Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

- Page 2

  • La citation du jour

    « La ville n’abritait plus des immigrants venues seulement des anciennes colonies, et quelques autres : toutes les races étaient présentes et vivaient côte à côte, la plupart du temps sans s’entre-tuer. Elle fonctionnait cette nouvelle ville internationale nommée Londres - ou presque - sans être inutilement anarchique ou corrompue ».

    Hanif Kureishi, Le Don de Gabriel, Christian Bourgois, 2002

  • La citation du jour

    « A ses moments de doute, Qaher se demandait s’il trouverait jamais cette place qui lui échappait : Badawi à Raqqah, Syrien en France, travailleur étranger dans les Emirats, sans cesse, il était un étranger parmi les siens ! Mais quand l’optimisme venait le caresser, en revanche, il souriait. Car que pouvait l’apparence contre la ruse ? »

    Mohed Altrad, Badawi, Actes Sud, 2002

  • Ce qu’on peut lire dans l’air

    Dinaw Mengestu

    Ce qu’on peut lire dans l’air

     

    mengestu3.jpgDinaw Mengestu, nouvelle figure de la littérature nord américaine revient en France avec un deuxième roman traduit par les éditions Albin Michel. En 2007 il reçu le Prix du meilleur premier roman étranger pour Les Belle choses que porte le ciel (Albin Michel, 2007). Aux USA, il fut distingué par le très sélect New Yorker comme l’un des vingt meilleurs écrivains américains de moins de 40 ans. Dinaw Mengestu est né en Ethiopie et débarqua aux Etats-Unis avec ses parents alors qu’il n’avait  que deux ans.

    L’écrivain américain sait faire de la fiction avec le réel. Comme il sait rendre réel la fiction quitte à égarer son lecteur. Avec un remarquable sens de l’observation et du détail, Dinaw Mengestu saisit ce qui fait le quotidien de ces personnages pour dévoiler les ressorts secret des existences et les ambiguïtés de la société nord américaine. Ce qu’on peut lire dans l’air raconte le fonctionnement d’un centre pour réfugiés, les attentes et aspirations des demandeurs d’asile, l’attitude des autorités, les craintes de déclassement et l’obsession du statut social d’un couple de Noirs newyorkais de la classe moyenne, les non dits et les sous entendus entre Blancs et Noirs, l’histoire qui s’insinue dans les comportements et les mots des uns et des autres, le rapport à la ville de deux êtres sans racines ou encore le mythe exotico-bobo du « microcosme » métisse new-yorkais alors que « nos clients africains habitaient tous le Bronx, les Chinois une section de Queens à Brooklyn ; tout ce qu’on avait, c’étaient d’étroites et tortueuses enclaves férocement territoriales tassées les unes à côté des autres. »

    Ce qu’on peut lire dans l’air démonte surtout l’insidieuse mécanique de la désagrégation des couples. L’univers romanesque de Mengestu n’est pas rose. Il est implacable, comme est implacable le cours des existences.

    Ce qu’on peut lire dans l’air croise une double histoire de couple. La mariage de Jonas, le narrateur, avec Angela, et celui formé par ses parents, Yosef et Mariam, deux réfugiés éthiopiens. Dans le même mouvement qu’il décompose l’échec de son couple, Jonas remonte le temps. Il refait, une trentaine d’années après, le parcours emprunté par ses parents, une virée en voiture - une Monte Carlo rouge année 1971 - du côté de Nashville. L’histoire familiale, longtemps refoulé, a refait surface, avec dans l’air les lointains échos et les images d’incompréhension, de disputes et de violences. Mes parent « sont toujours restés des inconnus pour moi » dit Jonas jusqu’au jour où, apprenant la mort de son père, il redevient (ou se découvre) le dépositaire, l’héritier et peut-être le prisonnier de leur propre histoire.

    Jonas raconte après avoir tout perdu, son épouse, son travail. Le masque derrière lequel il se cachait est tombé. De son père, il ne lui reste qu’une boite contenant ses ultimes effets personnels. Jonas refait le voyage que ses parents accomplirent alors que sa mère était enceinte. Direction Fort-Laconte, un fort oublié de la mémoire et de l’histoire nationale mais dont la visite, indispensable pour Yosef, constituait une étape sur la voie de l’assimilation. Les vestiges de Fort-Laconte émergent au milieu de ce récit comme une  double figure littéraire. La figure de l’effacement mémoriel d’un moment pourtant fondateur et d’un lieu où nait le mystère. Figure aussid’un besoin de protection, d’un refuge et en même temps de la vulnérabilité, car un jour ou l’autre, le fort, comme toute cuirasse, cédera à une « attaque », à des « coups » venus de l’extérieur. Que s’est-il passé durant cette journée entre le père et la mère du narrateur ? Jonas revisite ce lieu hanté avec pour seul viatique son lot de faits improbables et de fragiles souvenirs.

