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  • La citation du jour

    « Le jour où je lui ai appris que j’avais rencontré quelqu’un que j’aimais et qui m’aimait, j’avais vingt-deux ans. Un sourire a tremblé sur ses lèvres. Elle m’a demandé en tordant son petit mouchoir brodé entre ses doigts, C’est vrai ce qu’on dit… ? qu’on a le cœur qui bat plus fort… ? »

    Samira Sedira, L’Odeur des planches, La brune au rouergue 2013

  • Double bonheur

    Stéphane Fière

    Double bonheur

    stephane_fiere.jpgComme aurait dit le Général, ce livre a une apparence : les aventures d’un traducteur du consulat de France en poste à Shanghai. Il a une réalité : les dérèglements identitaires d’un jeune homme, un émule, ambitieux et… amoureux.

    Partir en poste pour trois ans au consulat de Shanghai comme traducteur officiel, voilà qui doit faire rêver plus d’un apprenti sinologue en mal de voyage. C’est ainsi que le jeune François Lizeaux débarque dans la capitale économique de la Chine communiste. « Sa volonté d’in-té-gra-tion » est telle, que, d’emblée, il décide de changer d’identité, de se faire appeler Li Fanshe, et de larguer les amarres avec son pays et son passé. François Lizeaux alias M. Li, plus royaliste que le roi, se veut plus chinois que le premier pékin venu ! et l’expérience (la roublardise) venue il se montre, in petto, un tantinet méprisant pour ses collègues du consulat et autres immigrés (euh ! pardon ! « expatriés ») français venus « faire fortune en Chine » : le nouvel Eldorado des Occidentaux aux dents longues. A lire Fière, si le slogan « la Chine tu l’aimes ou tu la quittes » avait cours sous les remparts de la Grande muraille, quelques charters dégorgeant de Pébéas ou pba (Petits Blancs Arrogants) décolleraient fissa.

    Sur plus de 350 pages, François Lizeaux raconte, par le menu, le quotidien de sa profession, la vie d’un expatrié français en terre chinoise, ses heurs et malheurs, le réel et les apparences. Une vie professionnelle de larbin surexploité, mécanique et répétitive, agrémentée de week-ends tout aussi monotones : multiplication des rencontres d’un soir, tarifées ou non, galipettes extraconjugales et autre câlineries asiatiques mais toujours sans lendemain, au grand désespoir et courroux de certaines, ouvertes à un mariage potentiellement lucratif. Le vide à Shanghai !

    Le jeune français  meurtri par son enfance et son passé hexagonal, va se donner, corps et âme, à son nouveau pays et barbotter dans le monde des apparences. François Lizeaux est donc traducteur. La parabole du traducteur était déjà présente dans Les Bains de Kiraly de Jean Mattern (Sabine Wespieser, 2008). Ici, l’auteur tisse un fil qui relie « l’enfant décoratif qui ne participe pas » à cet homme devenu traducteur, « simple outil » « à ranger après utilisation » comme si, explique le narrateur, « je n’existais plus, puisque de ma bouche s’échappaient des mots qui n’étaient jamais les miens, puisque personne ne me voyait, ne devait me voir, et qu’il n’était même pas imaginable que je puisse avoir une personnalité. »

    La posture de Lizeaux s’apparente à  « celle du vaincu d’avance – j’étais comme le crapaud qui voulait goûter la chair du cygne, qui rêve de l’impossible et se meurt de frustration. » Comme on dit du côté de la Kabylie, « personne n’a jamais parlé de lui, il a souillé la fontaine de ses excréments ». Moins scatologique, François Lizeaux va outrepasser son rôle et sa fonction : de traducteur, il se fait interprète, « passeur » : « le vrai pouvoir était-là : comprendre ce qui est inintelligible aux uns comme aux autres. (…) sans moi rien ne se faisait, rien n’avançait ; derrière mon effacement, j’étais en fait au centre de tout » . Ces interprétations étant toujours favorables aux Chinois, il se voyait gratifié de quelques enveloppes au rouge propitiatoire et généreusement garnies.

