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Ce qu’on peut lire dans l’air

Dinaw Mengestu

Ce qu’on peut lire dans l’air

 

mengestu3.jpgDinaw Mengestu, nouvelle figure de la littérature nord américaine revient en France avec un deuxième roman traduit par les éditions Albin Michel. En 2007 il reçu le Prix du meilleur premier roman étranger pour Les Belle choses que porte le ciel (Albin Michel, 2007). Aux USA, il fut distingué par le très sélect New Yorker comme l’un des vingt meilleurs écrivains américains de moins de 40 ans. Dinaw Mengestu est né en Ethiopie et débarqua aux Etats-Unis avec ses parents alors qu’il n’avait  que deux ans.

L’écrivain américain sait faire de la fiction avec le réel. Comme il sait rendre réel la fiction quitte à égarer son lecteur. Avec un remarquable sens de l’observation et du détail, Dinaw Mengestu saisit ce qui fait le quotidien de ces personnages pour dévoiler les ressorts secret des existences et les ambiguïtés de la société nord américaine. Ce qu’on peut lire dans l’air raconte le fonctionnement d’un centre pour réfugiés, les attentes et aspirations des demandeurs d’asile, l’attitude des autorités, les craintes de déclassement et l’obsession du statut social d’un couple de Noirs newyorkais de la classe moyenne, les non dits et les sous entendus entre Blancs et Noirs, l’histoire qui s’insinue dans les comportements et les mots des uns et des autres, le rapport à la ville de deux êtres sans racines ou encore le mythe exotico-bobo du « microcosme » métisse new-yorkais alors que « nos clients africains habitaient tous le Bronx, les Chinois une section de Queens à Brooklyn ; tout ce qu’on avait, c’étaient d’étroites et tortueuses enclaves férocement territoriales tassées les unes à côté des autres. »

Ce qu’on peut lire dans l’air démonte surtout l’insidieuse mécanique de la désagrégation des couples. L’univers romanesque de Mengestu n’est pas rose. Il est implacable, comme est implacable le cours des existences.

Ce qu’on peut lire dans l’air croise une double histoire de couple. La mariage de Jonas, le narrateur, avec Angela, et celui formé par ses parents, Yosef et Mariam, deux réfugiés éthiopiens. Dans le même mouvement qu’il décompose l’échec de son couple, Jonas remonte le temps. Il refait, une trentaine d’années après, le parcours emprunté par ses parents, une virée en voiture - une Monte Carlo rouge année 1971 - du côté de Nashville. L’histoire familiale, longtemps refoulé, a refait surface, avec dans l’air les lointains échos et les images d’incompréhension, de disputes et de violences. Mes parent « sont toujours restés des inconnus pour moi » dit Jonas jusqu’au jour où, apprenant la mort de son père, il redevient (ou se découvre) le dépositaire, l’héritier et peut-être le prisonnier de leur propre histoire.

Jonas raconte après avoir tout perdu, son épouse, son travail. Le masque derrière lequel il se cachait est tombé. De son père, il ne lui reste qu’une boite contenant ses ultimes effets personnels. Jonas refait le voyage que ses parents accomplirent alors que sa mère était enceinte. Direction Fort-Laconte, un fort oublié de la mémoire et de l’histoire nationale mais dont la visite, indispensable pour Yosef, constituait une étape sur la voie de l’assimilation. Les vestiges de Fort-Laconte émergent au milieu de ce récit comme une  double figure littéraire. La figure de l’effacement mémoriel d’un moment pourtant fondateur et d’un lieu où nait le mystère. Figure aussid’un besoin de protection, d’un refuge et en même temps de la vulnérabilité, car un jour ou l’autre, le fort, comme toute cuirasse, cédera à une « attaque », à des « coups » venus de l’extérieur. Que s’est-il passé durant cette journée entre le père et la mère du narrateur ? Jonas revisite ce lieu hanté avec pour seul viatique son lot de faits improbables et de fragiles souvenirs.

Angela et Jonas partagent des enfances traumatisées. Ce qui les avait rassemblés fut justement le même désir de construire autre chose : « jamais nous ne ferions comme ceux qui nous avaient mis au monde ». Mais voilà, après trois ans de mariage, le constat tombe : « on avait échoué sur toute la ligne, et c’était peut-être là que ce situait notre déception réciproque – en dépit de ce qu’on avait pu se promettre on s’apercevait qu’on avait à peine bougé par rapport à ceux qui nous avaient précédés. » Echappe-t-on à son passé ? En tout cas il ne suffit pas de le « railler » comme Angela ni de le dissimuler dans un « coin intime » comme Jonas, ce « coin » où il reléguait tout ce qui pouvait le « perturber ». Jonas se comportait « comme si rien ne s’était passé ». Très tôt, il s’était  « blindé, » avait fait en sorte de paraître « juste assez insignifiant pour me fondre dans le paysage et me faire rapidement oublier ». « Rien de mal ne peut vous arriver si on vous voit pas. C’était ma philosophie à l’époque. » Tout le contraire d’Angela.

Dans l’air ne flottent que légèreté, évanescence, immatériel, des fantômes, des souvenirs, le sillage d’une couleur, les échos d’une dispute… « Nous laissons des traces de notre passage partout où nous allons ». De ces traces se nourrissent les constructions-arrangements de la mémoire, les bricolages identitaires. « On s’imagine que notre personnalité est une entité solide, figée (…). En réalité, il n’y a rien de plus facile que de modifier l’image que l’on a de soi. » Il suffirait semble dire Jonas d’utiliser le pouvoir des mots. Comme quand il réécrit les dossiers des demandeurs d’asile, histoire de se mouler dans un récit qui renforce les certitudes de l’Occident sur lui-même et sur les autres, flatte son égo misérabiliste et charitable, sa compassion de robot pour une Afrique enfermée à jamais dans le noir de la misère et de la médiocrité. De même quand il décide de raconter à ses élèves la mort de son père, qu’il réinvente sa vie, sa fuite clandestine, son exil… Il semble même qu’il pète les plombs. Et pourtant ce n’est pas pour cela qu’il sera renvoyé. Au contraire, convoqué par le directeur, celui-ci loue l’effet pédagogique de ses paroles sur les élèves.

En matière d’immigration, d’asile, d’intégration, de relations entre les communautés, Mengestu bouscule bien des certitudes. Ses personnages ne sont pas enfermés dans une singularité ou un déterminisme culturel. Ce qui flotte dans l’air, léger comme un vol d’hirondelles ou sombre et inerte comme de gros nuages, donnent la matière à mille et un récits. Les mots, la littérature peuvent réinventer le réel, réécrire le passée. Pas certain pour autant qu’ils permettent de s’en libérer. L’imaginaire peut bien jouer au chat et à la souris avec le réel. La souris sait aussi se jouer des gros matous.

 

Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Michèle Albaret-Maatsch, Albin Michel, 370 pages , 22 €

 

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