Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Photos

  • Barbès Café. L’immigration algérienne racontée en chansons

    Mustapha Harzoune, Samia Messaoudi, Barbès Café. L’immigration algérienne racontée en chansons

     

    ILLUSTRATION BC COUV.jpgAu lendemain de la Première Guerre mondiale, les cafés de l’exil algérien vont se multiplier dans l’hexagone. Les années 20 sont prospères et la métropole réclame de la force de travail. Ça tombe bien, la colonisation, qui génère bien plus de misère que de civilisation, pousse ses enfants à venir chercher ailleurs le pain qui manque.

    Les bistros du populo version algérienne épouse alors la tradition du café parisien : lieu de convivialité, mélange du public et du privé, espace de loisirs et de travail, de l’entre soi et de rencontres. C’est l’ailleurs (breton, belge, arménien ou algérien) qui se pelotonne pour s’ouvrir à l’ici.

    C’est dans un de ces cafés que Méziane Azaïche, avec le soutien de l’historienne Naïma Yahi, a décidé de créer le spectacle du Barbès Café où l’histoire de l’immigration algérienne se raconte dans et par l’extraordinaire patrimoine musical laissé en héritage par plusieurs générations d’artistes. Chanteurs, musiciens, poètes ont essaimé paroles et musiques dans les bistros algériens de France et de Navarre. Patrimoine insolite, par trop ignoré, bien méconnu, insuffisamment restitué et injustement inemployé – tant sur le plan culturel que pour l’éducation des plus jeunes et la connaissance de tous et de chacun. Pourtant, le café, lqahwa ou kawa des immigrés algériens, prolonge cette longue tradition française qui, depuis le XVIIIe siècle, fait de ce lieu un acteur de premier plan de la vie culturelle et sociale du pays.

    Sur la scène du Barbès Café, les dialogues entre Lucette, la patronne (Annie Papin) et Mouloud, le client (Salah Gaoua), les chansons, interprétées par Samira Brahmia, Hafid Djemaï et Salah Gaoua, adaptées aux goûts et aux oreilles du jour par Nasredine Dalil, comme les vidéos colligées et montées par Aziz Smati, le tout mis en scène par Géraldine Bénichou, racontent cette part algérienne de la France contemporaine mais, surtout, restituent l’esprit d’un lieu, l’esprit d’un patrimoine artistique exceptionnel, l’esprit d’hommes et de femmes par trop anonymes.

    Le Barbès Café ne cache rien des souffrances et des injustices endurées. Mieux : spectacle historique, patrimonial, il montre, dans un jeu de miroir entre hier et aujourd’hui, comment les pires échos du passé continuent de résonner de nos jours. Oui ! « Voilà voilà que ça recommence » chante Rachid Taha. Encore ! Encore et toujours ! Et avec, ce sentiment détestable, ce malaise qui empêche de vivre. Cette autre insécurité dont se désintéressent les programmes électoraux.

    ILLUSTRATION BC COMPTOIR.jpgMais l’inimitié ou l’inhospitalité des hommes, l’hostilité des lois et des institutions n’ont pas eu raison de l’humanité et de la verticalité de l’immigration algérienne. Mieux, «Il faut imaginer Sisyphe heureux » comme dit Camus ! Face à la dureté des temps, la plus grande victoire de cette histoire reste son plus prometteur enseignement. Victoire que ces rencontres et ces amitiés du populo à l’atelier, sur les chantiers ou sur le zinc. Victoire que ces amours transfrontières – encore et toujours subversives – comme celui de Lucette et de Mouloud. Victoire que ces mélanges où les hommes et les femmes, les cultures, les langues, les expressions artistiques, etc. s’entrelacent pour dessiner les contours de mondes insoupçonnés. Victoire que cette disponibilité à décentrer le regard et se rendre disponible à l’Autre. Toutes ces victoires sur l’adversité ont transformé le visage de la France aussi sûrement qu’elles ont transformés le visage des Algériens de France. Se réapproprier cet esprit de fraternité et de création, c’est se détourner des apprentis sorciers du ressentiment, de la colère, de la haine de l’autre qui conduisent à la haine de soi et au chaos.

