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Le tao du migrant - Le blog de Mustapha Harzoune - Page 17

  • La Diversité contre l’égalité

    Walter Benn Michaels

    La Diversité contre l’égalité

    image.jpgNicolas Sarkozy, dans son discours sur la réforme du lycée, le 13 octobre 2009, rappelait que la création du lycée signifiait « la fin des privilèges de la naissance ». « Désormais, poursuivait-il, ce qui compte en France pour réussir, ce n’est plus d’être “bien né” : pour réussir, il faut travailler dur, et avoir fait la preuve, par ses études, par son travail, de sa valeur ». Voilà ce que Walter Benn Michaels appellerait sans doute une parfaite illustration de la « méritocratie » : on ne devient pas riche par héritage - richesse et patrimoine - mais grâce à son travail et à ses efforts. L’auteur, professeur à l’université de l’Illinois à Chigago, dit exactement le contraire : « ce n’est pas parce que qu’ils ont fréquenté une grande université qu’ils ont réussi [les étudiants des dites universités], mais parce que leur famille est assez riche pour leur offrir le genre d’environnement et de préparation qui permet d’être admis dans une grande université ». Point ! Voilà qui est affirmé sans circonvolutions ni prêchi-prêcha.

    Pour Walter Benn Michaels cette « illusion » de la méritocratie est le pendant de la discrimination positive qui, in fine, justifierait et légitimerait les richesses des riches. Ce que dit ici l’auteur, c’est qu’un Yazid Sabeg par exemple, sous couvert  de diversité et de discrimination positive, ne cherche pas à remettre en question un ordre social et économique inégalitaire mais à faire advenir un nouvel âge au capitalisme vieillissant, un « capitalisme black-blanc-beur ».  Et s’ « il faut aider les élites à changer », comme le proposait Carla Bruni-Sarkosy, ce n’est pas, précise l’auteur, pour « remettre si peu que ce soit en cause leur statut d’élites, mais pour les rendre plus noires, plus multiculturelles, plus féminines – le rêve américain. »

    Car ce petit livre est tout entier consacré à fustiger une idée à la mode, d’autant mieux partagée qu’elle est d’une simplicité biblique : l’injonction du respect de la diversité, le respect des différences et sa conséquence sociale et politique, le saupoudrage ad libitum des cultures, des ethnies, des croyances, des genre et des sexes.

    Voilà qui, pour rester dans l’esprit de ce livre frondeur, rappelle le « diviser pour régner ». Car pendant que l’on s’échine et se déchire à défendre son bout de gras différentialiste et mémoriel, on en oublie l’essentiel : «  l’idée, elle vraiment radicale, d’une redistribution des richesses devient quasi impensable. » C’est là la thèse unique, martelée et servie sur plusieurs mode de ce livre roboratif : la danse du ventre  de la diversité ne sert à rien d’autre qu’à empêcher de remettre en question, de « réduire », de « combler », l’inégalité suprême, celle qui depuis toujours divise nos semblables en humanité : l’inégalité entre les riches et les pauvres ! Et s’il fallait un autre argument contre les statistiques ethniques, on le trouvera également dans ce livre : en « ethnicisant » ou « racialisant » les statistiques on se rassure ! On laisse croire que les discriminations seraient les principales causes  de la pauvreté au lieu d’accuser les disparités économiques dans l’accès à la santé, aux formations, aux modes de consommation, aux loisirs…

    Ce livre n’est pas une adresse aux élites ou à la droite en général – qui préfèreraient la « guerres des cultures » à la lutte de classes – que l’ébauche d’un programme pour une gauche rénovée. « Le problème ce n’est pas le racisme » mais le « néolibéralisme ». « La diversité n’est pas un moyen d’instaurer l’égalité ; c’est une méthode de gestion de l’inégalité ». Et pour être tout à fait clair : « Si nous aimons la diversité, si nous aimons les programmes de discrimination positive, c’est parce qu’ils nous présentent le racisme comme l’unique problème que nous ayons à résoudre.  Or le résoudre ne nous demande rien d’autre que de renoncer à nos préjugés. Résoudre le problème de l’inégalité économique  demanderait sans doute un peu plus : peut-être de renoncer à notre argent. »

     

