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  • Sans-Papiers. Pour lutter contre les idées reçues

    Sans-Papiers. Pour lutter contre les idées reçues

     

    p430_ph21_sans_papiers.jpgPetit livre militant proposé par le mouvement Utopia, « mouvement politique de gauche, altermondialiste et écologiste », pour faire le point sur la question des sans-papiers en réfutant, brièvement et de manière didactique, quinze « idées reçues » sur le sujet. Bref et subjectif rappel pour les bons élèves de quelques uns de ces préjugés et autres lieux communs, partis pris hostiles ou paresses de la pensée. : « la France ne pourrait accueillir toute la misère du monde » ; « l’immigration coûterait chère au porte monnaie national et notamment à son budget social » ; « régulariser constituerait un appel d’air dans lequel s’engouffreraient tous les déshérités de la terre (africaine s’entend)» ; « l’immigré quand il ne prend pas le travail des nationaux fait monter la courbe des demandeurs d’emplois » ou encore, « l’Aide publique au développement versée par les pays développés suffirait aux pays en voie de développement », etc.

    La plupart des objections ici apportées à cette doxa anti-immigrée sont connues : ainsi, ce ne sont pas les plus pauvres qui migrent mais bien celles et ceux dotés du nécessaire pécule et outil intellectuel. A propos du coût de l’immigration, les auteurs citent deux études sur l’Espagne et la Grande Bretagne (déjà présentes dans le dernier livre de Michèle Tribalat qui n’est pas une « immigrationniste ») et une autre de la Banque mondiale qui tendent à montrer que les immigrés rapportent. On peut aussi faire référence à la récente étude sur les coûts de l’immigration pour l’économie nationale dirigée par Xavier Chojnicki de l’université de Lille pour le compte du ministère des Affaires sociales.

    Sur le contrôle des frontières et les expulsions, les auteurs dénoncent le coût d’une politique et son inefficacité : malgré les efforts des gouvernants, les flux continuent et la main d’œuvre immigrée reste indispensable à plusieurs secteurs de l’économie. Qui plus est - et tant qu’à faire - une main d’œuvre sans droits génère moult profits à des entreprises dont la délocalisation est peu ou pas envisageable. Comme il existe un lien étroit entre les stratégies déployées par les migrants et les politiques gouvernementales, les conditions administratives et juridiques, Utopia propose de substituer une politique d’ouverture des frontières à près de quarante ans d’obstacles mis à la circulation des migrants. Selon le mouvement, l’ouverture donnerait la possibilité aux migrants de pouvoir entrer et sortir du territoire national et, ainsi, maintenir des liens étroits avec le pays d’origine. Le retour pourrait être envisagé plus sereinement - et de citer une étude de l’OCDE selon qui, 40% des migrants retourneraient chez eux dans les cinq ans qui suivent leur arrivée.

    Le souci de s’appuyer sur les travaux de chercheurs reconnus (Fassin, Héran, Terray, Weil…) et les études d’organismes tels l’OCDE ou la Banque Mondiale ne parviennent pas à refreiner, ici ou là, quelques envolées militantes. A trop vouloir bien faire, on prend le risque aussi de substituer une doxa à une autre. Ainsi, on se demande d’où est tirée cette statistique selon laquelle « les pays du Nord n’accueillent que 20% des flux migratoires mondiaux »(1). Même mou dubitative quant à cette assertion : « les migrants représentent seulement 5,6% de la population en France »(2). Quid aussi de cette nouvelle  tarte à la crème qui court les couloirs et les colloques selon laquelle la liberté de circulation serait un « droit ancestral » et la migration consubstantielle à l’espèce. Alors certes, l’homme n’a cessé de marcher depuis son lointain berceau africain, mais à bien y regarder les migrations dans le monde ne concernent que 218 millions de personnes soit … 3,1 % de la population mondiale. Le droit de circuler ? Oui, mais peut-être et surtout le droit de pouvoir vivre chez soi. Ici, Utopia cède à « la victimisation de l’Occident » et dénonce pêle-mêle les séquelles de la colonisation plutôt que d’ « aide », il préfère parler de « restitution »), les injustices du système économique mondial, et les inconséquences de nos comportements individuels en tant que consommateur ou électeur etc. Tout n’est pas faux, mais on en oublierait les responsabilités des Etats et des élites politiques des pays en voie de développement. On en oublierait aussi ces militants démocratiques du Sud qui demandent des comptes à des dirigeants en place parfois depuis près de cinquante ans d’indépendance…

