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Essais - Page 3

  • L’Immigration ça coûte ou ça rapporte ?

    Jean Paul Gourévitch, L’Immigration ça coûte ou ça rapporte ? 

    Michèle Tribalat, Les Yeux grands fermés. L’immigration en France

     

    Gourevitch.jpgIl n’est pas d’usage de commencer la recension d’un livre en citant sa concierge ! Pourtant, le livre de Jean-Paul Gourévitch rappelle cette populaire expression selon laquelle « qui veut noyer son chien, l’accuse de la rage ». Monsieur Gourévitch manie la plume avec habileté : il use de la prétérition comme pas deux. Bien sûr ! Qui oserait mettre en doute la bonne volonté et l’absence de partie pris d’un auteur qui, en posant cette candide question, entend, de toute bonne foi, faire le point sur la présence de l’immigration dans ce pays ? Un pays qui s’est construit depuis au moins deux siècles par et avec l’immigration. Un pays dont les sillons ont été abreuvés du sang et de la sueur de millions d’immigrés aussi profondément que du « sang impur » des illustres petits-fils et arrières petits-fils du Gaulois Vercingétorix ; dont les ancêtres venaient eux aussi d’ailleurs.  De cela et de tant d’autres choses, l’esprit comptable ne tient pas compte. Reconnaissons le : tout ne peut être enfermé dans des formules algébriques. « De fait, reconnait l’auteur, les hommes politiques d’extrême droite ont été les premiers à soulever la question des coûts de l’immigration. Leur discours visait explicitement à contingenter voire à supprimer l’immigration. »

    Pour autant, « l’information sur les coûts (…) peut-être utile aussi bien à ceux qui favorisent ou considèrent comme un fait acquis le développement (sic) de l’immigration dans la société française qu’à ceux qui souhaitent l’encadrer, la freiner, voire inverser le cours de l’histoire en encourageant les retours au pays ou l’immigration du Nord vers le Sud. » Que les mauvais esprits n’imaginent pas là justement une prétérition, l’art de se mouiller sans prendre une goutte d’eau. Non ! Monsieur Gourévitch appartient peut-être et tout simplement à son temps : le chiffre est omniscient et la suspicion généralisée. Ils tiennent lieu de politique et de savoir-vivre, ce sont là les nouveaux fondements du vivre ensemble.

    Mais puisque le président Mitterrand lui-même  aurait prédit qu’après lui il n’y aurait  que des comptables, eh bien! comptons ! Première surprise à la lecture du livre dont le titre invite à fouiller son porte-monnaie, seuls deux chapitres sur les cinq (faisons grâce de l’intro et de la conclusion) sont là pour tenir la caisse. Il faut dire que l’auteur, et là il est convainquant, commence par recadrer les débats, rappeler quelques définitions, il contextualise et explique sa méthode. Moins convainquant sont les deux derniers chapitres où il évoque « les coûts immatériels » divisés en « défis » (les  migrations illégales  le racisme et la xénophobie, l’islam, l’échec du métissage social et les risques de ghettoïsation) et en « promesses » qui sonnent parfois comme autant de « défis » :  la jeunesse de la population immigrée, l’accès au pouvoir des élites de la diversité, l’importance et le rôle des diasporas en matière d’intégration et d’aide au pays d’origine,  la reconnaissance de la diversité culturelle et l’apparition d’une culture alternative.

    Autre surprise : qui sont les « immigrés » pour  monsieur Gourévitch ?  Les immigrés de plus de 18 ans : 4,87 millions ; les enfants d’immigrés de moins de 18 ans nés en France (eh oui) qu’il estime selon une extrapolation personnelle à 2,21 millions et enfin « la population immigrée en situation illégale » estimée, elle, à 535 000.  Résultat, pour M. Gourévitch il y aurait en France 7,54 millions d’hommes, de femmes et d’enfants d’origine étrangère soit 12,08 % de la population totale et l’auteur de souligner « on notera que les communautés maghrébines (3,4 millions de membres) et d’Afrique subsaharienne (2,4 millions de membres) représentent à elles deux 5,8 millions de personnes, soit les trois quarts de la population d’origine étrangère et près de 10% de l’ensemble de la population nationale ». Peut lui chaut qu’environ 40% des immigrés sont français par la loi, que les enfants d’immigrés vont se fondre dans le devenir national, ce ne sont, semble-t-il, en fait et en chiffres, que des « Français de papiers », des Français de seconde zone, des Français « entièrement à part », le second collège de la communauté nationale ! Et pourquoi alors ne pas remonter plus avant et compter tous ces Français d’origine étrangère qui étaient, a minima et selon Michèle Tribalat, quelques 14 millions en 1999 ?

     

    Alors ? Les chiffres donc ! Plus exactement « LE » chiffre. Celui qui court sur les blogs et autres forums de discussions. « Eh ! L’immigration ! ça coûte ou sa rapporte ? » Et bien l’immigration, d’après les calculs de monsieur Gourévitch, ça coûte et comme diraient les jeunes de banlieues : « ça coûte grave ! » : 27 milliards d’euros de déficit annuel sans compter les quelques 10 milliards d’euros recensés par l’auteur au titre d’investissements pour réduire la facture « immigration » : l’Aide publique au développement et la politique d’intégration qui comprend le budget de la politique de la ville, celui de l’Education pour les ZUS et autre dépenses de santé (AME).

    Pour arriver à ces 27 milliards d’euros, monsieur Gourévitch se veut exhaustif, scientifique, mesuré. Il manie ces chiffres comme de la dynamite, il met des gants, utilise des baguettes et tout le toutim. Et quand il ne possède pas de données ou des approximations nationales, il extrapole à partir de la Seine Saint-Denis, le 93 donc, le 9-3. Le sujet est explosif !

    Résumons : côté coût l’auteur arrive à la somme de 72 milliards d’euros. Il additionne les coûts en matière de sécurité et de budget ministériel (5,2 milliards), les coûts de la fraude fiscale (13,6 milliards y compris la contrefaçon et la resquille à la RATP !), le coût de la protection sociale (51,6 milliards, dont plus de 20 milliards pour des dépenses de santé que l’auteur suppose au même niveau que l’autochtone et plus de 16 milliards au titre des prestations vieillesse), enfin il retient des coûts éducatifs pour les étudiants étrangers (1,8 milliard d’euros, des étudiants que bien des pays développés cherchent à attirer chez eux, on se demande pourquoi ?).

    Quid des recettes ? Elles s’élèveraient à 45,2 milliards d’euros. Elles comprennent un peu plus de 12 milliards de contributions sociales et 33,2 milliards de recettes fiscales (dont 16,7 milliards de TVA et 6,8 milliards de fiscalité locale).

    Premier constat, sauf erreur, monsieur Gourévitch additionne torchons et serviettes. En l’occurrence contribuables et salariés. Il y a d’un côté la fiscalité, ce que chaque contribuable paie en impôt à l’Etat ou aux collectivités locales, quand ils ne s’esbignent pas à l’étranger, et de l’autre le Régime général (avec ses branches « maladie », « vieillesse », « famille »…) et le régime d’assurance chômage dont les caisses sont alimentées par les cotisations sociales acquittées notamment par les salariés et leurs employeurs.

    Qu’apporte cette distinction ? Elle montre d’abord que sur le plan fiscal, et compte tenu même des chiffres de monsieur Gourévitch, l’immigration rapporte (12,3 milliards). La somme des dépenses (sécurité, ministère, fraudes fiscales et autres cout éducatifs) s’élève à 20,7 milliards là où les contributions fiscales dépassent les 33 milliards d’euros.

    Elle montre aussi que le « déficit d’exploitation » de l’entreprise « immigration » porte sur les dépenses sociales et notamment sur les dépenses de santé et de vieillesse.