    Angela et Jonas partagent des enfances traumatisées. Ce qui les avait rassemblés fut justement le même désir de construire autre chose : « jamais nous ne ferions comme ceux qui nous avaient mis au monde ». Mais voilà, après trois ans de mariage, le constat tombe : « on avait échoué sur toute la ligne, et c’était peut-être là que ce situait notre déception réciproque – en dépit de ce qu’on avait pu se promettre on s’apercevait qu’on avait à peine bougé par rapport à ceux qui nous avaient précédés. » Echappe-t-on à son passé ? En tout cas il ne suffit pas de le « railler » comme Angela ni de le dissimuler dans un « coin intime » comme Jonas, ce « coin » où il reléguait tout ce qui pouvait le « perturber ». Jonas se comportait « comme si rien ne s’était passé ». Très tôt, il s’était  « blindé, » avait fait en sorte de paraître « juste assez insignifiant pour me fondre dans le paysage et me faire rapidement oublier ». « Rien de mal ne peut vous arriver si on vous voit pas. C’était ma philosophie à l’époque. » Tout le contraire d’Angela.

    Dans l’air ne flottent que légèreté, évanescence, immatériel, des fantômes, des souvenirs, le sillage d’une couleur, les échos d’une dispute… « Nous laissons des traces de notre passage partout où nous allons ». De ces traces se nourrissent les constructions-arrangements de la mémoire, les bricolages identitaires. « On s’imagine que notre personnalité est une entité solide, figée (…). En réalité, il n’y a rien de plus facile que de modifier l’image que l’on a de soi. » Il suffirait semble dire Jonas d’utiliser le pouvoir des mots. Comme quand il réécrit les dossiers des demandeurs d’asile, histoire de se mouler dans un récit qui renforce les certitudes de l’Occident sur lui-même et sur les autres, flatte son égo misérabiliste et charitable, sa compassion de robot pour une Afrique enfermée à jamais dans le noir de la misère et de la médiocrité. De même quand il décide de raconter à ses élèves la mort de son père, qu’il réinvente sa vie, sa fuite clandestine, son exil… Il semble même qu’il pète les plombs. Et pourtant ce n’est pas pour cela qu’il sera renvoyé. Au contraire, convoqué par le directeur, celui-ci loue l’effet pédagogique de ses paroles sur les élèves.

    En matière d’immigration, d’asile, d’intégration, de relations entre les communautés, Mengestu bouscule bien des certitudes. Ses personnages ne sont pas enfermés dans une singularité ou un déterminisme culturel. Ce qui flotte dans l’air, léger comme un vol d’hirondelles ou sombre et inerte comme de gros nuages, donnent la matière à mille et un récits. Les mots, la littérature peuvent réinventer le réel, réécrire le passée. Pas certain pour autant qu’ils permettent de s’en libérer. L’imaginaire peut bien jouer au chat et à la souris avec le réel. La souris sait aussi se jouer des gros matous.

     

    Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Michèle Albaret-Maatsch, Albin Michel, 370 pages , 22 €

     

  • La citation du jour

    « Chaque vaisseau d’émigrants, vomis par l’Europe engorgée de population, grossit la phalange ennemie qui avance, hâte sa course, précipite la fuite des vaincus et accélère l’heure de la catastrophe. Après avoir stationné dans le Michigan, ces Indiens seront rejetés par-delà les montagnes rocheuses : ce sera leur seconde étape ; et lorsque, grandissant toujours, le flot européen aura franchi cette dernière digue, l’Indien, placé entre la société civilisé et l’océan, aura le choix entre deux destructions : l’une, l’homme qui tue ; l’autre, de l’abîme qui engloutit. »

     

    Gustave de Beaumont, Marie ou l’Esclavage aux Etats-Unis, Aux Forges de Vulcain, 2014

  • Tunisie, Le pays sans bruit

    Jocelyne Dakhlia

    Tunisie, Le pays sans bruit

     

    Jocelyne_Dakhlia_17042011102545.jpgJocelyne Dakhlia revenait ici sur ce « Printemps arabe » à l’heure où les Tunisiens élisaient une Constituante dominée par les représentants du parti Ennahda, dispensateur (à Dieu ne plaise) de la bonne parole à des ouailles oublieuses. Oublieuses ? Peut-être mais (re)devenues « sujet politique » armé d’une exigence citoyenne et démocratique et à qui, conscient des incertitudes du jeu politique, on ne la fera peut-être pas. Là n’est qu’en partie le sujet du livre de Jocelyne Dakhlia, directrice d'études à l’EHESS, qui scrutait cette révolution tunisienne en interrogeant l’« aveuglement » de la France à ce qui s’est passé dans ce petit pays à l’origine de grands bouleversements.

    Dakhlia observe le regard hexagonal. Un regard forgé par plusieurs siècles de relations entre l’Occident et l’Orient, entre la France et ses colonies, entre la Ve République et ce pays qui a accédé à l’indépendance en 1956 et qui, jusqu’à un certain 14 janvier 2011, n’aura connu que les joies de la dictature, version Bourguiba puis Ben Ali. Dictature, dont, ici en France, les dirigeants, tous les dirigeants, se sont allègrement accommodés avec plus ou moins d’élégance, avec plus ou moins de cynisme. La peur de l’islamisme n’explique pas tout.