    Voilà sans doute pourquoi le Barbès Café est devenu pour beaucoup un spectacle «thérapeutique», résiliant. Voilà comment Méziane Azaïche et son équipe rejoignent la cohorte trop invisible et dispersée des bâtisseurs du futur, celles et ceux qui s’efforcent de transmettre au plus jeunes l’indispensable viatique de l’échange et du don, pour vivre. Et vivre mieux.

    ILLUSTRATION BC SCENE GROUPE.jpg

    C’est cette histoire que raconte ce livre. À partir d’un lieu, les cafés de l’immigration (chapitre 1). À partir d’un spectacle, le Barbès Café, sa genèse et ce qu’il a fini par représenter pour l’équipe et pour le public (chapitre 2). À partir aussi d’une sélection de chansons et de quelques repères biographiques d’artistes, hommes ET femmes (chapitre 3). Kateb Yacine aimait à citer Hölderlin pour qui « le poète est au cœur du monde », comme ces artistes, chanteurs et chanteuses ; de sorte que leurs textes comme leur vie racontent si bien ce que charriaient de poésie, de force, d’abnégation et de renouveau ces hommes et ces femmes transplantés.

    Le livre se referme sur le possible (et l’urgence) d’une autre pédagogie (chapitre 4). Cette pédagogie du Barbès Café, dessine les contours d’un autre rapport à l’histoire et à la transmission, aide à se mouvoir – à s’émouvoir – dans le méli-mélo des «ressources» culturelles et des fidélités. Une pédagogie qui rappelle et souligne la dignité des générations d’hier et qui, dans le même mouvement, ouvre les plus jeunes à la construction d’un futur qui soit un futur de partage, plutôt que de déchirements. Un peu plus festif aussi. « Vous êtes tous invités sur la piste, c’est la danse de demain quelque peu utopiste / mais cette époque a besoin d’espoir, soyons un peu rêveur, faut y croire pour le voir » chante Grand Corps Malade. Alors, musique !

    © Hocine Kemmache pour les deux photos du spectacle et Rodrigo Parada pour l'illustration  de la couverture.