    Elle montre enfin que, et toujours selon les chiffres de monsieur Gourévitch, les 51,6 milliards de dépenses au titre de la protection sociale correspondent à 9,8 % des 526,2 millions des dépenses nationales donc, en deçà des 12,08 % de la population d’origine étrangère ici comptabilisée et même légèrement en deçà  des 10%  des seules « communautés maghrébines et d’Afrique subsaharienne » qu’affectionne l’auteur. Si, à croire notre auteur, le budget des dépenses sociales des populations d’origine étrangères est déficitaire, il ne l’est pas outre mesure. Il participe, à hauteur de son poids démographique, au déficit général : alors sont ce les immigrés et demain peut-être les retraités, les malades, les actifs, les femmes ou les jeunes qui sont responsables ou la logique et les ressorts d’un système qui a besoin d’être redynamisé ? Et en matière d’immigration, ne conviendrait-il pas aussi de se pencher sur l’efficacité des politiques mises en œuvres depuis des décennies ? C’est d’ailleurs une initiative prise par des députés de l’opposition mais aussi de la majorité, en lançant « un audit de la politique d’immigration ».

    Non ! Monsieur Gourévitch, lui, insiste : « une analyse plus fine montrerait que ce sont les familles originaires du continent africain qui génèrent la presque totalité du déficit des comptes de l’Etat. C’est aussi la population la plus touché par le chômage, qui a le plus faible taux d’activité, le moins de revenus et le plus grand nombre d’enfants ».  A ce compte, les chiffres étant de dociles marionnettes aux mains d’habiles ventriloques, on finirait pas applaudir à la récente proposition des 125 députés algériens visant à criminaliser le colonialisme ou les militants qui en appellent à l’ouverture d’un fonds de compensation pour les descendants de victimes de l’esclavage et du colonialisme.

     

    L’auteur aurait peut-être pu orienter la réflexion en ce qui concerne les étrangers et autres immigrés, tenter d’expliquer des situations particulières. Non ! Rien sur le vieillissement d’une population qui, avant de subir le poids de l’âge, a été jeune et dynamique, a travaillé (et cotisé !) et qu’on est même parfois allez « recruter » de l’autre côté de la Méditerranée ou en Asie (voir le récent livre de Pierre Daum, Immigrés de force. Les travailleurs indochinois en France 1939-1952 paru chez Solin-Actes-Sud). Rien sur les heures de travail et les heures supplémentaires non déclarées par les employeurs comme témoignent aujourd’hui d’honorables chibanis. Rien sur l’espérance de vie des immigrés comparée à la moyenne nationale. Rien ou pas grand chose sur les emplois et le niveau des rémunérations des immigrés qui pourrait éclairer le faible volume des cotisations sociales. Rien non plus sur le travail clandestin (Gourévitch estime tout de même le manque à gagner en cotisations à 7,1 milliards d’euros) qui est moins le résultat d’un choix que d’une situation souvent imposée. Rien ou si peu sur les discriminations pour expliquer les taux d’inactivité et de chômage. Rien sur les quelques sept millions d’emplois qui sont fermés aux étrangers non communautaires. Rien sur les conditions de travail et cette aujourd’hui fameuse « pénibilité » qui pourraient expliquer bien des problèmes de santé (monsieur Gourévitch chiffre bien le « stress » que l’immigration causerait spécifiquement aux forces de l’ordre, policiers et gendarmes, soit 79,6 millions d’euros). Rien sur les allégements des charges sur les bas salaires payées par les entreprises et son incidence sur le montant des cotisations, rien demain sur le manque à gagner pour les caisses de l’auto-entreprenariat, etc.

     

    100743119.jpgMais le plus troublant, c’est sans doute l’originalité des conclusions et de la démarche de l’auteur. A lire Les Yeux grands fermés, le dernier livre de Michèle Tribalat, auteur rigoureux, qui ne dédaigne pas croiser le fer et que l’on ne peut soupçonner « d’immigrationnisme », force est de constater que toutes les études sur ces questions, études européennes ou nord-américaines, en arrivent à la conclusion que les incidences de l’immigration sur les comptes publiques, mais aussi sur la croissance, sont quasi inexistantes, dérisoires, marginales. « Globalement, qu’il soit positif ou négatif, l’effet sur les finances publiques est faible, quel que soit le scénario » (page 92).

    Et côté méthode, Michèle Tribalat s’appuie sur des études autrement sérieuses. Même si la multiplication des hypothèses fragilise d’autant les résultats de ces modèles économétriques, les économistes et autres démographes cités prennent en compte, eux, bien des variables pour déterminer l’effet de l’immigration sur les comptes publiques, sur la richesse nationale ou sur les salaires : nombre de générations, distinction entre le court et le long terme, caractéristiques des différentes immigrations, niveau de qualification, âge, sexe, taux d’emploi, fixité ou non de certaines dépenses publiques (comme le budget de la défense), âge d’arrivée dans le pays d’accueil, comportement d’épargne, de consommation etc. Finalement, comme l’écrit Michèle Tribalat « l’immigration prise globalement, ça n’existe pas ». Des distinctions sont à opérer dans le temps, entre les différentes vagues d’immigration comme dans les caractéristiques de chaque migration. Elle rappelle notamment que le niveau de qualification détermine des différences en terme de taux d’emploi et de niveau de rémunération qui expliquent à leur tour, les incidences positives ou négatives sur les comptes de la nation. Rien de vraiment surprenant en soi.

    En résumé, à la différence des conclusions de monsieur Gourévitch, pour Michèle Tribalat, l’immigration ne rapporterait rien… mais ne coûterait rien non plus. Ces modèles d’une autre complexité, ces équations aux multiples variables finissent par faire ressembler les comptes de monsieur Gourévitch à des additions sur un coin de nappe en papier(1).

    Conséquente avec elle-même, Mme Tribalat en tire comme enseignement le fait que si l’immigration n’est ni une charge ni une aubaine, on ne peut dès lors prétendre que les immigrés seraient la solution aux problèmes du financement des retraites, au vieillissement de l’Europe ou un recours pour « booster » la croissance.  Monsieur Gourévitch lui, cherche au contraire, une solution.

     

    « L’immigration apparaît comme une charge financière pour l’Etat qui l’accueille (sic) » une charge de 37,7 milliards (27,075 milliards + 10,245 milliards au titre des dépenses d’investissement en intégration et en APD).  Alors l’auteur y va de ses propositions pour parvenir à équilibrer les comptes et sans doute justifier la présence de ces hommes et de ces femmes venus d’ailleurs. Pour combler les déficits, il retient quatre hypothèses : réduire le chômage des immigrés (1 point par an), augmenter le revenu de la population immigrée (+ 1% par an), faire venir 100 000 nouveaux migrants de plus de 18 ans, célibataires bien sûr, et actifs (mais il faudrait 7 millions d’immigrés et attendre … 70 ans) ou régulariser chaque année quelques 30 000 Sans-papier, toujours célibataires et toujours aussi vaillants ! A l’arrivée il faudrait régulariser plus d’1,3 millions de Sans-papiers et attendre 44 ans pour, selon l’auteur, résorber le déficit initial.

    Comme tous ces scénarios sont irréalistes, absurdes ou insuffisants en soi, pourquoi ne pas les combiner ? Il ne faudrait plus alors que huit années pour rétablir les comptes de l’immigration, et pour le reste, faire baisser le chômage, augmenter les rémunérations, facile, non ? Après la prétérition, monsieur Gourévitch qui vient de participer aux « assises contre l’islamisation de l’Europe » organisées par les associations Riposte laïque et le Bloc identitaire, devient un maître de l’apagogie ! Puisqu’il ne peut ou ne veut dire ouvertement que les immigrés seraient une charge pour les Français pure sucre, il démontre, sans en avoir l’air, qu’aucune solution n’existe pour retourner la situation. Alors que fait-on de ces pauvres bougres, Français de papiers et autres étrangers ?

