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Le tao du migrant - Le blog de Mustapha Harzoune - Page 54

  • Sept mers et treize rivières

    Monica Ali

    Sept mers et treize rivières

    3544353419_19d3719298.jpgLa littérature anglaise ne cesse de s’enrichir de ses auteurs du cru (et qui souvent se revendiquent comme tels) mais dont les origines élargissent les horizons de l’île britannique. Monica Ali a ajouté son nom à la longue et prestigieuse liste des Hanif Kureishi, Kazuo Ishiguro, Leone Ross, Alex Wheatle, Zazie Smith, Jamel Mahjoub ou Hari Kunzru pour ne citer que les plus récents.
    Ce premier roman d’une anglaise d’origine bangladaise arrivée en Angleterre à l’âge de trois ans fit un tabac outre-Manche. Non content d’avoir été parmi les meilleures ventes du royaume, il rencontra aussi un succès auprès de la critique et la revue littéraire Granta retint en 2003, à la lecture de son seul manuscrit, Monica Ali parmi sa sélection des vingt meilleurs jeunes auteurs anglais (avec Z.Smith et H.Kunzru et après K.Ishiguro en 1993). Avec un premier tirage de 15 000 exemplaires, son éditeur français espérait sans doute rencontrer un même succès en France, terre pourtant bien plus frileuse quant à voir émerger et reconnaître ses propres auteurs nationaux, enfants de la colonisation ou des migrations internationales (migrations du Sud vers le Nord s’entend…). En 2008, le roman de Monica Ali fut porté à l’écran sous le titre de Rendez-vous à Brick Lane par la réalisatrice Sarah Gavron.

    Au centre de Sept mers et treize rivières il y a Nazneen une jeune femme, « livrée à son Destin » dès sa naissance quand on s’aperçoit qu’elle est une enfant mort-née. Nazneen vivra, sans le recours de médecins, par sa seule volonté ou celle de Dieu. À l’âge de vingt ans, elle part en Angleterre rejoindre Chanu de vingt ans son aîné que son père lui a choisi comme époux. Lentement, sur plusieurs années, le lecteur assiste à la progressive émancipation de Nazneen depuis la solitude et les angoisses des premiers temps, alors qu’elle est encore confinée dans un petit appartement, « cette grande boîte pleine de meubles » d’une cité londonienne, jusqu’à la conquête de nouveaux espaces de liberté, pour déboucher sur la maîtrise de son destin. Ce sera son second combat pour renaître à la vie.
    Monica Ali est douée pour donner à ses personnages de la substance, de la profondeur, pour représenter des êtres en constante évolution, traversés par des sentiments différents parfois même contradictoires.  Ce premier roman est d’abord le très beau portrait d’une femme émigrée et la formidable et précise description des changements que l’exil impose : relation aux autres et à l’espace, découverte d’une langue inconnue, évolution du rapport à la mémoire, à l’enfance, au pays…  De l’intérieur, le lecteur suit ses pensées, son regard sur les siens, sur son environnement, ses transformations. Nazneen est une femme douce et sensible, lucide aussi.  Partant d’imperceptibles insurrections au quotidien (ménage, lessive, effets de toilette, éducation des enfants…), elle en arrivera à violer les interdits et à transgresser la tradition qui impose à la femme de « prendre son mal en patience », de ne rien attendre de la vie, de ne rien demander, de ne rien espérer.  Nazneen lutte avec la dernière énergie pour rester fidèle à cet enseignement maternel. Elle s’en rendra malade. Rien n’y fera, l’appel de la liberté sera plus fort. Sa mère, d’une tout autre façon, y avait aussi répondu.
    Chanu n’est pas un mauvais bougre, juste un immigré qui serait passé à côté de sa vie. Il se pique d’être intello et se gausse de ses pareils « incultes ». Chanu est doux et bon avec sa jeune femme. Il aime, parfois avec maladresse, ses deux filles. Mais sans jamais pouvoir maîtriser le cours de son existence. Le réel se dérobe sous ses pieds. Alors Chanu parle, parle, se soûle de mots, de projets sans lendemain, d’illusions. À l’image de son corps qui ne produit que de la corne, des cors, des poils et autres peaux mortes, ses paroles sont vaines. Lui qui ne cesse de vanter la grandeur de sa culture d’origine, insistant sur les méfaits du colonialisme britannique, lui qui bataille pour en transmettre quelques bribes à ces deux filles, ne voit pas que Bibi et Shahana sont devenues anglaises. Il ne voit pas ou refuse de voir que sa femme, avec douceur, sans faire de bruit, change. Il ne voit pas que son ultime projet, rentrer à Dacca avec sa famille, est une dernière illusion. Mais Chanu est un homme blessé et impuissant, il accepte, en conscience, ce « syndrome du retour au pays ».
    L’expression est du médecin de la famille : le docteur Azad. Après le temps des vaches maigres et de l’amour partagé avec sa compagne, il connaît, grâce à son travail, le temps de la réussite professionnelle mais aussi celui du désamour conjugal et du fiasco familial miné par le choc des cultures.  Sur ce point, la scène où Mme Azad « la rebelle au grand nez » inflige à Chanu qui s’est invité chez le docteur, une réplique, cinglante et sans appel, est un régal. Pour fuir ses propres échecs, l’ami Yazid aime venir chez Nazneen et Chanu y retrouver la chaleur d’une famille, pauvre certes, mais unie.
    Chanu conseille à son épouse de ne pas fréquenter Razia. Il lui préfère Mme Islam. Mais cette vieille et en apparence respectable dame, commère et mégère, officine médicinale ambulante, sous couvert d’aide et de financement d’une école coranique, s’enrichit en pratiquant l’usure et, à l’occasion, grâce aux gros bras et à la petite cervelle de ses deux brutes de fils, en rackettant son monde. N’en déplaise à ce pauvre Chanu, Razia sera bien l’amie, la confidente et celle auprès de qui Nazneen trouvera de l’aide. Sur le chemin de l’émancipation, Razia a quelques longueurs d’avance. Toutes deux se tiendront par la main et serreront les coudes.

    Il y a du Zola dans ce bouquin, un naturalisme auquel on aurait fort heureusement ajouté une bonne dose d’humour, un brin d’idéalisme et une pointe d’exotisme (culinaire surtout). À travers une incroyable galerie de portraits, Monica Ali dresse avec subtilité et humour, par petites touches, sans jamais alourdir la trame romanesque de son récit, un tableau complet de la cité de Brick Lane : conditions de vie et de travail des immigrés bangladais ; quotidien des femmes, tiraillées entre la pression et les cancans communautaires et leurs aspirations au changement ; jeunes, victimes de la drogue et des trafics en tout genre mais aussi jeunes entrants à l’université ou à Oxford ; rivalités des bandes et autres groupuscules politiques… La propagande et les militants islamistes sont ici raillés (il faut lire le passage franchement hilarant où Monica Ali tourne en dérision une réunion publique des Tigres du Bengale). Cet islam chosifié que représente entre autres ici Karim, un jeune né en Angleterre qui, selon Nazneen, cherche sa place dans le monde, paraît bien terne et sans lendemain devant la simplicité et la profondeur de la croyance de cette femme qualifiée d’« authentique ».
    Monica Ali est douée pour donner à ses personnages de la substance, de la profondeur, pour représenter des êtres en constante évolution, fragilisés par des sentiments différents, tiraillés par des aspirations parfois contradictoires. De ce point de vue Chanu, le mari de Nazneen, immigré passé à côté de sa vie, est attachant. Comme l’est aussi le personnage de Karim, empêtré dans ses contradictions et sa quête identitaire.
    Le grand mérite de ce livre, caché entre les lignes d’un récit parfaitement maîtrisé, est de n’enfermer aucun des personnages dans un moule rigide, de n’assigner les identités ou les personnalités à aucune résidence close. De rendre à chacun le seul statut qui vaille : celui d’individu à part entière. Pouvait-on attendre autre chose de Monica Ali, fille d’une anglaise et d’un Bangladais ? Monica Ali qui n’appartient à aucune communauté.