    Jocelyne Dakhlia montre qu’en Europe, depuis l’antiquité grecque, la démocratie serait à l’Occident ce que le despotisme serait à l’Orient, qu’il soit perse ou arabe. Par atavisme culturel ou paresse de l’intelligence, ce schéma a enfermé la Tunisie dans une seule et unique alternative, un « modèle binaire » : la dictature mafieuse à la Ben Ali ou la dictature rigoriste des islamistes. Entre ces deux versions point de salut et surtout pas du côté des démocrates et autres laïcs tunisiens, éliminés dans les années 60-70 par un Bourguiba chouchou de la doxa occidentale puis persécutés et relégués au rang de « malades » par un Ben Ali chouchou d’une classe politique, économique et commerciale qui a contribué à faire de ce pays « une sorte d’arrière-cour de la France, et de l’Europe, extension récréative, thalassothérapique, et industrielle ».

    La « pourriture coloniale » (Alexis Jenni) gangrènerait-elle encore les esprits, ici, en France, pour avoir des décennies durant vue dans la Tunisie – et au delà – « un pays presque sans histoire », une société figée pour l’éternité, sans luttes, sans diversité, sans aspirations autre que celle qui consiste à se satisfaire, par nature, par essence, d’un despotisme ontologique ? On aimait la Tunisie comme on aimait sa nounou arabe ! D’où sans doute le « scepticisme », l’« incrédulité », les  « résistances » qui accueillirent les premiers pas de la jeune révolution. Le « choc des civilisation » commence dans les têtes qui renvoie l’autre à une différence rédhibitoire au point de détourner le regard devant le spectacle de l’indignité et ce au mépris de ces propres valeurs. Et surtout de ses propres intérêts. Ainsi, la meilleure façon de « contrôler » l’immigration ici en France, ne serait-ce pas d’aider les peuples à vivre en paix et dignement chez eux ? Comme tout un chacun !

    Jocelyne Dakhlia dévoile un héritage, un impensé, un angle mort qui au fond détermine, conditionne tous nos rapports avec l’Autre, réel ou imaginaire, lointain ou à la périphérie de nos centres urbains. Les Tunisiens n’ont pas seulement chasser le dictateur et abattu son régime, ils sont aussi sortis de cet enfermement dans lequel, en Occident, par ignorance ou mépris, on les confinait, un orientalisme d’un autre âge, un exotisme de pacotille au relent de jasmin, de thé à la menthe et autres gesticulations abdominales émoustillantes. « Les mots d’ordre scandés dans les manifestations, « dignité », « liberté », font de toute façon référence, en Tunisie, mais aussi en Algérie, en Syrie ou en Libye, à des valeurs universelles et non pas à des systèmes particuliers. »

    En réintégrant ce que Jocelyne Dakhlia nomme la « commune humanité politique », les Tunisiens nous rappellent à l’ordre. Il faudra construire un nouveau partenariat entre le Nord et le Sud ; repenser la notion d’universalisme ; substituer dans les  relations, l’égalité à la verticalité ; cesser de croire, au nom d’un prétendu retard et d’une téléologie introuvable, que le rapport ne peut-être que mimétique ; en finir avec les pseudos relativismes culturels qui enferment, excluent, rejettent…

    Il faut que la France sorte « des schémas obsolètes » disait Moncef Marzouki, le nouveau président de la Tunisie (le Figaro du 13 décembre) : « Nos amis français doivent s'adapter à la nouvelle donne. Ils n'ont plus affaire à des malfrats et doivent comprendre que nous ne sommes plus des clients, mais des partenaires. La Françafrique ne passera plus par la Tunisie. »

    Pour comprendre ces évolutions en cours et pour préparer celles à venir, le petit livre de Jocelyne Dakhlia, brillant, efficace, écrit sans animosité ni amertume, est un outil indispensable.

     

    Actes Sud, 2011, 119 pages, 15€

     

  • La citation du jour

    « Y’a pas de maman, pas de papa, plus de grands frères, plus de grandes sœurs… Ton bonheur… Tu dois le tailler… avec la fine… pointe… de ton couteau… Tu lècheras le sang avec ta propre langue… Tout passe, même l’insupportable… Quelque part dans le monde, quelqu’un continue de ciseler une prière sur un grain de riz… inlassablement… »

     Abla Farhoud, Quand le vautour danse, Lansman 1997

  • La citation du jour

     

    A la mémoire de Katia Bengana (1977-1994)

     

    « À la base de toute société, il y a la commune. Et le noyau de la commune, c’est bel et bien la famille. Si au sein de cette famille la femme est maintenue prisonnière, voilée qui plus est, séquestrée comme nous l’avons fait depuis des siècles, si elle n’a aucune ouverture sur le monde extérieur, aucun rôle actif, la société dans son ensemble s’en ressent fatalement, se referme sur elle-même et n’a plus rien à apporter ni à elle-même ni au reste du monde. »

     

    Driss Chraïbi, La Civilisation, ma Mère!..., Denoël, 1972. Folio 1988