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  • La citation du jour

    « L’âme de la France, ç’a toujours été ses étrangers. Ce sont eux qui la rappellent à sa grandeur, car ils l’aiment pour ça. Il faut toujours en faire plus que les Français pour espérer devenir pleinement français sans se renier pour autant. C’est comme ça que ses « étrangers » tirent ce pays vers le haut. »



    Pierre Assouline, Les Invités, Gallimard, 2009

     

     

     

  • La citation du jour

    « J’avais oublié que l’amour vient de la tête et non pas du cœur. De tout le corps, seule la tête importe. Il suffit de toucher la tête d’un Vietnamien pour l’insulter, non seulement lui mais tout son arbre généalogique. C’est ainsi qu’un timide Vietnamien de huit ans s’est transformé en tigre furieux quand son coéquipier québécois  a frotté le dessus de sa tête pour le féliciter d’avoir attrapé son premier ballon de foot. Si une marque d’affection peut parfois  être comprise comme une offense, peut-être que le geste d’aimer n’est pas universel : il doit aussi être traduit d’une langue à l’autre, il doit être appris. Dans le cas vietnamien, il est possible de classifier, de quantifier le geste d’aimer par des mots spécifiques : aimer par goût (thich), aimer sans être amoureux (thuong), aimer amoureusement (yêu), aimer avec ivresse (me), aimer aveuglément (mù quang), aimer par gratitude (tinh nghia). Il est donc impossible d’aimer tout court, d’aimer sans sa tête.  J’ai de la chance d’avoir appris à savourer le plaisir de lover ma tête dans le creux d’une main, et mes parents ont de la chance de pouvoir capter l’amour de mes enfants  quand ces derniers leur donnent des baisers dans les cheveux, spontanément, sans protocole, pendant une session de chatouilles au lit. Moi, j’ai touché la tête de mon père qu’une seule fois. Il m’avait ordonné de m’appuyer sur lui pour sauter par-dessus la rampe du bateau ».


     

    Kim Thuy, Ru, Liana Levi 2010

     

     

  • Championzé

     

    Eddy Vaccaro & Aurélien Ducoudray

    Championzé

     

    championze.jpgQui pourrait aujourd’hui imaginer le sport tricolore sans ses athlètes noirs ? Un rapide survol et voilà que les Blacks de France font résonner les cocoricos du coq gaulois urbi et orbi. Au football bien sûr, mais aussi sur les stades d’athlétisme, dans les arts martiaux, le basket-ball, le handball, le volley et depuis peu le rugby. Le tennis reprend des couleurs grâce à  Monfils et à Tsonga héritiers de l’illustre Yannick Noah… la liste, bien sûr, n’est pas exhaustive. Pourtant, il y a quelques années, la Licra publiait un rapport où elle s’inquiétait des « dérives racistes »  dans le sport, et tout spécialement dans le football ! Le racisme et le sport, voilà un couple qui a la vie dure et les choses ne semblent pas s’améliorer au vu des différentes affaires qui défraient la chronique sportive ces dernières années.

    Qui connait celui qui fut le premier champion français noir ? Il s’appelait Amadou M’Barick Fall, surnommé Siki, il fut champion du monde de boxe le 24 septembre 1922. 1922 ! L’année où le marocain Abd-el Krim proclamait l’indépendance du Rif. L’année aussi où la France entamait la construction de la Mosquée de Paris pour « ses » soldats musulmans tombés durant la Première guerre mondiale. Amadou M’Barick Fall en était, lui, du champ de bataille, et du genre courageux : médaillé de la Croix de guerre et du mérite.

    Mais voilà donc que ce Noir, Français, puisque né à Saint-Louis du Sénégal en 1897, alors sous domination française, musulman qui ne dédaignera pas plus tard la bouteille, envoie au tapis, au sixième round grâce à un uppercut appuyé, l’idole et la fierté nationales : Georges Carpentier soi-même, ci-devant champion du monde, à la peau majestueusement blanche devant l’Eternel ! Un « cataclysme » selon le mot de Jean-Marie Bretagne qui consacra une biographie à Siki il y a quelques années (1). Un cataclysme tel dans la France coloniale que l’arbitre de la rencontre prétendra que Battling Siki aurait… triché. Allez savoir pourquoi, les quarante mille spectateurs qui assistaient à la rencontre à Montrouge protestèrent ! Et bruyamment ! Contraignant l’arbitre à accorder la victoire à qui de droit.

