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Le Coran. Autre lecture, autre traduction

Le Coran. Autre lecture, autre traduction
Par Youssef Seddik


interieur mosquée d'Alger.jpegProfitons de ce début de ramadan 2009 pour revenir sur un livre paru il y a quelques années. Comme ce mois de jeûne est avant tout un exercice spirituel avant d’être une succession de plaintives abstinences diurnes, suivies de nocturnes bamboches mielleuses arrosées de sodas divers, pourquoi ne pas (re)lire le Coran ? Pourquoi ne pas s’essayer à un effort de réflexion et d’interprétation (ijtihad). Effort personnel et libre comme invite (et aide) à le faire Youssef Seddik. Après les attentats de septembre 2001 nombre de nos concitoyens se précipitèrent chez leurs libraires favoris pour y faire acquisition d’une traduction du Coran. Louable attitude qui s’en va directement aux sources tenter de trouver des clefs ouvrant à une possible compréhension du monde. Par ailleurs, depuis vingt ans, la place de l’islam dans la communauté nationale agite et divise la société et ses représentants. Du coup, par les temps qui courent, les exemplaires achetés pourraient bien resservir. Mais encore convient-il de donner à cette lecture le plus juste éclairage possible et se préserver des louvoiements, ambiguïtés, manipulations, discours à géométrie variable et autres moratoires ! En cela Youssef Seddik est important. En intellectuel, réellement pédagogue lui, Youssef Seddik ne triche pas sur sa pensée. Elle est claire et clairement énoncée. Depuis près de quarante ans, il fréquente la parole coranique « hors de la lisibilité cléricale, hors de l’énorme codage qui a fini par l’emmurer et la ravir à toute lecture ». Cette passionnante et vivifiante entreprise prend appui sur « des siècles de grands penseurs classiques qui ont tenté de lire autrement le Coran, en le ponctuant autrement, [pour retrouver] des significations tout autres que celles convenues ». Dans ce travail essentiel, il n’est pas seul, il rend d’ailleurs hommage à trois de ses contemporains : le Tunisien, Abdelmajid Chafi, l’Egyptien Nasr Hamed Abû Zid contraint à l’exil en Hollande pour ces travaux et « le plus courageux entre tous », le Soudanais Muhammad Mahmoud Taha condamné et exécuté à Khartoum en 1985. Ces penseurs, spécialistes du Coran, intellectuels de haut vol, érudits à l’écoute des interrogations et des craintes de leurs concitoyens ne sont pas à la traîne de l’obscurantisme. Aussi n’ont-il nul besoin, eux, de se cacher derrière on ne sait quel tour de passe-passe dialectico-pédagogique. Courage, cohérence, intégrité intellectuelle sont leurs seules armes. Mais cela a un prix : en France, la relégation, médiatique d’abord (ainsi, la télévision, préfèrant zapper sur le sensationnel, invite un faire valoir pour débattre avec un ministre, résultat : record à l’audimat mais élargissement de « la faille d’incompréhension » entre les communautés et un peu plus de confusions dans les banlieues) ; ailleurs, l’ostracisme, l’exil ou la mort ! Leur crime ? Rechercher et offrir à leurs semblables « les conditions de possibilité de l’exercice légitime de la raison en islam, en partant du texte qui l’a fondé ». Rien moins !
Youssef Seddik invite à « s’habituer à l’idée que le texte fondateur de cette vision du monde qu’est l’islam est une œuvre à lire et non à « prendre au mot ». Il faut alors et impérativement retirer le texte des seules mains des religieux et théologiens pour « rendre le débat à la rue, à tout citoyen (…) ». À cette condition, le Coran pourra « trouver place aux côtés des plus beaux titres du patrimoine humain » et s’intégrer « à une volonté de savoir qui se serait intelligemment démise du ressentiment d’une volonté de puissance ». Et l’auteur de rappeler : « Ce Livre, qui se présente comme « Maternance, Rahma, pour les hommes, tous les hommes », a affranchi ses destinataires de tout recours à une médiation, temple ou église, pythie ou prêtre, dont il faille pénétrer l’opacité pour recueillir le sibyllin message et en percer l’énigme ». De manière plus appuyée, il s’élève contre « la cléricalisation indue » de la religion « à contre courant de ce refus explicite dans le Coran pourtant, de toute instance médiatrice entre les hommes et la divinité ». C’est d’ailleurs ainsi que des millions de musulmans, en France, semblent vivre leur foi, c’est-à-dire loin des chapelles et se détournant, parfois ostensiblement, des conseils sensés les représenter…
Cette traduction du Coran s’attache à lever les « mécanismes de verrouillage » qui ont piégé la lisibilité du Texte dès les premiers pas de l’exégèse islamique ». Ces mécanismes sont nombreux, divers et parfois complexes : arbitraire lexical, « effacement des ponctuations du rythme de la parole coranique telle que le prophète l’a reçue et transmise », refus de retrouver l’ordre chronologique des entités révélées et du coup réduction d’une autre clef de lecture celle d’une révélation livrée en fragments et « débitée selon un jeu d’étoilement » et non selon cette linéarité qui condamne le lecteur ou le croyant à une « inféconde contemplation de la façade d’un monument dogmatique »…
Ce Coran ainsi restitué retrouve aussi une dimension hellénique irréductible à un simple emprunt ou à « un effet ponctuel d’acculturation », mais présenté ici « comme le miroitement d’une très lointaine origine commune ». Enfin, puisque débat il y a sur ces questions, Youssef Seddik reprenant les travaux de Mahmoud Taha contre la fausse distinction opérée par l’orthodoxie entre « passages abrogés et passages « abrogeants », indique que ce dernier à « démontrer, partant des principes de lecture jusque-là inconnus, que tous les versets reçus à Médine sur le voile, la polygamie, la séparation des sexes, la répudiation unilatérale et même sur le Jihâd (combat pour l’islam) sont des versets qui ont épuisé leur dessein et doivent être abrogés au profit de versets fondamentaux ».
Cette traduction, dont la dimension poétique n’est pas la moindre des prouesses, réintroduit également les principes d’incertitude et de doute (à travers la figure d’Adam), le principe de liberté qui fait du musulman « l’assujetti exclusivement à Dieu », et d’universalité, avec en premier lieu et à la différence de sa figure biblique, un Abraham « a-national, individué, pathétique ».
La traduction et la lecture que propose ici Youssef Seddik n’est pas seulement essentielle pour réintroduire le texte sacré des musulmans au sein de la philosophie universelle ou dans les bibliothèques de tout « honnête homme ». Ce travail de premier ordre doit être mis à la portée du plus grand nombre, et le plus tôt possible, pour enfin permettre de « rendre le débat à tout citoyen » et ce, de manière éclairée…

Editions Barzakh & éditions de l’Aube, 2002, 255 pages, 18 euros

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