« Dans cette position d’intermédiaire, de passeur, il ne s’agit pas tellement des contenus qui sont transportés d’un côté de la frontière à l’autre comme des marchandises qu’on échange. La chose intéressante, c’est que le milieu compris comme ce qu’il y a « entre » est le milieu de la réflexivité, pas de l’identification. Et la réflexivité est quelque chose qui, au fond, n’a d’existence que dans son effectuation. Elle n’est pas séparable du geste de la réflexion. D’où la difficulté de faire de la réflexion un objet d’identification. C’est très difficile parce que c’est éminemment mobile, constamment ouvert sur des sollicitations qui sont parfois incompatibles et qui coexistent néanmoins dans un geste symétrique de reconnaissance : puisqu’au niveau de la réflexion, on comprend la pertinence de ce qui s’exclut mutuellement, mais chaque fois dans son contexte propre. Et, en ce sens, si on fait œuvre de réflexion, c’est un milieu particulier qui se trouve au milieu ; on s’aperçoit alors que la réflexion entretient un rapport très particulier au temps. Comme c’est une forme de mobilité, elle se refuse à des formes de fixation, elle appartient à une sphère qui est celle de l’art théâtral ».
Heinz Wismann, Penser entre les langues, Albin Michel, 2012