    Battling Siki atteint donc la plus haute marche. Pour son plus grand malheur. Car à l’époque on ne plaisante pas avec la suprématie de la « race » blanche sur la « race » noire » ! D’autant plus que celui qu’on surnomme Championzé, autrement dit « le champion des chimpanzés », refuse de jouer le jeu. N’ayant plus rien à attendre du vieux continent, il file aux Etats-Unis espérant affronter Jack Dempsey, le champion du monde poids lourds.  Il y subira les mêmes attaques, les mêmes sarcasmes et on lui refusera de boxer. Battling Siki  ne baisse pas la garde et chatouille là où ça fait mal : «Vous avez une statue de la Liberté ici, mais c'est un mensonge. » Il se rebiffe et en remontre aux racistes de tous poils, il multiplie les provocations, et suprême sacrilège, épouse une seconde femme, blanche bien sûr.

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    C’est cette histoire que viennent de mettre en bande dessinée Eddy Vaccaro (pour les dessins) et Aurélien Ducoudray (pour le texte). Ils suivent au plus près le parcours exceptionnel de ce gamin du Sénégal, ce Français des colonies, abattu dans une rue de New York en 1925. Efficaces, les textes et les dessins s’attachent à rendre l’atmosphère d’une époque, l’injustice subie, les torts infligés, les remugles nauséeux d’un occident qui prétendait apporter la civilisation au reste du monde ! Tout cela est fait sans forcer le trait. De manière légère, fluide sans pesanteur idéologique ni accusation. Le coup de crayon est alerte, multiplie les sujets et planches originales.

    A l’heure où le corps du champion français est expédié à la morgue de Harlem, Pétain mate la rébellion des Berbères du Rif à l’ypérite, la Mosquée de Paris finit de se construire dans un Paris de l’entre-deux guerre qui commence à s’enthousiasmer pour une nouvelle idole : Joséphine Baker.

    1- Jean-Marie Bretagne, Battling Siki, Éditeur Philippe Rey, coll. À Tombeau Ouvert, 2008

     

    Futuropolis, 2010, 127 pages, 20€

     

  • La citation du jour

     

    "Je ne dis pas que j’ai à rougir de mes origines, mais j’ai peur de la différence. Je la sens, dans leurs yeux, quand nos mères marmonnent des phrases incompréhensibles pour eux, quand je dois camoufler un trou dans mes vêtements, quand je porte des chaussures trop petites, quand on n’arrive pas à prononcer mon nom. Cette barrière à franchir me laisse sans force.

     

    Ils ne disent plus rien. Je voudrais que l’un d’eux m’assure qu’il me comprend. C’est inutile, je le réalise soudain. Nous ressentons tous la même chose. Je le lis dans leurs regards fuyants. Mais ces sentiments doivent être tus. J’ai commis un impair, je devrais leur demander pardon. »

     

    Kethevane Davrichewy, La Mer noire, Sabine Wespieser, 2010

     

  • La citation du jour

    « J’ai cherché pour mon peuple un Paris chaleureux et j’ai trouvé un Moscou glacial (…). La France  de Diderot et de Voltaire m’a ouvert ses portes puis l’autre France, celle des képis et des uniformes, me l’a refermée au nez comme un valet aurait claqué la porte d’un château devant un mendiant ».



    Duong Thu Huong, Au zénith, Sabine Wespieser, 2009

     

  • La citation du jour


    « Rares sont ceux qui peuvent s’imaginer, dans leurs rêves, ce que cela signifie de devoir quitter sa patrie »



    Sherko Fatah, Le Navire obscur, Métailié, 2011

     

  • Abd er-Rahman contre Charles Martel

    Salah Guemriche

    Abd er-Rahman contre Charles Martel. La véritable histoire de la bataille de Poitiers

     