    88531.jpgSur ce sujet, Abdelmalek Sayad écrivait : « rationaliser dans le langage de l’économie un problème qui n’est pas (ou pas seulement) économique mais politique, revient à convertir en arguments purement techniques des arguments éthiques et politiques. » Et pour être tout à fait clair, il ajoutait : « l’exercice comptable (…) ne saurait se réduire à ce qu’il croit et veut être, une simple technique visant à « rationaliser les choix » des décisions à prendre. Parce qu’il s’applique à une population  jouissant d’un statut particulier, il n’a rien de commun avec tel ou tel exercice analogue portant sur un autre groupe : alors que, quand il s’agit, par exemple, de la petite enfance, des jeunes ou des personnes âgées, la question posée est seulement de prévoir et de dégager les moyens que requiert le traitement  qu’on veut réserver à la population concernée, dans le cas de la population immigrée, il s’agit de juger des profits et des coûts qui consiste à recourir à l’immigration, c’est-à-dire de l’existence ou de la « disparition » de la population immigrée. » Sayad le disait mieux, beaucoup mieux. Mais il ne disait pas autre chose que ce que dit ma concierge !

     

    1- Mentionnons aussi le rapport dirigé par le professeur X. Chojnicki, maître de conférence à Lille 2, remis en juillet 2010 au ministère des Affaires sociales qui aboutit lui, pour l’année 2005, à un impact positif de l'immigration sur le budget de 4 milliards d'euros...

     

    Édition Larousse. Collection « À dire vrai », 2009, 160 pages, 9, 90 €

    Édition Denoël, 2010, 222 pages, 19 €

  • Le Métissage par le foot

    Yvan Gastaut

    Le Métissage par le foot. L’intégration, mais jusqu’où ?

     

    gastaut.jpgL’année 1998 voit l’équipe nationale de football remporter pour la première fois la coupe du monde. Victoire tricolore dans une France Black-Blanc-Beur pour les uns, victoire Black-Blanc-Beur dans une France tricolore pour les autres. L’événement constitue un moment fort de l’état des relations interculturelles dans l’hexagone, un moment riche aussi d’ambiguïtés. Yves Gastaut lui donne ici à la fois de la perspective historique et le recul que lui confère le fait d’écrire dix ans après. L’auteur, chercheur et maître de conférence à l’université de Nice, s’arme d’une revue de presse conséquente.

    1998 est pris comme en sandwich entre mélasse et moisissure. La mélasse c’est cette « crise morale lancinante » qui frappe la France depuis le choc pétrolier de 1973-1974. Une crise marquée par les débats récurrents sur l’immigration, la lutte des Sans papiers de Saint Bernard, la montée du Front National, des sentiments xénophobes révélés par les instituts de sondages, les inquiétudes nées de la délinquance dans les banlieues ou de la montée de l’intégrisme musulman et des affaires du voile…

    La moisissure,  c’est bien sûr ce retour de cette « France moisie », diagnostiqué par Philippe Sollers dans Le Monde du 28 janvier 1999, qui siffle, plus vite que tout le monde, la fin de la récré ! La gueule de bois du second tour des présidentielles d’avril 2002, plus que les ridicules incidents qui perturbèrent le premier match de football entre la France et l’Algérie, lui donne raison.

    Entre, il y aura eu quatre années d’euphorie, de liesse populaire. Une France rassemblée. Ce que l’auteur nomme « le moment antiraciste », « la face claire et ouverte d’une opinion publique sensible à la diversité culturelle », un siècle après le « moment antisémite » de l’affaire Dreyfus.

    1998 serait alors une joyeuse « parenthèses antiraciste », un « moment » de « recomposition et d’unité » jusqu’à ce que, juste après le 11-Septembre, le match « France-Algérie sonne la fin de l’épisode festif lié à une équipe de France victorieuse et par conséquent vue sous le bon côté de sa pluralité ». Le glas sonnera définitivement pour cette équipe avec la déroute à la Coupe du monde de 2002.

    Un temps donc, la France fut « plurielle et festive, à l’image de son équipe de football, libérée de toute idéologie ». La Marseillaise était chantée partout et par tous. Et, Yves Gastaut montre, avec force citations, que tout le monde y est allé de son couplet : journalistes, intellectuels et bien sûr politiques jamais en retard d’une tribune.

    Pourtant, les ambiguïtés sont nombreuses. A commencer par le retard à l’allumage. « Il a fallu que les Bleus connaissent le succès sur le terrain pour que la passion s’exprime, mettant en scène la fraternité comme valeur de référence. » La « passion » s’est donc exprimée ex-post. Avec le succès. Rien de spontané, donc. C’est la victoire et peut-être moins l’équipe qui a galvanisé le public, même si la dynamique victorieuse a été portée par cette équipe-là. On oublie aujourd’hui qu’au soir de la demi-finale, le quotidien l’Équipe titrait : « public seras-tu là ? ».

    Alors, victoire du métissage ou victoire de la France qui gagne ? Les deux mon capitaine ! mais alors dans quelle proportion et surtout quelle dynamique prend le pas sur l’autre ? « Dans la célébration de la France plurielle, la confusion règne entre la valorisation des identités spécifiques ou au contraire l’oubli des différences en vue d’un projet commun ». Les slogans, les rires et les joies rassemblaient des « progressistes, partisans d’une société plus ouverte à la diversité » et des « conservateurs, attentifs aux valeurs traditionnelles de la France. » Le principe de réalité sur l’intégration ou sur le rôle d’un modeste ballon rond comme facteur d’unité nationale retrouvée était porté par quelques voix (Henri Amouroux, Alain-Gérard Slama, Alain Finkielkraut ou plus à gauche, Benjamin Stora, Zaki Laïdi, Denis Sieffert ou Jean-Marie Brohm).

    Aujourd’hui, « contrairement à la génération Zidane », les Ben Arfa, Benzema et autre Nasri « font peu de cas de leur ascendance familiale et apparaissent aux yeux du public comme des Français à part entière ». Et si c’était cela l’apport de 1998 : la modification du regard, un déplacement de la frontière entre nous et les Autres, tant chez le public que chez les joueurs issus de l’immigration ?

     

    Préface de Lilian Thuram. Edition Autrement, 2008, 181 pages, 17€

     

  • Algérie, la guerre des mémoires

    Éric Savarese

    Algérie, la guerre des mémoires

     

    langue_babel.jpgPour évoquer cette guerre des mémoires algériennes, Éric Savarèse part de la construction de la mémoire pied-noire. Il montre en quoi les mémoires deviennent un matériau, un objet d’étude pour l’historien dans le cadre d’une historiographie renouvelée et comment les mémoires, constitutive de l’identité de groupes, sont construites, lissées, pour, dans un premier temps, permettre d’agglomérer le plus d’individus possibles pour, ensuite, faire valoir dans l’espace public la reconnaissance et les revendications du groupe ainsi constitué. Ce mécano mémoriel, savamment construit, masque alors la diversité des expériences individuelles  - « la carte bigarrée des Français d’Algérie, puis des pieds-noirs, incite à la vigilance » écrit l’auteur - et entend concurrencer, délégitimer voire contrecarrer tout autre représentation.

