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Allée 7, rangée 38

Sophie Schulze

Allée 7, rangée 38

 

portrait-Sophie-Schulze-2011-034.jpgDans ce premier roman que l’on pourrait qualifier d’hybride, Sophie Schulze raconte l’histoire de Walter, jeune allemand immigré en France au lendemain de la Première Guerre mondiale, en émaillant le récit de références et de citations d’Hannah Arendt, Husserl ou Robert Schumann, mêlant petite et grande histoire. Allée 7, rangée 38 tangue entre roman, reportage journalistique et essai (nombreuses et parfois longues citations pour un récit dégraissé).

L’Histoire, la grande, n’est pas tendre pour les existences et les histoires individuelles. Quand la machine à broyer entre en action, elle ne fait pas de détails ni de sentiments : Walter, jeune immigré allemand, arrive donc à Strasbourg en 1919. Il s’engage dans la Légion étrangère, histoire d’obtenir à la clef une naturalisation bien méritée. Il rencontre Alice, une Alsacienne du cru qui bravera l’autorité parentale pour s’en aller couler le parfait amour avec son étranger de mari. Mais voilà, occupation oblige, les tourtereaux ne sont pas bien vus dans un voisinage suintant le mépris cocardier et l’éternelle suspicion (on en sait encore quelque chose aujourd’hui). Dans les années 40, il ne faisait pas bon s’accoquiner avec un immigré allemand fût-il devenu Français mais toujours… d’origine allemande ; comme il ne fera pas bon, une décennie plus tard, pour une Française de partager l’amour d’un Algérien. On ne cesse de renvoyer l’Autre dans ses cordes, réelles ou fantasmées. Walter a beau être devenu français, être passé par la Légion où « personne » n’a cherché «  à connaître son passé » et où « son destin a fini par être commun »  avec celui de tous, pour ses nouveaux concitoyens, il reste un Français de papiers et un Allemand pur jus, un « boche »  comme d’autres sont renvoyés à leurs fatmas et à leur couscous.

L’Histoire convoque ses suspects, les enfermant dans les cordes, réelles ou fantasmées, d’une origine rédhibitoire et inconciliable. L’Histoire est en marche, et le couple puis la petite famille, s’épuise à en éviter les ornières et les chocs. La vie passe ; Walter et Alice progressent sur les chemins tortueux de l’exil, de l’intégration, des constructions identitaires, de l’amour ou de la haine des autres. Fragilité des existences et insignifiance des êtres bousculés par le froid engrenage des déraisons de l’Histoire. Après les errements d’Heidegger et le combat d’Hannah Arendt pour la vérité, les nations européennes vont apprendre à reconsidérer leurs frontières intérieures et renouer avec leur « parenté d’esprit ». En trois phrases on passe de Robert Schuman à Alice et d’Alice à l’auteur de Etre et Temps…On passe allègrement de ces pauvres hères aux considérations continentales, de la nuit de la guerre aux lumières de la construction européenne.

Un texte composite, brillant mais parfois déstabilisant, oscillant entre le roman, le reportage journalistique et l’essai. L’écriture, expurgée du superflu, est la grande originalité de ce premier roman où la littérature semble parfois à l’étroit entre le vertige des grandes idées et le prosaïque de la chronique.

 

Léo Scheer 2011, 93 pages, 15€

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