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Le tao du migrant - Le blog de Mustapha Harzoune - Page 16

  • La citation du jour

    « Les gens comme moi – et presque tout le monde est comme moi, sans toutefois l’admettre – finissent par ne faire qu’un avec leur rôle. Nous sommes le rôle que nous jouons. N’est-ce pas Shakespeare qui a écrit : « Le monde entier est un théâtre, et les hommes et les femmes ne sont que des acteurs » ? Ou quelque chose du genre. (…) Pas bête ce William. Les psys, dans leur jargon, nous répètent jusqu’à plus soif qu’il faut être vrai, authentique, fidèle à soi. Il y a quelques siècles déjà, Shakespeare avait compris déjà que c’était de la bouillie pour les chats. Les moi auxquels nous sommes censés nous conformer sont de simples constructions – des rôles que nous jouons,  des rôles qui nous sont confiés ou que nous inventons pour nous-mêmes. Le conseil suivant serait beaucoup plus utile : soyez fidèle au rôle qui vous échoit. Devant pareille idée, la plupart des gens se récrieraient, mais prenez la spontanéité, par exemple. Les enfants sont naturellement spontanés, ils naissent ainsi, et pourtant leurs parents leur répètent que c’est mauvais. Pense avant d’agir. Ne saute pas dans cette flaque de boue. Mais vous en mourez d’envie. A partir du moment où vous vous retenez, ou vous contournez la flaque, vous dérogez à votre nature. Vous incarnez un rôle et prenez la personnalité qui l’accompagne, celui du gentil petit garçon qui remise son vrai moi dans quelque obscur recoin. »

     

    Neil Bissoondath, Cartes postales de l’enfer, Phébus 2009

     

     

     

  • La citation du jour

    « Je  n’aime pas beaucoup l’expression frelatée de « devoir de mémoire », qui me semble, au fond, à peine moins rébarbative que celle de « devoir conjugal ».

    Guy Scarpetta, Guido, Gallimard 2014

     

     

  • Le Destin du touriste

    Rui Zink

    Le Destin du touriste

     

    ruizink.jpgLa littérature et les politiques ne cessent de se pencher sur les raisons qui poussent les migrants du Sud à débarquer au Nord. Plus rares sont les enquêtes sur les motivations des pérégrins qui quittent un septentrion riche mais gris pour un méridional pauvre mais lumineux. Pas grand chose sur ces voyageurs bedonnants et grisonnants, aux poches pleines ou aux pensions de retraite ravigotées, rien sur les agités de la libido, les souffreteux aux psychés grosses de « remord » de « mal-être » ou de « culpabilité », rien sur les babas et les gogos friands d’exotisme et moins encore peut-être sur les accros à l’adrénaline en manque de frissons. Le Destin du touriste de l’écrivain et universitaire portugais Rui Zink fait de ces derniers, le sujet de son livre. Le premier traduit en français. Il s’agit d’un conte satirique et philosophique nullement fictionnel. Il suffit pour s’en rendre compte de taper sur son moteur de recherche préféré « tourisme extrême » pour s’apercevoir qu’un « concept » nouveau fleurit chez quelques agences de voyage et autres tours opérateurs : l’organisation du tourisme de l’extrême, le voyeurisme de la misère et de la guerre, le grand émoi, la grande « peupeur » des aventuriers des temps modernes. Un petit tour en Irak ou en Afghanistan, un autre à Haïti ou au Darfour et hop ! Retour au bercail. Car ils reviennent tous chez eux, dans leur « home sweet home », avec leur viatique d’esbroufes à faire pâlir la parentèle et le voisinage. Comme l’écrit Rui Zink, de ce côté de l’hémisphère et dans le sens nord-sud, le voyage « est une valeur socialement positive ».

