Fouad Laroui
Des Bédouins dans le polder. Histoires tragi-comiques de l’émigration
Voici un livre formidable. Oui ! oui ! formidable. Bien sûr Fouad Laroui est connu comme auteur, celui notamment qui a commis Les Dents du topographe, Méfiez-vous des parachutistes et autre Maboul et qui a publié chez Julliard, Une année chez les Français (nous y reviendrons). Ces Bédouins dans le polder est paru en 2010 et nous conte, à travers 1001 histoires, les heurs et malheurs des enfants du Rif transplantés dans le pays de la Tulipe, ou le pays de Béatrix comme se plait aussi à le désigner le malicieux auteur.
Livre formidable donc et d’abord par le ton et le style : tout y est charmant, espiègle, le rythme sautillant, le bon mot court de page en page, l’humour élégant, moqueur et même railleur. Pour nous entretenir d’immigration, d’identité, de différence culturelle, de religion, d’hospitalité… et de tant d’autres choses sérieuses et parfois graves, Fouad Laroui a trouvé le ton qui convient pour moucher les vaticinateurs de mauvais augures et les gardiens autoproclamés des temples de la pureté et pour en dire plus et mieux sur ces sujets que de doctes et sourcilleux experts, de prétentieux folliculaires et autres ratiocineurs cacophoniques adeptes du chiffre-roi.
Ce batave d’adoption manie la légèreté à la française comme pas deux, à moins que ce natif d’Oujda soit aussi maître dans l’humour à la sauce marrakchie. Qu’importe, avec cette écriture, Fouad Laroui embarquerait son lecteur pour n’importe quelle virée, littéraire s’entend.
Mais voilà, ici, Fouad Laroui se penche sur ses frères en exil : ces « bédouins » marocains qui, tant bien que mal, font leur trou en terre batave. Et ces dizaines d’ « histoires tragi-comiques de l’émigration » sont chacune relatées à la façon d’une fable, qui, à l’instar des histoires de La Fontaine, se referment sur un enseignement, moral ou pratique, toujours empreint de bon sens.
Fouad Laroui rapporte des scènes tirées du quotidien : l’irruption tapageuse de jeunes dans un compartiment de train ; la difficile et souvent tartuffarde expérience du jeûne au mois de ramadan ; quelques moments choisis de deux ou trois procès ; un étonnant conseil municipal ; quelques expériences footballistiques ; une demande de subvention pour l’ouverture d’un hammam culturel ; des test ADN à la sauce hollandaise, l’arrestation à potron-minet d’un (heureux) sans papiers ; la recherche d’emploi d’un « jéroboam ambulant », entendre une femme voilée de pied en cap ; un étudiant qui sur les banc de l’université entend réintroduire la part des anges dans l’écriture de l’Histoire ; ou encore l’ouverture d’une auto-école pour femmes musulmanes au grand dam de la gent masculine et machiste, pedzouille du volant et oublieux de « l’épouse du Prophète ; Khadija, [qui] dirigeait elle-même sa caravane à travers le désert d’Arabie. Et qui peut mener cent chameaux peut bien conduire une quatre-chevaux, non ? »
Autant d’historiettes, vécues, entendues ou lues, pour évoquer le dialogue entre générations, les chocs, plus ou moins « doux », des cultures, l’ignorance qui gagne sur le souci de se mieux comprendre, la bêtise des uns et la méchanceté des autres (et vice versa), la psychologie des peuples où comment la trop grande modestie des Hollandais a du mal à séduire les fiers enfants de l’Atlas, la liberté de l’individu et la sujétion au groupe, une jeunesse dynamique, en quête de réussite et de reconnaissance, parfois délinquante mais toujours arbitre des élégances. Il est aussi question de l’arabisation à la mode égyptienne, de l’islamisation version wahhabite, de la radicalisation des jeunes d’origine marocaine et du trop-plein de religion dans la vie publique hollandaise où comment les musulmans servent aussi de cheval de Troie aux zélés adeptes de la croix.
L’écrivain, par ailleurs économiste, ici chroniqueur du quotidien, marocain d’origine, hollandais d’adoption, ravive l’ego du coq gaulois et requinque son cocorico : partisan lucide de la laïcité, Fouad Laroui se montre contempteur du « multiculturalisme » aux côtés de Lilianne Ploumen, « la patronne du parti socialiste PVDA », et peut-être, aujourd’hui d’Angela Merkel.
« Formidable », oui ! c’est-à-dire selon l’étymologie du mot « qui inspire de la crainte » car ces badinages littéraires pourraient aussi agacer et peut-être inquiéter bien des empêcheurs de vivre ensemble.
Edition Zellige, 2010, 144 pages, 17,50 €
Sympathique et efficace petite histoire de boutons rouges et bleus pour petits et… grands. « Tout allait bien » pour ces boutons rouges, heureux d’un entre soi qui ne souffrait d’aucune contrariété. « Tout allait bien »… « quand quelque chose de bizarre arriva ! » : un bouton de couleur bleue… Et c’est parti sur une quinzaine de doubles pages avec une courte phrase à gauche et l’illustration à droite. Comment les boutons rouges vont-ils réagir ? Que va faire le bouton bleu ? Pourquoi est-il rejoint par d’autres de la même couleur ? Qu’adviendra-t-il de tous ces boutons réunis sur une même page, sur un espace commun ?
Dans Salaam London, le journaliste et globe-trotter Tarquin Hall brosse une formidable fresque historique, sociologique et humaine d’un quartier : Brick Lane. Ce East End londonien accueille, depuis des siècles, des hommes venus d’ailleurs : des huguenots français au XVIIe et XVIIIe siècle, des Juifs et des Irlandais, plus tard des migrants chinois, éthiopiens, flamands ou allemands avant de devenir ce « Banglatown » où se sont installés des immigrés asiatiques, bangladais, afghan ou indiens… Brick Lane, c’est aujourd’hui l’univers des cockneys qui se métisse, le monde ouvrier londonien gagné (envahie ?) par ces « New East Enders », ces citadins branchés ou yuppies sorte de bobos version british. Certes, ces altermondialistes, artistes et autres trublions anti-autoritaristes firent monter le prix de l’immobilier mais leur l’arrivée « s’accordait, selon l’auteur, avec l’esprit de l’East End ».