Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Immigration - Page 7

  • Samba pour la France

    Delphine Coulin
    Samba pour la France

    440033706.jpgSamba est un Malien sans-papiers, installé à Paris depuis une dizaine d’années. Alors qu’il se trouve à la préfecture pour régulariser sa situation administrative, le jeune homme d’une trentaine d’années, travailleur sans histoire, à jour de ses impôts et autres cotisations, est embarqué manu militari par la police et expédié, fissa, au Centre de rétention administrative de Vincennes. Delphine Coulin raconte sa vie et celle de quelques autres immigrés, sans papiers ou non. Pour chacun (l’oncle Lamouna Sow, les Congolais Gracieuse et Jonas ou Wilson, le Colombien) elle remonte au pays laissé derrière soi ; à Bamako la miséreuse,  à « l’enfer » congolais, à la violence à Bogota… aux drames des départs choisis ou des fuites forcées. Elle raconte les périples dangereux, souvent meurtriers, les blessures secrètes des âmes et les traces laissées sur les corps par la boucle de ceinture d’un militaire algérien ou les balles de la police espagnole à Melilla. Pour rejoindre l’Europe, il faut en payer le prix. Le prix de la vie parfois.
    La France consent généreusement les plus dures et les plus sales boulots. Pour autant, personne ne s’en plaint. Les existences sont sans lumière et les lendemains toujours incertains. Les logements suintent la misère, l’humidité et le froid. Il faut vivre reclus, solitaire, « invisible » et continuer à envoyer l’argent au pays. L’honneur l’exige et faire avec l’ingratitude des siens et la filouterie des banques.
    Samba Cissé aime la France. Et aussi Gracieuse. Avec les bénévoles de la Cimade, il se bat pour pouvoir rester en république française et éviter l’expulsion car « il ne pouvait pas à la fois aimer la France et la quitter ». C’est d’ailleurs une bénévole de l’association qui raconte son histoire et décrit les irrégularités des procédures, les obstacles administratifs à la régularisation (ici les feuilles d’impôt ne constituent pas des « preuves de vie » suffisantes, on exige des factures, des bulletins de salaires, des relevés bancaires…). Alors Samba glisse vers un peu plus de mensonges, un peu plus d’illégalité, usurpe des identités. La machine infernale est en marche ; elle dépossède de soi, désarticule les existences, morcèle les vies « qui ne forment pas une histoire » et sont imposées « au coup par coup ».
    Si l’écriture manque de reliefs, au moins est-ce sans pathos que Delphine Coulin raconte. Elle y montre un sens de l’observation et une capacité à se saisir de mille et un faits de l’actualité ou de l’expérience de chacun pour rendre crédible ses personnages. Elle offre la possibilité de « sentir » quasi physiquement des situations et des lieux (voir les épisodes à la préfecture, au CRA de Vincennes, les descentes de police et autres violences…) et les émotions (peur, culpabilité, colère et révolte).
    A l’heure ou l’on entend et lit tout et n’importe quoi, voici un livre qui restitue la dimension humaine d’affaires, d’abord et avant tout, humaines, loin des abstractions de l’incertaine statistique économique et autres quotas d’expulsions, certaines elles. Delphine Coulin aide à dépasser les instrumentalisations politiciennes et les manichéismes idéologiques même si parfois, ils semblent revenir insidieusement : « C’est une guerre. Tu dois te cacher, tu dois résister. Il y a deux camps, avec des idées opposées : la France pays des droits de l’homme, et la France rassisse, moisie. Cest une guerre et nous faisons partie du mauvais camp. »
    La migration est un phénomène universel. Entre les chapitres, se glissent quelques pages sur d’autres migrations, considérées, elles, comme « naturelles » : les tortues marines, les hirondelles, le saumon sauvage... Un façon de faire comprendre qu’ « il ny a qu’un seul monde » et que le mouvement fait partie de la vie .
    Le Prix Landerneau  crée en 2008 par les Espaces culturels E. Leclerc a récompensé Delphine Coulin, pour ce livre. Elle succède à Kéthévane Davrichewy (La mer noire, Sabine Wespieser, 2010). Deux bonnes cuvées.

