Luc Brunschwig et Laurent Hirn
Les Enfants de Jessica. Tome 2 – Jours de deuil
Au centre du récit, un mouvement de légitime défense, le mouvement Logan’s, organisé en milices. Soucieux de restaurer « le rêve » américain, ses militants agressent les « migrants de l’intérieur » qui depuis six ans s’installent à New York, à commencer par les immigrés arabes et autres « parasites », histoire de les renvoyer chez eux, de les chasser notamment de ces « immeubles Ruppert » où ils logent, du nom de la secrétaire d’Etat aux affaires sociales du président démocrate Lou Mac Arthur. Jessica Ruppert incarne un tournant dans la politique économique et sociale étasunienne, l’expérimentation de mesures nouvelles qui ambitionnent rien moins que de remettre en question l’« American way of life » au nom de la justice sociale et des impératifs écologiques. Voilà de quoi accuser la présidence et de son administration de « communisme », d’en faire la cible de tous les mécontents : xénophobes de tous poils, banquiers, milieux politiques et même quelques parrains de la maffia. Cela fait beaucoup…
Ainsi, le projet de l’administration américaine n’est pas du goût de la finance internationale, de ceux qui tiennent les Etats par le poids de leurs dettes contractées. Les banques centrales chinoise, européenne et japonaise ne mettent pas de gants pour faire comprendre au président Mac Arthur qu’il vaudrait mieux pour lui abandonner ses velléités sociales, et fissa ! sinon gare : plus de crédits et remboursement immédiat des 1 057 000 000 000 dollars de dette ! Que vaut une secrétaire d’Etat intègre et soucieuse du bien être de ses concitoyens face à la finance mondiale et à quelques autres officines interlopes ? Rien ! Peanuts ! Le coup de poignard viendra de ses propres amis et sénateurs démocrates…
Dans le même temps, des attaques de trains d’immigrants provoquent des dizaines de morts et un certain Colin Strongstone est condamné à cinq ans de prison pour avoir lâché une meute de Pitbull affamés contre les locataires d’un immeuble Ruppert. Colin Strongstone, Afro-américain, brillantissime diplômé d’une école de commerce, se réclame de Logan et prétend avoir défendu les intérêts de ses parents, dont les maigres économies, un immeuble à New York, ont fondu comme neige au soleil après l’installation à proximité d’un de ces « immeubles Ruppert » pour migrants. Ainsi le « rêve américain » à la sauce libérale n’est pas uniquement une illusion de Blancs et de dominants, et ce geste pourrait préfigurer les contours d’une nouvelle guerre, celle que des pauvres mènent contre un peu plus pauvre que soi.
Sur cette toile de fonds, scénario et dessins croisent les sujets et les personnages - jusqu’à perdre parfois le lecteur - reviennent aussi sur une histoire commencée il y a dix ans avec Le Pouvoirs des Innocents (cinq albums), poursuivi avec le tome 1 des Enfants de Jessica (Le discours) et Car l’enfer est ici. On y retrouve Joshua Logan. Emprisonné, il clame son innocence et est malade d’être devenu, malgré lui, le symbole d’une cause qu’il réprouve. Il y a aussi Amy, la jeune orpheline, celle que Logan rencontra dans un hôpital psychiatrique. Elle fait le lien entre ce dernier, Jessica Ruppert sa mère adoptive et le jeune Salim, un enfant d’origine syrienne dont la mère a été abattue dans sa boutique quelques années plus tôt et dont le père vient à son tour d’être assassiné.
Dans cette livraison, tandis que quelques politiciens et autres maffieux se frottent les mains, le temps de la contestation et de la mobilisation en faveur de Jessica Ruppert se met en place. A l’enterrement des dernières victimes du mouvement Logan’s, il est question d’une pétition et même d’une marche sur Washington.
Les planches de Laurent Hirn offre une riche variété, alternant gros plans et plans larges, couleurs - avec dominance des ocres, marrons et autres bleus - et noir et blanc, lumière et pénombre… Le coup de crayon est précis, classique, particulièrement expressif, dynamique, à l’unisson d’un scénario animé et excitant. Cette livraison comprend un cahier graphique de 12 pages, un « Making off » qui offre l’opportunité de saisir le travail et les méthodes des auteurs : l’importance du découpage ou l’utilisation de la 3D pour Hirn, les contraintes du scénario ou le travail sur la psychologie des personnages chez Brunschwig.
Futuropolis 2012, 64 pages, 13€