    Double bonheur offre une plongée dans la Chine contemporaine de première main.  Le lecteur pérégrine entre boîtes de nuits, cabarets et autres quartiers branchés pour « expats » assoiffés de plaisirs exotiques et la gargote de la Mère Zhao. Il se familiarise avec l’art de truander partout et n’importe qui autant qu’avec celui de fluidifier (et rentabiliser ) ses relations et réseaux ; ici sans cartes de visite vous n’êtes rien. Il brinquebale entre mensonges et respect des apparences, entre frénésie moderne et attentions à son qi, entre une Chine d’hier et d’aujourd’hui largement fantasmée et une réalité bien plus complexe et plurielle… « Dans la société nouvelle, entre les injonctions contradictoires, entre l’amour et les convenances, entre l’argent et les cinq vertus, comment choisir ? »

    François Lizeaux en déséquilibre dans une société chamboulée, va basculer et tomber, par amour, du côté chinois. La douce, la belle, l’exquise, la fine, l’amoureuse et si chinoise An Lili. Journaliste dans le milieu de la mode, elle a de quoi séduire, transporter les cœurs et tourner les têtes « il me manquait quelqu’un pour apprendre à voir » dit François,  « j’ai trouvé ma voix ».

    C’est la renaissance. Une nouvelle identité. Abandonnées la France et ses origines. Notre homme est désormais « libre. Délesté ». Le couple convole et le ménage, entre deux assauts amoureux et autant d’auspices taoïstes et de maîtres es Feng shui, se transforme en une machine de guerre obsédée par son cash-flow. Lizeaux se met à faire des extras pour des hommes d’affaires. Il va même espionner pour le compte des Chinois. La cagnotte du ménage grossit, grossit…

    Le livre de Stéphane Fière est d’une étonnante puissance. Maîtrisé de bout en bout. Malgré la répétition des journées de labeur (et parfois des nuits) entrecoupées d’imprévus professionnels et de contretemps existentiels, il retient son lecteur. L’auteur offre non pas un double mais un triple ou un quadruple bonheur en variant les registres, en allongeant les phrases ou au contraire en accélérant le tempo. Ces fulgurances du texte permettent d’éviter les répétions, de prendre ses distances avec les faits rapportés, de suggérer quelques humour ou ironie, de marquer une posture de désinvolture, voir un moment de tension, d’inquiétude ou quelques sous entendus… Ce travail sur le rythme s’enrichit d’un vocabulaire abondant et de citations, de paroles, de références culturelles et culinaires chinoises.

    « Comprendre son environnement et s’y adapter [constitueraient] les premiers pas vers la félicité ». Dans le jeu de miroir du multiculturalisme globalisé, dans l’entrelacs des relations exotico-béates entre Chine et Occident, Stéphane Fière semble mettre un peu d’ordre et briser quelques illusions. Retour vers le réel !

     

    Edition Métaillé, 2011, 355 pages, 18€

     

     

  • La citation du jour

    « Mes deux trimestres avaient été satisfaisants. Le professeur de sciences naturelles m’avait témoigné sa sympathie. Mon retard n’était pas seulement dû à ma nonchalance rêveuse, mais aussi à l’inadaptation de l’institution qui n’avait pas prévu que ses pensionnaires puissent fréquenter les bancs du lycée. Les carrières que nous préparions dans ces murs débouchaient si souvent sur la prison que le fait de ne pas avoir envisagé de telles hypothèses était excusable. Malgré tout j’avais réussi, non pas à briller, mais à attirer une certaine compassion qui m’a servi de passe-muraille. »

    Said Mohamed, Un enfant de cœur, Eddif-L’Arganier 1997

  • La citation du jour

     « Très tôt mon père a appris à vivre loin de ses parents, à ne pas s’enraciner, à s’en aller. La différence entre mon père et les autres, c’est qu’eux vivent entre un ici et un là-bas. Lui habite une terre, et puis une autre, et ça n’a pas plus d’importance que ça. »

     

    Samira Sedira, L’Odeur des planches, La brune au rouergue 2013

  • La citation du jour

    « A nous l’enfermement oriental télévisuel ! Depuis, les paraboles ornent toutes les façades du Val-Fourré, telles de grandes couscoussières d’extraterrestres. Grâce à cela, on peut dénombrer les Arabes dans un immeuble, car les Africains n’en sont pas très amateurs. Qui sait si  la parabole n’est pas, en fait, qu’un attrape-Arabe ? »