    Edition du Seuil, 2010,  306 pages, 19€

  • L’Immigration ça coûte ou ça rapporte ?

    Jean Paul Gourévitch, L’Immigration ça coûte ou ça rapporte ? 

    Michèle Tribalat, Les Yeux grands fermés. L’immigration en France

     

    Gourevitch.jpgIl n’est pas d’usage de commencer la recension d’un livre en citant sa concierge ! Pourtant, le livre de Jean-Paul Gourévitch rappelle cette populaire expression selon laquelle « qui veut noyer son chien, l’accuse de la rage ». Monsieur Gourévitch manie la plume avec habileté : il use de la prétérition comme pas deux. Bien sûr ! Qui oserait mettre en doute la bonne volonté et l’absence de partie pris d’un auteur qui, en posant cette candide question, entend, de toute bonne foi, faire le point sur la présence de l’immigration dans ce pays ? Un pays qui s’est construit depuis au moins deux siècles par et avec l’immigration. Un pays dont les sillons ont été abreuvés du sang et de la sueur de millions d’immigrés aussi profondément que du « sang impur » des illustres petits-fils et arrières petits-fils du Gaulois Vercingétorix ; dont les ancêtres venaient eux aussi d’ailleurs.  De cela et de tant d’autres choses, l’esprit comptable ne tient pas compte. Reconnaissons le : tout ne peut être enfermé dans des formules algébriques. « De fait, reconnait l’auteur, les hommes politiques d’extrême droite ont été les premiers à soulever la question des coûts de l’immigration. Leur discours visait explicitement à contingenter voire à supprimer l’immigration. »

    Pour autant, « l’information sur les coûts (…) peut-être utile aussi bien à ceux qui favorisent ou considèrent comme un fait acquis le développement (sic) de l’immigration dans la société française qu’à ceux qui souhaitent l’encadrer, la freiner, voire inverser le cours de l’histoire en encourageant les retours au pays ou l’immigration du Nord vers le Sud. » Que les mauvais esprits n’imaginent pas là justement une prétérition, l’art de se mouiller sans prendre une goutte d’eau. Non ! Monsieur Gourévitch appartient peut-être et tout simplement à son temps : le chiffre est omniscient et la suspicion généralisée. Ils tiennent lieu de politique et de savoir-vivre, ce sont là les nouveaux fondements du vivre ensemble.

    Mais puisque le président Mitterrand lui-même  aurait prédit qu’après lui il n’y aurait  que des comptables, eh bien! comptons ! Première surprise à la lecture du livre dont le titre invite à fouiller son porte-monnaie, seuls deux chapitres sur les cinq (faisons grâce de l’intro et de la conclusion) sont là pour tenir la caisse. Il faut dire que l’auteur, et là il est convainquant, commence par recadrer les débats, rappeler quelques définitions, il contextualise et explique sa méthode. Moins convainquant sont les deux derniers chapitres où il évoque « les coûts immatériels » divisés en « défis » (les  migrations illégales  le racisme et la xénophobie, l’islam, l’échec du métissage social et les risques de ghettoïsation) et en « promesses » qui sonnent parfois comme autant de « défis » :  la jeunesse de la population immigrée, l’accès au pouvoir des élites de la diversité, l’importance et le rôle des diasporas en matière d’intégration et d’aide au pays d’origine,  la reconnaissance de la diversité culturelle et l’apparition d’une culture alternative.

