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métissage

  • Le Métissage par le foot

    Yvan Gastaut

    Le Métissage par le foot. L’intégration, mais jusqu’où ?

     

    gastaut.jpgL’année 1998 voit l’équipe nationale de football remporter pour la première fois la coupe du monde. Victoire tricolore dans une France Black-Blanc-Beur pour les uns, victoire Black-Blanc-Beur dans une France tricolore pour les autres. L’événement constitue un moment fort de l’état des relations interculturelles dans l’hexagone, un moment riche aussi d’ambiguïtés. Yves Gastaut lui donne ici à la fois de la perspective historique et le recul que lui confère le fait d’écrire dix ans après. L’auteur, chercheur et maître de conférence à l’université de Nice, s’arme d’une revue de presse conséquente.

    1998 est pris comme en sandwich entre mélasse et moisissure. La mélasse c’est cette « crise morale lancinante » qui frappe la France depuis le choc pétrolier de 1973-1974. Une crise marquée par les débats récurrents sur l’immigration, la lutte des Sans papiers de Saint Bernard, la montée du Front National, des sentiments xénophobes révélés par les instituts de sondages, les inquiétudes nées de la délinquance dans les banlieues ou de la montée de l’intégrisme musulman et des affaires du voile…

    La moisissure,  c’est bien sûr ce retour de cette « France moisie », diagnostiqué par Philippe Sollers dans Le Monde du 28 janvier 1999, qui siffle, plus vite que tout le monde, la fin de la récré ! La gueule de bois du second tour des présidentielles d’avril 2002, plus que les ridicules incidents qui perturbèrent le premier match de football entre la France et l’Algérie, lui donne raison.

    Entre, il y aura eu quatre années d’euphorie, de liesse populaire. Une France rassemblée. Ce que l’auteur nomme « le moment antiraciste », « la face claire et ouverte d’une opinion publique sensible à la diversité culturelle », un siècle après le « moment antisémite » de l’affaire Dreyfus.

    1998 serait alors une joyeuse « parenthèses antiraciste », un « moment » de « recomposition et d’unité » jusqu’à ce que, juste après le 11-Septembre, le match « France-Algérie sonne la fin de l’épisode festif lié à une équipe de France victorieuse et par conséquent vue sous le bon côté de sa pluralité ». Le glas sonnera définitivement pour cette équipe avec la déroute à la Coupe du monde de 2002.

    Un temps donc, la France fut « plurielle et festive, à l’image de son équipe de football, libérée de toute idéologie ». La Marseillaise était chantée partout et par tous. Et, Yves Gastaut montre, avec force citations, que tout le monde y est allé de son couplet : journalistes, intellectuels et bien sûr politiques jamais en retard d’une tribune.

    Pourtant, les ambiguïtés sont nombreuses. A commencer par le retard à l’allumage. « Il a fallu que les Bleus connaissent le succès sur le terrain pour que la passion s’exprime, mettant en scène la fraternité comme valeur de référence. » La « passion » s’est donc exprimée ex-post. Avec le succès. Rien de spontané, donc. C’est la victoire et peut-être moins l’équipe qui a galvanisé le public, même si la dynamique victorieuse a été portée par cette équipe-là. On oublie aujourd’hui qu’au soir de la demi-finale, le quotidien l’Équipe titrait : « public seras-tu là ? ».

    Alors, victoire du métissage ou victoire de la France qui gagne ? Les deux mon capitaine ! mais alors dans quelle proportion et surtout quelle dynamique prend le pas sur l’autre ? « Dans la célébration de la France plurielle, la confusion règne entre la valorisation des identités spécifiques ou au contraire l’oubli des différences en vue d’un projet commun ». Les slogans, les rires et les joies rassemblaient des « progressistes, partisans d’une société plus ouverte à la diversité » et des « conservateurs, attentifs aux valeurs traditionnelles de la France. » Le principe de réalité sur l’intégration ou sur le rôle d’un modeste ballon rond comme facteur d’unité nationale retrouvée était porté par quelques voix (Henri Amouroux, Alain-Gérard Slama, Alain Finkielkraut ou plus à gauche, Benjamin Stora, Zaki Laïdi, Denis Sieffert ou Jean-Marie Brohm).

    Aujourd’hui, « contrairement à la génération Zidane », les Ben Arfa, Benzema et autre Nasri « font peu de cas de leur ascendance familiale et apparaissent aux yeux du public comme des Français à part entière ». Et si c’était cela l’apport de 1998 : la modification du regard, un déplacement de la frontière entre nous et les Autres, tant chez le public que chez les joueurs issus de l’immigration ?

