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  • La citation du jour

     

    « Plutôt le vol de l’oiseau qui passe sans laisser de traces

    Que le passage de l’animal dont le sol garde le souvenir.

    L’oiseau passe et disparaît, ainsi doit-il en être.

    Là où il n’est plus, et donc ne sert à rien, l’animal

    Montre qu’il a été, ce qui ne sert à rien.

    Le souvenir est une trahison envers la Nature

    Parce que la Nature d’hier n’est pas la Nature.

    Ce qui fut n’est plus rien,

    et se souvenir est ne pas voir.

    Passe oiseau, passe, et enseigne-moi à passer ! ».

     

    Fernando Pessoa, Le Gardeur de troupeaux, Gallimard, 1987

     

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  • La citation du jour

     

    " Pas plus tard qu’hier un Blanc m’a demandé si j’étais un vrai Indien. Non, j’ai répondu, Christophe Colomb s’est planté. Les vrais Indiens sont en Inde. Moi, je suis un vrai Chippewa.

    Chipé quoi ? Pourquoi n’avez-vous pas de nattes ?

    On me les a chipées, je lui ai dit."


    Louise Erdrich, Dans le silence du vent, Albin Michel 2013

     

  • Une année chez les Français

     

    Fouad Laroui

    Une année chez les Français

     

     

    F-Laroui-HANNAH.jpgDepuis Mouloud Feraoun et Le Fils du pauvre jusqu’à son compatriote Djilali Bencheikh en passant par le marocain Driss Chraïbi ou des auteurs français comme Azouz Begag, Tassadit Imache, Saïd Mohamed et autre Mehdi Charef, l’école a su dresser ses façades, plus ou moins hautes, mais toutes parées de l’imposant triptyque républicain, dans les romans et les témoignages des auteurs maghrébins ou français issus de l’immigration. Les classes et les dortoirs de l’honorable institution, les soldats noirs de la République, la découverte de mondes insoupçonnés, l’altérité en bleu blanc rouge confrontent l’enfant, mal dégrossi de sa montagne berbère, de son bidonville parisien ou lyonnais aux premières expériences de la dissonance culturelle et existentielle. Le gamin, indigène ou « immigré », dans un trouble mano à mano, y fait l’apprentissage de l’autre et bifurque, sans le savoir parfois, sur les sentes escarpées de la relativité, de l’émancipation et de la réinvention identitaire.

     

    Une année chez les Français s’inscrit dans cette tradition littéraire. Il raconte la première année scolaire de Mehdi au lycée français de Casablanca, le lycée Lyautey. Enfant chétif, silencieux, observateur, gourmand de lectures, de mots et de connaissances, Mehdi, natif de Béni-Mellal, débarque en 1969 « chez les nasrani», affublé de deux dindons malséants. Le gamin est bon élève. Ses résultats et l’insistance de M. Bernard directeur de son école (comment ne pas penser à Camus et à Louis Germain, son instituteur ?) lui ont valu une bourse et cette belle échappée dans l’univers du livre et du savoir. Il est tellement bon, tellement au dessus des autres, qu’à l’instar d’un Jean Amrouche, et comme l’aurait dit le fidèle Jules Roy, c’est lui qui pourrait faire la leçon à ses petits camarades, socialement favorisés et culturellement « enracinés »…

    La « sarabande des profs » et des pions, les moult épisodes rapportés (le trousseau, le monument aux morts du lycée, le pyjama rose, les week-end chez les Berger, le mariage du cousin, l’atelier théâtre, Les Godillots de Van Gogh…) permettent à Fouad Laroui de montrer comment le petit Mehdi découvre, s’acclimate, apprivoise (à la manière du renard de Saint-Exupéry), son nouvel et « cryptique » environnement.

    Ces épisodes baguenaudent de chapitre en chapitre, laissant parfois traîner le sentiment de tourner à vide, l’impression de manquer de densité. Ce sont des saynètes plaisantes, légères, suggestives mais qui, mises bout à bout, ne parviennent pas à faire un tableau d’ensemble vigoureux  et tranchant. On retrouve pourtant ce qui fait le sel de cet auteur : une écriture distancée plus proche du rire, du clin d’œil malicieux que de la dramatisation. La langue française emprunte du vocabulaire au dialectal marocain et le récit des aventures scolastico-culturelles de Mehdi est rythmé par quelques paragraphes où le gamin laisse aller son imagination romanesque et par des citations tirées des livres lus : La Comtesse de Ségur, Racine, Corneille ou Verlaine.

