Chahdortt Djavann
Bas les voiles !
Le député-maire communiste de Vénissieux, André Gerin, a déposé le 9 juin un texte cosigné par 58 députés (3 PCF, 7 PS, 43 UMP, 2 NC, 3 NI) demandant la création d'une commission d’enquête parlementaire sur le port de la burqa ou du niqab dans le but de « définir des propositions afin de lutter contre ces méthodes qui constituent une atteinte aux libertés individuelles sur le territoire national ». Le 23 juin la conférence des présidents de l'Assemblée nationale décidait la création d'une mission d'information sur le port de la burqa et du niqab en France. « Mission d'information » et non pas « commission d'enquête » autrement dit priorité au dialogue et liberté pour les invités de se présenter ou non devant les membres de ladite mission. La mission s’est mise au travail le 8 juillet. Peut-être aura t-elle le temps de lire ou de relire le livre de Chahdortt Djavann qui ne va pas par quatre chemins pour dire ce qu'elle pense ! Au moins les choses sont claires ; les louvoiements et autres urbanités de robots n'édulcoreront pas le débat. Le flou ne sert que ceux qui avancent masqués et qui sont passés maîtres, ici ou ailleurs, pour accaparer tous les espaces de liberté que par faiblesse ou aveuglement leurs concitoyens ont l'imprudence de laisser vacants. Bas les voiles ! dit non seulement la position ferme et arrêtée de l'auteur sur le voile mais s'efforce aussi de montrer les réels enjeux que ce fichu tissu cache.
Chahdortt Djavann, iranienne réfugiée en France qui dans son pays a du porter le voile de treize à vingt-trois ans, ne se situe pas sur le terrain religieux, celui de l'exégèse plus ou moins savante, elle ne se situe même pas sur le terrain de la laïcité ou de la discussion politique mais sur celui des droits de l'homme (et de la femme bien sûr) et plus encore celui des droits de l'enfant : "imposer le voile à une mineure, c'est, au sens strict, abuser d'elle, disposer de son corps, le définir comme objet sexuel destiné aux hommes" et plus loin d'ajouter : "c'est faire subir une maltraitance psycho-sexuelle, un traumatisme qui marquera à jamais le corps et l'esprit des futures femmes".
Excessif ? Voir. Car tout le monde fait comme si le voile était la norme, la règle pour ces musulmanes ou ces populations d'origine immigrée pourtant diverses mais que "sous l'influence d'une sociologie molle [on enferme] dans un communautarisme à base religieuse et ethnique". Or, comme le rappelle l'auteur, cela ne concerne qu'une minorité, dont la liberté n'est nullement remise en question ou contestée mais qui en revanche menacent la liberté de leurs consœurs qui refusent le voile et menacent la liberté de leurs concitoyens qui ne mesurent pas encore les conséquences sociales logiques du port du voile : abolir "la mixité de l'espace et [matérialiser] la séparation radicale et draconienne de l'espace féminin et de l'espace masculin, ou, plus exactement, il définit et limite l'espace féminin". Il n'est nullement besoin de se référer à l'expérience iranienne ou à la tragédie algérienne des années quatre-vingt-dix (pourtant riches d'enseignements!) pour appréhender cette logique. Il faut écouter seulement les membres de la commission Stasi quand ils rapportent les témoignages qu'ils ont reçu sur le terrorisme dans les quartiers, la montée de l'intolérance et de l'antisémitisme, les manifestations d'une volonté d'installer une sorte de ségrégationnisme confessionnel (après la ségrégation sexuelle), les interdits qui se développent, les cours boycottés, les auteurs placés à l'index (Rabelais, Pascal, Voltaire, Molière et son Tartuffe…) ou tout simplement les demandes d'aides émanant de jeunes filles qui refusent le port du voile pour comprendre que cette logique n'est nullement une hypothèse virtuelle mais que déjà elle est, ici ou là en France, une sordide réalité.
L'enjeu est de taille, les affrontements inévitables et pour qui mesure la régression que représente le port du voile dans un pays où au nom des droits de l'homme, des valeurs républicaines et laïques tant de sacrifices ont été consentis depuis 1789, on peut comprendre qu'il est parfois difficile de raison gardée. La véhémence de l'auteur peut nuire à son propos, elle ne la discrédite nullement. D'ailleurs, Chahdortt Djavann ne se contente pas de fustiger le voile et ses partisans et de pimenter son propos d'un soupçon de culture psychanalytique de bon aloi dans cette discussion d'où émanent parfois des relents de bigoterie et de frustration. Elle rappelle fort justement qu'il ne peut y avoir de débat sur le port du voile ou la laïcité sans son corollaire : poser "les vrais problèmes que sont l'inégalité économique, le logement, la ghettoïsation et l'éducation". Et Chahdortt Djavann de prévenir : "faute de cette attention aux vraies raisons de la violence, on verra se développer, subtilement associés et objectivement complices, l'un nourrissant l'autre et réciproquement, le discours islamiste et celui de l'extrême droite". Fermeté sur les principes qui régissent le vivre ensemble d'une part, responsabilité (et courage) politique d'autre part… voilà qui a bien le mérite de la clarté.
La mission d'information sur le port de la burqa doit remettre son rapport début décembre. affaire à suivre donc.
Ed. Gallimard, 2003, 47 pages, 5,50 euros