    Autre surprise : qui sont les « immigrés » pour  monsieur Gourévitch ?  Les immigrés de plus de 18 ans : 4,87 millions ; les enfants d’immigrés de moins de 18 ans nés en France (eh oui) qu’il estime selon une extrapolation personnelle à 2,21 millions et enfin « la population immigrée en situation illégale » estimée, elle, à 535 000.  Résultat, pour M. Gourévitch il y aurait en France 7,54 millions d’hommes, de femmes et d’enfants d’origine étrangère soit 12,08 % de la population totale et l’auteur de souligner « on notera que les communautés maghrébines (3,4 millions de membres) et d’Afrique subsaharienne (2,4 millions de membres) représentent à elles deux 5,8 millions de personnes, soit les trois quarts de la population d’origine étrangère et près de 10% de l’ensemble de la population nationale ». Peut lui chaut qu’environ 40% des immigrés sont français par la loi, que les enfants d’immigrés vont se fondre dans le devenir national, ce ne sont, semble-t-il, en fait et en chiffres, que des « Français de papiers », des Français de seconde zone, des Français « entièrement à part », le second collège de la communauté nationale ! Et pourquoi alors ne pas remonter plus avant et compter tous ces Français d’origine étrangère qui étaient, a minima et selon Michèle Tribalat, quelques 14 millions en 1999 ?

     

    Alors ? Les chiffres donc ! Plus exactement « LE » chiffre. Celui qui court sur les blogs et autres forums de discussions. « Eh ! L’immigration ! ça coûte ou sa rapporte ? » Et bien l’immigration, d’après les calculs de monsieur Gourévitch, ça coûte et comme diraient les jeunes de banlieues : « ça coûte grave ! » : 27 milliards d’euros de déficit annuel sans compter les quelques 10 milliards d’euros recensés par l’auteur au titre d’investissements pour réduire la facture « immigration » : l’Aide publique au développement et la politique d’intégration qui comprend le budget de la politique de la ville, celui de l’Education pour les ZUS et autre dépenses de santé (AME).

    Pour arriver à ces 27 milliards d’euros, monsieur Gourévitch se veut exhaustif, scientifique, mesuré. Il manie ces chiffres comme de la dynamite, il met des gants, utilise des baguettes et tout le toutim. Et quand il ne possède pas de données ou des approximations nationales, il extrapole à partir de la Seine Saint-Denis, le 93 donc, le 9-3. Le sujet est explosif !

    Résumons : côté coût l’auteur arrive à la somme de 72 milliards d’euros. Il additionne les coûts en matière de sécurité et de budget ministériel (5,2 milliards), les coûts de la fraude fiscale (13,6 milliards y compris la contrefaçon et la resquille à la RATP !), le coût de la protection sociale (51,6 milliards, dont plus de 20 milliards pour des dépenses de santé que l’auteur suppose au même niveau que l’autochtone et plus de 16 milliards au titre des prestations vieillesse), enfin il retient des coûts éducatifs pour les étudiants étrangers (1,8 milliard d’euros, des étudiants que bien des pays développés cherchent à attirer chez eux, on se demande pourquoi ?).

    Quid des recettes ? Elles s’élèveraient à 45,2 milliards d’euros. Elles comprennent un peu plus de 12 milliards de contributions sociales et 33,2 milliards de recettes fiscales (dont 16,7 milliards de TVA et 6,8 milliards de fiscalité locale).

    Premier constat, sauf erreur, monsieur Gourévitch additionne torchons et serviettes. En l’occurrence contribuables et salariés. Il y a d’un côté la fiscalité, ce que chaque contribuable paie en impôt à l’Etat ou aux collectivités locales, quand ils ne s’esbignent pas à l’étranger, et de l’autre le Régime général (avec ses branches « maladie », « vieillesse », « famille »…) et le régime d’assurance chômage dont les caisses sont alimentées par les cotisations sociales acquittées notamment par les salariés et leurs employeurs.

    Qu’apporte cette distinction ? Elle montre d’abord que sur le plan fiscal, et compte tenu même des chiffres de monsieur Gourévitch, l’immigration rapporte (12,3 milliards). La somme des dépenses (sécurité, ministère, fraudes fiscales et autres cout éducatifs) s’élève à 20,7 milliards là où les contributions fiscales dépassent les 33 milliards d’euros.