     

    Edition Belfond 2004, 463 pages, 20,60 euros

  • Le Paris arabe

    Pascal Blanchard, Eric Deroo, Driss El Yazami, Pierre Fournié, Gilles Manceron
    Le Paris arabe


    le paris arabe.jpegConstruit autour d’une iconographie riche de cinq cents documents (affiches, couvertures de livre, pochettes de disque, « une » de journaux, photographies, cartes postales, publicités…), Le Paris arabe vaut autant par la qualité de ses images que par son texte. Outre les commentaires, brefs et informatifs qui illustrent les photos, chaque chapitre, au nombre de sept, est introduit par une présentation didactique, utile pour situer de manière générale les périodes traitées (du « royaume arabe » aux « paradoxes » des années quatre-vingt-dix en passant par le temps de l’usine ou de la guerre d’Algérie) et en pointer les continuités et les spécificités.
    Comme pour Le Paris noir donné il y a de cela deux ans par deux des complices de cette présente édition, le propos ici est d’illustrer le regard de la société française sur l’Autre, entendre l’« Arabe ». Terme générique et réducteur, épithète fourre-tout où pataugent pêle-mêle, l’Egyptien ; le  chrétien libanais ; le Berbère, algérien ou marocain ; l’immigrée des trente glorieuses et le richissime cheikh auréolé de pétrodollars ; l’intellectuel du XIXe siècle venu en Europe cherché un compromis entre tradition et modernité ou l’islamiste de la fin du siècle dernier à l’aise dans cette modernité mais menaçant l’Occident de son courroux au nom d’un âge d’or qui aurait illuminé le désert arabique. Sans oublier les jeunes générations, ces « beurs » made in France renvoyés, selon une logique qui fait « les identités meurtrières » (de la nécessité de relire Amin Maalouf), à une improbable « arabité » et/ou « islamité » grâce, semble-t-il, au succès « du plus populaire représentant de la culture arabe en France » à savoir le chanteur Khaled.
    Ce Paris arabe est une gageure : faire le grand écart entre les périodes, la diversité des situations et des populations, la multiplicité des enseignements à tirer de ces presque deux cents ans d’histoire des fantasmes et des représentations nés dans l’imaginaire national.
    Le livre n’apporte pas vraiment de nouveautés à des publications précédentes qui ont montré, certes avec moins d’illustrations, l’ambiguïté des représentations de l’« Arabe » (voir notamment Histoire coloniale et immigration d’Eric Savarèse). Ambiguïté toute relative car le plateau de la balance penche le plus souvent du mauvais côté… Mais enfin suivons les auteurs pour qui « la perception de l’« Arabe » est depuis longtemps duale. (…) On évolue dans un paradoxe permanent, entre attirance et terreur, admiration et rejet ».
    le paris arabe 2.jpegL’image vulgarisée montre un « Arabe » cruel, fourbe et paresseux ; dont les traits physiques suscitent crainte et répulsion. De ce point de vue, les horreurs écrites par des hommes politiques, par des journalistes ou des écrivains (Augustin Bernard, Jean Giraudoux, le colonel Paul Azan, Léo Mallet, Léo Le Breton, …) apparaissent plus abjectes que les affiches, cartes postales et autres iconographies. Sur ce même plateau de la balance se déhanchent des almées dans des « déguisements de café-concert », un orientalisme de pacotille, une sensualité de lupanar, et qui satisfont un exotisme encore plus avilissant quand il est prétexte à l’exposition de villages ethniques itinérants, de mises en scène d’un « western colonial » dont Paris figure l’acmé des tournées nationales. Mais ce n’est pas tout ! Après les représentations nées de la guerre d’Algérie, dans les années 70,  « une xénophobie de crise s’ajoute au vieux fonds de racisme anti-arabe ». Résultat incroyable, dans cette bonne et douce France à cheval sur deux présidences, entre 1971 et 1977, près de soixante-dix meurtres d’Algériens resteront impunis. Et cela continue ! Selon les auteurs, ce début de millénaire est une fois de plus marquée par « la détérioration de l’image de l’Arabe et de l’islam en France, le progrès des idées racistes principalement dirigées contre les Arabes » (voir les unes des hebdomadaires, les petites phrases des hommes politiques, les nouvelles peurs et les suspicions réinventées avec l’après 11-Septembre…).
    Quid a contrario de « l’attirance » et de « l’admiration » ? Oublions le « rêve d’Orient » qui très vite sombrera dans le cauchemar colonial… Reste l’engouement de la Première guerre pour « ces braves et fidèles » tirailleurs et spahis… Engouement pour de la chair à canon et, comme toujours dans l’histoire de l’immigration, pour une force de travail, docile, corvéable et de bon rapport. Mais, en même temps que la France loue à grand renfort d’affiches et de publicités ces courageux soldats venus de l’Empire défendre la mère patrie, les autorités militaires, sur demande du gouvernement, prennent des mesures pour interdire les mariages mixtes (entre « indigènes » et Françaises) jusqu’à exercer des pressions directes sur les familles.
    La construction de la Grande Mosquée n’échappe pas à cette logique sournoise qui voit en fait et in petto les autorités françaises instrumentaliser l’islam pour enrayer la montée des nationalismes et mettre en place un contrôle des musulmans en métropole. Avec la création du Service des affaires indigènes nord-africaines installé rue Lecomte, les contrôles s’abattront sur tous les secteurs de la vie de l’immigré (santé, décès, foyers et cafés-hôtels, naturalisation, vie associative…).
    Ainsi, même quand le regard se veut « admiratif », à tout le moins reconnaissant, l’ambiguïté n’est jamais loin, les arrière-pensées itou. Idem dans les années cinquante : tandis que la France adule les Ben Barek, les Zaaf, les Mimoun et autres Mouloudji…, le 14 juillet 1953, sept Algériens sont tués dans la manifestation célébrant la concorde républicaine. Papon, déjà préfet, crée la Brigade des agressions et violences et les nationalistes sont surveillés, pourchassés, isolés…
    Aujourd’hui, la génération des Zidane et autres Djamel Debbouze serait « sans conteste celle de la fin de la marginalisation des cultures arabes ». Mais, paradoxe des temps nouveaux et en même temps réinvention des ambiguïtés coloniales, Paris « se satisfait de voir [les Français d’origine arabe] se fondre dans la banlieue ». Laissons ici de côté la trop longue question de ce qu’il faudrait entendre pas ces « cultures arabes » pour constater que cet enthousiasme pour ces « vedettes », pour le couscous ou le raï, ne parvient pas à masquer la sous-représentation des Français d’origine algérienne, marocaine et autres dans la classe politique, à des postes de responsabilité économique, sur le devant de la scène publique.
    « La main qui donne est toujours au-dessus de la main qui reçoit » dit un proverbe touareg. Ce livre peut contribuer à rompre avec de telles représentations, attitudes et logiques. Le Paris arabe montre que l’histoire de France appartient aussi aux jeunes issus de l’immigration et ce malgré la confiscation des mémoires et les amnésies de nos manuels scolaires, la frilosité des hommes politiques, des « décideurs » économiques et de la société en général.
    Les auteurs ouvrent la voie au rétablissement d’autres vérités et mémoires, à commencer par le fait que ce Paris arabe est souvent et principalement un Paris algérien et que dans ce cadre, la composante kabyle y tient une place (humaine, économique, sociale, individuelle, culturelle, sportive…) de premier plan. Une place que l’on discerne à peine. Il fallait le dire, sans esprit polémique et dans le souci de tourner le dos aux globalisations réductrices et par la même aux « identités meurtrières ». D’où qu’elles viennent.