    MartelPoitiers_maxi.jpg732. Poitiers. Longtemps considérée comme l’un des mythes fondateurs de la nation française, la fameuse bataille aurait permis à Charles Martel d’« écraser » les Arabes évitant ainsi à la France et à la chrétienté le turban et le hidjab. Que s’y est-il vraiment passé ? Que signifiait pour les contemporains cette belliqueuse passe d’armes entre une coalition chrétienne hétéroclite menée par Charles Martel et une armée sarrasine constituée de Berbères, de Juifs, de Mozarabes, de captifs chrétiens et autres mercenaires dirigée par l’émir Abd er-Rahman ? Quelles traces cette bataille laissa-t-elle dans les mémoires ? C’est à toutes ces questions et à quelques autres – notamment la place de l’histoire dans le jeu de l’intégration – que s’attèle le romancier et journaliste Salah Guemriche. Notre auteur n’en est pas à son coup d’essai avec Poitiers. En 1995, il avait écrit un majestueux roman historique sur les amours d’une chrétienne et d’un musulman. Un mariage mixte, comme on dirait aujourd’hui, en plein Moyen-Âge. Et cela ne fut pas du goût des familles, soucieuses de pureté et d’endogamie confessionnelle. Surtout du côté mahométan. Car du côté de la belle Lampégie, fille d’Eudes, duc de Toulouse, ce mariage avec Munuza, le gouverneur de Narbonne, assurait une alliance, et permettait d’envisager plus sereinement les « coups de boutoir des légions franques de Childebrand, le frère de Charles Martel ». Du moins pour papa. Maman Waltrude, elle, peut-être moins au fait de géopolitique, regardait cette union comme « un amour d’Antéchrist ». A Cordoue en revanche, la mésalliance provoqua le courroux des Arabes pur sucre et gardiens de l’ordre. « Le danger était pressant » (…) Pressant oui mais moins pour l’Europe que pour l’Islam » écrit l’auteur. Alors, ni une ni deux, en un mot, fissa !, l’émir soi-même décida d’aller mater ce Berbère enamouré, de rétablir un peu d’ordre entre le croissant et la croix et d’en profiter pour calmer les velléités de ces Berbères récalcitrants et frustrés des fruits de leurs efforts. Non mais ! Pour moins que ça, aujourd’hui encore, on (ré)expédie ses rejetons au bled, on déshérite, on chasse, on violente ou on se retire sous sa tente… Déjà, en 716, Abd el-Aziz, le tout premier émir de Cordoue, paya de sa vie son mariage avec la très chrétienne Egilone, veuve de Rodéric.

    Et oui ! à l’origine de la bataille de Poitiers il y aurait peut-être, un peu surement, une histoire d’amour occultée… Comme disait l’autre : « chercher la femme ». Ici, la belle se prénomme donc Lampégie, elle aurait fini ses jours dans un lointain harem oriental. Une légende, plus romantique et propice aux incursions… touristiques, voudrait que les amoureux reposent côte à côte dans un mystérieux édifice religieux, appelé mezquita par les Catalans du cru, mélange d’église et de mosquée, du côté de Planès en Cerdagne.

    L’affaire étant réglée, histoire aussi peut-être de « rentabiliser » le déplacement, l’émir décide, sur l’insistance tout de même de son lieutenant berbérophobe Djedi ibn Zeyane, d’aller titiller plus avant les chrétiens et d’ouvrir « la route de la razzia du siècle ». Il faut dire que son armée - s’en était tout de même une, mais « levée à la hâte », une « armée de raids, une force de frappe, pas de conquête » - est grosse de soldats, de mercenaires et autres cupides désireux de s’en mettre plein le burnous à l’occasion de rapines tous azimuts. De Dax à Bordeaux, de Mont-de-Marsan à Périgueux, la soldatesque mahométane accumule un butin et des trésors de guerre conséquents. Tours excite les convoitises. Sa basilique regorge de trésors et pour l’émir, « la Rome des Gaules », représente un symbole. Son expédition sent l’improvisation, mais, avec le soutien d’Allah miséricordieux, rien n’est impossible au croyant. Alors « yalah ! » comme aurait dit sœur Emmanuelle et haro sur Tours.

    En face, il n’est pas certain que ces cupides Sarrazins inquiètent le Pippinide en chef, Charles Martel. Mieux, les difficultés d’Eudes, le Toulousain réfractaire, pourraient faciliter ses visées territoriales en Aquitaine. Enfin, plus au nord, sa chère Austrasie demeure toujours menacée sur ses marges par les Saxes, les Burgondes, les Bavarois et autres Alamans.

