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  • Des Bédouins dans le polder. Histoires tragi-comiques de l’émigration

    Fouad Laroui

    Des Bédouins dans le polder. Histoires tragi-comiques de l’émigration

     

    fouad_laroui-nancy_2011.jpgVoici un livre formidable. Oui ! oui ! formidable. Bien sûr Fouad Laroui est connu comme auteur, celui notamment qui a commis Les Dents du topographe, Méfiez-vous des parachutistes et autre Maboul et qui a publié chez Julliard, Une année chez les Français (nous y reviendrons). Ces Bédouins dans le polder est paru en 2010 et nous conte, à travers 1001 histoires, les heurs et malheurs des enfants du Rif transplantés dans le pays de la Tulipe, ou le pays de Béatrix comme se plait aussi à le désigner le malicieux auteur.

    Livre formidable donc et d’abord par le ton et le style : tout y est charmant, espiègle, le rythme sautillant, le bon mot court de page en page, l’humour élégant, moqueur et même railleur. Pour nous entretenir d’immigration, d’identité, de différence culturelle, de religion, d’hospitalité… et de tant d’autres choses sérieuses et parfois graves, Fouad Laroui a trouvé le ton qui convient pour moucher les vaticinateurs de mauvais augures et les gardiens autoproclamés des temples de la pureté et pour en dire plus et mieux sur ces sujets que de doctes et sourcilleux experts, de prétentieux folliculaires et autres ratiocineurs cacophoniques adeptes du chiffre-roi.

    Ce batave d’adoption manie la légèreté à la française comme pas deux, à moins que ce natif d’Oujda soit aussi maître dans l’humour à la sauce marrakchie. Qu’importe, avec cette écriture, Fouad Laroui embarquerait son lecteur pour n’importe quelle virée, littéraire s’entend.

    Mais voilà, ici, Fouad Laroui se penche sur ses frères en exil : ces « bédouins » marocains qui, tant bien que mal, font leur trou en terre batave. Et ces dizaines d’ « histoires tragi-comiques de l’émigration » sont chacune relatées à la façon d’une fable, qui, à l’instar des histoires de La Fontaine, se referment sur un enseignement, moral ou pratique, toujours empreint de bon sens.

    Fouad Laroui rapporte des scènes tirées du quotidien : l’irruption tapageuse de jeunes dans un compartiment de train ; la difficile et souvent tartuffarde expérience du jeûne au mois de ramadan ; quelques moments choisis de deux ou trois procès ; un étonnant conseil municipal ; quelques expériences footballistiques ; une demande de subvention pour l’ouverture d’un hammam culturel ; des test ADN à la sauce hollandaise, l’arrestation à potron-minet d’un (heureux) sans papiers ; la recherche d’emploi d’un « jéroboam ambulant », entendre une femme voilée de pied en cap ; un étudiant qui sur les banc de l’université entend réintroduire la part des anges dans l’écriture de l’Histoire ; ou encore l’ouverture d’une auto-école pour femmes musulmanes au grand dam de la gent masculine et machiste,  pedzouille du volant et oublieux de  « l’épouse du Prophète ; Khadija, [qui] dirigeait elle-même sa caravane à travers le désert d’Arabie. Et qui peut mener cent chameaux peut bien conduire une quatre-chevaux, non ? »

    Autant d’historiettes, vécues, entendues ou lues, pour évoquer le dialogue entre générations, les chocs, plus ou moins « doux », des cultures, l’ignorance qui gagne sur le souci de se mieux comprendre, la bêtise des uns et la méchanceté des autres (et vice versa), la psychologie des peuples où comment la trop grande modestie des Hollandais a du mal à séduire les fiers enfants de l’Atlas, la liberté de l’individu et la sujétion au groupe, une jeunesse dynamique, en quête de réussite et de reconnaissance, parfois délinquante mais toujours arbitre des élégances. Il est aussi question de l’arabisation à la mode égyptienne, de l’islamisation version wahhabite, de la radicalisation des jeunes d’origine marocaine et du trop-plein de religion dans la vie publique hollandaise où comment les musulmans servent aussi de cheval de Troie aux zélés adeptes de la croix.

    L’écrivain, par ailleurs économiste, ici chroniqueur du quotidien, marocain d’origine, hollandais d’adoption, ravive l’ego du coq gaulois et requinque son cocorico : partisan lucide de la laïcité, Fouad Laroui se montre contempteur du « multiculturalisme » aux côtés de Lilianne Ploumen, « la patronne du parti socialiste PVDA », et peut-être, aujourd’hui d’Angela Merkel.

    « Formidable », oui ! c’est-à-dire selon l’étymologie du mot « qui inspire de la crainte » car ces badinages littéraires pourraient aussi agacer et peut-être inquiéter bien des empêcheurs de vivre ensemble.

     

    Edition Zellige, 2010, 144 pages, 17,50 €

     

  • La citation du jour

    Je voudrais pas me retrouver

    Coincé entre

    Deux

    Terres

    Entre

    Deux rêves.