    Edition de La Découverte, 2003, 248 pages

  • Histoire de la Grande Kabylie, XIXe – XXe siècles

    Alain Mahé
    Histoire de la Grande Kabylie, XIXe – XXe siècles. Anthropologie historique du lien social dans les communautés villageoises


    village kabyle.jpegCe travail sur la Kabylie était attendu depuis des années. Alain Mahé, maître de conférence à l’EHESS, met au service d’une société si mythifiée - tant par les regards extérieurs que par sa perception intérieure - des outils d’analyse et des enseignements tirés des disciplines aussi diverses que la sociologie, l’anthropologie, la philosophie politique, l’histoire. Il y met aussi sa passion pour cette région, les hommes et les femmes qui en sont issus. Une passion qui, malgré la rigueur du propos, affleure et dont on mesure la valeur humaine et morale à la lecture des dédicataires choisis par l’auteur : Belaïd Aït Ali, Mouloud Feraoun, Slimane Azem et Tahar Djaout.
    En plaçant au cœur de son travail l’étude du politique et du juridique, A. Mahé renoue avec les problématiques interdisciplinaires des années 70 (et notamment avec des auteurs comme C.Castoriadis ou C.Lefort).  Tout en s’appuyant sur ses propres recherches, l’auteur s’arme (parfois pour les contester) d’une quantité impressionnante de travaux dont ceux de Pierre Bourdieu (celui des enquêtes sur la Kabylie et de la sociologie de la connaissance) pour interroger les fondements du lien social en Kabylie, ses permanences, ses évolutions, son affaiblissement voire, ici ou là, sa disparition.
    Cette somme qui dès aujourd’hui s’impose comme une référence, remet de l’ordre dans la maison kabyle, balaie avec vigueur les idées reçues et autres fantasmes, présente avec rigueur les cadres structurants, les modes d’organisation et les règles qui président au « vivre ensemble » kabyle.
    Alain Mahé commence par brosser ce qu’il nomme une « épure de l’organisation villageoise kabyle » au XIXe siècle et ce avant le choc colonial. Il en dégage quatre « systèmes symboliques » sur lesquels, traditionnellement et historiquement, reposait le lien social en pays kabyle : (1) le code de l’honneur du système vindicatoire ; (2) l’ordre islamique ; (3) l’espace du sacré magico-religieux qu’il convient de bien distinguer du précédent ; (4) l’esprit municipal et le civisme. Il s’agit ici de l’ordre public, cette « personnalité morale spécifique » à chaque village promu par les assemblées villageoises (tajmaat) qui, via des réunions sacralisées et à l’aide des qanuns (règles et sanctions) par elle édictés, en assure la défense de l’intégrité morale ; parfois, en s’opposant aux « systèmes symboliques » rivaux c’est-à-dire à l’honneur profane défendu par les lignages dans le cadre du système vindicatoire ou aux valeurs islamiques. 
    Avant d’en étudier l’évolution historique depuis la première moitié du XIXe siècle jusqu’à la toute fin des années 90, il a fallu circonscrire cette Grande Kabylie et tenir compte de sa diversité. En fonction de critères objectifs : géographie physique, densité humaine, mode d’habitat, économie (arboriculture, céréaliculture, artisanat, commerce...), A. Mahé distingue plusieurs sous-ensembles régionaux.
    Cela posé, l’auteur étudie les conséquences des oppositions militaires, des mesures civiles, administratives, financières, politiques sur le lien social en Kabylie et ses incidences variables sur les quatre systèmes dégagés qui en constituent le substrat. Tout y passe : la conquête militaire, la colonisation rurale, les politiques foncières et fiscales, les différentes politiques juridiques et administratives (depuis les communes de plein exercice et les communes mixtes jusqu’à la réforme communale de 1984 en passant par les centres municipaux des années 30), les retombées de la scolarisation, l’émigration, le réformisme religieux, la montée du nationalisme, la guerre de libération (et ici les politiques de regroupement et de recasement), l’indépendance, la suspicion et le monolithisme du pouvoir algérien, les mobilisations culturelles, le terrorisme, les manipulations politiques...
    Il n’est pas possible de rendre compte en quelques lignes de cette somme. Allons directement à l’essentiel : la permanence - sous couvert d’évolutions et de différences régionales - du lien social et de l’institution qui en est la garante, cette fameuse tajmaat ou assemblée de village. Il apparaît alors que le vivre ensemble kabyle repose désormais et quasi exclusivement sur cette institution et sa capacité à pérenniser ce « sens civique ».
    Car, au terme de ce long travail, le lecteur constate que les échanges de violence du système vindicatoire qui opposaient les groupes lignagers ont complètement disparu. Le sens de l’honneur traditionnel n’a cessé d’être travaillé, « disqualifié » par moult facteurs historiques et symboliques. La scolarisation, l’émigration, l’insertion dans le mode de production capitaliste mais aussi le vent de la nahda arabe, du réformisme religieux (l’islah) et du nationalisme ont conduit à une « sécularisation » et une « rationalisation des représentations ». Autant de facteurs qui ont concouru à la privatisation de l’honneur (le nif) mais aussi à son déplacement vers la défense de la nation puis de la culture et de la langue berbères.
    De même, et toujours selon A.Mahé, l’identité musulmane a également été affectée par cette « sécularisation » mais aussi par une « déclérisation », c’est-à-dire ce processus qui a conduit à « l’abandon des fonctions liées aux cultes du fait de l’extension du salariat ». Quant à la vision mythico-rituelle kabyle, elle aurait complètement disparu de l’espace public à l’exception de pratiques magico-thérapeutiques (visites à des marabouts...) dont l’auteur enregistre tout de même un certain regain.
    Demeure donc cet « esprit municipal », c’est-à-dire la pérennité du respect par tous de « la personnalité morale » du village (sa herma). Cet espace sacré, que les qanuns nomment « respect du village », A. Mahé la qualifie de « sacralité laïque ». Non seulement les assemblées politico-sociales villageoises (tajmaat) n’ont jamais cessé de fonctionner mais aussi d’être les gardiennes jalouses de la réalité du pouvoir local et de résister à plus d’un siècle de colonisation, à plus de trente ans d’un régime FLN hostile et, aujourd’hui encore, aux remous politiques et au terrorisme islamique. Mieux encore, il ne s’agit nullement de la survivance d’un quelconque archaïsme - comme certains commentateurs se sont empressés de le prétendre pour mieux disqualifier le mouvement des archs né en Kabylie en 2000. Pour A. Mahé, cette pérennité est manifeste là où justement les communautés villageoises sont parmi les plus dynamiques, celles où l’immigration a été la plus nombreuse et la scolarisation en français la plus profonde, celles où a pu pénétrer une culture politique et syndicale moderne. Pérennes, ces assemblées se sont aussi montrées capables, là où les conditions socio-historiques le permettaient, de s’adapter au temps et de remettre en question des principes millénaires. Ainsi certaines assemblées rompent-elles avec la règle de l’unanimisme dans les prises de décision et acceptent-elles le principe majoritaire - et donc l’expression en son sein, c’est-à-dire au sein du village, d’une opposition. De même, à partir de ce que l’auteur appelle « une désintrication du religieux et du politique dans les affaires municipales », concomitante d’une affirmation plus forte encore des valeurs communautaires profanes, il serait donné d’observer « la délimitation d’un espace privé sur lequel l’assemblée villageoise se refuse d’intervenir ». Enfin, comment parler d’archaïsme quand cette assemblée se montre capable d’intégrer ou de travailler en partenariat avec les jeunes du village souvent organisés eux-mêmes en association où, souligne l’auteur, figurent en moyenne près d’un tiers de jeunes filles ?
    A. Mahé offre une analyse solide, et surtout un cadre de discussion - voire de contestation - reposant sur des faits historiques avérés et des objets socio-anthropologiques indiscutables. Ainsi et peut-être en aura-t-on enfin terminé avec les approximations et surtout les discussions où l’idéologique prime sur la confrontation d’arguments tirés d’analyses scientifiques à tout le moins sérieuses et crédibles (nous pensons notamment aux pages consacrées aux années récentes et donc à la confrontation FFS/RCD, aux manipulations du pouvoirs et aux campagnes de désinformation en tout genre).
    Ce travail remarquable permet d’expliquer nombre d’événements récents et notamment cet atypisme électoral de la Kabylie, son opposition au pouvoir central, sa propension laïciste et démocratique, voire les oppositions politiques qui la traversent. Point de « mythe kabyle » ici mais une analyse rigoureuse des évolutions internes à cette société - que l’on imagine remonter loin dans l’histoire - et la mise à nue d’une conscience de soi héritée elle aussi de siècles d’histoire, de confrontation, de résistance mais aussi d’acculturation à des envahisseurs divers et nombreux. C’est peut-être bien cette conscience de soi qui fait encore défaut à l’Algérie.