    Edition Raisons d’agir, 2009, 157 pages, 7€

  • La citation du jour

    « La diversité n’est pas un moyen d’instaurer l’égalité ; c’est une méthode de gestion de l’inégalité. (...) Si nous aimons la diversité, si nous aimons les programmes de discrimination positive, c’est parce qu’ils nous présentent le racisme comme l’unique problème que nous ayons à résoudre.  Or le résoudre ne nous demande rien d’autre que de renoncer à nos préjugés. Résoudre le problème de l’inégalité économique  demanderait sans doute un peu plus : peut-être de renoncer à notre argent. »

    Walter Benn Michaels, La Diversité contre l’égalité,  Raisons d’agir, 2009

  • La citation du jour

    «  (…) Au lieu de s’interroger  sur ces coups de canif saignants portés aux flancs du pacte républicain, ceux qui détiennent l’autorité de la parole publique accusent, dénoncent, stigmatisent, menacent. Ils utilisent ad nauseam ce « langage buveur de sang ». Aveugles à tout ce qui survient hors du cercle mondain qui protège leur hyperactivité, ignorants de tout code social extérieur à leurs modèles et signes, ils se laissent happer par la panique et croient préserver leur monde artificiel en jetant des anathèmes à la ronde. Paralysée, leur intelligence ne leur révèle plus rien de la filiation de ces révoltes au regard des luttes sociales et politiques françaises, celles qui, sur le temps long, furent impulsées par les exclus, les méprisés et brutalisés, toutes celles et tous ceux-là qui, las de patienter, décident une nuit sans lune de frapper à la porte de la République en faisant grand bruit dans  l’espoir d’être entendus. Les geôliers de la République peuvent-ils entendre ?  Il leur faudrait remettre en cause trop de confort. Il y a plus grande tranquillité à ethniciser »

    Christiane Taubira, Paroles de liberté, Flammarion 2014

  • La citation du jour

    « Quand, au lieu de se retrouver autour de ce qu’ils ont en commun (l’entreprise et l’habitat, les questions sociales, les conditions de vie, le pouvoir d’achat, etc.) les dominés se font la guerre au nom de leurs identités, croyances et origines, les dominants ont la paix »


    Edwy Plenel, Dire non,  Don Quichotte 2014

  • L’Art français de la guerre

    Alexis Jenni

    L’Art français de la guerre

    Alexis Jenni 2598302.jpgPremier roman publié pour ce prof de SVT. Premier roman et Goncourt à la clef. Pour un coup gagnant, c’est un coup gagnant. Et toc ! donc pour ce pavé, dense, souvent percutant, parfois brutal, sans concessions, au style ondoyant dans lequel viennent s’enchâsser d’heureuses ritournelles. C’est un mille feuilles ou plutôt un plat de lasagnes que sert ici le cuistot devenu du jour au lendemain chef étoilé es littérature : il alterne les couches d’Histoire et les couches d’actualité. Le rouge sang d’une « guerre de vingt ans » - de la Libération aux guerres coloniales - imprègne le spongieux des pâtes d’une modernité pâlotte et souffreteuse.

    Ce pavé, dense, souvent percutant, parfois brutal est sans concessions, les motifs y ondulent de phrase en phrase, de page en page. L’écriture est forte : expressivité des situations et des personnages, profondeur des émotions (l’attente, la peur, l’amour, la solitude, l’hostilité sourde ou à fleur de peau), justesse des dialogues, puissance des scènes qu’il s’agisse d’une embrouille dans une gargote vietnamienne, de la libération d’un village en 44, d’une fuite à travers la forêt du Tonkin, d’une séance de torture dans une célèbre villa d’Alger, d’un micro drame à l’intérieur d’une pharmacie prudemment cadenassée ou d’un fatal gueuleton de tripaillons dégotés chez un boucher chinois, de crêtes de coq chez un Africain et de têtes de mouton chez un Kabyle…. Sans oublier quelques pointes subtiles d’humour et de distance.

    L’Art français de la guerre parle d’un temps qui intéresse, d’abord et avant tout, les moins de vingt ans et leur devenir immédiat et non les anciens combattants ou les nostalgiques de l’Algérie de papa. Car « la situation en France est plutôt tendue », « une étincelle et tout brûle ». C’est armé d’un implacable bistouri qu’Alexis Jenni incise au cœur du mal français. On a souvent fait de L’Art français de la guerre le livre des aventures coloniales et des mémoires victimaires - chacun à son petit cahier de devoir de mémoire  pour gagner son « droit à la violence légitime » et tout le monde meurt « à petit feu de ne plus vouloir vivre ensemble »… Il l’est.