    Il montre, après d’autres, que les mémoires de la guerre d’Algérie, celle des pieds-noirs, des harkis, des appelés du contingent, des enfants de l’immigration algérienne etc. poursuivent la lutte armée sous un autre mode dans un contexte marqué, depuis les années 90, par un retentissant (et parfois abrutissant) devoir de mémoire et la multiplication de cérémonies mémorielles. Menées à tout va, ces cérémonies ne prémunissent en rien, les jeunes générations notamment, de reproduire les erreurs des aînés. Ainsi, à propos d’une autre page sombre de l’histoire nationale, Éric Savarèse écrit « aucune commémoration ne saurait remplacer le travail d’analyse et participer, à elle seule, à la construction de barrières morales contre l’antisémitisme, c’est-à-dire à la socialisation d’un humanisme à vocation universelle. »

    Plutôt que cette « socialisation d’un humanisme à vocation universelle », le danger serait que les groupes de pression, ces gardiens, représentatifs ou autoproclamés de la mémoire estampillée politiquement correcte,  mémoire souvent idéalisée et souffreteuse, s’érigent non seulement en gardiens de la vérité historique – délégitimant l’œuvre et le travail de l’historien - mais aussi en juges, habilité à condamner tel ou tel historien, telle ou telle publication, telle ou telle contre-mémoire, en s’appuyant notamment sur la multiplication des « lois sur l’histoire » (1990, 1999, 2001, 2005).

    Propriétaires des laboratoires de recherche historique et partant du droit au doute et de la liberté de recherche ; propriétaires des cours de justice et donc de la vérité ; propriétaires du passé (pour parler comme Philippe Sollers) , les gardiens de la mémoire pourraient bien emprisonner la société tout entière dans les rets de représentations qui asservissent le présent au passé sacrifiant les véritables enjeux sociaux sur l’autel des figures d’un autre âge et des particularismes : « le passé a donc changé de statut puisque, pratiquement réduit à n’exister que dans le cadre d’enjeux de mémoires, il n’appartient presque plus aux variables supposées explicatives du présent. Évoqué à travers le filtre de souvenirs collectifs, il est devenu à la fois objet de vénération collective, une ressource mobilisable dans le cadre de stratégies identitaires et un enjeu politique. »

    Plus grave, cette guerre des mémoires algériennes pourrait obstruer l’un des défis majeurs du temps et de la société : la gestion des différences, la compréhension de phénomènes historiques importants (comme l’usage de la violence) dont certains (la colonisation notamment) sont consubstantiels non seulement à la République mais à l’État-Nation français enfin, last but not least, l’interrogation de ce qui fonde la communauté politique et le pacte social. Des questions qui concernent l’ensemble des citoyens, qu’ils soient ou non liés à l’Algérie.

     

    Edition Non lieu, 2007, 176 pages, 18 euros

     

  • Histoire coloniale et immigration. Une invention de l’étranger

    Éric Savarèse

    Histoire coloniale et immigration. Une invention de l’étranger

     

    210Ericsolo2-Site.jpgÉric Savarèse, docteur en science politique, remonte aux sources de l’invention de l’étranger pour décrypter comment la peur de l’étranger se projette aujourd’hui sur l’immigré et, tout particulièrement, sur le Maghrébin. En somme et après d’autres études, il rappelle que nombre de stéréotypes dont l’immigré est affublé trouvent leur origine dans ceux qui hier stigmatisaient l’indigène, le colonisé. Il puise dans la littérature et la presse coloniales et surtout dans le cinéma hexagonal et ses réalisations récentes marquées par l’émergence de cinéastes maghrébins et Français d’origine immigrée pour y débusquer ces représentations de l’Autre mais aussi leur dénonciation.

     « Faute de s’associer à l’histoire, la sociologie serait condamnée à l’illusion de la connaissance immédiate des faits sociaux et des représentations ». Voilà pourquoi Eric Savarèse convie l’historien à sa table de travail. Il y réserve aussi une large place à la psychanalyse étant entendu que « l’opération consistant à faire table rase du passé [n’est] possible que par le truchement d’un retour réflexif sur le passé. Faute de quoi il se trouve toujours des amnésiques pour s’étonner que, dans des situations historiques variées, les mêmes causes puissent produire - avec des manifestations partiellement différenciées - les mêmes effets ».

    Ainsi, pour espérer combattre efficacement les idées reçues, les craintes voir l’hostilité à l’égard des immigrés, il faut en passer par l’étude de leur genèse et des conditions qui en expliquent, à travers les temps et les sociétés, leur naissance, leur développement et leur transformation.

    L’immigré est l’enfant du colonisé. Aussi, le terrain des représentations s’avère plus fertile que les « pratiques sociales » ou les « formes d’organisation des communautés politiques » pour montrer ce rapport de symétrie qui existe entre la France coloniale et la France « terre d’accueil ».

    Avec précision, Eric Savarèse décrit les conditions d’émergence de ces opinions et croyances, leur évolution et leur « réinvention » dans une France devenue « terre d’immigration ». Il montre comment, au XIXe siècle, la croyance en la supériorité occidentale confortée par la théorie évolutionniste et l’analyse des sociétés indigènes qui en découle viennent renforcer l’influence de la logique coloniale dans l’invention de l’Autre. L’ensemble de ces savoirs convergent pour toujours dévaloriser cet Autre.

    L’extraordinaire est « l’inscription de cette histoire dans la durée, son enracinement dans la mémoire (...). Car il s’agit bien d’une histoire qui traverse trois républiques, qui reste enseignée quels que soient les nombreux changements de majorités politiques, et qui résiste, même partiellement, aux convulsions créées par les guerres coloniales ». Le travail de l’école républicaine explique cet « enracinement dans la mémoire » de chaque Français. L’idéologie de Jules Ferry a servi à justifier moralement le colonialisme : en échange de son expansion économique la nation française se devait d’apporter la civilisation aux peuples colonisés. Sur le plan éducatif, la politique coloniale était censée prolonger, au-delà de la métropole, l’idéal républicain d’égalité des chances. Cet enracinement des représentations de l’Autre en France trouvera son ferment le plus sûr dans l’attachement sans faille des instituteurs à cet idéal républicain dont ils furent les premiers bénéficiaires.

    Pourtant, ce rôle de l’histoire enseignée demeure insuffisant pour expliquer l’« acceptation tacite » et quasi générale de la colonisation. Il reste alors à interroger les silences, à tripatouiller les mémoires pour en débusquer les oublis, à écouter les non-dits qui participent aussi des constructions historiques. Ce faisant, l’auteur montre que l’histoire coloniale reste muette sur les colonisés et sur la question du pouvoir et de la domination coloniale. Dès lors, quels que soient les idéaux défendus - de droite avec l’association ou de gauche avec l’assimilation - jamais le fait colonial n’est remis en question.

    Cette « dynamique de l’oubli » influencera le regard porté en France sur le Maghrébin immigré. Oublié lui aussi dans les années 60, il sera « réinventé » - au sens où certains courants de la société française, l’extrême droite en l’occurrence, redonneront corps à des représentations héritées de l’histoire coloniale - dans les années 80. De même que les indépendances ont sonné l’affirmation de l’Altérité par elle-même, il faudra, en France attendre la fin des années 80 et l’irruption d’une nouvelle génération, enfants de l’immigration, pour là aussi entendre cette altérité. C’est ce que montre l’auteur par un détour rapide sur la production cinématographique.

    Entre l’exclusion de l’Autre, renvoyé à sa différence rédhibitoire et son acceptation qui nie sa différence, émerge alors une représentation qui opère une distinction entre la sphère politique – tous égaux – et la sphère culturelle – reconnaissance des différences.

    Eric Savarèse montre avec pertinence, sans aucun jugement de valeur anachronique, comment et pourquoi ont émergé et se sont inscrites, dans la mémoire nationale, des représentations de l’Autre avec lesquelles, aujourd’hui encore, il faut compter. Seul un travail pédagogique de fonds - une pédagogie des représentations - où l’histoire et la psychanalyse semblent avoir leur place, permettrait d’en comprendre la genèse et surtout d’éviter de dangereux retours du refoulé. De ce point de vue, Eric Savarèse est non seulement convaincant mais bien utile.