    Faudrait pas, faudrait pas

    Me contaminer,

    Me raconter,

    Que j’ai un train de retard.

    …/…

    Faudrait pas me contraindre

    Au dégoût,

    S’obstiner

    A m’abrutir.

    Faudrait cesser

    De détraquer

    Mon sommeil,

    de me réclamer

    Au pied de l’autel.

     

    Non, faudrait juste,

    M’ouvrir la voie,

    M’indiquer la route,

    Un point sur la carte,

    La bonne étoile. 

     

    Mohamed Kadded, L'Homme de verre, La Passe du vent 2012

  • Tout allait bien

    Franck Prévot

    Tout allait bien

     

    PREVOT.pngSympathique et efficace petite histoire de boutons rouges et bleus pour petits et… grands. « Tout allait bien » pour ces boutons rouges, heureux d’un entre soi qui ne souffrait d’aucune contrariété. « Tout allait bien »… « quand quelque chose de bizarre arriva ! » : un bouton de couleur bleue… Et c’est parti sur une quinzaine de doubles pages avec une courte phrase à gauche et l’illustration à droite. Comment les boutons rouges vont-ils réagir ? Que va faire le bouton bleu ? Pourquoi est-il rejoint par d’autres de la même couleur ? Qu’adviendra-t-il de tous ces boutons réunis sur une même page, sur un espace commun ?

    Voilà un petit livre d’une simplicité troublante mais qui peut en dire long sur l’immigration, le rapport à l’autre, le groupe, la différence, l’hostilité, le mélange… Petit livre et petite histoire pour grands effets et longues discussions garantis autour d’une guerre des boutons qui n’aura pas lieu.

    Franck Prévot est l’auteur de nombreux livres pour la jeunesse dont Les Indiens (L’Edune, 2009) et Paradiso avec Carole Chaix pour les illustrations (L’Edune, 2010). Il vient de publier Le roman de Râ  chez Thierry Magnier (2013).

     

    Edition Le Buveur d’encre, 2009, 10 €

     

  • La citation du jour

    « T’es pas américaine, a dit l’un des hommes. C’est un imbécile raciste, me dis-je à moi-même. Vraiment ? glapit ma petite voix.  Et combien d’autres auraient été d’accord avec lui dans ce pays aujourd’hui ? Mais si je ne suis pas américaine, que suis-je alors ? »

     

    Chitra Banerjee Divakaruni, La Reine des rêves, Picquier, 2006

  • La citation du jour

    « Que vous le vouliez ou non :  un spectre hante la France

    c’est l’Afrique »

    Yannick Haenel, Les Renards pâles, Gallimard, L’Infini, 2013

  • La citation du jour

     

    "Car même les clandestins avaient leur honneur. Dépossédés de leurs biens, de leur passeport, de leur identité, c’était peut-être bien la seule chose qui leur restait, d’ailleurs. L’honneur. Voilà pourquoi ils partaient seuls, sans femmes ni enfants. Pour que jamais on ne les voie ainsi. Pour qu’on se les rappelle grands et forts. Toujours"

     

     

    Romain Puértolas, L’Extraordinaire voyage du fakir qui était resté coincé

    dans une armoire Ikéa, Le Dilettante 2013

     

     

  • Salaam London

    Tarquin Hall

    Salaam London

     

    8627f328-55b4-4e78-872c-b6f154adf4ff.jpgDans Salaam London, le journaliste et globe-trotter Tarquin Hall brosse une formidable fresque historique, sociologique et humaine d’un quartier : Brick Lane. Ce East End londonien accueille, depuis des siècles, des hommes venus d’ailleurs : des huguenots français au XVIIe et XVIIIe siècle, des Juifs et des Irlandais, plus tard des migrants chinois, éthiopiens, flamands ou allemands avant de devenir ce « Banglatown » où se sont installés des immigrés asiatiques, bangladais, afghan ou indiens… Brick Lane, c’est aujourd’hui l’univers des  cockneys qui se métisse, le monde ouvrier londonien gagné  (envahie ?) par ces « New East Enders », ces citadins branchés ou yuppies sorte de bobos version british. Certes, ces altermondialistes, artistes et autres trublions anti-autoritaristes firent monter le prix de l’immobilier mais leur l’arrivée « s’accordait, selon l’auteur, avec l’esprit de l’East End ».

    De retour de reportage à l’étranger, sans le sou, pris à la gorge, Tarquin Hall n’a d’autres solutions que de louer, à ce sympathique roublard de Mr Ali, une mansarde pourrie dans ce foutu coin à la réputation sulfureuse. Lui, le natif de West End, se retrouve tel « un immigrant au sein d’un paysage étrange et inconnu ». Il y restera une année. Douze mois qui lui serviront à réaliser un tour de force : écrire l’histoire d’un quartier, en décrire le quotidien, percer les contradictions, les failles, parfois intimes, des uns et des autres, dresser le tableau des préjugés et des racismes. Il y croise des anciens qui, pleurant le temps perdu, se laissent gagner par quelques aigreurs funestes ; il y rencontre les nouveaux arrivés, ces « ombres » - « Umbra sumus », « nous sommes des ombres » disaient déjà les Huguenots réfugiés - brinquebalées entre un monde qui s’éloigne et un autre encore incertain.