    Le Destin du touriste est un roman qui dérange. Tout à tour angoissant, agaçant, drôle, ironique, répétitif, il met en scène une semaine de vacance « en demi pension » d’un certain Servagit Duvla alias Greg dans la « zone ». La « zone », c’est « l’enfer », « la maison du diable » ou plutôt le paradis des fêlés du ciboulot,  des fanas de la roulette russe, des voyeuristes participatifs ou des participants voyeuristes. Dans cette partie d’un pays qui en compte tant sur terre vous aurez droit, cher touriste, à la guerre, à la violence incontrôlée des enfants-soldats, à la misère la plus crasse, aux rapts et aux scènes de barbarie parmi les plus inimaginables. Comme Greg vous pourrez craindre qu’un obus atterrisse au milieu de votre chambre d’hôtel, croiser une vieille femme portant son enfant sanguinolent dans l’indifférence générale, assister en plein marché à la plus suggestive des pendaisons, voir s’évaporer une flopée de Philippins en vadrouille, goûter au charme d’une plage couverte de mines, trouver un ou deux cadavres pataugeant en bord de mer ou dans la piscine de l’hôtel… Avec un peu de chance vous pourrez même subir une agression en bonne et due forme et, acmé de l’acmé, être kidnappé !

    Greg traîne sa carcasse dans ce foutoir chaperonné par Amadou, le sympathique chauffeur de taxi. Entre deux coups de téléphone peu amènes à son épouse peu causante, Amadou comprend que son touriste est d’une autre encre que le vulgum pecus des étrangers par lui transportés. Greg ne recherche pas seulement le danger, il est du genre suicidaire. Rui Zink par un montage subtil révèle les dessous et le pourquoi de la « mission » que s’est donné son héros.

    Critique féroce de la marche du monde, ces « manèges de la mort » où le cannibalisme est « élevé au rang d’art et spectacle » serviraient à distraire de leur ennui les citoyens du Nord développé. La charge est forte et brutale, boursouflée ici ou là de quelques longueurs, mais rudement efficace pour, une fois n’est pas coutume, déplacer les soupçons sur d’autres migrations.

     

    Edition Métaillé 2011, 191 pages, 18€

  • La citation du jour

    « J’en fais le serment alors : une fois là où nous pourrons être en vie sans avoir à justifier, détailler, exhiber la moindre seconde nous ayant conduits  avec tant d’autres à l’exil, plus jamais je n’emprunterai le chemin des  mots qui me ramène au drame. Nous serons neuf et tu auras le droit de croire  aux promesses du monde. »

    Carole Zalberg, Feu pour feu, Actes Sud 2014

  • La citation du jour

    « La deuxième fois qu’on le découvrit rongé par les charognards dans le même bureau, avec le même uniforme et dans la même positon, aucun d’entre nous n’était assez vieux pour se rappeler ce qui était arrivé la première fois mais nous savions qu’aucune preuve de sa mort n’était évidente étant donné qu’une vérité cache toujours une autre vérité. Les moins prudents eux-mêmes ne se fiaient pas aux apparences, on l’avait si souvent affirmé l’épilepsie le ravageait et il s’écroulait sur son trône en pleine audience, se tordant sous les convulsions et vomissant une écume de fiel, et il avait perdu la voix à force de discourir, des ventriloques se dissimulant derrière les rideaux pour faire croire qu’il parlait, et des écailles d’alose lui poussaient sur le corps pour le punir de sa perversité, et dans la fraicheur de décembre sa hernie lui chantait musique et il ne pouvait se déplacer qu’à l’aide d’une chaise orthopédique dans laquelle il trimballait sa roupette herniée, et un fourgon militaire avait livré à minuit par la porte de service un cercueil avec des incrustations d’or et des torsades pourpres (…), pourtant quand les rumeurs de sa mort semblaient les plus sûres on le voyait paraître plus vivant et plus autoritaire que jamais au moment le plus imprévu pour imposer d’autres caps imprévisibles à notre destin. »

    Gabriel Garcia Marquez, L’automne du patriarche, Grasset 1976

  • La citation du jour

    « Je plains ceux qui vénèrent la puissance et la réussite.

