« Quand elle était revenue avec les enfants, la maison était vide. Le soir, Ali n’était toujours pas rentré. Elle avait fini par les coucher. Quelle heure pouvait-il être ? À trois heures, elle avait regardé le réveil. Puis elle avait dû s’assoupir.
Maintenant il était là, debout au milieu du grenier, chancelant. Il devait être ivre. Il disait qu’il savait que ses enfants ne parleraient jamais sa langue, il pourrait bien encore trimer comme une bête à l’usine, comme il avait trimé dans les mines avec son père, son père mort depuis longtemps, usé avant l’âge par l’exil et la misère…
Puis il avait marché vers le lit des enfants. Thierry réveillé depuis qu’Ali avait poussé la porte, avait retenu sa respiration. Il avait soulevé Lil endormie. Il l’avait serrée contre lui. « laisse-la donc dormir », avait dit la mère. Il n’y avait rien eu à faire, il s’était installé sur la chaise et était resté ainsi toute la nuit, la petite dans les bras.
Au matin, Huguette s’était levée et avait ouvert la lucarne. Malgré le brouillard qui montait des eaux, on pouvait voir le pont de Bezons. Elle lui avait pris Lil des bras et l’avait recouchée. « Oui », avait-il encore dit, et la ligne injectée de ses yeux s’était posée sur le ventre d’Huguette puis s’en était détournée « oui – j’en suis sûr – plus tard, tes enfants ne traverseront même pas la mer. »
Épuisé, il s’était laissé tomber sur le lit tout habillé. »
Tassadit Imache, Une fille sans histoire, Calmann-Levy 1989