    En fin d’ouvrage, Utopia donne une liste de dix mesures pour une réforme des politiques de co-développement et une autre, contenant treize propositions, pour une autre politique d’immigration. Au cœur de cette dernière figure la régularisation sans conditions de tous les  immigrés sans-papiers. A sa sortie, veille d’un rendez-vous électoral, ce fascicule s’adressait pour l’essentiel à la « gauche ». Aujourd’hui, on lendemain de la victoire des socialistes, l’apostrophe demeure d’actualité. Le débat reste ouvert…

    1- Selon le PNUD sur les quelques 214 millions de migrants internationaux dans le monde en 2009, 37% partaient d’un pays pauvre vers un pays riche et 60% se sont déplacés entre pays riches ou entre pays pauvres.

    2- En 2006, il y avait 5 millions d’immigrés en France métropolitaine soit 8,2 % de la population française (INSEE). Selon une récente étude de l’Ined qui, comme l’ONU définie un immigré comme une « personne née dans un autre pays que celui où elle réside » (incluant donc les Français nés hors de France), la France compterait 6,7 millions d’immigrés soit 11% d’immigrés.

     

    Préface de Danielle Mitterrand, édition Utopia, 2010, 78 pages

     

  • La citation du jour

    « Loyalisme. Antiloyalisme. Allégeance. Obéissance. Des mots, ce ne sont que des mots »

     

    Julie Otsuka, Quand l’empereur était un dieu, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Bruno Boudard, Phébus, 2004

  • La citation du jour

     « Nous sommes issus de tant de brassages, de métissages, certes dans la violence et l’invasion, mais ils sont réels et constituent un rempart contre l’hégémonisme, contre le fanatisme, et un chemin à creuser pour peu qu’on cultive cette diversité pour asseoir un autre type, un nouveau type de légitimité de l’État. Si l’on n’infléchit pas la tendance de l’Unique, nous courons à la catastrophe (…) ».

     

    Mourad Djebel, Les Cinq et une nuits de Shahrazède, La Différence, 2005

  • La citation du jour

    « J’estimais que j’avais eu deux naissances, la première sur le sol brûlé jusqu’aux entrailles de la Mésopotamie, la seconde lorsque mes pas avaient foulé les pavés luisants du quartier Latin et que mes yeux avaient embrassé les deux rives de la Seine. »

    Fawaz Hussain, La Prophétie d’Abouna, Ginkgo éditeur, 2013

  • Sympathie pour le fantôme

    Michaël Ferrier

    Sympathie pour le fantôme

     

    FERRIER-MichaëlcHélie-Gallimard.jpgEt si l’on racontait l’histoire de France autrement ? A partir des « fantômes » qui traînent en pagaille dans les armoires nationales. Ces fantômes, loin d’exiger des actes de contrition et de repentance de la part des vivants, manifesteraient leur présence par un désir de « remembrance » et par leur « sympathie » avec les événements d’une histoire plurielle et commune. Comme l’explique Michaël Ferrier, « quand on frappe une touche de piano, un harmonique de la note émise peut correspondre exactement à la fréquence selon laquelle une autre corde a été réglée. Cette corde se met alors à vibrer, à son tour, par « sympathie » (…) Ce phénomène est appelé : « fantôme ». »

    Michaël, le narrateur, professeur d’université au pays du soleil levant, anime une chronique à Miroirs de France, une émission culturelle de la TV japonaise. Tandis que l’université s’enflamme pour un colloque, la télévision s’agite pour une émission spéciale. Sur les deux théâtres d’opérations un même thème occupe les esprits, attise les convoitises, flatte les egos et dresse les ergots : l’Histoire de France et l’identité française. Yuko, sa directrice, lui offre de piloter cette émission spéciale. Si côté universitaire, le petit professeur doit faire là où les mastodontes des érudites et vaines causeries internationales lui disent de faire, côté télévisuel, l’animateur iconoclaste a carte blanche.

    Michaël propose alors de sortir l’histoire nationale des « cales » d’un récit officiel où l’immigré et l’esclave ne seraient que des « fantômes ». Une histoire racontée par ses marges et une identité libérée d’une introuvable origine et vivifiée de mémoires plurielles au grand dam des experts en « consulting » mais avec le soutien amoureux de Yuko.

