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Samba pour la France

Delphine Coulin
Samba pour la France

440033706.jpgSamba est un Malien sans-papiers, installé à Paris depuis une dizaine d’années. Alors qu’il se trouve à la préfecture pour régulariser sa situation administrative, le jeune homme d’une trentaine d’années, travailleur sans histoire, à jour de ses impôts et autres cotisations, est embarqué manu militari par la police et expédié, fissa, au Centre de rétention administrative de Vincennes. Delphine Coulin raconte sa vie et celle de quelques autres immigrés, sans papiers ou non. Pour chacun (l’oncle Lamouna Sow, les Congolais Gracieuse et Jonas ou Wilson, le Colombien) elle remonte au pays laissé derrière soi ; à Bamako la miséreuse,  à « l’enfer » congolais, à la violence à Bogota… aux drames des départs choisis ou des fuites forcées. Elle raconte les périples dangereux, souvent meurtriers, les blessures secrètes des âmes et les traces laissées sur les corps par la boucle de ceinture d’un militaire algérien ou les balles de la police espagnole à Melilla. Pour rejoindre l’Europe, il faut en payer le prix. Le prix de la vie parfois.
La France consent généreusement les plus dures et les plus sales boulots. Pour autant, personne ne s’en plaint. Les existences sont sans lumière et les lendemains toujours incertains. Les logements suintent la misère, l’humidité et le froid. Il faut vivre reclus, solitaire, « invisible » et continuer à envoyer l’argent au pays. L’honneur l’exige et faire avec l’ingratitude des siens et la filouterie des banques.
Samba Cissé aime la France. Et aussi Gracieuse. Avec les bénévoles de la Cimade, il se bat pour pouvoir rester en république française et éviter l’expulsion car « il ne pouvait pas à la fois aimer la France et la quitter ». C’est d’ailleurs une bénévole de l’association qui raconte son histoire et décrit les irrégularités des procédures, les obstacles administratifs à la régularisation (ici les feuilles d’impôt ne constituent pas des « preuves de vie » suffisantes, on exige des factures, des bulletins de salaires, des relevés bancaires…). Alors Samba glisse vers un peu plus de mensonges, un peu plus d’illégalité, usurpe des identités. La machine infernale est en marche ; elle dépossède de soi, désarticule les existences, morcèle les vies « qui ne forment pas une histoire » et sont imposées « au coup par coup ».
Si l’écriture manque de reliefs, au moins est-ce sans pathos que Delphine Coulin raconte. Elle y montre un sens de l’observation et une capacité à se saisir de mille et un faits de l’actualité ou de l’expérience de chacun pour rendre crédible ses personnages. Elle offre la possibilité de « sentir » quasi physiquement des situations et des lieux (voir les épisodes à la préfecture, au CRA de Vincennes, les descentes de police et autres violences…) et les émotions (peur, culpabilité, colère et révolte).
A l’heure ou l’on entend et lit tout et n’importe quoi, voici un livre qui restitue la dimension humaine d’affaires, d’abord et avant tout, humaines, loin des abstractions de l’incertaine statistique économique et autres quotas d’expulsions, certaines elles. Delphine Coulin aide à dépasser les instrumentalisations politiciennes et les manichéismes idéologiques même si parfois, ils semblent revenir insidieusement : « C’est une guerre. Tu dois te cacher, tu dois résister. Il y a deux camps, avec des idées opposées : la France pays des droits de l’homme, et la France rassisse, moisie. Cest une guerre et nous faisons partie du mauvais camp. »
La migration est un phénomène universel. Entre les chapitres, se glissent quelques pages sur d’autres migrations, considérées, elles, comme « naturelles » : les tortues marines, les hirondelles, le saumon sauvage... Un façon de faire comprendre qu’ « il ny a qu’un seul monde » et que le mouvement fait partie de la vie .
Le Prix Landerneau  crée en 2008 par les Espaces culturels E. Leclerc a récompensé Delphine Coulin, pour ce livre. Elle succède à Kéthévane Davrichewy (La mer noire, Sabine Wespieser, 2010). Deux bonnes cuvées.

Edition du Seuil, 2010,  306 pages, 19€

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