    1. – A noter que le thème du séminaire qu’animera Alain Mahé à l’EHESS, en 2009-2010, porte justement sur l’ « ethnographie des comités de village dans la Kabylie contemporaine ».


    Édition Bouchène, 2001, 41,16 euros, 650 pages

    (Photo Ali Marok, in La Kabylie, Ali Marok et Tahar Djaout, éd. Paris-Méditerranée)

  • Poèmes de vie et de mort

    Abü l-‘Atâhiya
    Poèmes de vie et de mort


    athaya .jpegAbü l-‘Atâhiya est né pauvre, en 748, à Kufa, capitale intellectuelle de renommée. Après une vie de débauche partagée entre sa ville natale, les cabarets de Hira ou les faubourgs de Bagdad fondée en 762, l’homme se repent et retourne en religion. La « trajectoire » existentielle est connue. Ils ne sont pas rares, aujourd’hui encore ceux qui, après une vie bien remplie, se rachètent une conduite avant de comparaître devant le Très Haut... Le basculement d’ Abü l-‘Atâhiya survint quelque vingt-cinq années avant sa mort en 825. Oubliés alors les poésies de jeunesse, libertines, bachiques ou satiriques et autres panégyriques. D’ailleurs, à la différence de la prose également bachique et libertine d’Abu Nuwas, son contemporain (747-815) originaire de Bassorah, elles ne nous sont pas parvenues, peut-être ont-elles été détruites par leur auteur.
    Poète philosophe (le premier selon certaines sources), ses vers déclinent sur un mode pessimiste une philosophie du renoncement et de célébration de l’amour divin. André Miquel évoque une « poésie de la lucidité désenchantée » : « Si tu voyais ce monde avec un œil lucide / ce monde pour le coup te semblerait mirage ».
    L’essentiel ici tient en un propos universel dans le temps comme dans l’espace : la vie est illusion : « Tant de jours... qui faisaient la vie suave, exquise / Tant de jours... Je traînais des habits fastueux / Tant de jours... Je suivais ou raison ou sottise / Tant de jours... entre amis... qui donc boirait le mieux ?/ Tant de jours... se vouloir jeune, jouer l’amour... / Et puis se retrouver au plein cœur de la cible ! ». Car « le chemin est tracé : prends pour tout équipage / La pensée que bientôt ton heure va venir ».
    Avec constance, Abü l-‘Atâhiya rappelle à l’« habitant de ce monde, ami de l’éphémère », l’impermanence de toutes choses : « Il n’est rien qui ne soit promis à un malheur / Il n’est rien qui ne soit promis à une fin ». L’existence, bien sûr, mais aussi l’amitié, l’amour filial, la fidélité, la richesse, le pouvoir, les badinages... Alors convient-il de s’en remettre à Dieu car « De Dieu seul je suis sûr contre l’adversité / Je tiens de Dieu ma force, et de Dieu mon honneur / Qui donc pourrais-je craindre, étant à ses côtés / De qui me garder mieux qu’avec ce Protecteur ? ». Et pour connaître le repos, « un seul moyen : désespérer des hommes ».
    Sa poésie aurait été peu appréciée des classes dirigeantes abbassides. Sans doute moins pour ses accents moralisateurs que pour le parfum de subversion qui s’en dégage : « Toi, l’hôte de logis au décor somptueux /La mort te logera au tréfonds d’une fosse / Je vois bien que ce monde accapare tes vœux /  Beaucoup trop, et ces vœux te font un cœur féroce ». Et de manière plus explicite : « La passion d’être chef, fait naître un oppresseur : Sur terre, c’est à qui tyrannise le mieux. »
    Sans oublier cette réflexion de celui qui a été le contemporain de nombreuses révoltes et assassinats de palais « Dès qu’une dynastie siège en une nation / Le sort vient aussitôt hâter sa destruction ».
    Le style d’Abü l-‘Atâhiya est vif et simple. Sans pleurnicherie ni lamentations. Les choses sont ce qu’elles sont et il vaut bien le savoir et faire avec. Sa poésie et ses sentences sont directes et ne laissent, à l’image de sa philosophie, pas de place à l’illusion.

