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Putain d’étoile

Saïd Mohamed

Putain d’étoile

9782842721909.jpg« On devient haineux envers soi quand on ne trouve pas l’issue » écrit Saïd Mohamed, poète et écrivain rescapé de la DASS. Il signe la quatrième partie de son récit autobiographique qui montre comment un gosse placé à l’intersection du quart-monde social, par la branche maternelle et normande, et de l’immigration, par le père marocain, va se coltiner avec la réalité et la mémoire familiale pour trouver « une » issue à défaut de trouver « l’issue ». Saïd Mohamed mène un double travail : travail d’introspection et charge contre une société inhumaine malgré le trompe-l’œil formé par une fine et fragile pellicule civilisationnelle.
La figure maternelle domine cette livraison. Une « grande gueule » qui n’a peur de rien et qui a peut-être rendu fou son berbère de mari. Vulgaire certes, abjectes même par certains traits de sa personnalité mais qui, sans doute mue souterrainement par un instinct de survie hérité de son propre père, rescapé de la grande boucherie de 14-18, ne s’est jamais laissée marcher sur les pieds. Malgré les ruptures qui les séparent, ces ruptures présentes également dans l’œuvre de l’écrivain Tassadit Imache, il y a dans le regard du fiston sur sa mère comme de l’admiration, de la bienveillance… Un regard que n’est pas loin de partager le lecteur. Par elle passe les clefs ouvrant sur l’histoire familiale, cette « fange » transformée en « biotrope littéraire ».
Le gamin, devenu écrivain, a dû hériter de la gouaille maternelle, de son esprit rebelle inscrit tel un atavisme, comme de ce sens critique qui le fait regarder la société avec les yeux d’un bulldozer. Mais la violence des coups de butoir contre ce monde est au moins aussi destructrice que celle, qui, de l’intérieur, le dynamite.
L’issue recherchée, Saïd Mohamed finira par la trouver : « Je devais parler pour ne pas crever ». Parler pour dire les souffrances, les descentes aux enfers, parfois sans retour pour le pote Mollets-de-Coq, le travail dans une imprimerie, la solidarité et l’esprit de camaraderie de ce monde ouvrier devenu un ersatz à la famille absente. Le fils d’immigré reste attentif à ceux qui sont venus d’ailleurs, les réfugiés espagnols ou Si-Hamed, le vieux compagnon algérien de son père, mort dans son village natal au-dessus de Marrakech. Là aussi la plume est sans illusion : « D’où qu’ils viennent, les nouveaux arrivants dans la basse-cour doivent comprendre que l’antichambre de la République du gallinacé, ne peut être qu’un gros tas de fumier. Et qu’avant d’avoir le droit de chanter la Marseillaise, ils doivent en prendre pour leur grade ».
IMG_9113bis.jpgPourquoi d’ailleurs faudrait-il encore se faire des illusions ? « Rien n’est sérieux quand tu prévois le pire. Te reste plus qu’à assister au spectacle ». Voilà sans doute qui est autrement édifiant que les bouillies à l’eau de rose déversées à longueur de prime-time sur nos chères têtes blondes. Ou brunes. En fait de plus en plus métissées.
Quand au style de l’auteur, en voici un avant-goût : « du viol de la langue, en iconoclaste voyou. Pourquoi se retenir ? Défroquer le verbe, empaler la phrase, cracher la formule, éructer l’adjectif, roter à l’aise et se promener avec les roubignolles à l’air ». Écrire comme un coup de poing dans la gueule car, si en écrivant « on n’empêche pas que se reproduise un tel schéma de misère, le déni de parole est pire que les actes eux-mêmes ». Écrire enfin « pour survivre à l’histoire et reconstruire encore et toujours ».


Editions Paris-Méditerranée, 2003, 202 pages, 15 euros

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