     

    Edition Séguier, 2000, 267 pages

     

     

  • Sortir des banlieues. Pour en finir avec la tyrannie des territoires

    Sophie Body-Gendrot, Catherine Wihtol de Wenden

    Sortir des banlieues. Pour en finir avec la tyrannie des territoires


    SortirDesBanlieues.jpgDe quelle « tyrannie » parlent S. Body-Gendrot, professeur et directrice d'études urbaines à l'université Sorbonne-Paris IV et C.Wihtol de Wenden directrice de recherche au CNRS, par ailleurs membre du comité de rédaction d'Hommes et Migrations ? Et comment « sortir » de ces banlieues qui occupent les unes de la presse nationale, alimentent parfois les promesses sécuritaires d'estrades électorales et mobilisent les pouvoirs publics depuis près d'une trentaine d'années ? La « tyrannies des territoires » tient dans la contradiction observée par ces deux spécialistes entre les aspirations à la mobilité géographique des individus d'une part et des politiques publiques qui visent à maintenir ces mêmes populations dans ces banlieues d'autre part. Alors que de nombreux pays mettent en place des politiques en direction d'abord des populations, la France privilégierait ses « territoires » : cette politique de « bonnes intentions », « élaborée au sommet de l'Etat à partir d'utopie de mixité sociale est inadaptée à la réalité (beaucoup de familles déménagent dès qu'elles le peuvent). C'est ce que nous appelons la « tyrannie des territoires ».

    Tandis que S.Body-Gendrot dresse le bilan des politiques d'intégration et des politiques de la ville, C.Wihtol de Wenden relate l'histoire des banlieues. L'objet de leur analyse est de « changer l'image des banlieues, réduite aux émeutes périodiques qui agitent les « quartiers » et rendre compte des réalités alternatives » entendre « l'intégration ordinaire, les nombreuses concessions faites aux identités collectives, aux appartenances multiples, les apports du métissages culturels à la culture populaire et [citant J.L.Borloo] le fait que « les énergies les plus intéressantes du pays se trouvent là ». Les auteurs privilégient à la fois les destins individuels, « les parcours de réussite » - pas les plus médiatisés - et l'inscription des banlieues et de la jeunesse « populaire et métissée, multiculturelle » dans le processus global de la mondialisation des cultures.

    En annexe figurent des témoignages et une utile et concrète recension de la politique de la ville : profil des zones urbaines, avec données statistiques, acteurs et moyens de la politique de la ville.

    Quelles sont alors les propositions que les auteurs tirent de leurs recherches et enquêtes de terrains ?  L'introduction se termine par « seules la mixité sociale, la diversité culturelle et la mobilité géographique peuvent effacer les frontières et sauver le « vivre ensemble » : multiplier les transports urbains, supprimer la carte scolaire, diversifier l'habitat, sortir des « quartiers » les familles et les jeunes qui souhaitent  s'en affranchir, rétablir la mixité dans les centres urbains, offrir des loisirs, des sports et des établissements scolaires d'élite obligeant les uns et les autres à sortir de l'entre-soi. Il faudra une volonté politique très forte pour mettre fin à la crise de la citoyenneté dans les banlieues. »

    Si certaines des perspectives ouvertes ici se retrouvent dans le plan « Espoir banlieues » ou dans les propositions de la Commission Attali, il n'est pas certain, que nos deux auteurs discernent l'existence de cette « volonté politique très forte ». Pour « mettre le paquet » comme le dit Fadela Amara, il faudrait que tous soient convaincus que les populations des « quartiers » et notamment les plus jeunes sont non seulement des citoyens français à part entière mais aussi que la « vitalité », « la richesse des cultures et des générations », le « potentiel d'innovation » de la société française se trouvent aussi là. Ce livre montre avec force que « les réformes dans ces quartiers sinistrés ont besoin de temps et qu'elles sont l'affaire de tous. » Il rappelle qu'il y a urgence à mettre en œuvre ce formidable effort de la nation tout entière pour notamment « libérer la capacité d'initiative des habitants » eux-mêmes.


    Édition Autrement, 2007, 128 pages 13 €


  • Nouvelle Europe, nouvelles migrations. Frontières, intégration, mondialisation

    Serge Weber

    Nouvelle Europe, nouvelles migrations. Frontières, intégration, mondialisation


    9782866456412FS.gifDans ce petit livre, Serge Weber, maître de conférences en géographie à l'université de Paris-Est présente les nouvelles tendances des migrations internationales et les politiques d'immigration menées par les États européens.  Il souligne surtout les contradictions de ces politiques au regard des besoins et tord le coup à quelques idées reçues qui obscurcissent l'entendement et empuantissent certains programmes électoraux.

    Ainsi, alors que l'Europe a besoin de populations immigrées, tant sur le plan économique que démographique, le continent multiplie les protections et les barrières à l'entrée au point de devenir ce que d'aucuns qualifient de « forteresse » : sécurisation de l'Espace Schengen, obstacles à la mobilité, harmonisation et inflexions du droit d'asile, multiplication des camps de rétention et des mesures d'éloignement ; constitution à la périphérie de l'Europe d'un « glacis protecteur », externalisation des contrôles et même de l'asile aux marges de l'Europe et en Afrique du Nord... « L'aspect technique de la sécurisation a pris les devants », la méfiance prévaut, privilégiant ainsi les conditions sécuritaires sur les conditions d'accès, « légitimant le règne du contrôle » et la généralisation de la suspicion au point de « soumettre la politique de l'asile à la politique migratoire. »

    Ce tout sécuritaire se solde par des « excès » : les camps de rétentions et les procédures d'éloignement qui voient des hommes et des femmes privés de liberté de mouvement sans avoir commis de délit.

    Pour Serge Weber, l'État n'a pas disparu avec la construction européenne. Il montre que la logique étatique (frontières, protection nationale, procédures de contrôle et d'éloignement, sélection entre les « indésirables » et les autres...) impose ses choix. La sécurisation serait dès lors davantage le fait des États-nations que du Parlement européen « qui a été tenu à l'écart du processus de Schengen. »


    « À y regarder de près, la restriction des entrées est toujours beaucoup plus poussée et assortie de budgets substantiellement plus importants que les mesures de promotion de l'intégration. » Quid alors du vivre ensemble, national et européen ?

    En France, cette politique a pour conséquence une augmentation de la méfiance de l'opinion envers les immigrés, elle entretient dans les esprits la confusion entre immigrés et français d'origine, d'origine certes, mais français depuis au moins une, deux voir davantage de générations, confusion aussi entre approche sociale et culturelle dans les banlieues notamment.