    Traduits de l’arabe, présentés et annotés par André Miquel, édition Sindbad Actes Sud, 2000, 96 pages


  • Quand nous étions orphelins

    Kazuo Ishiguro
    Quand nous étions orphelins


    Quand nous étions orphelins.jpegComme les apparences peuvent être trompeuses. Kazuo Ishiguro n’est pas japonais ! non il est anglais. Et n’allez pas prétendre le contraire ou simplement émettre quelques doutes cela risquerait de le fâcher. Mieux ! Kazuo Ishiguro est un respectable et fidèle sujet de qui vous savez. Point à la ligne! Point d’ambiguïté non plus et nos « grenouilles » de bénitier républicain seraient bien inspirées d’en tirer quelques leçons avant de chercher à refourguer des certificats d’onction républicaine à des Français aux origines qu’ils estiment par trop douteuses.
    Oh bien sûr, il est né à Nagasaki - quand d’autres ici sont nés dans le Djurdjura ou à la Courneuve. Il est âgé de cinq ans quand il quitte l’île natale pour l’Angleterre. La famille est au complet, mais la mission professionnelle du père ne devrait pas durer. Les Ishiguro se sont contentés d’un au revoir pas d’un adieu. Si le père y avait déjà effectué un séjour, la mère, elle, ne parlait que le japonais. Tous les mois, pendant cinq ans, le grand-père adressa à Kazuo un colis contenant les magazines pour enfant à la mode au Japon, quelques puzzles et autres cadeaux. Le lien demeurait, le deuil était inutile.
    Pourtant l’homme est bien britannique, l’écrivain itou et jusqu’au bout de la plume encore. Auteur à succès, célèbre et primé, Kazuo Ishiguro a publié cinq romans. Rien à voir avec le récit témoignage, les documents de société sur les heurs et malheurs de l’immigration version britannique.
    Tenez, prenez ce Quand nous étions orphelins. De quoi s’agit-il ? Christopher Banks est un détective de renom dans l’Angleterre de l’entre-deux guerres. Adulé, sa compagnie est recherchée. Il évolue dans une société feutrée et policée, dans ce confort victorien « insoucieux de hâte », où il fait bon prendre le thé en dégustant quelques scones. À la veille des bouleversements politiques et militaires mondiaux, Banks fait partie de cette avant-garde - auto proclamée et auto-célébrée - de la lutte victorieuse du Bien contre le Mal sournois et envahissant. Pourtant, dès les premières pages - qu’il évoque ses années de pensionnat ou ses premiers pas dans la société mondaine londonienne -, Christopher Banks semble différent, ailleurs, comme extérieur ou même étranger à ces cercles. En fait, Christopher n’est pas né en Angleterre. Mais à Shanghai. Après la disparition mystérieuse de ses parents, l’enfant est envoyé chez une tante dans la lointaine Albion. Des années plus tard, le détective voudra retrouver ses parents. Tout pourrait alors laisser croire qu’une nouvelle enquête policière s’ouvre et que le sagace détective élucidera les mystères passés en un tour de main. Il n’en sera rien. Les pourfendeurs du mal - au nom des valeurs chrétiennes hier ou des Droits de l’Homme aujourd’hui - devront rabattre de leur caquet. Le Bien et le Mal, le réel et l’illusion, les souvenirs et l’histoire, la folie même et la raison se mêlent ici inextricablement, déroutent le lecteur vers une terra incognita en ces temps de certitudes où tout le monde sait tout sur tout et où surtout vérité, identité, réussite... sont tout d’une pièce !
    Banks mène son enquête. Ses investigations le replongent dans son passé qui est aussi celui de la Grande-Bretagne coloniale. La dénonciation du fructueux et criminel commerce de l’opium fomenté par les compagnies occidentales, les seigneurs de guerre, la guerre sino-japonaise, l’opposition entre Tchang Kaï-Chek et les communistes, l’abjecte et aveugle insouciance de la communauté occidentale de Shanghai, tout cela est revisité à travers l’histoire d’une famille et les souvenirs d’enfance qui cheminent par on ne sait quelles voies... Banks se livre moins à un travail de détective qu’à un travail de mémoire. In fine, il ne découvrira rien d’essentiel. Tout lui sera révélé. Lui, et le lecteur avec, auront été mystifiés. La vérité n’est pas là où on l’attend.
    Quand nous étions orphelins 1.jpegLe propre d’un grand livre est de se prêter à une diversité de lectures et autant d’interprétations, d’ouvrir autant de perspectives et d’horizons qu’il y a de lecteurs (ou presque...) de ne jamais fermer la porte des possibles. Tassadit Imache écrivait : « une tâche impossible m’occupe : sculpter la phrase qui contiendra une chose sans avoir voué au néant son contraire (...) » (1). Il faut avoir vécu dans sa chair – et pas seulement intellectuellement – la singularité de la relativité pour s’atteler à un tel travail. Tassadit Imache est une française aux origines algériennes. Kazuo Ishiguro est un Anglais aux origines japonaises. Seul un tel écrivain a pu concevoir, porter et finalement coucher sur le papier un tel livre. Pas seulement pour la sensibilité anti-coloniale qui s’y dégage et la dénonciation des agissements occidentaux. Pas plus du reste à cause de cet étrange et presque inconsistant personnage, Christopher Bank, qui, après avoir parfaitement assimilé, imité les us et les coutumes britanniques, ne parvient pourtant pas à se fondre dans l’univers de l’indifférencié. Peut-être alors est-ce lié à tous ces orphelins présents dans cette histoire : Christopher bien sûr, mais aussi Sarah Hemmings, la seule femme qui croisera son existence, Jennifer, la jeune enfant par lui adopté ou encore cette petite chinoise retrouvée dans les décombres d’une maison bombardée par les Japonais. N’est-on pas en droit d’y déceler une parabole ? Celle de la quête, veine et irréelle, des origines. Ici des parents, ailleurs d’une culture ou d’un pays. Reste aussi cette enfance à Shanghai, dans une ville où grouillent les nationalités, les langues et les cultures. Cette enfance Christopher l’a partagé avec son camarade japonais, Akira. Tous deux sont des « chiens bâtards », des enfants « mélangés » qui pourraient rendre les hommes « moins méchants les uns avec les autres »... à moins qu’ils ne tiennent trop à leurs appartenances, à leurs certitudes, à leurs apparences de vérités.

    (1) « Écrire tranquille ? », Esprit, décembre 2001

    Traduit de l’anglais par François Rosso, édition Calmann-Lévy, 2001, 376 pages, 19,80 euros