    Salima Senini, Du côté de chez moi, Les Arènes, 2013

  • Le Cahier à fleurs, Tome 2 - Dernière mesure

    Laurent Galandon et Viviane Nicaise

    Le Cahier à fleurs, Tome 2-Dernière mesure

     

    CahieraFleurs.jpgEn 2009, Paolo Cossi publiait Le Grand Mal (Dargaud) une BD en noir et blanc sur le génocide arménien. Laurent Galandon pour le texte et Viviane Nicaise pour le dessin abordent une fois de plus le sujet avec un scénario moins ambitieux que le premier. Dans ce diptyque, dont le premier tome est paru en 2010, la dimension historique (persécutions, massacres, déportations…) pour être présente sert de toile de fond à l’histoire des personnages : Mayranouche et son frère Dikran ; Hasmet Erdem accompagné de son père Salim.

    Dans le premier tome, le récit s’ouvre sur un concert donné en 1983 à Paris. Il se referme ici sur un autre concert programmé quelques mois plus tard dans la même ville. Entre ces deux rendez-vous musicaux, une rencontre inattendue rassemble le brillant concertiste (Hasmet Erdem) et un vieux et fragile spectateur (Dikran). Un lien relie les deux hommes, un lien symbolisé par une vieille partition et un air de musique. Pourtant, le jeune violoniste est un turc versé dans le négationnisme, à tout le moins dans  le relativisme, et le vieillard, un rescapé arménien du génocide. C’est lui qui raconte à Hasmet Erdem une bien étrange histoire. L’histoire d’une partition et de quelques notes échappées de l’enfer.

    Le récit entremêle les périodes, passant de l’année 1983 à l’Anatolie des années 1915. Si l’on doutait encore de la nécessité de se souvenir, la question posée par Dikran à Hasmet aidera à convaincre peut-être les plus indécis : « savez-vous ce qu’Hitler a dit le 22 août 1939 avant d’attaquer la Pologne et d’engager l’extermination du peuple juif ? : (…) Qui se souvient encore du massacre des Arméniens ? ». « Devoir de mémoire » donc selon la formule convenue mais aussi illusion des origines et des identités. Le Cahier à fleurs montre que l’histoire et les hommes ne cessent de se mélanger et de s’influencer les uns les autres. Les auteurs renvoient les idéologues de la pureté, en treillis ou en complet veston, à leurs folie et à leurs illusions. De ce point de vue, Le Cahier à fleurs est un écho  au Livre de ma grand-mère de Fethiye Çetin (éd. de l’Aube, 2008).

    Le trait classique et réaliste des dessins de Viviane Nicaise évolue dans des planches colorées et sensibles où dominent tantôt le bleu nuit tantôt l’ocre de Jérôme Maffre.

    La collection Grand Angle chez Bamboo braque régulièrement ses objectifs sur les questions de mémoire et d’identité. Ainsi son catalogue compte notamment des BD sur la Shoah (l’Envolée sauvage), la guerre d’Algérie ( Tahya-el-Djazaïr) ou l’Occupation et la question des identités (L'Enfant maudit).

     

    Bamboo Edition, Collection : Grand Angle, 2011, 48 pages, 13,50 €

  • La citation du jour

    « Dans ce que j’observe et ce que j’entends, je m’agace de voir ressurgir des revendications réchauffées, des postures opportunistes et des rapports de forces qui n’ont pas lieu d’être, et je me dis que cela doit agacer beaucoup de nos concitoyens.  L’esprit, l’amour, la fraternité, tout ce qui fait la noblesse de la Marche, sont foulés aux pieds par d’aucuns qui, trente ans après, prétendent en être les héritiers ou les nouveaux porte-parole. Que l’on ne me disent pas que j’ai un discours naïf : on m’a déjà fait le coup il y a trente ans (…). Je sais que le chemin de l’égalité est long, voire infini, mais il faut rester positif : il ne faut pas laisser transpirer de la colère, ou même, comme chez certains, la haine de soi et la haine des autres, parce qu’on ne construit rien avec ces sentiments. Alors voilà pourquoi je sors de mon silence et prends mon courage à deux mains pour dire : « Mettons dans nos cœurs et nos esprits une part d’humanité, une part d’amour, une part de don de soi, sans quoi on ne va plus se comprendre. »