    Mais il est plus impérativement le livre de la société française contemporaine, tourneboulée par « la pourriture coloniale » et le cul-de-sac du « fantasme de la violence ». La « pacification » des temps moderne, dans les rues des centres-villes se fait au faciès, dans les banlieues, elle est collective… « (…) Nous ne voulons pas parler, nous voulons en découdre. Au pays de la douceur de vivre et de la conversation comme l’un des beaux-arts, nous ne voulons plus vivre ensemble. » Une fois de plus on exclut, on parque, on dresse des murs, on ghettoïse. Le sujet est là : l’art français de la guerre ne revient aux colonies que pour mieux approcher nos modernes banlieues et les méthodes de « maintien de l’ordre ».

    Disons le crûment et rapidement : aux impasses de la force, hier dans les colonies, aujourd’hui dans les banlieues, Jenni préfère (et recommande) les promesses du désir.  On pourrait refourguer ici un vieux slogan : « Faites l’amour, pas la guerre ». «  Tout pourrait se régler par le sexe. Le sexe, en trois générations, flouterait les visages, emmêlerait les parentés, ne laisserait que la langue intacte, mais on préfère les armes. » Ou les voiles : « Si l’amour n’est pas possible entre nous, que reste-t-il ? L’autre voilé d’un sac noir privatise un peu de l’espace de la rue. (…) Avec celui qui ne laisse rien paraître, je ne peux avoir que des rapports raisonnables, et rien n’est plus erratique que la raison. Que nous reste-t-il, si nous ne pouvons nous désirer, au moins du regard ? La violence ? ». Pourtant et déjà, dans les jardins d’enfants, les gamins des cités « sont le ciment qui prolifère et répare de lui-même la maison commune toute fissurée. Ce n’est pas la bonne teinte. Et bien disons que l’on repeint la maison. (…) En quoi me ressemblent-ils, ces enfants noirs et bruns (...) ? En quoi me ressemblent-ils  ceux-là qui sont mon avenir à moi (…) ? En rien visiblement, mais nous avons bu au même lait de la langue. Nous sommes frères de langue (…) ».

    La guerre  est racontée par un vieil homme, Victorien Salagnon professeur en peinture du narrateur. Ce dernier, « classe moyenne éduquée, volontairement aveugle aux différences », consigne par écrit les souvenirs et les propos de Salagnon et alternent ces propres réflexions et  la recension de son quotidien. Nous sommes à Lyon. Il vient de se faire licencier, il connaît les affres du chômage, du divorce et de la solitude. C’est par hasard qu’il est tombé sur Salagnon, l’ancien résistant rescapé du bourbier indochinois et du drame algérien. Une fois par semaine, le jeune homme s’en va rejoindre son aîné du côté de Voracieux-les-Bredins, « la porte de service de l’agglomération ».

    Dans le pavillon « à la décoration affreuse », il croise Eurydice, l’épouse. Pour ne pas la perdre et vivre en paix, Salagnon ne doit pas se retourner sur leur passé commun. L’oubli est préférable à la mémoire.  Il y rencontre aussi Mariani, l’ancien compagnon d’armes, depuis les forêts du Vietnam jusqu’au djebel algérien en passant par une villa des hauteurs d’Alger où la gégène remplaçait la mitraillette. Mariani est un survivant, le seul, mais lui reste « obsédé par la race ».

    Face à face, le vieil homme et ce narrateur anonyme. Face à face ? Non, plutôt côte à côte, car Salagnon à la différence de son pote Mariani - qui chaperonne de jeunes séides surexcités -  en a fini, lui, avec ce fantasme de la violence : basta de la race : « la race est un pet, l’air de la France étroite devient irrespirable », basta du « spectacle des pétomanes » ; basta de la « la ressemblance, confondue avec l’identité », de la force et de la trique comme méthode de pacification…« La force et la ressemblance sont deux idées stupides d’une incroyable rémanence ; on n’arrive pas à s’en défaire. ». La race, comme principe organisateur, l’alpha et l’oméga du maintien de l’ordre,  revient en force sous forme de ressemblances (confondues avec l’identité), de frontières, de classement ou encore de « voiles noires ». « Oh, ça recommence ! » (…) La pourriture coloniale nous infecte, elle nous ronge, elle revient à la surface. »

    « Les guerres menées là-bas nous les menions ainsi et nous les avons perdues par la pratique de la colonne blindée (…) Nous avons brutalisé tout le monde ; nous en avons tué beaucoup ; et nous avons perdu les guerres. Toutes. Nous. » « (…)  L’art de la guerre de change pas ». Au fond, la torture « n’est pas le pire  que nous ayons fait dit Salagnon.  (…) Nous avons manqué à l’humanité. Nous l’avons séparée alors qu’elle n’a aucune raison de l’être. »