    La politique du soupçon s'étend au point peut-être de faire système et de s'immiscer dans les mariages entre Français et étranger, de multiplier les interpellations aux guichets des préfectures, dans les logements, les foyers, les hôpitaux (circulaire du 21 février 2006),  de ficher les citoyens étrangers en situation irrégulière mais aussi les Français ayant apporté une aide à ces derniers (fichier ÉLOI), etc. Paradoxe, cette politique débouche sur une augmentation du nombre de sans papiers car « contrairement aux annonces des gouvernements successifs, « serrer la vis » dans l'attribution de titres de séjour entraîne nécessairement la « fabrication de sans papiers ». »


    Pourtant pour faire face aux défis du vieillissement, les pays d'Europe ont non seulement besoin d'immigration mais d'une immigration durable et non pas « choisie ». D'ailleurs la politique d'immigration choisie n'évite nullement le travail au noir et les migrations irrégulières. Les pays d'Europe ont besoin d'une immigration stable et non pas d'une immigration provisoire livrée sous la forme de quota. Ils ont enfin besoin d'une dynamique culturelle inscrivant les populations dans un vivre ensemble viable : « l'heure est au cosmopolitisme et à la non-discrimination des personnes issues de l'immigration (...) » écrit l'auteur pour qui « l'identité nationale est par définition pluraliste et interactionniste, plus encore à l'heure du projet démocratique européen. »


    Reste que la nouveauté par rapport aux années soixante-dix est la reconnaissance du besoin de main d'œuvre immigrée montrant l'inanité de cette idée reçue qui voudrait que des taux de chômage élevés interdiraient de devoir recourir à un travail immigré peu qualifié. L'auteur rappelle que « les deux marchés de main d'œuvre nationale et immigrée ne sont pas en concurrence du fait de la segmentation locale et sectorielle du travail. »

    Autre rejet fort d'une autre idée reçue : « le migrant n'est pas le rejeton de « la misère du monde » mais un acteur qualifié et connecté » et, comme le souligne la préfacière : « la migration est autant un effet qu'un facteur du développement » et, constate-t-elle, « celui-ci n'est pas au rendez-vous de la fin des migrations en Europe. » Au contraire serait-on tenté d'ajouter à la lecture de ce petit ouvrage (voir les corrélations entre le travail à la marge ou informel dans la confection, le BTP ou l'agriculture par exemple et la compétitivité des économies nationales).

    Le migrant est un acteur social conscient, porteur d'un projet de « mobilité sociale et de changement », un entrepreneur source de développement. Comme l'écrivain en 2000 l'écrivain tunisien Fawzi Mellah dans Clandestin en Méditerranée : « l'illégal déclarant forfait n'est pas un simple voyageur annonçant bêtement son retour au bercail ; c'est une entreprise qui dépose son bilan, un entrepreneur qui reconnaît sa faillite. Qui, après y avoir tant investi, accepterait aisément la fin de son affaire ? »

    Cela posé, la migration internationale est davantage diversifiée, bien plus structurée en réseau d'entraide, de solidarité et d'informations, diasporique. À la traditionnelle relation internationale (lien entre deux pays), elle préfère évoluer dans un cadre transnational évoluant au gré des opportunités. « Les nouvelles migrations dépassent largement le cadre de la victimisation, de l'intégration républicaine ou du contrôle des flux. L'espace de vie et de savoir des migrants se sont étendus et diversifiés. Étant des acteurs planétaires et transnationaux, ils constituent un enrichissement pour les sociétés d'implantation. »


    Préface de Catherine Wihtol de Wenden, éd. Le Félin, 2007, 118 pages, 10,90 €


  • Dreux, voyage au coeur du malaise français

    Michèle Tribalat

    Dreux, voyage au coeur du malaise français


    michelletribalatng0.pngCe "voyage" à Dreux par l'auteur de Faire France est une enquête de terrain réalisée en 1997, un important appareil statistique doublé de plus de 200 entretiens. À ces données locales s'ajoutent de nombreuses références à d'autres travaux. Mais l'enquête, qui prend parfois une tournure journalistique, n'est pas une froide recension. Les convictions, le sens de l'engagement et les perspectives avancées par l'auteur enrichissent ce travail. Ainsi, ses critiques de la gestion municipale, de l'image et de l'action de la police, des discriminations sociales et professionnelles ou ses mises en garde, fermes et claires, contre certaines attitudes des jeunes des cités ou organisations musulmanes lui donnent plus de poids. Selon Michèle Tribalat, Dreux, déjà symbolique pour avoir la première ouvert ses portes au FN, "va plus mal que la France en général, son contexte démographique est plus exigeant, la situation sociale plus explosive et la dégradation plus marquée". Avec 36 800 habitants et un taux de chômage estimé à 24,8 % en 1997, Dreux est une ville ouvrière et jeune, marquée par une inquiétante tendance à la paupérisation. Son tissu industriel est non seulement fragile mais aussi dépendant, pour plus de deux tiers de ses emplois, de décisions extérieures. Avec 48,6 %, Dreux enregistre "la plus forte concentration de populations d'origine étrangère". Un tiers de cette population est originaire du Maghreb (19,9 % du Maroc, 8,9 % d'Algérie et 2,2 % de Tunisie), le reste se répartissant entre populations d'origine turque (5,4 %) portugaise (5 %), noire africaine (3,4 %) ou pakistanaise (1,3 %). Dixième circonscription par ordre d'importance du taux de délinquance, estimé à 116 ‰ (contre 60 ‰ en moyenne nationale), à Dreux, "tant en termes d'évolution que de niveau réel, la délinquance s'avère légitimement préoccupante". Rappelant qu'il n'y a pas de lien de cause à effet entre immigration et délinquance, Michèle Tribalat souligne que "seule la condition objective de 'nécessité', de 'besoin' reflétée par le taux de chômage se révèle liée au niveau global de délinquance et plus particulièrement à ses composantes prédatrices". La concentration de cette "population d'origine étrangère" est variable. De 15,7 %, dont près de 9 % de population d'origine portugaise dans le centre-ville, elle est, par exemple de 79,1 % dans le quartier des Charmards, dont plus de 45 % de population d'origine marocaine. À cette "segmentation ethnique du territoire", avec au centre les "populations d'origine française" et à la périphérie celles "d'origine étrangère", s'ajoutent les oppositions entre nantis et déshérités, entre vieux et jeunes. "Dreux n'est plus le lieu d'une structure sociale collective cohérente", note Michèle Tribalat, qui montre que cette "segmentation" est devenue constitutive de "l'identité locale, individuelle et collective", au point que l'autorité publique elle-même est perçue comme partie prenante de cette opposition. Plus grave, elle alimente une dangereuse "logique de coupables-victimes" qui, ignorance aidant, conduit à la radicalisation des uns et des autres, à l'exacerbation réciproque d'un racisme anti-arabe et d'un racisme anti-français doublé d'un repli identitaire centré sur la religion musulmane. Dans un chapitre quelque peu caricatural et par trop généraliste, Michèle Tribalat analyse l'influence et la dégradation du modèle parental maghrébin - où le père fait figure de satrape domestique ! - sur le rapport des plus jeunes à l'école et à l'autorité notamment et, de façon plus pertinente, sur l'influence des valeurs transmises au sein des familles sur la vie en société. Distinguant nettement la pratique de la religion, de la "propagande active" d'une doctrine hostile à la séparation du politique et du religieux, l'enquête montre que "l'islamisme est en gestation à Dreux". À l'opposé des conclusions optimistes d'autres travaux (Isabel Taboada-Léonetti ou F. Khosrokhavar), Michèle Tribalat est extrêmement critique quant à l'influence d'associations qui, comme les Jeunes Musulmans de France, distillent "une idéologie islamiste sous le masque de la laïcité". Pour l'auteur, "ces associations n'ont abandonné ni la dimension communautaire, ni le caractère totalisant de la doctrine islamique". L'action de ces structures - comme la sous-traitance des problèmes sociaux confiée par les pouvoirs publics à des médiateurs religieux ou associatifs mal identifiés - aggrave les oppositions et la déréliction du lien social, dont les manifestations sont ici détaillées : tendance au repli sur soi, affaiblissement des contrôles sociaux, non-intériorisation des normes collectives, multiplication des incivilités, désaffiliation institutionnelle... Le tableau présenté ici est sombre, peut-être un peu trop. L'ethnicisation des rapports sociaux, si ce n'est sur Dreux, du moins en France, peut être discutée, voire contestée. Par ailleurs, de ces quartiers émergent aussi des initiatives qui justement recréent des liens sociaux, ce que montre, avec insistance aussi, Michèle Tribalat pour Dreux. Les trop noires perspectives ici esquissées ne sont pas inéluctables, semble dire l'auteur, pour peu que l'on se donne réellement les moyens de comprendre la réalité et surtout d'élaborer des politiques globales. "Penser l'avenir de Dreux, c'est faire des projets pour les jeunes Drouais, aujourd'hui majoritairement d'origine étrangère. À Dreux, on bute encore sur ce fait, qu'on n'arrive pas à dépasser. Mais il nous semble que c'est toute la société française qui bute sur cette réalité. Les enfants des immigrés maghrébins sont partie intégrante du peuple français, et ont une légitimité égale à celle des autres Français." On ne saurait être plus clair et dégager, par l'énoncé de cette évidence, qui n'est pas encore présente dans toutes les têtes, autant de perspectives nouvelles.