  • Le Coran. Autre lecture, autre traduction

    Le Coran. Autre lecture, autre traduction
    Par Youssef Seddik


    interieur mosquée d'Alger.jpegProfitons de ce début de ramadan 2009 pour revenir sur un livre paru il y a quelques années. Comme ce mois de jeûne est avant tout un exercice spirituel avant d’être une succession de plaintives abstinences diurnes, suivies de nocturnes bamboches mielleuses arrosées de sodas divers, pourquoi ne pas (re)lire le Coran ? Pourquoi ne pas s’essayer à un effort de réflexion et d’interprétation (ijtihad). Effort personnel et libre comme invite (et aide) à le faire Youssef Seddik. Après les attentats de septembre 2001 nombre de nos concitoyens se précipitèrent chez leurs libraires favoris pour y faire acquisition d’une traduction du Coran. Louable attitude qui s’en va directement aux sources tenter de trouver des clefs ouvrant à une possible compréhension du monde. Par ailleurs, depuis vingt ans, la place de l’islam dans la communauté nationale agite et divise la société et ses représentants. Du coup, par les temps qui courent, les exemplaires achetés pourraient bien resservir. Mais encore convient-il de donner à cette lecture le plus juste éclairage possible et se préserver des louvoiements, ambiguïtés, manipulations, discours à géométrie variable et autres moratoires ! En cela Youssef Seddik est important. En intellectuel, réellement pédagogue lui, Youssef Seddik ne triche pas sur sa pensée. Elle est claire et clairement énoncée. Depuis près de quarante ans, il fréquente la parole coranique « hors de la lisibilité cléricale, hors de l’énorme codage qui a fini par l’emmurer et la ravir à toute lecture ». Cette passionnante et vivifiante entreprise prend appui sur « des siècles de grands penseurs classiques qui ont tenté de lire autrement le Coran, en le ponctuant autrement, [pour retrouver] des significations tout autres que celles convenues ». Dans ce travail essentiel, il n’est pas seul, il rend d’ailleurs hommage à trois de ses contemporains : le Tunisien, Abdelmajid Chafi, l’Egyptien Nasr Hamed Abû Zid contraint à l’exil en Hollande pour ces travaux et « le plus courageux entre tous », le Soudanais Muhammad Mahmoud Taha condamné et exécuté à Khartoum en 1985. Ces penseurs, spécialistes du Coran, intellectuels de haut vol, érudits à l’écoute des interrogations et des craintes de leurs concitoyens ne sont pas à la traîne de l’obscurantisme. Aussi n’ont-il nul besoin, eux, de se cacher derrière on ne sait quel tour de passe-passe dialectico-pédagogique. Courage, cohérence, intégrité intellectuelle sont leurs seules armes. Mais cela a un prix : en France, la relégation, médiatique d’abord (ainsi, la télévision, préfèrant zapper sur le sensationnel, invite un faire valoir pour débattre avec un ministre, résultat : record à l’audimat mais élargissement de « la faille d’incompréhension » entre les communautés et un peu plus de confusions dans les banlieues) ; ailleurs, l’ostracisme, l’exil ou la mort ! Leur crime ? Rechercher et offrir à leurs semblables « les conditions de possibilité de l’exercice légitime de la raison en islam, en partant du texte qui l’a fondé ». Rien moins !
    Youssef Seddik invite à « s’habituer à l’idée que le texte fondateur de cette vision du monde qu’est l’islam est une œuvre à lire et non à « prendre au mot ». Il faut alors et impérativement retirer le texte des seules mains des religieux et théologiens pour « rendre le débat à la rue, à tout citoyen (…) ». À cette condition, le Coran pourra « trouver place aux côtés des plus beaux titres du patrimoine humain » et s’intégrer « à une volonté de savoir qui se serait intelligemment démise du ressentiment d’une volonté de puissance ». Et l’auteur de rappeler : « Ce Livre, qui se présente comme « Maternance, Rahma, pour les hommes, tous les hommes », a affranchi ses destinataires de tout recours à une médiation, temple ou église, pythie ou prêtre, dont il faille pénétrer l’opacité pour recueillir le sibyllin message et en percer l’énigme ». De manière plus appuyée, il s’élève contre « la cléricalisation indue » de la religion « à contre courant de ce refus explicite dans le Coran pourtant, de toute instance médiatrice entre les hommes et la divinité ». C’est d’ailleurs ainsi que des millions de musulmans, en France, semblent vivre leur foi, c’est-à-dire loin des chapelles et se détournant, parfois ostensiblement, des conseils sensés les représenter…
    Cette traduction du Coran s’attache à lever les « mécanismes de verrouillage » qui ont piégé la lisibilité du Texte dès les premiers pas de l’exégèse islamique ». Ces mécanismes sont nombreux, divers et parfois complexes : arbitraire lexical, « effacement des ponctuations du rythme de la parole coranique telle que le prophète l’a reçue et transmise », refus de retrouver l’ordre chronologique des entités révélées et du coup réduction d’une autre clef de lecture celle d’une révélation livrée en fragments et « débitée selon un jeu d’étoilement » et non selon cette linéarité qui condamne le lecteur ou le croyant à une « inféconde contemplation de la façade d’un monument dogmatique »…
    Ce Coran ainsi restitué retrouve aussi une dimension hellénique irréductible à un simple emprunt ou à « un effet ponctuel d’acculturation », mais présenté ici « comme le miroitement d’une très lointaine origine commune ». Enfin, puisque débat il y a sur ces questions, Youssef Seddik reprenant les travaux de Mahmoud Taha contre la fausse distinction opérée par l’orthodoxie entre « passages abrogés et passages « abrogeants », indique que ce dernier à « démontrer, partant des principes de lecture jusque-là inconnus, que tous les versets reçus à Médine sur le voile, la polygamie, la séparation des sexes, la répudiation unilatérale et même sur le Jihâd (combat pour l’islam) sont des versets qui ont épuisé leur dessein et doivent être abrogés au profit de versets fondamentaux ».
    Cette traduction, dont la dimension poétique n’est pas la moindre des prouesses, réintroduit également les principes d’incertitude et de doute (à travers la figure d’Adam), le principe de liberté qui fait du musulman « l’assujetti exclusivement à Dieu », et d’universalité, avec en premier lieu et à la différence de sa figure biblique, un Abraham « a-national, individué, pathétique ».
    La traduction et la lecture que propose ici Youssef Seddik n’est pas seulement essentielle pour réintroduire le texte sacré des musulmans au sein de la philosophie universelle ou dans les bibliothèques de tout « honnête homme ». Ce travail de premier ordre doit être mis à la portée du plus grand nombre, et le plus tôt possible, pour enfin permettre de « rendre le débat à tout citoyen » et ce, de manière éclairée…

