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Le Destin du touriste

Rui Zink

Le Destin du touriste

 

ruizink.jpgLa littérature et les politiques ne cessent de se pencher sur les raisons qui poussent les migrants du Sud à débarquer au Nord. Plus rares sont les enquêtes sur les motivations des pérégrins qui quittent un septentrion riche mais gris pour un méridional pauvre mais lumineux. Pas grand chose sur ces voyageurs bedonnants et grisonnants, aux poches pleines ou aux pensions de retraite ravigotées, rien sur les agités de la libido, les souffreteux aux psychés grosses de « remord » de « mal-être » ou de « culpabilité », rien sur les babas et les gogos friands d’exotisme et moins encore peut-être sur les accros à l’adrénaline en manque de frissons. Le Destin du touriste de l’écrivain et universitaire portugais Rui Zink fait de ces derniers, le sujet de son livre. Le premier traduit en français. Il s’agit d’un conte satirique et philosophique nullement fictionnel. Il suffit pour s’en rendre compte de taper sur son moteur de recherche préféré « tourisme extrême » pour s’apercevoir qu’un « concept » nouveau fleurit chez quelques agences de voyage et autres tours opérateurs : l’organisation du tourisme de l’extrême, le voyeurisme de la misère et de la guerre, le grand émoi, la grande « peupeur » des aventuriers des temps modernes. Un petit tour en Irak ou en Afghanistan, un autre à Haïti ou au Darfour et hop ! Retour au bercail. Car ils reviennent tous chez eux, dans leur « home sweet home », avec leur viatique d’esbroufes à faire pâlir la parentèle et le voisinage. Comme l’écrit Rui Zink, de ce côté de l’hémisphère et dans le sens nord-sud, le voyage « est une valeur socialement positive ».

Le Destin du touriste est un roman qui dérange. Tout à tour angoissant, agaçant, drôle, ironique, répétitif, il met en scène une semaine de vacance « en demi pension » d’un certain Servagit Duvla alias Greg dans la « zone ». La « zone », c’est « l’enfer », « la maison du diable » ou plutôt le paradis des fêlés du ciboulot,  des fanas de la roulette russe, des voyeuristes participatifs ou des participants voyeuristes. Dans cette partie d’un pays qui en compte tant sur terre vous aurez droit, cher touriste, à la guerre, à la violence incontrôlée des enfants-soldats, à la misère la plus crasse, aux rapts et aux scènes de barbarie parmi les plus inimaginables. Comme Greg vous pourrez craindre qu’un obus atterrisse au milieu de votre chambre d’hôtel, croiser une vieille femme portant son enfant sanguinolent dans l’indifférence générale, assister en plein marché à la plus suggestive des pendaisons, voir s’évaporer une flopée de Philippins en vadrouille, goûter au charme d’une plage couverte de mines, trouver un ou deux cadavres pataugeant en bord de mer ou dans la piscine de l’hôtel… Avec un peu de chance vous pourrez même subir une agression en bonne et due forme et, acmé de l’acmé, être kidnappé !

Greg traîne sa carcasse dans ce foutoir chaperonné par Amadou, le sympathique chauffeur de taxi. Entre deux coups de téléphone peu amènes à son épouse peu causante, Amadou comprend que son touriste est d’une autre encre que le vulgum pecus des étrangers par lui transportés. Greg ne recherche pas seulement le danger, il est du genre suicidaire. Rui Zink par un montage subtil révèle les dessous et le pourquoi de la « mission » que s’est donné son héros.

Critique féroce de la marche du monde, ces « manèges de la mort » où le cannibalisme est « élevé au rang d’art et spectacle » serviraient à distraire de leur ennui les citoyens du Nord développé. La charge est forte et brutale, boursouflée ici ou là de quelques longueurs, mais rudement efficace pour, une fois n’est pas coutume, déplacer les soupçons sur d’autres migrations.

 

Edition Métaillé 2011, 191 pages, 18€

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