« La deuxième fois qu’on le découvrit rongé par les charognards dans le même bureau, avec le même uniforme et dans la même positon, aucun d’entre nous n’était assez vieux pour se rappeler ce qui était arrivé la première fois mais nous savions qu’aucune preuve de sa mort n’était évidente étant donné qu’une vérité cache toujours une autre vérité. Les moins prudents eux-mêmes ne se fiaient pas aux apparences, on l’avait si souvent affirmé l’épilepsie le ravageait et il s’écroulait sur son trône en pleine audience, se tordant sous les convulsions et vomissant une écume de fiel, et il avait perdu la voix à force de discourir, des ventriloques se dissimulant derrière les rideaux pour faire croire qu’il parlait, et des écailles d’alose lui poussaient sur le corps pour le punir de sa perversité, et dans la fraicheur de décembre sa hernie lui chantait musique et il ne pouvait se déplacer qu’à l’aide d’une chaise orthopédique dans laquelle il trimballait sa roupette herniée, et un fourgon militaire avait livré à minuit par la porte de service un cercueil avec des incrustations d’or et des torsades pourpres (…), pourtant quand les rumeurs de sa mort semblaient les plus sûres on le voyait paraître plus vivant et plus autoritaire que jamais au moment le plus imprévu pour imposer d’autres caps imprévisibles à notre destin. »
Gabriel Garcia Marquez, L’automne du patriarche, Grasset 1976