    Une « Trinité obscure » forme cette corde qui ici se met à vibrer. Il s’agit de trois fantômes de l’Histoire de France : Ambroise Vollard, marchand d’art et découvreur de Van Gogh, Cézanne ou Picasso ; Jeanne Duval, la « Vénus noire » inspiratrice de Baudelaire ; et Edmond Albius, « l’enfant esclave de Bourbon, le marieur de fleurs » qui découvrit comment féconder artificiellement la vanille. Cette trinité, tombée au champ d’honneur de la peinture, de la littérature et de l’économie, ouvre à la France les portes du XXe siècle. « Tout le passé revient, impur : un passé métissé de différents passés, de différentes cultures. Sous toutes ses différentes formes, un passé non conforme. Ce qu’on appelle l’origine est un tourbillon, qui brasse et qui mélange, un héritage sans doute, mais un héritage multiple, mélangé, divisé… c’est un orchestre, un opéra : il faut l’oreille absolue pour l’entendre, c’est un vivier de voix. »

    Michaël Ferrier s’en donne à cœur joie. Il brosse des pages drôles et assassines sur l’université et la télé. Ici, « on ne pense pas, on passe ». Là, de « pseudo-groupes de recherche, nids à subventions, colloques désastreux : salades et empoignades… petits-fours, débats… forums… Une énorme masse non pensante » ; et encore : « de vieux et très astucieux ouistitis… Propositeux, noteux, penseux, cérébreux, menteux… ». Il sème des réflexions sur la marche du temps et la modernité de nos sociétés où « les entreprises de dépossession de soi » vampirisent le moindre souci de soi (et la littérature !). Comme dans ses précédents romans, l’écrivain réunionnais installé en terre nippone, évoque Tokyo et le Japon. Les Nippons n’échappent pas à cette résurrection des morts. Le Pays du Soleil levant, si fier de son homogénéité mythifiée, si frileux qu’il préfère vieillir plutôt que de voir des étrangers vivifier ses entrailles centenaires, a oublié, lui aussi, ses mélanges (Sainichi et autres Nikkeijin) et son « impureté » constitutive pour parler comme Destienne.

    Avec vivacité et délectation, Michaël Ferrier passe du journal intime au pamphlet, de la biographie au récit de voyage, du roman à la poésie. La langue y est tour à tour brutale, abrupte, drôle, jubilatoire. C’est Léon Bloy à la sauce Gnawa Diffusion ! Ou l’inverse. Eloge de la diversité dans l’Histoire et dans les identités. Eloge de la diversité par les mots et par les phrases. Ce roman, comme la vie, est musical, polyphonique, rien à voir avec le convenable traintrain des pisse-copie et l’existence proprette des pisse-froid. Champagne donc ! Et pout tout le monde ! : « Redonner vie à ce feuilletage étonnant qui forme la nation française. Alors, les époques se télescopent. Alors les racismes volent en éclats. Alors le pluriel revient, dans le lieu, dans la langue et dans les mémoires. » Vous en prendrez bien une coupe ?

    Le Prix littéraire de la Porte Dorée, lancé par la Cité nationale de de l'histoire de l'immigration en 2010 a été remis à Michaël Ferrier pour Sympathie pour le fantôme en 2011.


    Gallimard, collection L’Infini, 2010, 259 pages, 17,90 €.

     

  • La citation du jour

    " Les arguments que nous avançons pour nous ghettoïser sont les mêmes que d’autres utilisent pour nous exclure et garder le gâteaux pour eux. (...) C’est l’isolement qui crée la prison, bien sûr, et comme pour n’importe quelle prison, il y a réclusion de part et d’autre des barreaux."

    Eddy L. Harris, Harlem, Liana Levi, collection Piccolo, 2007

  • La citation du jour

    « La droite « veut des guerres des cultures, et non des luttes de classes : tant que les affrontements concernent l’identité plutôt que la richesse, peut lui importe qui les gagne. (…) Pendant ce temps, l’idée, elle vraiment radicale, d’une redistribution des richesses devient quasi impensable. »

     

    Walter Benn Michaels, La Diversité contre l’égalité, Raisons d’agir, 2009