Abd al Malik,
Qu'Allah bénisse la France !
Que le titre ne trompe pas : il ne s’agissait nullement ici d'une provocation ou d'un propos visant à substituer à la loi de la République les règles de la charia. L'auteur, qui était alors le leader du groupe de rap NAP (New African Poets), avant de devenir qui l’on sait, délivrait déjà un message vantant les mérites de l'amour et de l'universalité.
Certes, le domaine est celui de la religion, mais le propos est dispensé comme illustration d'une quête individuelle et n'a pas vocation à devenir une règle d'organisation sociale ou le ciment du "vivre ensemble".
En trois temps, Abd al-Malik raconte son enfance de fils d'immigrés congolais dans le Neuhof, banlieue de Strasbourg célèbre pour ses barbecues d'automobiles la nuit de la Saint Sylvestre, puis sa conversion à un islam formel, fermé sur lui-même et parfois haineux porté notamment par le mouvement tabligh et enfin sa rencontre avec le soufisme qui, par-delà les appartenances confessionnelles et la couleur des peaux vise à retrouver chez chacun sa "part divine" par une démarche d'amour et d'universalisme.
Régis, de son nom de baptême chrétien, devenu, à sa conversion, Abd al-Malik, et ses deux frères ont été élevés par leur seule mère. Le père ayant abandonné le domicile familial laissant à son épouse le soin d'assumer l'éducation de ses trois fils dans un des quartiers de l'hexagone où l'échec scolaire, le chômage et la délinquance constituent les ingrédients d'un cocktail détonnant qui vous expédie aussi sec et fissa qui en prison, qui dans l'enfer de la drogue et beaucoup vers une mort prématurée, souvent violente (par overdose ou assassinat). De cela Abd al-Malik parle, à cela, le gamin, doué pour les études, a su échapper même si, en matière de délinquance, le loustic a fait ses classes. À l'école, il se forge le sens critique ; dans l'islam, il recherche la paix intérieure ; par le rap, il donne libre cours à sa créativité avant d'en faire sa profession. Mais les intolérants et intempérants "frères du tabligh" apprécient modérément sa passion pour la musique (comme d'ailleurs le médiatique Tarik Ramadan, ici appelé "frère Tarik"). Aussi, le jeune homme, pétri comme un bon pain d'humanisme, prend progressivement ses distances avec une pratique religieuse aliénante et asservissante. Intuitivement Abd al-Malik sait que ce qu'il recherche ne se trouve pas dans cet islam prosélyte des banlieues, où l'uniforme et la barbe tiennent lieu de foi, où le rabâchage prend le pas sur la méditation, où l'embrigadement et un cléricalisme rampant se substituent à la liberté du croyant (sensé pourtant être seul devant Dieu) et où, après avoir lavé le cerveau des ouailles mahométanes, on y insémine une fausse identité, illusoire échappatoire à l'exclusion ou à la folie. Les réponses à ses doutes, sa quête d'une harmonie entre sa foi et son activité musicale, la paix toujours recherchées, Abd al-Malik les trouvera au sein d'une confrérie soufie plus attachée à l'esprit qu'à la lettre de l'islam. Le travail spirituel entrepris sous la guidance d'un maître vivant à Fès au Maroc lui enseignera notamment qu'il est "impossible de raisonner en termes de Noir, d'Arabe ou de Juif là où [il n'y a] que des hommes".
Edition Albin Michel 2004, 205 pages, 15 euros