    Cette « année chez les Français » offre un jeu subtil sur la question identitaire. Le récit passe tour à tour  de la découverte de l’altérité (« un autre monde s’ouvrait et Mehdi y pénétrait de toute son âme ») à l’intuition que « les gens ne pouvaient savoir qui il était vraiment (…). C’est alors que Mehdi, se découvre « Maure », « imposteur » « double, triple voire quadruple » « petit imposteur », pour finir « paria », « abandonné », « seul »… « L’imposteur » et le « paria » se réfugie alors, le week-end venu, sous un toit providentiel et avunculaire. Mais le gamin du bled, plus francophone qu’arabophone, n’entend pas grand chose à la langue des siens… Mehdi insensiblement devient un petit « roumi » : pas tout à fait français plus tout à fait marocain…

     

    Julliard 2010, 304 Pages, 19€

     

  • La citation du jour

     

    « Avant de les massacrer, nous donnons aux hommes dont il est devenu indispensable de se débarrasser des noms de bêtes – nous les métamorphosons en rats, en cloportes, en cafards, en chiens, en fourmis. Le joli nom de crouille, par lequel nous désignons les Arabes, n’est ce pas dans sa sonorité même, rappelant la grenouille, le margouillat, qu’on devine le talon qui se lève et écrase ? Écrabouiller le crouille, ce n’est pas tuer un être humain, c’est nettoyer le jardin de la terre d’un nuisible en ouille. Nuance… » 

     

    Antoine Audouard, L’ Arabe, L’Olivier, 2009

     

  • La citation du jour

    "De même qu'il n'existe pas de bon conte, il est illusoire de penser qu'il puisse exister un bon endroit, un bon moment, une bonne personne. Peut-être que l'existence elle-même est une erreur totale. Il se peut que nous menions tous des existences prisonnières de hasards absurdes et que nous perdions notre temps à chercher un ordre sous-jacent".

     

    Murathan Mungan, Quarante chambres aux trois miroirs, Actes Sud 2003

     

  • La citation du jour

    « C’est une guerre. Tu dois te cacher, tu dois résister. Il y a deux camps, avec des idées opposées : la France pays des droits de l’homme, et la France rassisse, moisie. C’est une guerre et nous faisons partie du mauvais camp. »



    Delphine Coulin, Samba pour la France, Seuil 2011

     

  • La Mer noire

    Kéthévane Davrichewy

    La Mer noire

    AVT_Kethevane-Davrichewy_2092.jpegLa Mer noire raconte l’histoire sur cinq générations (et oui il y a aussi des arrières petits enfants qui traînent dans le récit) d’une famille de réfugiés géorgiens débarquée en catastrophe en 1918 à Leuville-sur-Orge, la Mecque de la communauté géorgienne en région parisienne. A l’heure du nombrilisme identitaire nationale où on se récure l’ombilic pour le rendre le plus propre (le plus pure ?) possible,  on peut se demander si Kéthévane Davrichewy raconte seulement l’exil de ce couple de Géorgiens et de leur deux filles Tamouna et Théa ou, tout simplement, l’histoire, sur près d’un siècle, d’une famille… française. La diversité française, la diversité de sa population et de ses trajectoires, réfractaire à tout slogan de tribune, pointe ici le bout de son nez pour fermer le bec aux dispensateurs autoproclamés d’AOC identitaires.

    Certes, La Mer noire charrie les flots de l’exil : la fuite pour cette famille dont le père fait parti du gouvernement qui a proclamé l’indépendance de la Géorgie le 26 mai 1918 ; l’arrivée en France, et son lot de déceptions ; les interrogations des plus jeunes sur l’intégration, « cette barrière à franchir me laisse sans force » dit Tamouna ; l’acculturation davantage que l’assimilation ; les résistances culturelles et l’attachement à la Géorgie, à ses traditions, à sa langue, à sa cuisine ; la tenace distinction d’avec les Russes comme cette différence dans les exils que note Tamouna à propos de Nora, son amie russe  (et oui !) : « sa famille a quitté Moscou. Pour toujours (…). Ils sont juifs. Le retour est inenvisageable, ils ont l’intention de construire une nouvelle vie ici. »  « Nos exils et nos communautés ne se ressemblent pas. Tandis que nous attendons le retour, ils s’installent. »

    Les Géorgiens en France ! En voilà une histoire, peu ou pas connue, noyée dans les différentes vagues d’immigration qui, depuis 1918, s’installèrent dans l’Hexagone. Ces Géorgiens sont devenus des Français d’origine géorgienne, sans faire de bruits, ou presque. Et pour cause : pour les premiers arrivés, il n’était pas question d’abuser de l’hospitalité française, certains qu’ils étaient de rentrer au pays au plus vite. La nostalgie n’avait pas sa place à écouter Kéthévane Davrichewy, sûr, qu’un jour ou l’autre, on retournerait au pays. Mais voilà la révolution russe et le Géorgien Joseph Vissarionovitch Djougachvili, dit Staline, en décidèrent autrement. Les exilés se sont fondus dans la communauté nationale.