    L’Art français de la guerre c’est le fantasme consommé et autodestructeur de la violence. Cette violence qui n’a jamais rien résolu, rien solutionné et qui n’a laissé derrière elle, après être passée comme un démon, qu’un monstrueux tas de regrets, de silences, d’amertumes, d’échecs, d’abandons, de ressentiments, de colères et de haines sur lequel croissent et se multiplient des mémoires agonistiques. « Si les guerres servent à fonder une identité, nous nous sommes vraiment ratés. Ces guerres que nous avons faites, elles ont détruit le plaisir d’être ensemble, et quand nous les racontons, maintenant, elles hâtent encore notre décomposition. Nous n’y comprenons rien. Il n’y a rien en elles dont nous puissions être fiers ; cela nous manque. Et ne rien dire ne permet pas de vivre. » Voilà qui rappelle Rue Darwin de Boualem Sansal ou Les Vieux fous de Mathieu Belezi.

    Autour d’un thème qui court comme une ligne directrice du début à la fin de l’ouvrage gravitent, entre réflexions et observations, des passages sur des sujets divers et nombreux. En quelques lignes ou pages, Jenni trousse le tableau des violences sociales, la gestion inhumaine des ressources humaines dans l’entreprise au libéralisme débridée, l’obit rituel des hypermarchés où le consommateur célèbre sa propre mort, il verse quelques pincées d’ethnographie ou d’urbanisme et éparpille ses considérations sur l’art du dessin. Dans une ambiance empreinte de taoïsme, Alexis Jenni revisite Les Visiteurs du soir, Le Vieux fusil ou La Bataille d’Alger et relit le Conte du Graal, l’Iliade et l’Odyssée ou L’Etranger de Camus (avec quelle pertinence !). Enfin le romancier évoque « le seul pays » qui soit, la langue française, aujourd’hui et à nouveau empuantie « d’étrons »… « La France est l’usage du français. La langue est la nature où nous grandissons ; elle est le sang que l’on transmet et qui nous nourrit. Nous baignons dans la langue et quelqu’un à chier dedans. (…) Nous n’osons plus ouvrir la bouche de peur d’avaler un de ces étrons de verbe » qui dans le roman se nomment « identité », « race », « force », « Arabe », « indigène », « Algérien », « musulman », « frontières », «  conquête »  … Encore et toujours cette «  pourriture coloniale ».

    Comme le fit, en son temps, De Gaulle, « le plus grand menteur de tous les temps », le  « romancier génial », il faut à la France une nouvelle fiction pour faire en sorte d’être « heureux de vivre ensemble ». « Il faut réécrire, maintenant, il faut agrandir le passé. A quoi bon remâcher quelques saisons des années quarante ? A quoi rime cette identité nationale catholique, cette identité de petites villes le dimanche ? A rien, plus rien, tout à disparu ; il faut agrandir. » L’Art français de la guerre c’est peut-être Renan réinventé, habillé aux couleurs d’un autre siècle, chargé d’héritages nouveaux et porteur de bifurcations nouvelles. « Qu’est-ce qu’être français ? Le désir de l’être, et la narration de ce désir en français ». Un désir qui ne craint pas l’ardeur des corps et des métissages. Sinon gare ! prévient Alexis Jenni. Qu’en sera-t-il des perspectives ici dessinées ? Les mots ont-ils encore un pouvoir à l’heure où les électorats croient justement devoir s’en remettre aux biscoteaux et aux classements des extrêmes droites ?

     

    Gallimard 2011, 632 pages, 21€

     

  • La citation du jour

    « Partir dans la vie avec une double culture – ce qui fut mon cas – complique évidemment les choses, mais les fait avancer aussi. Dès l’enfance, les expériences se présentent comme les pièces dispersées d’un puzzle qu’il faut ensuite rassembler. On passe du chaos à la réflexion pour étudier leur configuration, et tenter de saisir ce qu’’elles veulent exprimer. On ne saisit évidemment pas tout ce qui nous arrive. Un jour on ne comprend pas, le lendemain on comprend mieux. Même les expériences pas très agréables, parce qu’elles provoquent l’indignation, nous enrichissent. »  Pierre Rabhi

     

    Olivier Le Naire, Pierre Rabhi, semeur d’espoir. Entretiens, Actes Sud 2014

  • La citation du jour

    « Les Européens et les « Arabes », que les premiers ne vouvoyaient jamais, n’avaient pas l’habitude de rire ensemble. Sauf, peut-être, dans l’obscurité des salles de cinéma en regardant Fernandel, Laurel et Hardy ou Charlot ».

