedrich Ratzel, Vidal de La Blache, Élisée Reclus ou Ibn Khaldoun), la méthode (qui emprunte à la théorie des ensembles, au jeu des intersections et à l’étude des représentations, tant individuelles que collectives). La géopolitique étant définie comme  « toute rivalité de pouvoir sur des territoires, y compris ceux de petites dimensions » l’analyse peut aller de l’infiniment petit (les colonies israéliennes en Cisjordanie par exemple) à l’infiniment grand, les luttes et conflits planétaires avec la grande question du moment, selon Yves Lacoste : « l’extension du mouvement révolutionnaire islamiste ».

    Les migrations n’échappent pas à l’auteur de La Question postcoloniale (Fayard 2010) : « L’immigration ne devient un problème géopolitique qu’à partir du  moment où il y a rivalité de pouvoir sur des territoires : c’est ce qui se produit aujourd’hui en France, du fait de la concentration, dans les « grands ensembles » d’habitat collectif construits en banlieue, d’une grande partie des descendants d’immigrés algériens venus paradoxalement en France au lendemain de la guerre d’Algérie (…) » explique t-il.

    Si Yves Lacoste relie les banlieues et les émeutes de 2005 à « la question postcoloniale » - ce n’est qu’une question explique t-il, une question qui n’appelle pas de réponse - ce n’est pas pour faire un parallèle entre des situations si diverses et des temps si lointains qu’ils sont irréductibles les uns aux autres. Non ! S’appuyant entre autres sur les réponses à un questionnaire de l’association ACLFEU, conseillée par le chercheur Jérémie Robine, distribué aux habitants de « 500 à 600 grands ensembles » de France, le lien qu’il établie entre « question postcoloniale » et malaise des banlieues, s’enracine ailleurs, dans l’ignorance d’une histoire et l’absence de transmission. Pour Yves Lacoste : le « mal-être », le « malaise » des jeunes est né d’une interrogation, terrible, profonde, déstabilisante : pourquoi sont-ils nés ici, en France ? Pourquoi ont-ils vu le jour dans le pays des anciens colonialistes ? La réponse que propose ce spécialiste de l’histoire nord africaine et notamment algérienne n’est pas celle, on s’en doute, de certaines associations, « indigènes » autoproclamés et pétroleuses de la république. Ces jeunes des banlieues, et surtout les jeunes issus de l’immigration algérienne ignoreraient l’histoire familiale, et les raisons qui ont conduit leurs parents et/ou grands parents à rester ou à venir en France au lendemain de l’indépendance. L’originalité de l’analyse – qui se limite aux seuls descendants d’Algériens, quid alors des autres migrations ?  – est de faire de l’immigration algérienne, non pas, ou pas seulement, une immigration économique mais aussi (surtout ?) une immigration politique. Il faut alors se plonger dans l’histoire, collective du mouvement national et les histoires individuelles, des pères et des mères. L’explication est alors plurielle : il faut remonter à la guerre fratricide du FLN et du MNA ; au conflit en Algérie qui, au lendemain même de l’indépendance, opposa le maquis kabyle à l’armée de l’extérieur de Boumediene et Ben Bella ; au rôle central de la Kabylie dans le mouvement national et dans la lutte pour l’indépendance et, après 1962, à son excommunication de la vulgate nationaliste. Il faut enfin, toujours selon Yves Lacoste, évoquer les bataillons de migrants algériens qui, dans le silence, ont fuit « un pouvoir totalitaire ».

    Si les Algériens sont restés dans ces « grands ensembles », qui n’étaient nullement des ghettos à l’origine précise-t-il, c’est parce qu’à la différence de leurs voisins portugais, rentrés massivement au pays à la chute de Salazar, eux, ne rentrèrent pas… Certes, tout cela n’élude pas les questions économiques, sociales, ou les rapports entre jeunes et police, mais offre à l’analyse un autre espace de compréhension. D’ailleurs, l’auteur kabylophile, comme son épouse Camille, spécialiste de la Kabylie, vante les mérites de l’immigration kabyle, sont rôle d’ « exemples » et d’ « entraineurs » pour d’autres jeunes, issus ou non de l’immigration.

    Banlieues, grands ensembles, islam, migrations… une illustration parfaire de la méthode appliquée par Yves Lacoste : l’« articulation des différents niveaux d’analyse spatiale » pour faire sens, éclairer et surtout agir. On est loin ici des méthodes psychologisantes et des discours idéologiques : tout est concret, presque pratique, dégraissé au possible, prêt pour l’action.

     

    Edition Choiseul, 2010, 270 pages, 20 €