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Salam Ouessant

Azouz Begag

Salam Ouessant

 

photo+travaill%C3%A9e+3.jpgPeut-on écrire qu’il y a des romans d’anciens combattants comme, au temps déjà lointain des « cheveux longs et des idées courtes », la jeunesse acnéique de France se montrait imperméable aux antiennes des anciens qui s’en allaient répétant, ad libitum, ce que fut leur 20 ans héroïque dans le bruit et la fureur des hommes ? Cela est sans doute un peu sévère, mais les premières pages du nouveau roman d’Azouz Begag font penser à d’autres, déjà lues et moult fois encore. Car enfin le livre annonce une semaine de vacances d’un père avec ses filles, une semaine pour se rabibocher et se rassurer après un divorce difficile qui a vu les gamines sembler se détacher de leur géniteur, et lui faire payer sa décision de quitter leur mère. Les filles auraient préféré l’Algérie ensoleillée et chaleureuse des origines quand le père décida, au seul et vague souvenir d’un ami d’enfance, natif du cru mais exilé à Lyon, de louer une maison sur l’île froide et pluvieuse d’Ouessant. Et du coup, pendant que la parentèle traverse le bras de mer qui sépare l’ile du continent, pendant que notre trio s’apprête à débarquer sur cette île exotique, le narrateur, évoque sa jeunesse, l’école et le racisme de ses petits camarades, il se souvient d’un autre temps, celui des voyages d’immigrés entre la France et l’Algérie, en bateau, en famille, aux valises surchargées… On embarque aujourd’hui pour Ouessant et on se retrouve dans les années 60 sur le Ville-de-Marseille ou le Ville-d’Alger en partance pour le bled. Ah ! le bled ! L’épée de Damoclès. La question toujours sans réponse. Le vis-à-vis incontournable, l’évocation de l’autre pays, le pendant à qui il faut, d’une manière ou d’une autre, rendre des comptes, comme s’excuser de lui avoir préféré Madame la France, et pire, un « cul-de-sac » à la majesté de Tipasa, le kouign-amann au khobs eddar (la galette kabyle) de la grand-mère. Voilà pour l’aspect « ancien combattant » de ce roman écrit par un auteur qui, pour avoir les pieds bien ancrés dans le réel, conserve cet « esprit d’enfance » qui toujours ramène vers ce big bang des origines où brille l’astre paternel.

In situ et en compagnie de deux adorables fillettes, le présent et l’avenir en somme,  Azouz Begag parle du divorce – quand on ne s’aime plus, le courage de le dire –, de l’amour d’un père pour ses filles qui boudent celui qui a écroulé leur monde, trahi leurs illusions. Ce père qui est aussi un homme : « un père et un homme, c’est différent » voudrait-il faire comprendre à ses enfants. D’ailleurs une belle rousse le lui rappelle jusque dans cette semaine de villégiature marine du bout du monde. L’homme est travaillé par des désirs, inavouables, indicibles ; ses gendarmettes de filles surveillent leur papa. Elles sont sur le qui-vive, vigies intraitables, boudeuses et exigeantes, tourmentée par « le mal de mère ». Elles ont besoin d’être rassurées. Elles aussi. Papa va tout faire pour amadouer ses petites. Il implorera tous les dieux pour que cesse la pluie. Il se transformera en GO, redoublera les invitations à se régaler de glaces et autres tentations, multipliera les activités. Il louera trois bicyclettes chez les Le Bihan. Drôle de type d’ailleurs que ce Le Bihan ! Il n’a pas plus l’air Breton qu’une pastèque dans un champs d’artichauts et son regard trahi une absence, un trou béant, un ailleurs qui n’a plus sa place ici. Poignants seront les ultimes échanges entre le narrateur et cet homme taciturne qui passe entre les pages comme un étranger sur son île.

C’est alors que s’affirme l’objet de ce roman : l’exil, le manque, le regard des autres qui vous déshabille et croient vous mettre à nue – le sempiternel « de quel pays êtes-vous ? » - alors qu’il ne font que vous perdre des écrans radar ; la France chevillée à l’Algérie et l’Algérie à la France, formant un vaste espace d’hybridation pour des générations d’hommes et de femmes, pour le meilleur et pour le pire.  Mais il faut rentrer. Les fillettes ne veulent pas rater le bateau. Les enfants n’aiment pas qu’un vent mauvais bouscule leur quotidien. La vie est intransigeante.

Azouz Begag écrit avec légèreté, avec ici ou là un zeste de poésie ; deux doigts d’humour, une larme de tendresse. Le gone de Lyon distille quelques mots de son pays, il joue et se joue des formules, abuse des métaphores. Enfin ça, ce sont ses filles qui le disent.

 

Albin Michel 2012, 182 pages, 15,77€

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