    Elle montre aussi que le « déficit d’exploitation » de l’entreprise « immigration » porte sur les dépenses sociales et notamment sur les dépenses de santé et de vieillesse.

    Elle montre enfin que, et toujours selon les chiffres de monsieur Gourévitch, les 51,6 milliards de dépenses au titre de la protection sociale correspondent à 9,8 % des 526,2 millions des dépenses nationales donc, en deçà des 12,08 % de la population d’origine étrangère ici comptabilisée et même légèrement en deçà  des 10%  des seules « communautés maghrébines et d’Afrique subsaharienne » qu’affectionne l’auteur. Si, à croire notre auteur, le budget des dépenses sociales des populations d’origine étrangères est déficitaire, il ne l’est pas outre mesure. Il participe, à hauteur de son poids démographique, au déficit général : alors sont ce les immigrés et demain peut-être les retraités, les malades, les actifs, les femmes ou les jeunes qui sont responsables ou la logique et les ressorts d’un système qui a besoin d’être redynamisé ? Et en matière d’immigration, ne conviendrait-il pas aussi de se pencher sur l’efficacité des politiques mises en œuvres depuis des décennies ? C’est d’ailleurs une initiative prise par des députés de l’opposition mais aussi de la majorité, en lançant « un audit de la politique d’immigration ».

    Non ! Monsieur Gourévitch, lui, insiste : « une analyse plus fine montrerait que ce sont les familles originaires du continent africain qui génèrent la presque totalité du déficit des comptes de l’Etat. C’est aussi la population la plus touché par le chômage, qui a le plus faible taux d’activité, le moins de revenus et le plus grand nombre d’enfants ».  A ce compte, les chiffres étant de dociles marionnettes aux mains d’habiles ventriloques, on finirait pas applaudir à la récente proposition des 125 députés algériens visant à criminaliser le colonialisme ou les militants qui en appellent à l’ouverture d’un fonds de compensation pour les descendants de victimes de l’esclavage et du colonialisme.

     

    L’auteur aurait peut-être pu orienter la réflexion en ce qui concerne les étrangers et autres immigrés, tenter d’expliquer des situations particulières. Non ! Rien sur le vieillissement d’une population qui, avant de subir le poids de l’âge, a été jeune et dynamique, a travaillé (et cotisé !) et qu’on est même parfois allez « recruter » de l’autre côté de la Méditerranée ou en Asie (voir le récent livre de Pierre Daum, Immigrés de force. Les travailleurs indochinois en France 1939-1952 paru chez Solin-Actes-Sud). Rien sur les heures de travail et les heures supplémentaires non déclarées par les employeurs comme témoignent aujourd’hui d’honorables chibanis. Rien sur l’espérance de vie des immigrés comparée à la moyenne nationale. Rien ou pas grand chose sur les emplois et le niveau des rémunérations des immigrés qui pourrait éclairer le faible volume des cotisations sociales. Rien non plus sur le travail clandestin (Gourévitch estime tout de même le manque à gagner en cotisations à 7,1 milliards d’euros) qui est moins le résultat d’un choix que d’une situation souvent imposée. Rien ou si peu sur les discriminations pour expliquer les taux d’inactivité et de chômage. Rien sur les quelques sept millions d’emplois qui sont fermés aux étrangers non communautaires. Rien sur les conditions de travail et cette aujourd’hui fameuse « pénibilité » qui pourraient expliquer bien des problèmes de santé (monsieur Gourévitch chiffre bien le « stress » que l’immigration causerait spécifiquement aux forces de l’ordre, policiers et gendarmes, soit 79,6 millions d’euros). Rien sur les allégements des charges sur les bas salaires payées par les entreprises et son incidence sur le montant des cotisations, rien demain sur le manque à gagner pour les caisses de l’auto-entreprenariat, etc.