    Nos protagonistes semblent bien loin alors de jouer une « guerre de civilisation » avant l’heure ; de mener une querelle de clochés et de minarets en terre poitevine avant quelques votations helvètes d’un autre siècle ou encore d’incarner une France - et pourquoi pas encore une Europe -, dressée comme un seul homme face aux hordes sarrasines et mahométanes ; arabes et musulmanes comme on dirait aujourd’hui.

    Guemriche montre les dessous des cartes : Abd er-Rahman semble plus emporté par son élan et l’avidité de ses troupes que maître d’un projet d’expansion mûrement préparé. Quant à Charles Martel, sensé avoir « écraser les Arabes à Poitiers », il aurait surtout cherché à étendre les limites de son influence et devenir, grâce à l’adoubement papal, calife à la place du calife, autrement dit virer ces rois fainéants de Mérovingiens pour asseoir sur le trône une nouvelle dynastie, la sienne, les Carolingiens. C’est son fils Pépin le Bref qui héritera de la couronne en 751.

    La France comme l’Europe n’existe pas, pire : des exactions attribuées aux armées musulmanes ont été commises dans le Berry, en Provence, à Bourges, Nîmes, Arles, Béziers, Agde ou Montpelliers par « ces sauvages d’Austrasiens », les Franques du « tyran » Martel. D’ailleurs, « tiers-mondiste » avant l’heure, Anatole France le bien nommé, fait dire à un des personnages de La Vie en fleurs, anticipant tout de même de quelques siècles l’aura de la civilisation musulmane (et non arabe) : « c’est le jour de la batailles de Poitiers [que] la science, l’art et la civilisation arabes reculèrent devant la barbarie franque.. »

    En introduction et dans un dernier chapitre, Salah Guemriche invite à repenser la place de l’histoire chez ses contemporains, à revisiter l’enseignement de ce moment historique dans les manuels scolaires et à se pencher sur les traces laissées dans les esprits et les mémoires de nos chérubins, de souche ou de « souche nouvelle » comme il se plait à définir celles et ceux qui, arrivés dans les valises des migrations, ont le bonheur de naître sur cette vieille terre gauloise, franque et un peu sarrasine, notamment du côté de Largentière ou en Aquitaine…. Entre autres.

    Salah Guemriche se désintéresse des ressorts d’une identité nationale. Il montre d’ailleurs comment une conception utilitaire de l’Histoire a convoqué, au fil des siècles, Poitiers et Charles Martel « au gré des nécessités politiques ou idéologiques ». Ce qui intéresse ce franc-tireur, curieux et iconoclaste, c’est débusquer « la logique (…) d’une intégration nationale ». Citant Marc Bloch il rappelle que « l’ignorance du passé ne se borne pas à nuire à la connaissance du présent ; elle compromet, dans le présent, l’action même ». Sans oublier ce proverbe arabe cité par le grand historien : « les hommes ressemblent plus à leur temps qu’à leurs pères ».

     

    Edition Perrin 2010, 311 pages, 23€

  • La citation du jour

    « Une appartenance ethnique – voire un patronyme – n’est qu’une étiquette du langage, il me semble. Ce n’est pas une identité.  L’identité est ce qui demeure primordial le long d’une existence, jusqu’au dernier souffle : la moelle des os, l’appétit flamboyant des organes, la source qui bat dans la poitrine et irrigue la personne humaine en une multitude de ruisseaux rouges, le désir qui naît en premier et meurt en dernier. »

     

    Driss Chraïbi, Le Monde à côté, Gallimard, Folio, 2003

  • La citation du jour

    « On s’imagine que notre personnalité est une entité solide, figée (…). En réalité, il n’y a rien de plus facile que de modifier l’image que l’on a de soi. »

    Dinaw Mengestu, Ce qu’on peut lire dans l’air, Albin Michel 2011

  • La citation du jour

    "Tout homme a le droit de partir,

    c’est son pays qui doit le persuader de rester."

    Amin Maalouf, Les Désorientés, Grasset 2012