     

    Abdelkader Djemaï, Une ville en temps de guerre, Seuil 2013

  • La citation du jour

    « Cette Afrique de l’autre bord, il aurait bien lui dire en face ce qu’il pensait d’elle. Ils se prenaient pour qui, ces Diaspo avec leur parler cheucheucheucheu et leurs anecdotes à la gomme ? L’autre jour dans l’émission, il y avait un rappeur-là, il était trop grave. Il parlait de sa mère, comme quoi sa vieille avait dû galérer pour l’élever, et qu’au lieu de lui crier après, elle le prenait dans ses bras tous les soirs pour lui raconter une histoire. Elle lui avait transmis « tous les trésors d’Afrique », c’est ce qu’il voulait nous faire croire, l’autre. La « sagesse » africaine, les « valeurs » africaines, bref, il disait que tout cela lui manquait et qu’il ne ratait jamais une occasion pour partir au pays se ressourcer. Ressourcer quoi ? Se ressourcer mon œil ! Biram poursuivait : «  D’ailleurs, c’est bien simple. Si un jour j’arrive à faire ma vie en Europe, je ne veux même pas entendre parler de diaspora. Même si on me prend pour un malade mental, un fascite, un intégriste, un campagnard, c’est leur problème. Diaspo, c’est du toc de Chinois. Tu es africain ou tu n’es pas africain, il n’y a pas de milieu, point trait. »

     

    Fabienne Kanor, Faire l’aventure,  JC Lattès, 2014

  • Au pays de mon ballon rouge

    José Manuel Mateo Calderon et Javier Martinez Pedro

    Au pays de mon ballon rouge

     

    Calderon_Ballon.jpgAu pays de mon ballon rouge raconte l’histoire d’un petit mexicain qui doit abandonner son ballon, rouge, et son chien, pour émigrer, avec mère et sœur, de l’autre côté de la frontière, aux Etats-Unis. Rien de nouveau sous le soleil migratoire mais il est vrai aussi qu’il n’est pas vain de répéter ad libitum que : les migrants ne quittent pas leur terre pour le plaisir, que le voyage est loin d’être une sinécure, que le danger se cache derrière mille et un visages, qu’un mur de 1 100 kilomètres sépare les deux pays, et que, pour ceux qui ont pu échapper aux trafiquants ou aux chiens de la police, il faudra grimper bien haut sur de grands immeubles pour nettoyer les vitres et les enseignes lumineuses symboles d’une autre société et d’une modernité à vous filer le tournis et le bourdon.

    L’originalité de ce beau livre tient aux illustrations. Il s’agit ici d’un codex inspiré des plus anciennes traditions aztèques ou mayas dessiné sur du papier amate, un papier fait de fibres de ficus, par Javier Martinez Pedro présenté par l’éditeur comme « l’un des plus grands spécialistes actuels au Mexique » du genre.

    Cela donne des dessins naïfs, des planches denses, sans perspective mais riches où les scènes et les épisodes du quotidien s’entrelacent, se chevauchent pour le plaisir et l’intérêt des regards fureteurs.

    Le format est à l’italienne, les textes en blanc sur fond noir ou rouge, le codex monochrome figure en vis-à-vis. Tout cela donne une maquette sobre et élégante.

    Traditionnellement, les Amérindiens racontaient leur vie dans leurs codex. Aujourd’hui, des auteurs, des « artisans » couchent sur du papier amate le quotidien des leurs, la vie de leur village ou des scènes de la modernité. Les amates considèrent « le monde comme un tout ».  « Ces images, où tout est imbriqué, nous disent (…) qu’il nous faut penser notre vie et celle de la planète comme une seule et même histoire. » Tout un programme !

    Pour aller plus loin le livre se referme sur quelques notes explicatives consacrées à l’immigration mexicaine et à l’art des codex. Le codex de l’album y figure aussi, en une seule et longue planche. Époustouflant.

     

    Edition Rue du Monde, 2011, 17€

  • La citation du jour

    « Je suis né sur une planète, pas dans un pays »


    Amin Maalouf, Les Désorientés, Grasset 2012