    Toumi Djaidja, La Marche pour l’Egalité. Une histoire dans l’Histoire. Entretiens avec Adil Jazouli. Editions de l’Aube 2013

     

  • La citation du jour

    « Tout en mangeant et en buvant le vin, les hommes parlèrent des coutumes de leurs voisins.

    - Pas plus tard que ce matin, dit Obierika, je parlais avec Okonkwo d’Abame et d’Aninta, où les hommes titrés grimpent aux arbres et pilent le foufou pour leurs femmes.

     - Toutes leurs coutumes sont à l’envers ! Ils ne fixent pas le prix des dots comme nous, avec des baguettes. Ils se chicanent et ils marchandent comme s’ils achetaient une chèvre ou une vache au marché.

    - Ce n’est pas bien, déclara le frère aîné d’Obierika, mais ce qui est bien à un endroit est mauvais ailleurs. À Umunso, ils ne marchandent pas tout, même pas avec des baguettes. Le prétendant continue à apporter des sacs  de cauris jusqu’à ce que les parents de sa promise lui disent d’arrêter. C’est une mauvaise coutume parce que ça finit toujours par des disputes.

    - Le monde est vaste, dit Okonkwo. J’ai même entendu dire que dans certaines tribus, les enfants d’un homme appartiennent à son épouse et à sa famille.

    - Pas possible ! s’exclama Machi. Et pourquoi pas une femme qui s’allongerait sur l’homme pour faire des enfants ! »

     

    Chinua Achebe, Tout s’effondre, Actes Sud, 2013

  • La citation du jour

     « La religion représente le totalitarisme des idées. Je suis arabe mais je ne suis ni musulman, ni chrétien : je suis athée intégriste ! Les musulmans m’emmerdent autant que les chrétiens. Je trouve inadmissible que des gens, parce qu’ils croient en Dieu, vous imposent leur manière de vivre. »

    Mourad Boudjellal (avec Arnaud Ramsay), Ma mauvaise réputation, La Martinière, 2013

     

  • Où j’ai laissé mon âme

    Jérôme Ferrari

    Où j’ai laissé mon âme

     

    ferrari_jerome_cl_c_dr.jpgVoici un énième roman consacré à la Guerre d’Algérie. Cinquante ans après l’indépendance algérienne, la blessure continue de suppurer. La douleur reste vive et provoque des bouffées de colère et parfois de haine (voir les manifestations qui ont accompagné la sortie de l’inoffensif Indigènes de Rachid Bouchareb). Les horreurs troublent encore les consciences. Il paraît qu’on préfèrerait recouvrir les injustices et les infamies passées d’un voile de pudeur ou de honte. La France se détournerait de cette sale histoire où elle aurait perdu un peu de son âme. C’est du moins ce que l’on entend.

    Cette question – qui ne se limite pas au drame franco-algérien - est au centre du roman de Jérôme Ferrari dont l’originalité tient à son écriture : dense, intime, sombre jusqu’à l’oppression, toujours sur le fil du rasoir, en dangereux équilibre au dessus de l’abîme, au dessus de l’enfer.

    Trois hommes sont plongés dans le chaudron de la bataille d’Alger. Deux officiers de l’armée française, le capitaine André Degorce et le lieutenant Horace Andreani, et leur prisonnier, un commandant de l’ALN, Tarik Hadj Nacer dit Tahar qui a tout l’air de camper l’historique Larbi Ben m’Hidi.

    Degorce est un ancien résistant, torturé par la Gestapo, déporté à Buchenwald. Il a fait l’Indochine où, après Dien Bien Phu, il est passé par les camps de rééducation du Viêt-Minh. Andreani fut aussi de la Résistance avant de partir pour l’Indochine. Les deux soldats s’y sont connus. La fraternité des combats, l’expérience de la défaite, la solidarité et l’attitude de Degorce dans les camps, ont fait qu’Andreani a voué un culte à son supérieur, à tout le moins un dévouement sans failles. Jusqu’à l’expérience algérienne.