     

    Préface de Lilian Thuram. Edition Autrement, 2008, 181 pages, 17€

     

  • 30 minutes à Harlem

    Jean Hubert Gailliot
    30 minutes à Harlem


    images.jpgJean Hubert Gailliot, romancier et co-fondateur en 1987 des éditions Tristram sise à Auch dans le Gers donne ici, plutôt qu’un livre, un long reportage sur le Harlem nouveau ou, pour être dans l’ambiance, le New Harlem. Trois tendances émergent du ci-devant ghetto de la communauté noire new-yorkaise symbole de la relégation et fleuron d’une culture, notamment musicale, cent pour cent black.
    Une mixité amoureuse d’un nouveau genre voit défiler nonchalamment et avec une aisance toute juvénile dans la 125e rue de jeunes blacks au bras de lolitas asiatiques peroxydées. Ces amours intercommunautaires du troisième millénaire nées avec la pub « united colors of Benetton » ouvrent les portes à une nouvelle (et problématique) mixité, à de nouveaux brassages et bouscule, non sans crânerie, la plus pure tradition harlémite. Mais, tandis qu’Harlem s’asiatise (par les cœurs mais aussi par les investissements chinois, nippons et sud-coréens), « personne ne semble s’inquiéter de la quasi-disparition des adolescentes noires dans le quartier ». Pour Meredith, mère de deux jeunes filles adeptes de traitements et d’opérations en tout genre pour ressembler à des Blanches ou à des Asiatiques, il s’agit là d’une mode, une mode pernicieuse : « vous vous rendez compte, aujourd’hui la consommation investit même les domaines de l’amour et de la foi ! Au cours des dernières années, les progrès du matérialisme ont causé ici plus de ravages dans les mentalités que l’héroïne et le crack en un demi-siècle ! ». Face à ses deux ingénues qui ne voient dans ces nouveaux comportements qu’une habile esthétique pour attirer l’attention des garçons, Meredith tonne : « se blanchir (…) cela revient, ni plus ni moins, à effacer trois siècles et demi d’esclavage (…) effacer, par la même occasion, la mauvaise conscience de ceux pour qui la couleur de notre peau devrait agir comme un rejet quotidien des injustices dont les Noirs continuent d’être les victimes ».
    Avec ces unions nouvelles, des expériences musicales originales ou… incongrues (selon les points de vue) sont apparues : Harlem la black, sanctuaire de la musique noire, s’ouvre à des influences extrêmes orientales, impensables il y a encore quelques années, portées par de nouveaux groupes tels Wu-tang Clan, Tcheng-Ho Projets ou par feu Samouraï Sam, ex-« philosophe des rues ». Selon un certain Boombasstic, ingénieur du son de son état, « l’Asie par elle-même n’avait pas de musique à nous offrir, elle avait mieux que ça : sa curiosité (…) ». Pour lui, les jeunes Blacks de Harlem n’entendent pas perdre leur identité, ils refusent simplement de reproduire à l’infini une musique et des effets qu’il estime éculés.
    Last but not least : le quartier, sous l’effet de la promotion immobilière et culturelle, se transforme en un vaste lupanar de la consommation, délogeant peu à peu les anciens habitants et interdisant à leurs rejetons aux amours singulières et désargentées d’y loger. Tout commence au début de l’ultime décennie du siècle dernier quand Disney Company et Cineplex Odéon s’associent pour créer à Harlem un vaste complexe de divertissement, un méga centre commercial. C’est sur l’évocation d’un Harlem incandescent et immatériel, noyé sous les lumières intemporelles des néons et autres spots, assourdi par une bande-son continue et hétérogène que se referme le livre. Ici, le jour et la nuit n’existent plus, le temps est aboli, table rase est en permanence faite du passé, l’avenir n’est plus radieux mais béance et « tyrannie du nouveau », de la vitesse, du zapping sonore et visuel au service d’un seul culte : celui de la consommation. L’auteur reprend ici le papier quelque peu « allumé » d’une journaliste londonienne entrée dans ce nouveau temple de la consommation corps et âmes, l’esprit vide et le cerveau non seulement lavé mais passablement essoré.
    Dans cet Harlem bringuebalé, où les boussoles identitaires s’affolent, certains se tournent déjà vers les « léopards », les enfants nés de ces unions afro-asiatiques, dans l’espoir de trouver un sens aux bouleversements du vieux quartier. Wait and see donc : l’avenir dira si Harlem invente « une connexion neuve entre les styles, les cultures et les communautés » ou si elle n’est que le laboratoire d’un énième avatar de la marchandisation du monde, des esprits et… des cœurs.


    Editions de L’Olivier, 2004, 59 pages, 8 €