    « Je frissonnais à la pensée de rester coincé dans Brick Lane pour toujours » écrit Tarquin Hall, illustrant ainsi, le fait que son regard ne cède jamais à une sorte de romantisme social béat, d’exotisme de pacotille, d’angélisme xénophile. Il ne cache rien des violences vues, des conflits entre bandes, des chausse-trappes et des trafics, des dealers et de la drogue, du communautarisme qui rejette l’autre et étouffe l’identique, du machisme, de la « mafia des mollahs », du proxénétisme et de la traite des jeunes femmes d’Europe de l’Est… Pour autant, il a appris à aimer ses nouveaux et improbables voisins.

    Citant  Roy Curtis (East End Passport) pour qui « (…) L’East End n’est pas simplement un lieu, ce sont des gens », Tarquin Hall donnent à rencontrer quelques figures du lieu : Mrs Cohen, la vieille locataire qui déteste les Irlandais ; l’Afghan, Gul Mohammad parti à la recherche de son jeune frère ; les deux Sasa, kosovars albanais ; Naziz qui a trouvé dans la littérature une « bouée de sauvetage » ; les Mendel et leur fiston qui a « trahi » la famille et les siens en épousant une goy ; Gullum, l’East Ender bangladais ; Wiil Waal, le Somalien ; Salah, le Kurde ; Les Francis, couple de cockney (presque) pur sucre ou encore Aktar, l’anthropologue bengali en quête d’une introuvable pureté britannique. Dépité et même furieux de découvrir que le mélange est universel y compris chez ces insulaires idolâtrés, il enrage contre la fumisterie de ces autochtones au sang mêlé. Ainsi, Chaucer, « le père de la littérature anglaise » serait d’origine française, Defoe, un brin flamand, Joseph Conrad s’appelait en fait Teodor Józef Konrad Korzeniowski … même le grand Churchill aurait du sang cherokee dans les veines par sa mère américaine. La cuisine britannique beigne elle aussi dans le multiculturel jusqu’au Fish and chips national qui serait un mixte d’origine française et juive. Quant aux emprunts linguistiques de la langue anglaise, il ne veut même plus s’y attarder !

    Car Tarquin Hall titille l’identité de ses concitoyens, les (fausses) certitudes des aînés et les bricolages des jeunes de Brick Lane, à l’image de la fille de Mr Ali. Et, quand Anu, sa fiancée indienne, débarque, ses illusions sur l’Angleterre se brisent sur le mur de la pauvreté, de la solitude et de l’anonymat. Difficile de surmonter les différences culturelles, dans une société où « les bonnes clôtures font les bons voisins »… Voilà qui a de quoi refroidir le plus anglophile des immigrés. Les voies de l’intégration étant impénétrables, peut-être que « les Anglais savent que s’ils se montrent trop amicaux et rendent la tâche trop facile aux autres, ceux-ci pourraient avoir l’horrible idée de rester étrangers »…

    Salaam London est un récit éclairant et subtil, souvent délicieux quant il donne à sauter les frontières sans jouer aux touristes gogo, baba et insouciant de l’autre et du lendemain. Au fil des pages voguent quelques effluves de mince pie de Noël et autres alléchant kheer, biriyani, chaat ou rajma. Les ombres d’Hugh Massingham, de Jack London, de Shakespeare, d’Israël Zangwill, le « Dickens juif » traversent les rues de l’East End et celles d’Isaac Rosenberg ou de Bernard Kops hantent encore les murs de la bibliothèque de Whitechapel, « l’université des pauvres » de ce quartier londonien.

     

    Traduit de l’anglais par Jacques Chabert, Gallimard, Folio, 2010, 481 pages

     

  • La citation du jour

    « Liberté sécurité et justice sont dans un bateau
    Liberté et justice tombent à l’eau
    Devinez devinez oh ce qui peut bien rester… »

    Sylvie Kandé, La quête infinie de l’autre rive. Epopée en trois chants, Gallimard, Continents noirs

  • La citation du jour

    « Des ambitions tu en as mais pas de répondant :

    ici personne n’achète tes quat ‘sous de rêves

    Là-bas est mieux : tu jettes une graine

    et en deux temps trois mouvements

    Je te jure elle germe et lève

    Et puis ramer pour ramer

    Mieux vaut avoir une visée »

    Sylvie Kandé, La quête infinie de l’autre rive. Epopée en trois chants, Gallimard, Continents noirs

  • La citation du jour

     

    « Seule, la mer au loin reste intacte. Berceau de nos haines, nos peurs, nos lâchetés. Je me sens attiré vers cette mer visqueuse, pleine de cadavres et de jeunesse affamée. Pleine d’espoir et de cris. »

    Kaouther Adimi, L’envers des autres, Actes Sud, 2011