    Au Nom de la Mémoire, 2017, 144 pages,  15 euros

  • Alger, La mémoire

    Mohamed Sadek Messikh
    Alger, La mémoire


    numriser0006gz9.jpgSurnommée par les Phéniciens Ikosim, « l'île aux mouettes » Alger a, tout au long de sa longue histoire, connu une succession de dominations et été le théâtre d'affrontements dramatiques, de catastrophes naturelles et autres épidémies dévastatrices. La ville a pendant plusieurs siècles terrorisé les nations européennes par une intense activité maritime. Aucune de ces grandes nations ne put mettre fin à ce que l'on a appelé La Course et réduire cette ville. Le puissant Charles Quint s'y brisa les reins  en 1571. Un siècle plus tard, Louis XIV y expédia par trois fois sa marine pour la bombarder ; en vain. Les expéditions danoise et espagnole du XVIIIe siècle ou anglaise du début du XIXe siècle ni firent rien. Non, il semble bien, après des siècles de canonnades, de feu et de sang, qu'un modeste coup d'éventail va sceller pour cent trente ans le sort d'Alger.
    Mohamed Sadek Messikh, psychologue de formation et amateur passionné d'antiquités, a depuis de nombreuses années, rassemblé une collection de cartes postales, documents anciens et vieilles photos sur Alger.
    Au fil des pages, cette iconographie couleur sépia présente les nombreuses artères et quartiers d'Alger, ses fortifications, ses maisons mauresques, ses mosquées,  sa population, en portrait ou en situation comme ces marchands ou ces scènes au bain maure, devant une fontaine, chez le barbier ou à l'intérieur des maisons...
    Ces illustrations ne portent que sur une période ancienne qui s'étend des origines de la ville (avec la reproduction de monnaies puniques découvertes à Alger) jusqu'aux environs du début du XXe siècle en passant par la reproduction de documents anciens, cartes et autres gravures.
    L'auteur accompagne cette documentation iconographique d'un long texte de présentation historique où dominent les guerres et les affrontements pour le contrôle d'Alger qui sera d'abord et tour à tour punique, romaine et berbère. C'est  en effet au Xe siècle que le fils de Ziri ibn Menad de la dynastie ziride fonde une ville nouvelle à l'emplacement exacte de l'ex-Ikosim, complètement ruinée, et qu'il l'a nomme El Djezair beni Mezghana du nom de la tribu berbère sanhadjienne. Alger passera sous le contrôle des Almoravides, des Almohades, de la dynastie Hafside, des Mérinides... avant « d'inaugurer » au XVIe siècle avec les fameux frères Barberousse une nouvelle et bien relative domination ottomane.
    Pour reprendre une citation  d'Henri de Grammont extraite de l'ouvrage Alger « en proie à l'anarchie perpétuelle et à un désordre inimaginable, [est] cette singulière ville cependant riche et heureuse ». Une richesse qui repose bien évidemment sur les fruits de la course et un bonheur qu'il convient tout de même de relativiser non seulement par les nombreuses émeutes qui régulièrement ensanglantent Alger mais aussi  par les épidémies de peste et période de famine qui de manière récurrente au cours des siècles ravagent le pays.
    En fin d'ouvrage  Mohamed Sadek Messikh accorde une attention  à la population de la ville - si diverse -,  à ses mosquées, à la maison mauresque, aux souks d'Alger et à son système d'alimentation en eau qui, et cela en surprendra plus d'un aujourd'hui,  a longtemps permit à ce liquide précieux d'y couler à profusion.

    Edition Paris Méditerranée, 1998, 26,60 € (réédition  Du Layeur
    édition, 2000)

  • Bretons de Paris. Des exilés en capitale

    Didier Violain
    Bretons de Paris. Des exilés en capitale


    Bretons-de-Paris_2009.jpgA lire le très beau livre que Didier Violain consacre aux Bretons de Paris l’on se rend vite compte que l’expérience de l’exil est, toute chose égale par ailleurs, la même, que l’on viennent de Bamako, d’Alger ou de Bretagne. Il y est là aussi question de différences, de communauté, de mémoire spécifique et même de la revendication d’une double culture, française et bretonne.
    C’est souvent pour des raisons économiques que l’on décide un beau ou triste jour de quitter les siens pour aller trouver du travail à Paris, quand ce ne sont pas les entreprises elles-mêmes qui recrutent la main d’oeuvre sur place comme les usines Citroën par exemple.
    Débarqué Gare Montparnasse, l’immigré breton peut compter sur la solidarité des siens : famille ou réseaux communautaires et espérer échapper aux pièges de la grande ville, cette Sodome que chante Glenmor.
    Paris, qui a peut-être fait rêver, réserve pas mal de désillusions : le travail y est difficile : sans qualifications les premiers immigrés bretons trouvent à s’employer comme terrassiers, bonnes à tout faire ou OS à l’usine. « C’est au Breton que l’on donne les travaux dont personne ne veut! A l’usine, à l’atelier, au chantier, tout est assez bon pour lui. Et comme il vit au jour le jour, sans avance et que derrière lui se trouve une femme avec quatre, cinq, six enfants, ils s’attèle aux besognes les plus ingrates, quelquefois même les plus délétères. C’est vraiment le paria de Paris », ainsi s’exprime le Père Rivalin, en 1898, au congrès des associations ouvrières de Saint Brieuc. Plus tard ils seront chauffeurs de taxis, coiffeurs, restaurateurs avant de se tourner vers l’administration. La mémoire bretonne n’oublie pas non plus les moqueries, les propos xénophobes voir racistes, la solitude de l’immigré et sa nostalgie du pays et des siens...
    Avec de nombreuses photos couvrant plus de cent ans d’immigration et une soixantaine de témoignages, l’auteur Didier Violain, breton lui même et parisien depuis 1980, dresse l’histoire de l’immigration bretonne à Paris. Elle a commencé avec la seconde moitié du XIXe et s'est prolongée, par vagues successives, jusqu’après la Seconde Guerre mondiale. Il n’était pas rare encore dans les années 50 ou 60 de croiser de vieux Bretons fraîchement arrivés dans la capitale qui ne savaient pas parler le français.
    Les Bretons de Paris, du quartier Montparnasse notamment, de Saint Denis, de Versailles, de Villeneuve le roi ou d’Athis Mons ont réussi à maintenir vivant le lien avec la terre d’origine et à faire vivre une culture à laquelle des générations de Bretons, même nées à Paris, restent toujours attachées, même quand il n’est question que du souvenir des origines comme en témoigne Patrick Braouezec, le ci devant maire d’origine bretonne de Saint Denis.
    Pour entretenir cette mémoire, et plus tard développer un discours revendicatif et identitaire, les Bretons de Paris et de sa région se sont dotés de nombreuses structures associatives - à l’image de La Maison de la Bretagne - et de lieux tels ces cafés et restaurants bretons qui ont été de véritables points d’ancrage de l'immigration bretonne. Il faut dire, comme le montre aussi l’expérience kabyle, que les artistes, chanteurs et poètes bretons ont beaucoup fait pour populariser et ancrer le discours identitaire. D’ailleurs, pour beaucoup, le 28 février 1978 marque le renouveau de l’identité bretonne. Ce jour-là Alan Stivell triomphait à l’Olympia.
    Ainsi, et même si les conditions, les époques, les obstacles et autres cultures ne sont pas les mêmes, rien de nouveau donc sous le soleil de l’émigration qu’elle soit africaine, européenne ou bretonne.