     

    100743119.jpgMais le plus troublant, c’est sans doute l’originalité des conclusions et de la démarche de l’auteur. A lire Les Yeux grands fermés, le dernier livre de Michèle Tribalat, auteur rigoureux, qui ne dédaigne pas croiser le fer et que l’on ne peut soupçonner « d’immigrationnisme », force est de constater que toutes les études sur ces questions, études européennes ou nord-américaines, en arrivent à la conclusion que les incidences de l’immigration sur les comptes publiques, mais aussi sur la croissance, sont quasi inexistantes, dérisoires, marginales. « Globalement, qu’il soit positif ou négatif, l’effet sur les finances publiques est faible, quel que soit le scénario » (page 92).

    Et côté méthode, Michèle Tribalat s’appuie sur des études autrement sérieuses. Même si la multiplication des hypothèses fragilise d’autant les résultats de ces modèles économétriques, les économistes et autres démographes cités prennent en compte, eux, bien des variables pour déterminer l’effet de l’immigration sur les comptes publiques, sur la richesse nationale ou sur les salaires : nombre de générations, distinction entre le court et le long terme, caractéristiques des différentes immigrations, niveau de qualification, âge, sexe, taux d’emploi, fixité ou non de certaines dépenses publiques (comme le budget de la défense), âge d’arrivée dans le pays d’accueil, comportement d’épargne, de consommation etc. Finalement, comme l’écrit Michèle Tribalat « l’immigration prise globalement, ça n’existe pas ». Des distinctions sont à opérer dans le temps, entre les différentes vagues d’immigration comme dans les caractéristiques de chaque migration. Elle rappelle notamment que le niveau de qualification détermine des différences en terme de taux d’emploi et de niveau de rémunération qui expliquent à leur tour, les incidences positives ou négatives sur les comptes de la nation. Rien de vraiment surprenant en soi.

    En résumé, à la différence des conclusions de monsieur Gourévitch, pour Michèle Tribalat, l’immigration ne rapporterait rien… mais ne coûterait rien non plus. Ces modèles d’une autre complexité, ces équations aux multiples variables finissent par faire ressembler les comptes de monsieur Gourévitch à des additions sur un coin de nappe en papier(1).

    Conséquente avec elle-même, Mme Tribalat en tire comme enseignement le fait que si l’immigration n’est ni une charge ni une aubaine, on ne peut dès lors prétendre que les immigrés seraient la solution aux problèmes du financement des retraites, au vieillissement de l’Europe ou un recours pour « booster » la croissance.  Monsieur Gourévitch lui, cherche au contraire, une solution.

     

    « L’immigration apparaît comme une charge financière pour l’Etat qui l’accueille (sic) » une charge de 37,7 milliards (27,075 milliards + 10,245 milliards au titre des dépenses d’investissement en intégration et en APD).  Alors l’auteur y va de ses propositions pour parvenir à équilibrer les comptes et sans doute justifier la présence de ces hommes et de ces femmes venus d’ailleurs. Pour combler les déficits, il retient quatre hypothèses : réduire le chômage des immigrés (1 point par an), augmenter le revenu de la population immigrée (+ 1% par an), faire venir 100 000 nouveaux migrants de plus de 18 ans, célibataires bien sûr, et actifs (mais il faudrait 7 millions d’immigrés et attendre … 70 ans) ou régulariser chaque année quelques 30 000 Sans-papier, toujours célibataires et toujours aussi vaillants ! A l’arrivée il faudrait régulariser plus d’1,3 millions de Sans-papiers et attendre 44 ans pour, selon l’auteur, résorber le déficit initial.