    Syros, 1999, 288 pages, 19 €

  • A propos de violence...

    Lucienne Bui Trong

    Violence : les racines du mal

    &

    Vincent Cespedes

    La Cerise sur le béton. Violences urbaines et libéralisme sauvage


    Vincent Cespedes 12.jpgVincent Cespedes est professeur de philosophie « dans un lycée en zone sensible » comme le précise l'éditeur. Si, dans son style décapant et parfois fatigant, il rejoint certaines analyses et conclusions du livre d'Yves Michaud paru la même année  (incohérence des mesures, nécessité de la sanction...), il s'en démarque en faisant de la violence la résultante de « la globalisation néo-libérale » et ses conséquences : déshumanisation des rapports ; avènement de « démocraties-marchés » et de régimes ploutocratiques où « l'argent explique, dirige, affirme, impose » ; « marchandisation de l'Etre » ; primat de l'Avoir sur l'Etre... Il y a aussi ce que l'auteur nomme l'«hamstérisation » de la jeunesse où les ravages d'une culture de masse présentée comme un mélange détonant d'américanisation, de manipulation mentale par la pub et la TV, d'idéologie consumériste et d'abrutissement par le culte des nouvelles technologies (la « cybermeute »). Ici, les médias ne sont pas épargnés qui en médiatisant les violences impunies, « loin de les congédier, les entérine et leur donne droit de cité », l'école non plus où se pratiquerait la ségrégation en faveur des élèves nantis, des « Français d'origine française » et « blancs ». Ajoutons à cette liste non exhaustive « le complexe de Brazzaville » du Français moyen « qui peine à considérer Mourad ou Fatou instantanément comme d'authentiques concitoyens, comme des gens pouvant prétendre au pouvoir, comme des supérieurs hiérarchiques légitimes ».

    Pourtant, prévient l'auteur : « si la violence peut être expliquée, rien cependant ne doit la banaliser ou en faire la légitime conséquence de l'ennui, du chômage, de l'urbanisation bâclée, de la discrimination raciale, des arrestations au faciès ou encore des téléfilms étasuniens ». Voilà de quoi rassurer le lecteur invité par ailleurs à « prendre parti », à « s'investir passionnément » et « à faire lui-même le travail de nuanciation, de rectification, de vérification ». Car avec Vincent Cespedes « Finis les théories foireuses, les perplexités désarmantes, les experts désespérants ».

    Outre ce ton qui ne laisse pas indifférent et au-delà des pistes de réflexion et d'action (appel à une « néorésistance » qui, on l'aura compris, doit être tous azimuts, plaidoyer en faveur d'une transformation radicale de l'Education nationale, de l'enseignement de la philosophie et... de l'espéranto), l'intérêt de ce livre est de fonder son analyse de la violence sur un soubassement social et de l'inscrire dans une perspective sociale et politique.

    L. Bui Trong, également philosophe de formation et ex-commissaire divisionnaire aux Renseignements généraux, prévient quant à elle de son intention de ne pas « laisser le champ libre aux contempteurs de la société et de l'Etat ». Contre les partisans d'un « libéralisme libertaire » d'un côté et ceux d'un « égalitarisme utopique » de l'autre, elle revendique fermement ce dont Yves Michaud dans son livre avait montré si ce n'est l'obsolescence à tout le moins le dépassement, à savoir : la défense de l'Etat-nation et l'attachement aux valeurs prônant l'héroïsme et le sens du sacrifice. C'est en leur nom que l'auteur fustige une politique pénale menée à minima, se plaint des privilèges exorbitants accordés aux droits de la défense ou des sciences humaines qui répandraient l'idée de la quasi-irresponsabilité et videraient de sens la notion de faute. La France millénaire ployant sous les assauts de la repentance et du multiculturalisme céderait du terrain quant à la défense de ses valeurs et de sa culture et, à l'assimilation claire et nette de ses immigrés, préférerait aujourd'hui la notion floue d'intégration. La tendance est à l'« anarchie » alimentée par la négation des « différences réelles » (entre hommes et femmes notamment...), des « hiérarchies naturelles », des « relations d'autorité et de respect » à quoi il faut ajouter la non maîtrise des désirs, la pub ou encore l'égoïsme... Le poète ne se trompait pas, « tout fout le camp ! ». Pour mettre un peu d'ordre il faudrait de la poigne, revoir l'éducation des gamins (leur apprendre « l'autodiscipline » et « l'amour de la loi »), revaloriser le travail de ces « techniciens de la sécurité » que sont les policiers et les magistrats et les écouter davantage pour que « l'Etat assume pleinement son rôle de justicier ».


    Edition Le Relié, 2002, 122 pages, 10 €

    &

    Edition Flammarion, 2002, 343 pages, 19 €


  • Changements dans la violence. Essai sur la bienveillance universelle et la peur

    Yves Michaud

    Changements dans la violence. Essai sur la bienveillance universelle et la peur


    1983-photo_ok_yves_michaud-1-.jpgL'opinion est unanime, les violences prennent des proportions inacceptables. Toutes les violences. Des plus anodines, on parle alors d'incivilités (mais ce sont elles qui alimentent ce climat d'insécurité qui empoisonne le quotidien et empuantit les urnes) aux plus monstrueuses, les homicides, les viols et bien sûr les attentats à commencer par ce 11-Septembre. De plus comme chante le poète, « tout fout le camp » : l'autorité est bafouée, la justice encombrée patine, les valeurs sont flouées à qui mieux mieux, la famille se délite, l'école prend des allures de défouloir, les législateurs légifèrent à tire-larigot et paralysent les institutions chargées de la répression... Et comme si cela ne suffisait pas, force est de constater que ce que l'on qualifie plus ou moins pompeusement d'individualisme contemporain, hier, était tout simplement taxé d'égoïsme. Un chacun pour soi qui a tôt fait de transformer notre belle et si vertueuse société, présentée au monde comme un modèle universel, en une jungle ou tous les coups sont permis pour se faire sa petite place au soleil. Cette « impression » générale nous est servie à longueur de colonnes et de journaux télévisés. Tout cela n'est pas totalement faux. Tout cela n'est pas non plus totalement vrai. Qu'importe d'ailleurs, ce qui compte n'est pas le diagnostic - y a-t-il aujourd'hui plus ou moins d'actes violents et de délinquance qu'hier ? - mais le sens, la grille de lecture qui permet à chacun de comprendre cette violence et peut-être d'influer sur ses mécanismes générateurs.