    Edition Les Beaux Jours, octobre 2009, 25€

    (Il s’agit de la réédition d’un livre paru en1997 aux éditions Parigramme)



  • Chibanis

    Philippe Bohealy et Olivier Daubard,
    Chibanis


    Chibanis.jpgLes auteurs, le premier est comédien et metteur en scène, le second, artiste paysagiste et photographe, ont rencontré et écouté pendant plusieurs semaines les récits d’une quinzaine de “chibanis”, ces vieux Algériens (ici de Clermont-Ferrand) qui “sont passés à travers toutes les gouttes de l’Histoire” : l’exil, le quasi esclavage salarial, les logements insalubres, les maladies qui en découlent, les accidents de travail avec parfois la mort au bout, la misère, la solitude loin des siens restés au pays...
    À partir de ces entretiens, ils ont écrit un texte avec les mots de ces rescapés, des mots illustrés par une vingtaine de photos et de portraits. Récits souvent poignants, jamais larmoyants ou misérabilistes, écrits à la première personne et présentés comme “un acte de mémoire dont ce livre serait le passeur”.
    Aujourd’hui, pour ces vieux Algériens de France, les journées sont longues, sans but. Des journées entières à arpenter toujours les mêmes rues, à refaire toujours le même chemin, celui du premier jour. Voilà qui rappelle les déambulations quotidiennes des personnages  de Gare du Nord, le roman d’Abdelkader Djemaï.
    Errance d’une vie. Errance des derniers jours. Seul et sans attaches. Silhouettes fragiles mais toujours dignes qui passent dans l’indifférence d’une société si pressée qu’elle en oublie ses « éternels principes »… et préfère tirer un trait sur ce qu’elle leur doit.
    Au fond, si ces portraits et ces témoignages sont si bouleversants, ce n’est certes pas pour les larmes versées sur des existences volées. Ils ne les demandent pas et ne cherchent même pas à les provoquer. Ils sont loin de se poser en victimes. Eux ! Que chacun mettent la main à sa conscience, ils ne sont pas là à donner des leçons.
    Le temps a passé et le temps il passe pour rien” disent tristement ces chibanis. Le temps a passé certes. Pour rien ? « Faut voir… » comme chantait Gainsbourg.

    Préface de Jean Michel Belorgey, édition Bleu autour, 2002, 59 pages, 10 €