    Quand ils sont faibles, ils ferment leurs frontières,

    Qu’ils repoussent quand ils sont forts. »

    Ha Jin, La liberté de vivre, Seuil, 2012

  • Les Vieux fous

    Mathieu Belezi

    Les Vieux fous

     

    interview_Mathieu_BELEZI.jpgParu un an avant les célébrations du cinquantième anniversaire de l’indépendance algérienne, Les Vieux fous de Mathieu Belezi expédiait une charge lourde, puissante et efficace contre ce que fut la colonisation.

    Dans une langue inspirée, forte, riche, portée par un souffle continu, l’auteur de C’était notre terre (Albin Michel, 2008), livre un roman étonnant, détonnant, définitif, univoque, pas tant sur la colonisation – on pourrait en décliner bien d’autres aspects - que sur l’âme coloniale, l’esprit de la présence française en Algérie, son principe et son essence. Tout le fond de commerce du parfait petit colon est inventorié. « L’impitoyable volonté du colon » plastronne ici, défile jusqu’à l’écœurement. Des bouffées délirantes de violence coloniale se répandent de page en page. Face au trop plein, il ne reste que la nausée ou l’acceptation froide d’une démonstration implacable et de haute volée littéraire.

    L’incarnation du viol d’une terre et d’un peuple se nomme Albert Vandel, alias Bobby caïd, Bobby baroud, Bobby la baraka. Albert Vandel c’est 132 ans de colonisation exhibés en 140 kilos de graisse coloniale enfermée dans un « ventre coffre-fort ». Albert Vandel est un glouton, un  ogre, un vorace insatiable, un cannibale qui se gorge de tout ce que porte cette terre. Un assassin aussi. Cruel, sanguinaire, tortionnaire, pétainiste, il se repaît de ratons et de juifs. Richissime, il s’est approprié, par le vol, le pays et ses hommes, l’Algérie est sa « cassette fabuleuse ». Il y fait la pluie et le beau temps et les ronds de cuir de la métropole, les ministres et même le président Doumergue viennent béqueter dans ses mimines, grassouillettes et terribles. Ce titan ne dort que quelques heures. Priapique, il enfourche à qui mieux mieux fatmas et légitimes, il glougloute à la bouteille, crucifie l’Afrique jusque dans ses assiettes. Thaumaturge et chasseur de lion, c’est à coup de trique qu’il entend arrêter le « temps barbare » africain pour le tic-tac de la civilisation blanche et moderniste. Avec cet Albert Vandel, Mathieu Belezi a inventé un personnage hors norme pour une histoire unique.

    Le lecteur assiste aux derniers jours de l’Algérie française. Vandel s’est retranché avec de ci-devant satrapes de l’ordre colonial dans son bordj près d’Alger. Les Vieux fous, au nombre de onze, sont devenus des marionnettes cacochymes, fatiguées, diminuées, mal en point. Tout ce triste monde se retranche au sous sol de la villa, dans un dortoir improvisé. Pour les protéger, quinze légionnaires déserteurs surveillent la propriété et les environs et, à l’occasion, se font un ou deux bougnoules. La villa regorge d’armes et de munitions ; à table on ne sert plus que du rata. Fini le menu Napoléon III des temps heureux du Centenaire. « Je peux vous le dire ils ne m’auront pas » éructe pourtant Vandel. Mais voilà ! l’Algérie de papa se limite dorénavant au bordj Saint-Léon. Ses kilos de graisse, Vandel les déplace sur un fauteuil roulant de paralytique. C’est Ouhria, l’ultime maitresse du pachyderme qui le pousse, le coiffe et tout le toutim. Lui, raconte, encore et toujours, l’histoire de ce pays, sa geste vaine et grandiose. Elle ne demande qu’à dormir : « foutez moi la paix, monsieur Albert, je dors. »