    Le récit se déroule sur trois journées de mars 1957. Elles sont introduites par trois références bibliques : Genèse, iv, 10 ; Matthieu, xxv, 41-43 et Jean ii, 24-25. Juste les références. Pas les paroles saintes.

    La chronique de ces journées lointaines est entrecoupée d’une adresse d’Andreani à Degorce. C’est bien après la guerre, bien après son jugement comme membre de l’OAS qu’Andreani écrit à Degorce. Il évoque leur passé, son attachement à son supérieur et ses déceptions. Il parle de son procès, de la déposition de Degorce, monté en grade… qu’il finit pas traiter de « laquais », un « laquais » qui avait « l’air de réciter une leçon ».

    Car au centre du récit, il y a la question, récurrente, de la torture. La torture pratiquée par les uns, les attentats et le terrorisme des autres.

    Andreani assume tout ! Au nom de ce que tous les tortionnaires rabâchent depuis toujours : pour faire payer les atrocités infligées aux « nôtres », pour épargner d’autres victimes innocentes, pour arrêter les actions des terroristes…  Pour la victoire. Car seule la victoire pouvait donner un sens « à tout ce sang versé ». Mais Andreani y ajoute aussi la « partialité » et la « loyauté ». « La partialité est le seul recours. Il ne s’agit que de reconnaître les siens et de leur être loyal. » Et, comme « on ne peut pas être loyal sans mémoire », il ajoute : « j’ai toujours su qu’il y avait dans la loyauté quelque chose d’infiniment supérieur à la vérité ».

    Depuis « une nuit décisive », à l’âge de seize ans, Andreani a étouffé « les murmures de [son] cœur ». Face à cette position radicale, assumée, Degorce, lui, vacille, doute, tremble. Cela ne l’empêche pourtant pas de se comporter, lui aussi, comme un « fumier », d’exercer des pressions psychologiques sur ses prisonniers et, in fine, de couvrir, par son silence, ce qu’il dit réprouver.

    Ses jérémiades, Degorce ne les pose pas seulement sur le trébuchet de son âme, il se confie aussi à Tahar : « je ne suis pas en paix » dit-il. Sa victoire lui est « douloureuse », il n’en est pas « fier », il a honte de lui-même. Et Tahar, plus lucide (mais ici, il a le beau rôle) : « Surtout, capitaine (…) ne pensez quand même pas que vous êtes à plaindre, je vous en prie. Vous n’êtes pas à plaindre. Vous savez, ça. »

    Qui serait le plus à plaindre d’ailleurs ? Celui qui assume tout, ou celui qui avance, hagard, à la recherche de son âme perdue, ne croyant plus en rien et souffrant de sa « métamorphose ». Pour l’un comme pour l’autre, une seule destination : l’enfer. Mais la cohérence est du côté d’Andreani, pas dans les atermoiements de robot d’un Degorce consentant à tout et acceptant toutes les promotions. En Algérie, beaucoup ont perdu leur âme(1). « Le monde est un bien piètre pédagogue, mon capitaine, écrit Andreani, il ne sait que répéter indéfiniment les mêmes choses, et nous sommes que des écoliers rétifs, tant que la leçon ne s’est pas inscrite douloureusement dans notre chair, nous n’écoutons pas, nous regardons ailleurs et nous nous indignons bruyamment dès qu’on nous rappelle à l’ordre. » Voilà peut-être l’une des leçons les plus utiles à tirer de cette histoire. Loin de tout sentimentalisme de pure circonstance. Et sans effe

    1- Voir notamment : Benjamin Stora & Tramor Quemeneur,  Algérie 1954-1962 : Lettres, carnets et récits des Français et des Algériens dans la guerre, éditions France-Info/Les Arènes 2010 et, sur un plan romanesque, le personnage de Pierre Vermont dans Le Club des incorrigibles optimistes écrit par Jean Michel Guenassia (Albin Michel, 2009).

     

    Actes Sud 2010, 154 pages, 17,00€