    Editions Barzakh & éditions de l’Aube, 2002, 255 pages, 18 euros

  • Putain d’étoile

    Saïd Mohamed

    Putain d’étoile

    9782842721909.jpg« On devient haineux envers soi quand on ne trouve pas l’issue » écrit Saïd Mohamed, poète et écrivain rescapé de la DASS. Il signe la quatrième partie de son récit autobiographique qui montre comment un gosse placé à l’intersection du quart-monde social, par la branche maternelle et normande, et de l’immigration, par le père marocain, va se coltiner avec la réalité et la mémoire familiale pour trouver « une » issue à défaut de trouver « l’issue ». Saïd Mohamed mène un double travail : travail d’introspection et charge contre une société inhumaine malgré le trompe-l’œil formé par une fine et fragile pellicule civilisationnelle.
    La figure maternelle domine cette livraison. Une « grande gueule » qui n’a peur de rien et qui a peut-être rendu fou son berbère de mari. Vulgaire certes, abjectes même par certains traits de sa personnalité mais qui, sans doute mue souterrainement par un instinct de survie hérité de son propre père, rescapé de la grande boucherie de 14-18, ne s’est jamais laissée marcher sur les pieds. Malgré les ruptures qui les séparent, ces ruptures présentes également dans l’œuvre de l’écrivain Tassadit Imache, il y a dans le regard du fiston sur sa mère comme de l’admiration, de la bienveillance… Un regard que n’est pas loin de partager le lecteur. Par elle passe les clefs ouvrant sur l’histoire familiale, cette « fange » transformée en « biotrope littéraire ».
    Le gamin, devenu écrivain, a dû hériter de la gouaille maternelle, de son esprit rebelle inscrit tel un atavisme, comme de ce sens critique qui le fait regarder la société avec les yeux d’un bulldozer. Mais la violence des coups de butoir contre ce monde est au moins aussi destructrice que celle, qui, de l’intérieur, le dynamite.
    L’issue recherchée, Saïd Mohamed finira par la trouver : « Je devais parler pour ne pas crever ». Parler pour dire les souffrances, les descentes aux enfers, parfois sans retour pour le pote Mollets-de-Coq, le travail dans une imprimerie, la solidarité et l’esprit de camaraderie de ce monde ouvrier devenu un ersatz à la famille absente. Le fils d’immigré reste attentif à ceux qui sont venus d’ailleurs, les réfugiés espagnols ou Si-Hamed, le vieux compagnon algérien de son père, mort dans son village natal au-dessus de Marrakech. Là aussi la plume est sans illusion : « D’où qu’ils viennent, les nouveaux arrivants dans la basse-cour doivent comprendre que l’antichambre de la République du gallinacé, ne peut être qu’un gros tas de fumier. Et qu’avant d’avoir le droit de chanter la Marseillaise, ils doivent en prendre pour leur grade ».
    IMG_9113bis.jpgPourquoi d’ailleurs faudrait-il encore se faire des illusions ? « Rien n’est sérieux quand tu prévois le pire. Te reste plus qu’à assister au spectacle ». Voilà sans doute qui est autrement édifiant que les bouillies à l’eau de rose déversées à longueur de prime-time sur nos chères têtes blondes. Ou brunes. En fait de plus en plus métissées.
    Quand au style de l’auteur, en voici un avant-goût : « du viol de la langue, en iconoclaste voyou. Pourquoi se retenir ? Défroquer le verbe, empaler la phrase, cracher la formule, éructer l’adjectif, roter à l’aise et se promener avec les roubignolles à l’air ». Écrire comme un coup de poing dans la gueule car, si en écrivant « on n’empêche pas que se reproduise un tel schéma de misère, le déni de parole est pire que les actes eux-mêmes ». Écrire enfin « pour survivre à l’histoire et reconstruire encore et toujours ».


    Editions Paris-Méditerranée, 2003, 202 pages, 15 euros

  • Le Soleil des fous

    Saïd Mohamed

    Le Soleil des fous


    9782842721152.jpgAprès La Honte sur nous, gratifié en son temps du prix Beur FM, Saïd Mohamed poursuit ici son récit-témoignage. Sans doute, l’homme n’est-il pas si vieux pour se livrer à l’exercice de la rédaction des mémoires, mais enfin, accordons lui qu’il fait partie de cette catégorie de citoyen que la vie - la société - n’a pas épargné. Et puis, à l’heure où la littérature accueille et chérit les réfractaires au confessionnal, les récalcitrants du divan et autres épinglés des prétoires, qui peut encore et sérieusement prétendre qu’il existerait un âge pour écrire son autobiographie ?
    Évacuons d’entrée ce qui pourrait fâcher : la structure narrative adoptée par l’auteur semble par trop décousue au point d’emberlificoter le fil conducteur du récit (et le lecteur) dans une galerie de portraits et moult descriptions des diverses expériences professionnelles du narrateur. Quel que soit l’intérêt sui generis des personnages présentés (et le talent emprunt de distance et de mordant à les croquer), ils apparaissent plaqués et sans incidence réelle sur la vraie trame de ce récit : l’amour-passion du narrateur pour Lola et son lourd héritage familial.
    En revanche, Saïd Mohamed paraît maîtriser son ton. Il persifle, il gouaille, il raille, il toise cette société et les partisans d’un ordre moral trop souvent prompt à reléguer à la marge, à refouler dans l’oubli voir à accabler un peu plus les laissés-pour-compte du système. Pas revendicatif pour deux sous - cela relèverait encore sans doute d’une compromission (Albert Cossery n’est pas loin) - le réalisme, sans concession ni romantisme, montre la nature humaine pour ce qu’elle est, plus proche de Kant que de Rousseau : « Il faut savoir préserver une distance, rester sur ses gardes. Même chez les plus braves gens, lorsque le vernis de l’apparence craque, surgit l’ossature de l’humain. Rien de bien ragoûtant ». Mais il faut faire avec. Armé de cette philosophie, les surprises ne peuvent qu’être bonnes.

    119_1942.JPGIci, la « surprise » s’appelle Lola. Elle est infirmière (cela donne droit à quelques pages décapantes sur l’univers des urgences). Elle est belle, plantureuse, tendre et sensuelle. L’idylle - qui n’a rien de chaste ! - coule des jours heureux. La belle-famille feint d’accepter cet amant sans vraie situation et aux origines douteuses. Tout basculera pourtant. Lola veut un enfant. « On n’échappe pas à son passé. Il vous rappelle à l’ordre » écrit Saïd Mohamed. Le rescapé de la Ddass, le rejeton d’une famille bancale où les relations brillaient plus par leur violence que par la tendresse, n’est pas prêt. La dégradation des rapports avec Lola lui devient insupportable. Il se transforme en une loque, avachie, sans repère ni volonté, tantôt soumise, tantôt violente. La rupture est inévitable. Suicidaire, il est à deux doigts d’y laisser la peau.
    Avec son copain, « Mollets-de-Coq », il file en direction du Maroc où, comme exutoire, il s’adonne à l’écriture. Les pages consacrées à cette terre qui a vu naître son père sont parmi les plus réussies et les plus acerbes du livre : le tourisme sexuel n’y a pas attendu Houellebecq et les pauvres gosses contraintes de se prostituer n’ignoraient rien d’une certaine forme de mondialisation : « si leurs oncles terrassiers ou éboueurs vident les poubelles de l’Europe, elles continuent dans la foulée à vidanger les couilles de ces franchouillards de basse-cour ». Reste la tendresse exprimée et l’identification de ce fils d’immigré marocain et d’une française avec l’avenir de ce pays.
    Comme dans La Honte sur nous, le narrateur, s’en va retrouver son père qui est retourné au village natal pour y finir ses jours. Les deux hommes ne se rencontreront pas. « Quand il ne reste que du silence en travers de la gorge, les mots jamais prononcés il faut les écrire pour régler ses dettes. A défaut de lui avoir parlé, je me suis promis de parler pour lui ». Car « ces vieux-là ont trop d’honneur pour réclamer ». Alors c’est lui qui parlera du scandale des retraites, des pensions d’invalidité, des pensions militaires, des vies volées à essayer de s’intégrer avec des « dés pipés », « dans cette société tellement étrangère ». Et ce qui « chagrinait » le père chagrine tout autant le fils : « après les vagues d’émigration de la tripe et du muscle, voici venue celle des neurones. Le pillage a simplement changé de forme et de méthode, mais il continue. Les autres, les moins chanceux, ceux qui n’ont que leur cul à troquer peuvent toujours se jeter à la vague ». Sans doute n’échappe-t-on pas à son passé. Il vous rappelle à l’ordre. D’une manière ou d’une autre.