    Comme tous ces scénarios sont irréalistes, absurdes ou insuffisants en soi, pourquoi ne pas les combiner ? Il ne faudrait plus alors que huit années pour rétablir les comptes de l’immigration, et pour le reste, faire baisser le chômage, augmenter les rémunérations, facile, non ? Après la prétérition, monsieur Gourévitch qui vient de participer aux « assises contre l’islamisation de l’Europe » organisées par les associations Riposte laïque et le Bloc identitaire, devient un maître de l’apagogie ! Puisqu’il ne peut ou ne veut dire ouvertement que les immigrés seraient une charge pour les Français pure sucre, il démontre, sans en avoir l’air, qu’aucune solution n’existe pour retourner la situation. Alors que fait-on de ces pauvres bougres, Français de papiers et autres étrangers ?

    88531.jpgSur ce sujet, Abdelmalek Sayad écrivait : « rationaliser dans le langage de l’économie un problème qui n’est pas (ou pas seulement) économique mais politique, revient à convertir en arguments purement techniques des arguments éthiques et politiques. » Et pour être tout à fait clair, il ajoutait : « l’exercice comptable (…) ne saurait se réduire à ce qu’il croit et veut être, une simple technique visant à « rationaliser les choix » des décisions à prendre. Parce qu’il s’applique à une population  jouissant d’un statut particulier, il n’a rien de commun avec tel ou tel exercice analogue portant sur un autre groupe : alors que, quand il s’agit, par exemple, de la petite enfance, des jeunes ou des personnes âgées, la question posée est seulement de prévoir et de dégager les moyens que requiert le traitement  qu’on veut réserver à la population concernée, dans le cas de la population immigrée, il s’agit de juger des profits et des coûts qui consiste à recourir à l’immigration, c’est-à-dire de l’existence ou de la « disparition » de la population immigrée. » Sayad le disait mieux, beaucoup mieux. Mais il ne disait pas autre chose que ce que dit ma concierge !

     

    1- Mentionnons aussi le rapport dirigé par le professeur X. Chojnicki, maître de conférence à Lille 2, remis en juillet 2010 au ministère des Affaires sociales qui aboutit lui, pour l’année 2005, à un impact positif de l'immigration sur le budget de 4 milliards d'euros...

     

    Édition Larousse. Collection « À dire vrai », 2009, 160 pages, 9, 90 €

    Édition Denoël, 2010, 222 pages, 19 €

  • Chibanis

    Philippe Bohealy et Olivier Daubard,
    Chibanis


    Chibanis.jpgLes auteurs, le premier est comédien et metteur en scène, le second, artiste paysagiste et photographe, ont rencontré et écouté pendant plusieurs semaines les récits d’une quinzaine de “chibanis”, ces vieux Algériens (ici de Clermont-Ferrand) qui “sont passés à travers toutes les gouttes de l’Histoire” : l’exil, le quasi esclavage salarial, les logements insalubres, les maladies qui en découlent, les accidents de travail avec parfois la mort au bout, la misère, la solitude loin des siens restés au pays...
    À partir de ces entretiens, ils ont écrit un texte avec les mots de ces rescapés, des mots illustrés par une vingtaine de photos et de portraits. Récits souvent poignants, jamais larmoyants ou misérabilistes, écrits à la première personne et présentés comme “un acte de mémoire dont ce livre serait le passeur”.
    Aujourd’hui, pour ces vieux Algériens de France, les journées sont longues, sans but. Des journées entières à arpenter toujours les mêmes rues, à refaire toujours le même chemin, celui du premier jour. Voilà qui rappelle les déambulations quotidiennes des personnages  de Gare du Nord, le roman d’Abdelkader Djemaï.
    Errance d’une vie. Errance des derniers jours. Seul et sans attaches. Silhouettes fragiles mais toujours dignes qui passent dans l’indifférence d’une société si pressée qu’elle en oublie ses « éternels principes »… et préfère tirer un trait sur ce qu’elle leur doit.
    Au fond, si ces portraits et ces témoignages sont si bouleversants, ce n’est certes pas pour les larmes versées sur des existences volées. Ils ne les demandent pas et ne cherchent même pas à les provoquer. Ils sont loin de se poser en victimes. Eux ! Que chacun mettent la main à sa conscience, ils ne sont pas là à donner des leçons.
    Le temps a passé et le temps il passe pour rien” disent tristement ces chibanis. Le temps a passé certes. Pour rien ? « Faut voir… » comme chantait Gainsbourg.