    Ce roman de la migration est aussi un roman français tant il est sûr que bien peu d’histoires nationales et de peuples n’échappent à l’irrigation d’un « sang impur » venu d’ailleurs, un « sang impur » qui abreuve les sillons de la terre de France aussi profondément que celui des roturiers et autres descendants de Gaulois (qui venaient d’ailleurs eux aussi) dont parle la chanson. La chronique familiale ici rapportée parle de mariages, de divorces, de remariages, d’unions mixtes avec un grec ou une arménienne, d’enfants et de réussite professionnelle, des nouvelles générations installées ici et maintenant, sensibles aux luttes des Sans-papiers et qui titillent leurs aînés gagnés par une frilosité certaine pour les nouveaux migrants… La mort a déjà emporté les plus vieux. Quant aux survivants, ils vieillissent. Si elle n’a pas déjà claqué la porte, la vie se retire sur la pointe des pieds, laissant les corps fragiles et les êtres déjà absents : « mourir dans son sommeil, c’est ce qu’elle préfèrerait. Mais tenir jusqu’à l’été. Sentir encore sa chaleur, son parfum sur la peau. »

    Tamouna est désormais une vieille femme, lucide, les poumons privés d’oxygène. Son quotidien ne se réduit plus qu’à son appartement et à cette fenêtre ouverte sur la rue et sur la cours d’une école. Plusieurs fois par semaine, Mohamed, le vieil immigré marocain qui travaille à l’épicerie, lui fait les courses et un peu de ménage. « Elle l’écoute, elle le force parfois à dire les mauvais traitements qu’il a subi au palais. Il le dit par bribes avec réticence. Elle se reproche ensuite son insistance. Elle-même ne parle jamais des raisons de son exil ».

    A l’occasion d’une soirée d’anniversaire, Tamouna se souvient. Elle est le dernier maillon de ce bout de la chaîne qui court jusqu’à Tsiala, sa petite fille qui « la violente un peu » - comme elle-même le fait avec Mohamed - pour recevoir en héritage la mémoire de sa vieille grand-mère. Tamouna se souvient. Elle laisse remonter à la surface les souvenirs d’une vie longue et troublée. Au centre de ses réminiscences, il y le visage de Tamaz, ce tendre amour né sur les bords de la Mer Noire, toujours présent, aussi fort qu’au premier jour, malgré des destins séparés. Tamaz sera t-il de la soirée ? Elle le souhaite et le craint dans le même mouvement. L’amour est comme un fil ténu qui court entre les femmes de cette histoire. Les plus jeunes demandent à leurs aînées si elles ont connu d’autres hommes que leur mari, si elles se sont mariées par choix ou par obligation. Tamouna s’est posée la question à propos de ses grands parents restés en Géorgie, plus tard, elle a interrogé Dédia sa mère, et aujourd’hui c’est Tsiala qui le lui demande.

    Ce très beau texte est le deuxième roman d’une auteure qui est née à Paris en 1965 et qui a puisé dans l’histoire familiale la trame de son récit. Elle y entrelace le présent (la journée et le repas d’anniversaire) et le passé (la lointaine Géorgie, l’exil, Babou et Bébia, les grands-parents restés au pays, le père reparti en Géorgie à qui Tamouna a refusé la dernière étreinte, la noble figure maternelle, le groupe formé avec les quatre cousins et cousines, l’histoire de ce premier et unique amour).

    Le récit est écrit selon trois modes de narration : le « je », celui de Tamouna, porte le passé et la mémoire ; un narrateur extérieur dit le présent - comme si, déjà, il fallait laisser la place à d’autres : enfin il y a les lettres écrites par Tamouna à Tamaz - des lettres jamais postées.

    L’écriture est brève, délicate, économe, sans «  effusions » comme la personnalité de Tamouna. À la surface de cette Mer noire flotte l’écume du regret, ce « courage » qui a manqué, et la nostalgie d’un triple exil. Celui d’une terre, celui d’un amour et celui du temps qui passe et dont la maitrise ou plutôt l’illusion de sa maîtrise finit par s’évanouir, laissant à d’autres le soin de raconter... A moins que le pays comme l’amour demeurent bien vivant dans le cœur de Tamouna.

     

    Sabine Wespieser, 2010, 214 pages, 19 €

  • La citation du jour

     

    « Comment peux-tu accepter de ne pas te rendre dans la patrie d’une langue étrangère, dans le foyer d’une pensée différente de la tienne ? Le béret de l’étranger abrite peut-être des pensées et des réflexions qui n’ont jamais effleuré le dessous de ton fez : il se peut qu’elles te fassent méditer,  qu’elles suscitent en toi l’envie de connaître le cerveau qui les abrite » ?



    Faris Chidyaq, La Jambe sur la jambe, Phébus, 1991