     

    Edition Paris-Méditerranée, septembre 2001, 14,48 euros, 179 pages

  • La Honte sur nous

    Said Mohamed

    La Honte sur nous

    1396315_3289539.jpgSaïd Mohamed  a publié depuis 1986 une dizaine de recueils de poésie et, après un premier roman paru en 1997 au Maroc (1), il poursuit le récit de sa vie, la description des lieux et des rencontres qui ont constitué son univers. Dans La Honte sur nous, qui a reçu le Prix Beur FM, les phrases, courtes, incisives, rageuses défilent telles des rafales de mitraillettes. Le style, cru, à l’adjectif rare, claque.
    Rien – et surtout pas la plupart de ses profs qui l’épinglaient « mûr pour Fleury-Mérogis » - ne prédestinait Saïd Mohamed à l’écriture et à une certaine réussite professionnelle. Dans ce deuxième livre, l’enfant de la DASS s’émancipe de la logique d’un système qui lui donnait rendez-vous en prison. Une rencontre lui a permis de s’extraire des voies de garage aménagées par l’Education nationale « où s’entassait le rebut du système scolaire » et d’une formation de typographe déjà dépassée – « ce qu’on nous avait entassé dans le crâne n’avait plus cours sur le marché. De la monnaie de singe, de l’emprunt franco-russe, avec lequel il fallait se défendre, gagner sa pitance ». La « rencontre » arbore de longs cheveux blonds, porte un levis et un tee-shirt sans soutien-gorge. Le genre de professeur principal auquel il est difficile de résister.
    Grâce à ce prof de français, Saïd Mohamed va « engloutir » les livres qu’elle lui prête, il va même se mettre à écrire et évoluer dans des cercles nouveaux où gauchisme et marginalité font bon ménage.
    Sans concession aucune, Saïd Mohamed décrit les milieux par où il est passé, le sort des laissés-pour-compte, les boulots de misère, la délinquance des uns, l’alcoolisme des autres, la solitude d’une humanité abandonnée à elle-même par une société indifférente, folle, « la folie de cette grande mécanique qui broie les hommes et les rend si misérables ».


    photo.jpgAvec le même réalisme, la même brutalité, il rapporte l’histoire, la sordide et terrible histoire familiale. Pas de pleurnicherie ici. Les choses sont ce qu’elles sont et il faudra bien faire avec. Faire avec une mère détestée par son propre père qui lui avait prédit « qu’elle crèverait comme une chienne »
    et qui, avec trois hommes différents, a eu au moins six rejetons qui tous ont atterri à l’Assistance publique. Faire aussi avec un père alcoolique et violent déclaré « dingue » par le juge des affaires familiales. Ouvrier marocain, il s’engage pour la France faute de travail et se retrouve à manier la pelle et la pioche pour le compte des Allemands puis des Américains sur le mur de l’Atlantique avant de le faire pour reconstruire la France. Plus tard, le travail dans les carrières lui faudra une silicose à la chaux vive. « La vie lui avait servi une méchante part, plus qu’à tout autre ».
    Pour ne pas arriver au « moment où l’on crève de réprimer son rêve », un beau matin, Saïd Mohamed claque la porte. « J’ai senti que, si je restais-là, j’y serais enterré vivant ». Il part, en stop. Direction le Maroc paternel pour retrouver son géniteur de père qui finit ses jours dans son village perché dans la montagne berbère. Alors qu’il n’est pas encore tout à fait à même d’en mesurer l’importance, ces retrouvailles seront un viatique pour le jeune homme.
    A ce moment du récit, le style change. Les phrases s’allongent, le ton semble comme apaisé, plus harmonieux. Saïd Mohamed prend alors le temps de décrire la vie du village, il s’arrête sur cet homme qui est son père, prend le temps de l’écouter, de le découvrir. Le calme est au rendez-vous.
    La Honte sur nous est une autobiographie écrite à vif. Un témoignage sans tricherie mais sans concession sur cette part honteuse d’elle-même de la société française.

    (1) Un Enfant de Coeur, éd. Eddif, Casablanca, 1997.


    Edition Paris Méditerranée, 2000

  • Qu'Allah bénisse la France !

    Abd al Malik,
    Qu'Allah bénisse la France !


    59620.jpgQue le titre ne trompe pas : il ne s’agissait nullement ici d'une provocation ou d'un propos visant à substituer à la loi de la République les règles de la charia. L'auteur, qui était alors le leader du groupe de rap NAP (New African Poets), avant de devenir qui l’on sait, délivrait déjà un message vantant les mérites de l'amour et de l'universalité.
    Certes, le domaine est celui de la religion, mais le propos est dispensé comme illustration d'une quête individuelle et n'a pas vocation à devenir une règle d'organisation sociale ou le ciment du "vivre ensemble".
    En trois temps, Abd al-Malik raconte son enfance de fils d'immigrés congolais dans le Neuhof, banlieue de Strasbourg célèbre pour ses barbecues d'automobiles la nuit de la Saint Sylvestre, puis sa conversion à un islam formel, fermé sur lui-même et parfois haineux porté notamment par le mouvement tabligh et enfin sa rencontre avec le soufisme qui, par-delà les appartenances confessionnelles et la couleur des peaux vise à retrouver chez chacun sa "part divine" par une démarche  d'amour et d'universalisme.
    Régis, de son nom de baptême chrétien, devenu, à sa conversion, Abd al-Malik, et ses deux frères ont été élevés par leur seule mère. Le père ayant abandonné le domicile familial laissant à son épouse le soin d'assumer l'éducation de ses trois fils dans un des quartiers de l'hexagone où l'échec scolaire, le chômage et la délinquance  constituent les ingrédients d'un cocktail détonnant qui vous expédie aussi sec et fissa qui en prison, qui dans l'enfer de la drogue et beaucoup vers une mort prématurée, souvent violente (par overdose  ou assassinat).  De cela Abd al-Malik parle, à cela, le gamin, doué pour les études, a su échapper même si, en matière de délinquance, le loustic a fait ses classes. À l'école, il se forge le sens critique ; dans l'islam, il recherche  la paix intérieure ; par le rap, il donne libre cours à sa créativité avant d'en faire sa profession. Mais les intolérants et intempérants "frères du tabligh" apprécient modérément sa passion pour la musique (comme d'ailleurs le médiatique Tarik Ramadan, ici appelé "frère Tarik"). Aussi, le jeune homme, pétri comme un bon pain d'humanisme, prend progressivement ses distances avec une pratique religieuse aliénante et asservissante. Intuitivement Abd al-Malik sait que ce qu'il recherche ne se trouve pas dans cet islam prosélyte des banlieues, où l'uniforme et la barbe tiennent lieu de foi, où le rabâchage prend le pas sur la méditation, où l'embrigadement et un cléricalisme rampant se substituent à la liberté du croyant (sensé pourtant être seul devant Dieu) et où, après avoir lavé le cerveau des ouailles mahométanes, on y insémine une fausse identité, illusoire échappatoire à l'exclusion ou à la folie. Les réponses à ses doutes, sa quête d'une harmonie entre sa foi et son activité musicale, la paix toujours recherchées, Abd  al-Malik les trouvera au sein d'une confrérie soufie plus attachée à l'esprit qu'à la lettre de l'islam. Le travail spirituel entrepris sous la guidance d'un maître vivant à Fès au Maroc lui enseignera notamment qu'il est "impossible de raisonner en termes de Noir, d'Arabe ou de Juif là où [il n'y a] que des hommes".

    Edition Albin Michel 2004, 205 pages, 15 euros