    Préface de Jean Michel Belorgey, édition Bleu autour, 2002, 59 pages, 10 €


  • Immigration, le défi mondial

    Philippe Bernard
    Immigration, le défi mondial


    girlmirror32.jpgJournaliste au Monde et spécialiste des questions d’immigration, Philippe Bernard donnait ici un livre dense mais jamais confus, au ton informatif et toujours argumenté. Si depuis sa parution nous sommes entrés dans l’ère de « l’immigration choisie » abandonnant le fantasme de « l’immigration zéro » et si quelques chiffres sont à actualiser, ce petit livre demeure bien utile, par sa quasi-exhaustivité sur la question et le rappel de données statistiques, historiques, juridiques et autres mesures gouvernementales prises depuis 1974, le tout sans jamais perdre de vue l’essentiel : pointer les enjeux des migrations mondiales mais aussi ceux de l’immigration en France.
    Car, si Philippe Bernard a choisi de titrer son ouvrage sur le « défi mondial », il aurait tout aussi bien pu mettre en avant d’autres défis, ceux qui se limitent aux frontières de l’Hexagone et qui baignent, encore et toujours, dans une mare de confusions, d’approximations et d’erreurs d’où il est difficile de s’extraire. Didactique, l’auteur en fournit quelques illustrations et permet de dépasser ces lieux communs où pataugent trop souvent les débats qui empêchent d’aborder les vraies questions. Ainsi du prétendu coût social des immigrés, du « faux-semblant » de la délinquance étrangère, de cette « fausse évidence », économiquement « aberrante » qui établit chez le vulgum pecus perméable aux arguments spécieux une correspondance entre chômage et immigration ou encore de cet autre mirage du bon sens, un temps en vogue chez nos hommes politiques, qui consisterait à fermer les frontières et à prôner une immigration zéro. L’enjeu est de taille car il ne s’agit pas moins du devenir du vivre ensemble dans une France par ailleurs engagée dans la construction européenne et ballottée par une mondialisation qui prône allègrement la libre circulation des biens et des capitaux et semble rétive à celle des hommes. Tout pourtant n’est pas sombre sous le ciel de l’intégration à la française. Reprenant les résultats de l’enquête de l’Ined publiée par M.Tribalat en 1995, l’auteur rappelle « la relative bonne santé des mécanismes d’intégration » mesurée par l’utilisation de la langue française, le nombre de mariages mixtes, les pratiques religieuses, la scolarité (l’insertion professionnelle est autrement problématique pour les jeunes d’origine maghrébine notamment) ou les acquisitions de la nationalité française.
    Mais fort justement P.Bernard montre aussi les pièges des discours sur l’intégration. Tout d’abord parce qu’ils ne cessent de renvoyer des jeunes nés en France depuis deux voir trois générations « à une appartenance culturelle irréductible » et, ajoutons largement fantasmagorique. Ensuite, ces discours devenus insupportables pour beaucoup « masquent la violence sociale que produisent les discriminations dans l’accès à l’emploi, au logement, aux services publics, face à la police ou à l’entrée des boîtes de nuit ».
    Autres obstacles pour les années à venir : les conséquences d’un type d’urbanisation qui peut mener à la ghettoïsation, l’émergence d’un racisme qui ne puise plus ses principes dans une idéologie inégalitaire mais, s’appuyant sur un dévoiement du droit à la différence, prône l’affirmation de soi en soulignant l’inassimilabilité des cultures et les dangers du métissage ou encore la montée de tendances communautaristes (les pratiques matrimoniales turques sont pointées du doigt).