    Belezi, en quelques 400 pages, brosse l’histoire de la colonisation, depuis la conquête au nom d’une drôle de république « qui croyait aux races supérieures et aux races inférieures » jusqu’à l’exode en passant par la révolte de Mokrani, le Centenaire de présence française ou les manifestations de mai 45. L’Algérie a été violentée jusque dans ses entrailles les plus profondes, jusque dans son âme la plus sensible. La bête monstrueuse débarquée du côté de Sidi Ferruch, un certain jour de juin 1830 court encore, ici ou là.

    « C’est une histoire si révoltante que plus personne ne veut en entendre parler » écrit Mathieu Belezi. Oui ! Comme en écho, Boualem Sansal dans Darwin(1) prévient : « Ce n’était pas la guerre qui se déroulait à Alger (…). On ne combattait pas, on assassinait tout bonnement (…). On dira ce qu’on voudra, on se gargarisera de mots, mais les bombes dans les cafés et la gégène dans les caves, ça n’est vraiment pas la guerre. Il n’y a pas de promesse de paix dans ces merdiers, sinon celle des charniers, et la preuve en est que jamais la paix n’a montré le bout de son nez par ici et jamais les relations entre les deux pays n’ont été sereines. Ce n’est pas qu’ils se détestent, ça ne compte pas, ils font bien des affaires ensemble, mais les deux ont failli à l’honneur, dans la guerre comme dans la paix, et la honte est une gangrène, elle ne guérit pas, se propage, si bien qu’il faut couper toujours plus haut et qu’un jour nous serons forcés de trancher à la gorge pour nous guérir du pêché originel. » Les Vieux fous de Mathieu Belezi devrait y aider.

    1- Gallimard, 2011

     

    Flammarion, 2011, 431 pages, 22 €

     

     

     

  • La citation du jour

    « Quoi que tu fasses, la distance de la langue fait qu’un écart s’est creusé entre ton monde et le monde qui t’entourait. Pour toi, que nous sachions lire devait nous ouvrir la porte du paradis, mais cela ouvrait juste un peu nos yeux d’enfants, nous permettant de voir un monde différent du tien. »

    Ahmed Kalouaz, Avec tes mains, Le Rouergue, 2009

  • La citation du jour

    "Comme pour d'autres aspects de sa culture, la religion traditionnelle africaine est de plus en plus reconnue pour son apport au monde. Elle n'est plus considérée comme une superstition dédaignable à laquelle il faut substituer des formes de croyances supérieures, aujourd'hui on reconnait qu'elle enrichit le patrimoine spirituel de l'humanité. L'esprit d'ubuntu - ce sentiment profondément africain d'appartenance à l'humanité grâce à l'humanité des autres - n'est pas un phénomène paroissial, il s'est complètement agrégé à notre quête commune d'un monde meilleur."
    Nelson Mandela

  • La citation du jour

    « (…) Parmi les tout premiers résistants, parmi ceux qui ont sauvé l’honneur du pays asservi au milieu de la lâcheté générale, il n’y avait pas que des gaullistes, mais aussi ces groupes composés de Juifs de Pologne ou d’Europe centrale, d’antifascistes italiens, de républicains espagnols, d’Arméniens  réfugiés, rescapés du génocide (comme le fut Manouchian, le héros sacrifié de l’Affiche rouge). Des immigrés. Et que ceux-là, au fond, étaient la France, alors même que la plupart des Français de souche se soumettaient à l’occupant.

    J’ai su cela, très tôt. Et c’est sans doute de cela que je tiens cette méfiance radicale envers ceux dont la conception du monde se ramène au culte des racines. « La terre de ment pas », en ces années-là, c’était un slogan de Vichy. La liberté, elle, n’avait pas de patrie. »

    Guy Scarpetta, Guido, Gallimard, 2014