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Championzé

 

Eddy Vaccaro & Aurélien Ducoudray

Championzé

 

championze.jpgQui pourrait aujourd’hui imaginer le sport tricolore sans ses athlètes noirs ? Un rapide survol et voilà que les Blacks de France font résonner les cocoricos du coq gaulois urbi et orbi. Au football bien sûr, mais aussi sur les stades d’athlétisme, dans les arts martiaux, le basket-ball, le handball, le volley et depuis peu le rugby. Le tennis reprend des couleurs grâce à  Monfils et à Tsonga héritiers de l’illustre Yannick Noah… la liste, bien sûr, n’est pas exhaustive. Pourtant, il y a quelques années, la Licra publiait un rapport où elle s’inquiétait des « dérives racistes »  dans le sport, et tout spécialement dans le football ! Le racisme et le sport, voilà un couple qui a la vie dure et les choses ne semblent pas s’améliorer au vu des différentes affaires qui défraient la chronique sportive ces dernières années.

Qui connait celui qui fut le premier champion français noir ? Il s’appelait Amadou M’Barick Fall, surnommé Siki, il fut champion du monde de boxe le 24 septembre 1922. 1922 ! L’année où le marocain Abd-el Krim proclamait l’indépendance du Rif. L’année aussi où la France entamait la construction de la Mosquée de Paris pour « ses » soldats musulmans tombés durant la Première guerre mondiale. Amadou M’Barick Fall en était, lui, du champ de bataille, et du genre courageux : médaillé de la Croix de guerre et du mérite.

Mais voilà donc que ce Noir, Français, puisque né à Saint-Louis du Sénégal en 1897, alors sous domination française, musulman qui ne dédaignera pas plus tard la bouteille, envoie au tapis, au sixième round grâce à un uppercut appuyé, l’idole et la fierté nationales : Georges Carpentier soi-même, ci-devant champion du monde, à la peau majestueusement blanche devant l’Eternel ! Un « cataclysme » selon le mot de Jean-Marie Bretagne qui consacra une biographie à Siki il y a quelques années (1). Un cataclysme tel dans la France coloniale que l’arbitre de la rencontre prétendra que Battling Siki aurait… triché. Allez savoir pourquoi, les quarante mille spectateurs qui assistaient à la rencontre à Montrouge protestèrent ! Et bruyamment ! Contraignant l’arbitre à accorder la victoire à qui de droit.

Battling Siki atteint donc la plus haute marche. Pour son plus grand malheur. Car à l’époque on ne plaisante pas avec la suprématie de la « race » blanche sur la « race » noire » ! D’autant plus que celui qu’on surnomme Championzé, autrement dit « le champion des chimpanzés », refuse de jouer le jeu. N’ayant plus rien à attendre du vieux continent, il file aux Etats-Unis espérant affronter Jack Dempsey, le champion du monde poids lourds.  Il y subira les mêmes attaques, les mêmes sarcasmes et on lui refusera de boxer. Battling Siki  ne baisse pas la garde et chatouille là où ça fait mal : «Vous avez une statue de la Liberté ici, mais c'est un mensonge. » Il se rebiffe et en remontre aux racistes de tous poils, il multiplie les provocations, et suprême sacrilège, épouse une seconde femme, blanche bien sûr.

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C’est cette histoire que viennent de mettre en bande dessinée Eddy Vaccaro (pour les dessins) et Aurélien Ducoudray (pour le texte). Ils suivent au plus près le parcours exceptionnel de ce gamin du Sénégal, ce Français des colonies, abattu dans une rue de New York en 1925. Efficaces, les textes et les dessins s’attachent à rendre l’atmosphère d’une époque, l’injustice subie, les torts infligés, les remugles nauséeux d’un occident qui prétendait apporter la civilisation au reste du monde ! Tout cela est fait sans forcer le trait. De manière légère, fluide sans pesanteur idéologique ni accusation. Le coup de crayon est alerte, multiplie les sujets et planches originales.

A l’heure où le corps du champion français est expédié à la morgue de Harlem, Pétain mate la rébellion des Berbères du Rif à l’ypérite, la Mosquée de Paris finit de se construire dans un Paris de l’entre-deux guerre qui commence à s’enthousiasmer pour une nouvelle idole : Joséphine Baker.

1- Jean-Marie Bretagne, Battling Siki, Éditeur Philippe Rey, coll. À Tombeau Ouvert, 2008

 

Futuropolis, 2010, 127 pages, 20€

 

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