    L’auteur relève « cinq » (en fait ils sont six) défis pour les années à venir : l’école qui ne doit pas s’ouvrir aux cultures d’origine ; la politique familiale qui doit viser à consolider les familles, y favoriser l’autonomie de la femme mais aussi la transmission entre les générations ; l’urbanisme populaire qui depuis un demi siècle s’apparente à une politique de relégation. Il ne suffira pas de démolir mais de prendre en compte aussi la répartition des populations immigrées, l’accès aux services publics et la lutte contre les pratiques discriminatoires. P.Bernard ajoute deux enjeux : l’islam avec d’un côté son aptitude à « s’acclimater » à la laïcité républicaine et de l’autre « la souplesse de la société française pour accepter cette religion » et un « enjeu mémoriel », la capacité de la société à intégrer la mémoire des anciens colonisés. La lutte contre les discriminations et le respect de l’égalité républicaine est le sixième et dernier défi.
    Si, sur les six chapitres du livre, cinq concernent la France, il n’en demeure pas moins que l’immigration est aujourd’hui de dimension planétaire comme invite à en prendre conscience le chapitre d’ouverture du livre. 125 millions de personnes dans le monde vivent en dehors du pays dont ils ont la nationalité. Si l’on y ajoute les quelque 30 millions de « déplacés » dans leur propre pays, le monde compte 150 millions d’hommes et de femmes en migration soit 2,5% de sa population totale.À cette échelle et paradoxalement les craintes d’un déferlement d’immigrés en Europe ne tiennent pas. Tout d’abord parce que sur ces données l’éclatement de l’ex-URSS et avec lui la multiplication des Etats a eu un effet artificiel « en produisant à lui seul 45 millions d’étrangers ». Mais surtout P.Bernard montre que la majorité de ces mouvements de populations se situe au sein de l’hémisphère sud et que malgré le différentiel important des taux de rémunération du travail entre le Nord et le Sud, il n’y a nulle « invasion » mais des risques énormes pris par certains ressortissants des pays pauvres (2000 morts ont été recensés aux frontières de l’Europe entre 1993 et 2000).
    L’immigration n’est pas seulement le fait d’une pression du Sud, elle correspond aussi à l’appel des pays développés : besoins du marché du travail, besoins démographiques, offre de travail illégal de plusieurs secteurs économiques... Ajoutez à cela les gains tirés par les maffias albanaises, chinoises et turques du trafic de clandestins (de cinq à sept milliards de dollars de chiffre d’affaires par an !), plus ceux tirés de la traite des femmes et l’on comprend que le tableau ne peut se réduire à cette inconvenance qui consiste, parfois en toute bonne foi, à demander si les pays européens peuvent ou non accueillir « toute la misère du monde ».
    Pourtant, les migrations mondiales, de plus en plus complexes et aux causes plurielles (travail, regroupement familial, quête d’un asile) se heurtent à la volonté des Etats de contrôler les entrées. De ce point de vue, en Europe, dans le cadre d’un processus de communautarisation du dossier de l’immigration, les enjeux des prochaines années sont clairement énoncés : harmonisation des statistiques européennes, mise au point d’une politique européenne de l’asile, rapprochement des législations sur l’entrée et le séjour des étrangers...
    Défi national, défi mondial, l’immigration est au cœur des questions identitaires. De même que la population de la France, cette « terre d’immigration » n’est plus seulement « multiprovinciale » mais aussi « multiraciale », qu’elle est de moins en moins hexagonale « et de plus en plus européenne voire planétaire », de même, la population de la planète se mondialise progressivement. Ce mouvement tend à relativiser les prétentions universalistes des uns et bute sur les fermetures communautaristes des autres, la toute puissance des marchés et la persistance des inégalités économiques, sociales et internationales. L’enjeu culturel et identitaire n’est pas et de loin le moindre des défis ici répertoriés. La France sera t-elle voir dans le miroir le reflet de son nouveau visage ?

    Edition Gallimard, Folio actuel, 2002, 346 pages

    Illustration : Picasso - Fille devant un miroir