    De ce point de vue, Yves Michaud, philosophe et universitaire innove (il ne faudrait pas oublier  tout de même les travaux de René Girard). Rompant avec une tradition philosophique occidentale réticente à traiter de la violence et avec « une vision gnangnan de l'humanité », il pose tout de go que la violence est consubstantielle à l'homme et invite ce faisant à penser l'homme non pas à partir du vivant, de Dieu, de la raison ou du droit mais à partir de la violence. Dès lors le problème n'est pas seulement de savoir s'il y a aujourd'hui plus ou moins de violence - il y en a toujours eu, il y en a toujours (peut-être même moins d'ailleurs) et il y en aura toujours - mais la perception que nous en avons. Ainsi, la violence ne changerait pas, seule sa perception serait variable en fonction des sociétés et des époques. Dans ce rapport complexe - au sens défini par Edgar Morin - entre la violence comme fait et la violence comme concept, les médias occupent une place inédite en ouvrant sur une « mondialisation médiatique instantanée » des actes violents. Pour Yves Michaud, les médias ne sont nullement vecteurs de violences, bien au contraire, en « l'esthétisant » ils ne donnent à voir que ce qui est montrable à des spectateurs avides de se repaître de la noirceur de leurs semblables.

    L'extraordinaire aujourd'hui, tant au niveau international, qu'au niveau national tient à la fois à la croissance des moyens de contrôle de cette violence (forces spécialisées, moyens pharmacologiques, médiatisation sociale, dérivatifs sportifs et de loisirs) doublée d'une multiplication cacophonique des réflexions à son sujet et, de manière concomitante, paradoxale, à la montée de l'incertitude dans le monde et de l'insécurité intérieure. Tout devrait aller pour le mieux dans notre univers sécurisé et pourtant le malaise va croissant, exigeant toujours plus de technologies, toujours plus de contrôles, toujours plus de contraintes étouffantes.

    Pour comprendre cette situation, il faut en passer par un retour à l'humain, c'est-à-dire à l'émotionnel, à la passion, aux sentiments. Pour des raisons qui tiennent à l'impératif humanitaire, ce que l'auteur nomme « le sentiment de bienveillance universelle », la nouveauté historique est cette « condamnation morale de principe de la violence ». La violence ce n'est pas bien. Cette volonté du bien (et de le faire), cette bienveillance, conditionnent tout un chacun à ne percevoir les affaires du monde que sous l'unique angle de la morale et partant, à manifester de « l'indulgence », de la « compassion ou de la pitié » aux pires des criminels pour peu qu'ils acceptent de se plier à la mascarade de la moralité (on pense à Disgrâce de JM.Coetzee et au refus de D.Lurie d'entrer dans le jeu de ses juges).

    « La phobie de la violence » gagne même les professionnels de son usage : militaires, policiers, agents de sécurité. N'en déplaisent aux va-t-en-guerre (eux-mêmes de plus en plus prudents), le sens du sacrifice et du devoir envers la nation a du plomb dans l'aile : miné par le confort et la sécurité de nos sociétés, sans cesse travaillé par l'amélioration des moyens et des compétences techniques, déstabilisé par cette triviale et humaine peur de la mort qui, parce que la vie a un autre prix, prend aussi une autre dimension. Comme l'écrit l'auteur « les valeurs de la professionnalisation ne sont pas celles de l'héroïsme ». Alors, tandis que montent des commissariats et des gendarmeries des revendications à exercer des « métiers normaux », se multiplient les réticences des politiques aux engagements risqués (il faut minimiser les pertes) et la judiciarisation des conflits.

    Cependant, la violence est-là. On peut, armé d'une « bonne conscience technicienne », la « tenir en respect », la « contenir », « l'isoler », la « confiner » et l'« euphémiser ». Tout cela existe et pourrait bien se développer. Les manifestations de cette attitude sont nombreuses, aussi bien dans le cadre des relations internationales, que dans le cadre national ou au niveau individuel. Cela porte un nom : le repli sur soi. « C'est vivable mais déprimant ». Ce n'est pas l'attitude que prône Yves Michaud qui préfère opter pour la restauration de « la force de la règle » : le droit doit être appliqué, y compris par la répression et une « exemplarité visible », l'impunité doit être bannie quelqu'en soient les raisons. Pour ce faire il faut mettre un bémol à cette « bienveillance et à la compassion humanitaire qui favorisent une indulgence et une tolérance sources de laisser-faire aux dépens de la sûreté ».


    Edition Odile Jacob, 2002,  288 pages, 22,50 €




  • Guide de la culture berbère

    Mohand Akli Haddadou

    Guide de la culture berbère

    9782842720735.gifMohand Akli Haddadou est professeur de lexicologie berbère à l'université de Tizi-Ouzou. Son Guide de la culture berbère est marqué par sa formation : l'ouvrage fourmille d'informations, de données lexicales sur la langue berbère dans ses différentes acceptions : chaoui, chenoui, chleuh, kabyle, mozabite rifain, tamazight, touareg... Il est toujours périlleux de se lancer dans une aventure éditoriale de cette ambition. Ce guide entend fournir aux lecteurs davantage que des petits fascicules comme Les Berbères de G. Camps, mais beaucoup moins qu'une réelle encyclopédie, qui exige d'autres moyens et une théorie de spécialistes, à l'instar de l'Encyclopédie berbère, toujours en cours de parution (ces deux ouvrages sont édités par Édisud). Ainsi, Mohand Akli Haddadou brosse en quelque trois cents pages le tableau des origines et de l'histoire des Berbères, en fait de l'Afrique du Nord jusqu'à la colonisation française, mais aussi des croyances, de l'organisation de la société traditionnelle, des activités quotidiennes, de l'art, de la littérature et de la langue berbères. Se livrer au jeu des absences ou des oublis, qu'une telle initiative induit presque toujours, est inutile. En revanche, la valeur inégale des chapitres ne peut être passée sous silence. Si les pages consacrées aux origines des Berbères - inspirées des travaux et des synthèses de G. Camps - fournissent au lecteur, même néophyte, des indications précieuses, il n'est pas certain que ce dernier ait une vision claire de la partie historique qui, de la fondation de Carthage à la prise d'Alger, brasse plus de 2 600 ans d'histoire en vingt-deux pages. Le récit est événementiel et chronologique, et sans originalité. Il se dérobe à toute logique interprétative qui aurait donné du nerf au texte et matière à réfléchir. N'aurait-il pas été plus pertinent, par exemple, de poser la question du rapport entre les structures traditionnelles de la société berbère et l'incapacité historique à voir émerger des États centralisés et fédérateurs stables ? De faire la part des facteurs endogènes et exogènes qui ont historiquement concouru à l'échec des tentatives d'unification "nationale", à commencer par la première, celle de Massinissa ? De même, aborder comment cette terre berbère est devenue, idéologiquement du moins, le Maghreb arabe, n'aurait pas été déplacé dans le cadre d'un tel guide.

    Sur la vie quotidienne des Berbères - l'habitat, le mobilier, la cuisine -, de même que sur l'art berbère (poterie, tissage, décors muraux, bijoux, musique, danse) et sur la littérature, l'auteur fournit de nombreux détails. Dans son ensemble, l'ouvrage présente une image muséographique du monde berbère. Il passe sous silence ce qui, dans cette culture et dans les domaines ici abordés, fait montre justement de dynamisme et de vie : la poésie, la chanson, la musique ou la littérature. Sur ce dernier point, après avoir fort justement fourni au lecteur nombre de repères tirés de l'histoire, l'auteur mentionne simplement l'existence d'une nouvelle littérature d'expression berbère sans plus de détails et, par ailleurs, omet complètement les auteurs berbères d'expression française. Pourtant, le chapitre consacré à la langue berbère, - extrêmement précis, peut-être même trop technique, mais le lecteur est ici dans le domaine de l'auteur et il bénéficie d'informations de première main -, montre à la fois l'actualité de la langue et les enjeux pédagogiques et politiques du moment. Ce Guide de la culture berbère propose une utile présentation d'ensemble permettant d'acquérir les bases minimales d'une connaissance socioculturelle, historique et linguistique pour aller plus avant dans une étude, actualisée cette fois, du monde berbère.


    Éd. Paris-Méditerranée, 2000, 304 pages